Introduction
Le concept de matériaux
à
Bande Interdite de Photons
(BIP
ou
Photonic Band-
Gap
:
PBG, en anglais) ou cristal photonique est apparu il y a une dizaine d’années
sous l’impulsion de Yablonovitch
[il.
Un cristal photonique est une structure dont
l’indice diélectrique est modulé de façon périodique. Grâce
à
l’analogie formelle
qui existe entre les équations de Maxwell régissant la propagation des ondes élec-
tromagnétiques dans un milieu diélectrique et l’équation de Schrodinger pour les
électrons
[2],
on peut appréhender les cristaux photoniques avec les outils et les
concepts développés en physique du solide
[311.
Dans les solides, le potentiel périodique du réseau ionique crée des bandes
d’énergie pour la propagation des électrons. Certaines bandes d’énergie peuvent
être complètement interdites aux électrons
;
c’est le cas notamment dans les se-
miconducteurs. De la même façon, dans une structure d’indice diélectrique pério-
dique, l’énergie des photons dans le cristal peut se décrire par des bandes, dont
certaines peuvent être interdites
[9].
Une radiation lumineuse
à
l’énergie de la
bande interdite ne pourra pas pénétrer dans le matériau périodique, quelle que
soit son incidence ou sa polarisation car, la densité de modes photoniques ayant
été modifiée jusqu’à l’annulation par l’environnement diélectrique périodique, il
n’existe pas de mode
à
l’énergie correspondante.
La mise en œuvre d’objets périodiques artificiels en optique n’est pas nouvelle
(on peut citer les réseaux de façon générale, ou leur utilisation monolithique ré-
cente dans les lasers semiconducteurs
DFB
(Distributed FeedBack))
[lo].
Mais
l’on peut voir dans les cristaux photoniques une façon plus générale de décrire ces
objets. Les outils de la physique du solide permettent éventuellement de mieux
les comprendre et de pousser plus loin les limites actuelles. C’est pourquoi les
cristaux photoniques ont suscité un grand engouement dans la communauté scien-
tifique
;
les plus optimistes y ont vu un moyen de révolutionner l’optique dans les
solides, en contrôlant la propagation de la lumière, comme les semiconducteurs ont
révolutionné l’électronique en permettant l’avènement de la microélectronique.
L’idée initiale de Yablonovitch est de contrôler directement l’émission de lu-
mière
[il.
Dans un cristal photonique, la densité de modes photoniques est nulle
dans une certaine bande d’énergie. Si la longueur d’onde d’émission d’un émetteur
placé dans le cristal est dans la bande interdite, aucun photon ne peut être émis
1.
Pour
une introduction complète au domaine, on
pourra
consulter avec profit les référen-
ces
[4-8].
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Étude expérimentale de cristaux photoniques bi-dimensionnels
et l’émission spontanée est donc inhibée. En analogie avec les semiconducteurs,
on peut créer un niveau dans la bande interdite, en créant une rupture de la pé-
riodicité [il]. Bien étudié, ce défaut crée un mode électromagnétique unique
à
la
longueur d’onde de l’émetteur. On contrôle ainsi totalement l’émission spontanée,
pour ne plus avoir qu’un seul mode d’émission dans une direction et
à
une fré-
quence voulues. Cette propriété aurait un impact énorme en optoélectronique car
elle permettrait de diminuer très sensiblement le bruit de nombreux composants,
d’abaisser le courant de seuil des lasers, voire d’obtenir des sources de photons
subpoissonniennes, alors que l’on est justement limité dans tous ces exemples par
les propriétés peu spécifiques de l’émission spontanée dans les semiconducteurs.
Les premières études théoriques de cristaux photoniques ont consisté
à
uti-
liser dans les BIPs toute la panoplie des codes de calculs qui existent pour les
solides 19,121. La principale difficulté est que l’on cherche dans les solides la fonc-
tion d’onde électronique qui est une variable scalaire, alors que l’on cherche dans
les BIPs
à
déterminer le champ électrique, qui est une variable vectorielle. Après
quelques erreurs
[
13-17], plusieurs méthodes numériques furent validées par com-
paraison aux expérimentations
à
l’échelle millimétrique [18-201. On put ainsi dans
un premier temps valider les concepts déduits de l’analogie électronique (bande
interdite ou niveau de défaut par exemple)
[il,
21,221. Les calculs ont permis
dans un second temps de modéliser certaines fonctionnalités réalisables par des
BIPs [23,24].
Expérimentalement, les résultats ont été plus longs
à
obtenir. En effet, in-
tuitivement, l’échelle de la périodicité doit être du même ordre de grandeur que
la longueur d’onde de la lumière que l’on veut contrôler.
