résumé

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Isabelle Chappelliere,
([email protected]),
"Rationalité économique et éthique musulmane : l'impossible économie islamique"
Le concept d’économie islamique suppose l’existence d’un modèle abstrait reposant sur des valeurs
formant une éthique économique inspirée de l’Islam ou celle d’un système économique concret d’une
Charia. A partir des valeurs et des
économie islamisée, qui fonctionnerait selon les préceptes de la
prescriptions
philosophie
contenues
ou
une
dans
le
morale
Coran
et
économique,
la
Sunna,
qui
doit
les
juristes
guider
les
musulmans
ont
comportements
construit
une
individuels
de
consommation, de production, d’investissement ou d’épargne et qui propose un modèle normatif
homo oeconomicus
d’
musulman, doté d’une rationalité propre liée aux valeurs de la religion. Cette
conceptualisation a eu peu d’effets sur les structures économiques réelles, au vu des indicateurs
macroéconomiques observés dans les pays musulmans et à l’analyse, à l’instar de Max Weber, de
l’hypothèse
d’un
« esprit
du
capitalisme
musulman ».
La
théorie
économique
islamique,
des
précurseurs aux contemporains, nous semble être davantage une idéologisation ou une moralisation de
l’économie capitaliste qu’un renouveau de la pensée.
Prenant sa source dans l’interdiction coranique du
ribâ,
traduit par intérêt ou par usure, la finance
islamique parait conforme, dans ses objectifs et ses instruments, à une éthique économique islamique.
L’expérience des banques dites « islamiques », confirmée par l’exemple des Sociétés de Finance
Spéciale en Turquie depuis les années 1980, ne représente pas une alternative au système capitaliste : à
la
fois
concurrentes
et
complémentaires
des
banques
conventionnelles,
celles-ci
permettent
de
mobiliser l’épargne de musulmans pratiquants et sont le vecteur d’une islamisation de l’économie
capitaliste,
plutôt
qu’une
alternative
au
prêt
utilisant
l’intérêt
ou
le
fondement
d’un
système
économique d’un nouveau type.
Notre travail tente d’articuler et de réorganiser plusieurs champs disciplinaires autour de l’étude du
lien entre éthique économique et religion musulmane. Cette recherche relève à la fois de la sociologie
et de l’histoire des religions, de l’économie et de l’économie financière et de la science politique.
En liaison avec la problématique de l’Islam politique, développé à partir des années 1980, nous nous
sommes d’abord interrogés sur le concept d’économie islamique, envisagée soit comme un modèle
abstrait, idéal, soit comme un ensemble économique concret qui répond aux principes du modèle.
L’apport de la sociologie religieuse et de l’histoire des religions nous a permis de nous demander si la
conceptualisation d’une éthique économique musulmane effectuée par les juristes de l’Islam a donné
naissance à des acteurs économiques musulmans ayant une rationalité propre : peut-on parler, à l’instar
de
Max
Weber,
d’entrepreneur
musulman,
d’épargnant
ou
d’investisseur
homo oeconomicus ou sociologicus musulman ?
musulmans,
de
consommateur musulman, sorte d’
L’apport de l’économie, en particulier de l’économie financière, nous a permis d’infirmer l’hypothèse
de l’existence d’une influence de la conceptualisation d’une économie islamique sur les structures
économiques
réelles,
au
vu
d’une
étude
comparative
d’indicateurs
macroéconomiques
de
pays
musulmans et non musulmans. De même, l’expérience des banques islamiques, basées sur l’interdit du
ribâ, n’a pas donné naissance à des institutions financières d’un nouveau type ; tout au plus, observe-ton
de
nouvelles
formes
de
placement
et
d’investissement
et
une
multiplication
d’innovations
financières pour « islamiser » ou moraliser l’épargne des musulmans pieux.
Le parallélisme entre l’absence de spécificité véritable de la finance islamique et l’impossibilité de
mettre en œuvre une économie islamique illustre, à notre avis, de façon identique l’échec de
l’instauration de l’islam politique dans la sphère économique. On ne peut à partir de simples préceptes
religieux fixant normes et valeurs, distinguant le licite et l’illicite engendrer un système politique
alternatif. Si un comportement individuel d’épargne ou d’investissement peut devenir conforme à la
Charia, il est alors l’expression de sentiments pieux dans la sphère économique privée. L’individu est
alors
sous
l’emprise
d’un
type
de
rationalité
homo oeconomicus.
sociétale,
en
valeurs,
mais
qui
n’est
nullement
contradictoire de celle de l’
Nous souhaitons, à travers cette approche pluridisciplinaire, renouveler l’approche du concept de
rationalité, qui recouvre des acceptations différentes selon les disciplines, et utiliser des
méthodes
d’investigation scientifique complémentaires, tout en étant toutefois consciente de la difficulté de
maîtriser de façon approfondie plusieurs champs disciplinaires et de l’obligation de dépasser la
contrainte institutionnelle pour organiser la recherche en équipe de spécialistes d’origine et de
formation différentes.
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