L`architecte, créateur de la ville saine de demain

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Territoires, incubateurs de santé ?
Les Cahiers de l’IAU îdF
n° 170-171 - septembre 2014
Les Cahiers – Pour un architecte
à l’expérience aussi riche que la vôtre,
comment penser la ville pour
qu’elle contribue au bien-être physique,
mental et social des habitants?
Paul Chemetov La ville de demain se crée
très lentement. Elle est, pour l’essentiel, la ville
d’aujourd’hui: penser la ville de demain, c’est
donc pouvoir modifier la ville d’aujourd’hui.
Par exemple, pour diminuer la pollution et le
bruit dans la ville, il faut commencer par aug-
menter les surfaces des espaces libres et des
espaces verts. Ces espaces publics sont les
seuls endroits où les gens se rencontrent et se
mélangent dans la ville. Paris, comparée à Lon-
dres, Berlin, Moscou ou Rome, est une ville
pauvre en espaces publics. Voilà pourquoi il
est très positif qu’un grand parc soit installé,
aujourd’hui, dans le quartier des Batignolles.
De la même façon, je suis content d’avoirussi
à préserver un square public dans le quartier
Boucicaut car le xvearrondissement n’est pas
très pourvu en espaces verts (en dehors du
parc André-Citroën) or, c’est l’arrondissement
le plus peuplé de Paris.
La ville contemporaine ne peut plus être pen-
sée comme la ville ancienne: une ville pavée
entourée de murailles, qui se protégeait de la
campagne environnante. Aujourdhui, les
enceintes physiques ont disparu, la ville est très
étendue, et de plus en plus d’habitants la quit-
tent à la recherche de la nature et sa proximité.
Voilà pourquoi la ville étendue, la métropole,
ne peut plus être pensée comme la ville clas-
sique ancienne.
L. C. – Quel est le rôle de l’architecte
et/ou de l’urbaniste dans ce processus?
P. C. Leur rôle, c’est d’y réfléchir, de s’infor-
mer, d’essayer et, quand ce n’est pas raté, de
continuer. Si c’est raté, de retenir la leçon et
de faire mieux la fois suivante. Il ne faut pas
s’obstiner dans l’échec comme on le voit tous
les jours. Aujourd’hui, l’ennui cest que les
valeurs de la ville sont plutôt épidermiques: il
y a tout un travail sur l’épiderme des bâtiments
et ce n’est pas l’essentiel. Beaucoup d’archi-
tectes s’investissent dans l’élaboration des
façades et très peu travaillent vraiment sur le
bâtiment en lui-même: la conception des inté-
rieurs, des extérieurs, des espaces libres, des
espaces privatifs et des fonctions diverses. On
n’arrête pas de parler de la mixité sociale. C’est
un slogan un peu creux parce que les riches
n’aiment pas vivre trop près des pauvres et que
les pauvres ne vivent pas comme les riches. Il
ne faut donc pas se tromper dobjectif. Par
contre, la mixité des fonctions est une nécessité
absolue et c’est la seule condition pour que dif-
férentes personnes à différents moments de la
journée, de différents statuts sociaux et avec
des activités différentes puissent se croiser et
se rencontrer.
L. C. – Vous avez conçu un nouveau
quartier écologique sur le site de l’ancien
hôpital Boucicaut. De quelle manière
la vocation hospitalière initiale
des bâtiments a-t-elle influencé
le concept du projet?
P. C. Boucicaut était un hôpital assez central,
qui a été fermé parce que l’hôpital européen
L’architecte, créateur de la ville saine
de demain
Construire des territoires en santé
Des réponses par l’aménagement urbain
Le quartier écologique à l’emplacement de l’ancien hôpital Boucicaut, Paris xve.
©SemPariSeine
©Brigitte Lacombe
Interview
Paul Chemetov est un architecte
et urbaniste français.
Il participe à la fondation
de l’AUA (1960-1985).
En 1980, il reçoit le Grand Prix
National d’Architecture et
a présidé le Comité Scientifique
du Grand Paris en 2009.
