Les médicaments
qui peuvent causer
de l'insomnie
M'"' Maldor ayant un profil pharma-
cologique chargé consulte pour de l
'
in-
somnie.
Ses médicaments peuvent-ils
contribuer à son problème d'insomnie ?
L
Ir
insomnie n
'
est pas une maladie
mais un symptôme commun à de
multiples causes médicales et psychia-
triques'''. Il faut donc s
'
attarder à éva-
luer ce symptôme pour mieux en pré-
ciser la cause. En 1979, un sondage
Gallup a montré que 95 % de la popu-
lation adulte avait expérimenté des
troubles d
'
insomnie
'
. Dans une étude,
Mellinger a noté que 35 % de la popu-
lation adulte a été affectée par un pro-
blème d
'
insomnie durant la dernière
année et la moitié d
'
entre eux trouvent
qu
'
ils ont été sévèrement affectés. Gé-
néralement, les femmes se plaignent
d
'
insomnie deux fois plus que les
hommes et utilisent des médicaments
pour dormir souvent (2,5 % des cas) et
rarement (18,6 %), tandis que les
hommes en utilisent souvent (1,4 %)
et rarement (10,4 %)
5
. Chez les per-
sonnes se plaignant d
'
insomnie, on
rapporte une incidence de 40 % de
troubles psychiatriques'.
L'insomnie est donc un problème
de santé' important qui perturbe
l
'
humeur et l
'
efficacité de l
'
individu.
Le fait de traiter ce problème avec
une médication peut avoir des consé-
quences non négligeables telles que la
polypharmacie, la sédation diurne,
la dépendance aux médicaments, etc.
Ces conséquences sont généralement
plus sérieuses chez la personne âgée
qui, justement, souffre plus d
'
insom-
nie'''. Le fait de ne pas traiter ce pro-
blème a aussi des répercussions impor-
tantes', telles que l
'
hypersomnolence
diurne, des troubles de concentration,
et c
'
est un facteur de risque d
'
accidents
de la route.
Dement
10
affirme que « les médecins
ne veulent pas poser de questions sur
Le D' Bernard Guay et
Mme
Isabelle
Simoneau sont respectivement omni-
praticien et pharmacienne au Centre
hospitalier Robert-Giffard, à Beauport.
les problèmes de sommeil parce qu
'
ils
ne sont pas capables de les réduire ».
Ainsi, lorsqu
'
un traitement est entre-
pris, la prescription d
'
un hypnotique
est souvent la seule recommandation.
L
'
omnipraticien est donc confronté à
un défi diagnostique qui se glisse sou-
vent au milieu des nombreuses autres
demandes du patient.
Le but de cet article est donc de
fournir une aide dans l
'
évaluation des
troubles d
'
insomnie, plus spécifique-
ment de donner à l
'
omnipraticien une
liste de médicaments qui peuvent cau-
ser de l
'
insomnie. Nous ne traiterons
pas ici des médicaments qui peuvent
être à l
'
origine de l
'
hypersomnolence
diurne.
Classification des différents
troubles du sommeil
Voici, selon le DSM-IV", les critères
de l
'
insomnie primaire.
A.
La plainte essentielle est une dif-
ficulté d
'
endormissement ou de main-
tien du sommeil, ou un sommeil non
réparateur, cela pendant au moins
un mois.
B.
La pertubation du sommeil (ou la
fatigue diurne associée) est à l
'
origine
d
'
une soufffrance marquée ou d
'
une
altération du fonctionnement social,
professionnel ou dans d
'
autres do-
maines importants.
C.
La pertubation du sommeil ne
survient pas exclusivement au cours
d
'
une narcolepsie, d
'
un trouble du
sommeil lié à la respiration, d
'
un trou-
ble du sommeil lié au rythme circadien
ou d'une parasomnie.
D.
La pertubation ne survient pas
exclusivement au cours d
'
un autre
trouble mental (p. ex., un trouble dé-
pressif majeur, une anxiété généralisée,
un delirium).
E.
La pertubation n
'
est pas liée aux ef-
fets physiologiques directs d
'
une sub-
stance (p. ex., une substance donnant
lieu à abus, un médicament) ou d'une
affection médicale générale.
Bien que, pour porter un diagnostic
d
'
insomnie primaire, il faille éliminer les
causes psychiatriques (axes I et II) et
physiques (axe III), cet article n
'
aborde
pas ces questions.
L
'
intoxication et le sevrage à certai-
nes substances peuvent également être
à l
'
origine de l
'
insomnie. Le DSM-IV
mentionne l
'
alcool, les amphétamines,
la caféine, la cocaïne, les opiacés, les sé-
datifs, les hypnotiques et les anxio-
lytiques. Cependant, cette liste n
'
est pas
exhaustive et, pour plus d
'
information,
le lecteur peut se reporter au tableau de
Czeisler'
2
.