De
plus, le contraste
d’indice entre les matériaux présents dans la structure doit être assez fort (comme
nous le verrons dans la suite) [12]. La nature, par ses matériaux usuels (verres,
oxydes, polymères
...)
les indices de réfraction dépassent rarement
1,6,
ne nous
a guère dotés de tels objets
<<
prêts
à
l’emploi
>>
et il faut recourir par exemple aux
semiconducteurs pour obtenir des indices suffisamment élevés. Les cristaux photo-
niques sont alors obtenus de façon artificielle en creusant des trous dans le matériau
diélectrique [21,25,26], en ordonnant des billes d’un tel matériau [2ï, 281, ou en-
core en empilant des tiges de diélectriques en structures dites
<(
tas de bois
>>
[29].
Pour des longueurs d’onde dans le visible ou le proche infrarouge, les dimensions
typiques submicroniques de la périodicité impliquent de grandes difficultés tech-
nologiques si l’on veut parvenir
à
un cristal tridimensionnel
[30].
C’est pourquoi
les premières vérifications expérimentales sur des BIPs structurés tridimensionriel-
lement se sont d’abord faites assez rapidement
à
des longueurs d’ondes millimé-
triques 121,291. Néanmoins, un grand nombre d’applications se situe dans le visible
ou le proche infrarouge,
la technologie peine encore
à
fabriquer les structures
requises. L’intérêt général s’est alors tourné vers des cristaux
la périodicité ne
s’étend que sur deux dimensions
1311.
Ces objets sont réalisables
à
des échelles
submicroniques avec les techniques actuelles de lithographie, notamment grâce
aux acquis de la microélectronique. Ce courant
a
été largement soutenu par les
théoriciens pour lesquels les calculs sont également plus simples en 2 dimensions
qu’en
3
[12,32].
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Introduction
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C’est dans ce cadre que s’inscrit ce manuscrit. L’objectif est ici de démontrer
les propriétés optiques élémentaires de cristaux photoniques bidimensionnels tels
qu’on
sait les fabriquer pour le proche infrarouge
[33],
et de mettre en évidence
leurs potentialités pour l’optique intégrée et le contrôle de l’émission spontanée.
Dans le premier chapitre, je présenterai plus en détail la notion de bande in-
terdite, selon que l’on crée dans la matière une périodicité dans une, deux ou trois
dimensions de l’espace. Je décrirai les structures privilégiées dans le cas de cris-
taux photoniques bidimensionnels, qui s’avèrent le plus aisément réalisables. Nous
avons choisi d’étudier les propriétés de ces derniers dans une géométrie d’onde gui-
dée pour confiner la propagation de la lumière au plan de périodicité des cristaux.
Cette configuration risquant d’introduire des pertes par rapport
à
la pure géomé-
trie bidimensionnelle, j’évoquerai les solutions mises en œuvre pour les limiter.
Le chapitre 2 décrit la configuration expérimentale qui a été utilisée. L’idée
est de tester des cristaux photoniques gravés dans une hétérostructure guidante et
luminescente, avec une émission dans le proche infrarouge. Je décrirai les échan-
tillons et le montage qui ont permis de déterminer quantitativement l’ensemble
des coefficients optiques pertinents du cristal photonique par rapport
à
une onde
guidée.
Le chapitre
3
sera consacré aux résultats des expériences menées sur les échan-
tillons de cristaux photoniques simples. Deux types d’émetteurs internes ont été
utilisés
:
des puits quant,iques d’InGaAs, et des boîtes quantiques d’InAs. L’apport
spécifique de chacun de ces émetteurs sera décrit. L’ensemble des expériences per-
met d’évaluer le comportement optique global des échantillons pour une onde
guidée, et de le comparer
à
ce que prédit le cas parfait.
Une fois démontrées les propriétés de contrôle de la lumière guidée par les
BIPs
grâce aux coefficients optiques, je présenterai dans le chapitre
4
quelques
réalisations tendant vers le confinement de la lumière par des cristaux photoniques.
Les BIPs sont utilisés comme réflecteurs pour former des cavités. Nous avons
réalisé des mesures
<<
passives
>>
oii
la
cavité est sondée de l’extérieur
et
des mesures
(<
actives
>>
c’est directement l’émission spontanée de l’émetteur dans la cavité
qui permet de sonder les modes.
L’ensemble de ce travail me permettra de présenter les forces et les faiblesses des
BIPs
2D actuels, de faire quelques propositions pour améliorer leurs performances
et d’évaluer leurs perspectives d’avenir.
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