Le
tableau I
présente les médica-
ments qui peuvent induire l
'
insomnie
et permet ainsi de répondre au critère E
de l
'
insomnie primaire du DSM-IV,
c
'
est-à-dire d
'
éliminer l
'
insomnie cau-
sée par des effets physiologiques directs
d
'
une substance.
Les benzodiazépines
Il est reconnu que les benzodiazépi-
nes diminuent la latence du sommeil
et prolongent la durée totale de celui-ci,
mais qu
'
elles diminuent de façon mar-
par Bernard Guay
et Isabelle Simoneau
69
Le Médecin du Québec,
juillet 1997
A B[ E A U
Médicaments qui peuvent causer de l'insomnie
Données explicatives
Médicaments du système nerveux
central (SNC)
Benzodiazépines
Modification des stades du sommeil
(Mea n®, Valium
a
, etc.)
Insomnie rebond
Buspirone (Buspar`"(
Stimulant du SNA, peut causer manie et crise de panique
Antidépresseurs
Inhibiteurs sélectifs du eca otage
de la sérotonine (ISRS) :
Fluoxétine )Prozac`"-')
Mémo le matin, peut causer des effets stimulants
Paroxétine (Peel')
Sertraline (Zoloft"°)
Tricycliques :
Clomipramine (Anatranif)
Cauchemars, myoclomes nocturnes
Desipramine (Norpramin
®
)
Stimulant
lfv1AO irréversible
Ne devrait plus être utilisé en première ligne à cause des
Nardil
®
Parnate®)
effets
secondaires
et
des restrictions alimentaires
IMAO réversible (Malterie)
Lithium
Exacerbation du syndrome des jambes sans repos
Neuroleptiques
Phénothiazine (Nozinan
®
,
Exacerbation du syndrome des jambes sans repos
Mellaril
®
, Stelazine
®
, etc.)
Akathisie pendant le sommeil
Rispéridone
^
Risperdal
TM5
)
Commentaires
Perte d'efficacité après 10 jours
(Réf. 13-15, 28)
(Réf. 30)
Si l'insomnie persiste, changer d'ISRS (Réf. 19, 20, 31, 32)
En cas d'insomnie, administrer le matin (Réf. 4)
Incidence : 17 % (Réf. 4, 33)
(Réf. 31)
En cas d'insomnie, donner avant 19 h (Réf. 34)
(Réf. 19, 35)
Incidence :10 %. Éviter d'administrer au coucher
(Réf. 19, 34)
(Réf. 31)
Afaible dose, il cause plutôt de l'insomnie
et à dose élevée, de la sédation (Réf. 36, 38-41)
-L profondeur du sommeil
(Réf. 8, 19, 42)
Anticonvulsivants
Phénytoïne (Dilantin
®
)
Provoque un retard d'endormissement et
Stimulants du SNC
Amphétamine
Pseudoéphédrine
Insomnie pendant l'intoxication et hypersomnie au retrait
Vendu sans ordonnance
(Réf. 19, 21, 31, 42)
Utiliser du sérum physiologique pour congestion nasale
(Réf. 19, 20, 31, 43, 44)
70
Parkinson
Lévodopa
Induction d'un étatmaniaque par stimulation
A l'EEG, on trouve un retard d'endormissement et
.1- profondeur du sommeil
Sélégiline (Eldepryl
®
)
T stade Il
.1. stades III et IV
.4 sommeil paradoxal, métabolisé en dérivés d'amphétamine
Médicaments du système
cardiovasculaire
Bêta-bloquant
Provoque des cauchemars
Diurétique
Par diurèse nocturne
Méthyldopa (Aldomet
®
)
Par retard d'endormissement et 1 profondeur du sommeil
Médicaments
du système endocrinien
Corticostéroïde
Par effet stimulant
(Deltasone
®
, etc.)
Peut induire psychose et manie
Lévothyroxine
Lors du surdosage par effet de stimulation
(Synthroid
®
)
Agit directement sur les stades du sommeil
Progestatif
(Provera
®
)
Médicaments
du système respiratoire
Bronchodilatateur(Ventolin
®
, etc.)
Par effet stimulant direct + fréquent per os qu'en aérosol
Théophilline
Par effet stimulant
(Theo-Dut, etc.)
Agit sur les stades du sommeil
Antibiotique
Quinolone (Cipro
®
, Floxin
MC
, etc.)
(Réf. 8, 19, 45, 46)
(Réf. 31, 45, 47)
Sion soupçonne qu'il cause de l'insomnie,
changer de molécule (Réf. 19,20,23,24,31,48,49)
Prendre le matin (Réf. 8, 20, 48)
Peu utilisé et plutôt sédatif (Réf. 8, 19, 20)
(Réf. 19, 42, 44)
(Réf. 8, 19, 20)
Incidence rare
En cas de problème, diminuer la dose (Réf. 50)
(Réf. 19, 20)
Bien établi scientifiquement
(Réf. 8, 19, 20, 31, 51)
Incidence : 27 % (Réf. 52, 53)
Le Médecin du Québec,
juillet 1997
quée le sommeil profond (stade 4)
13
L'un des mécanismes expliquant la mo-
dification importante de l'électroen-
céphalogramme (EEG) est qu
'
on trou-
veune plus haute densité des récepteurs
des benzodiazépines
14
au niveau du cor-
tex cérébral
13
. De même, avec-les ben-
zodiazépines à courte demi-vie d'élimi-
nation, on trouve de l'insomnie rebond
à l'arrêt et de l'insomnie matinale lors-
qu'elles sont prises au coucher
l
s.
Quant
aux benzodiazépines à longue demi-
vie, elles sont associées également à des
symptômes de sevrage, mais plus tardifs
et moins prononcés, à la possibilité d'ef-
fets résiduels le lendemain matin et à
un risque plus élevé d'accumulation
chez la personne âgée
16
. Il faut noter
aussi que l'utilisation à long terme des
benzodiazépines dans le traitement de
l'insomnie n'est pas recommandée".
Médicaments divers
Parmi les anticonvulsiviants, l'acide
valproïque est associé de façon générale
à la sédation, toutefois certains auteurs
rapportent de l'insomnie".
Il ne faut pas oublier que la caféine
est souvent combinée à des substances
médicamenteuses et qu
'
elle peut causer
de l'insomnie par son effet stimulant
du système nerveux central
8
°
19-21
Mentionnons que la fenfluramine
(Pondéral
®
), bien que chimiquement
apparentée aux amphétamines, po-
tentialise la sérotonine plutôt que les
cathécolamines. Son utilisation est
donc associée à la sédation plutôt qu'à
l'insomnie".
Au sujet des médicaments cardio-
vasculaires, précisons que l'insomnie
est associée aux bêta-bloquants.
Toutefois, même si la plupart des
plaintes d
'
insomnie sont rapportées
avec les composés lipophiles, une in-
cidence plus élevée d
'
insomnie ne
doit pas être nécessairement associée à
ces derniers puisqu'ils sont utilisés
beaucoup plus souvent que les com-
posés hydrophiles
23,24
Parmi les hypolipidémiants, cer-
tains médicaments ont déjà été associés
à l'insomnie
25
-
2
'. Dans les premières
années d'utilisation des HMG Co-A ré-
ductase, lalovastatine (Mevacor
®
) et la
simvastatine (Zocor
®
) ont été associées
à de l'insomnie. Toutefois, des études
effectuées pour évaluer spécifiquement
cet effet n'ont pas montré que l'insom-
nie était plus fréquente avec ces médica-
ments qu'avec d'autres traitements
hypocholestérolémiants, y compris le
régime alimentaire
28
. L'insomnie ou la
sédation a été rapportée avec le fénofi-
brate (Lipidil
®
)
24
.
Analyse des publications
Plusieurs difficultés ont été rencon-
trées au cours de cette recherche. Par
exemple, de nombreux articles in-
cluant des tableaux similaires à celui
présenté ici étaient peu ou pas référen-
cés. Souvent, ces tableaux n'étaient pas
spécifiques, car ils traitaient des troubles
du sommeil, de l'insomnie et de l'hy-
persomnolence diurne, sans distinguer
les médicaments pris à dose thérapeu-
tique, à dose toxique ou en situation de
sevrage.
L'insomnie est un problème subjectif
qui peut être multifactoriel et dont le
soulagement peut être influencé par
plusieurs variables. Ainsi, il est impor-
tant de mentionner que, dans les études
comparant deux groupes de patients,
l'un prenant un placebo et l'autre un
médicament, on observe fréquemment
que, en ce qui concerne l'insomnie, il
n'y a aucune différence statistiquement
significative entre les deux groupes.
Application clinique
La première étape d
'une démarche
clinique pour déterminer le traite-
ment d'un symptôme consiste à éta-
blir un diagnostic. Ainsi, bien que l'in-
somnie soit un symptôme fréquent, il
est difficile pour l'omnipraticien d'en
déterminer la cause. En établissant l'his-
toire médicale, le médecin devrait s'at-
tarder sur la relation temporelle entre le
début de la prise d'un médicament et
l'apparition ou l'accentuation du trou-
ble du sommeil. Si, après analyse, on
conclut qu'un médicament cause de
l'insomnie, il faut ajouter cet effet se-
condaire à la liste des inconvénients du
médicament et mettre cette informa-
tion en relation avec ses avantages et les
objectifs de traitement. Cette nouvelle
information peut nous inciter à réé-
valuer notre choix de traitement.
N
ous espérons, avec cet article, avoir
fourni à l'omnipratiecien une aide
pour l'évaluation d'un aspect de l'in-
somnie, soit les médicaments qui peu-
vent la causer.
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