Vice-président du Plan
Construction (1982-1987),
il a enseigné à l’École nationale
des ponts et chaussées
(1978-1989) et à l’École
Polytechnique Fédérale
de Lausanne.
Parmi ses réalisations, on peut
citer les Équipements publics
souterrains des Halles,
le ministère des Finances
et la rénovation de la Grande
Galerie du Muséum national
d’Histoire naturelle
en association avec Borja
Huidobro. Il a été lauréat
du concours international
de la prolongation de l’axe
historique de Paris.
Récemment, il a réalisé
les médiathèques de Labège
et de Chartres, le Vendespace.
Aujourd’hui, il travaille
à Montpellier sur le quartier
de la gare Saint-Roch, à Amiens
sur le projet Gare-la-Vallée,
à Chambéry sur la traversée
historique, à Ivry-Confluences
et à Paris sur la restructuration
du secteur de la Porte
de Vincennes et l’aménagement
de l’hôpital Boucicaut
où il vient d’achever un hôtel
d’entreprises.
George-Pompidou a été ouvert en périphérie
de la ville. Ce qui est intéressant dans ce nou-
veau projet d’urbanisme que j’ai conduit avec
la Société d’économie mixte (SemPariSeine),
c’est, tout d’abord, qu’une partie des bâtiments
a été conservée (ce qui représente la mémoire
physique de l’ensemble), mais surtout qu’une
partie des programmes reste charitable: il y a
une école, une crèche, des logements pour des
femmes maltraitées, des logements pour des
handicapés, une structure pour seniors dépen-
dants… La Santé, ce n’est pas que la construc-
tion des hôpitaux, c’est toute une série d’insti-
tutions, toute une rie de services et non
uniquement la cure des maladies. La prise en
charge des déficiences, des dépendances, des
maltraitances fait partie intégrante de la Santé.
Ce qui a influencé le concept du projet, ce n’est
pas seulement la vocation initiale des bâti-
ments. Ce qui le caractérise notamment, c’est
quau regard de sa surface, nous navons
construit, à dessein, que la moitié de ce que le
Plan local d’urbanisme (PLU) autorisait. Nous
avons pu ainsi, garder, un espace vert central
le square ainsi que tout l’îlot sans aucune
circulation automobile à l’intérieur. L’ancienne
circulation interne de l’hôpital est devenue une
circulation piétonne interne à l’îlot. Par ailleurs,
nous avons cherché à exprimer la variété des
fonctions d’un ancien
hôpital en créant une
mixité fonctionnelle sur
le site: la pépinre d’en-
treprises représente, par
exemple, la recherche
dans l’ancien hôpital.
De la même façon, en plus de la construction
de logements, ont été réalisés des programmes
publics : une école, une crèche, un institut
médico-éducatif pour des enfants et des ado-
lescents atteints de troubles neuropsychia-
triques. Il est à noter que l’hôtel-pépinière est
consacrée aux entreprises informatiques de
pointe dont certaines sont dans le domaine de
la santé.
L. C. – Que doit-on prendre
en compte dans la conception
d’un quartier écologique?
P. C. Tous les quartiers devraient être,
aujourd’hui, écologiques ainsi que tous les ti-
ments. Le probme des écoquartiers, cest
quils peuvent devenir un alibi pour la
construction de mauvais logements dans la rue
d’en face. Je trouve que les logements actuel-
lement construits sont trop petits et ne sont pas
très écologiques, parce qu’ils sont trop chers.
La capacité des gens à acheter ou à louer est
faible et ils n’arrivent pas à se loger sur Paris et
sa région. Ils sont donc obligés de partir vivre
loin de la ville, d’emprunter des moyens de
transports individuels ou collectifs, qui eux sont
polluants (les transports collectifs ne sont pas
tous électriques).
Je suis très heureux d’avoir pu contribuer à la
réalisation de ce quartier écologique, mais sur-
tout à la conception écologique des maisons
elles-mêmes, dans leur habitabilité, dans la
qualité de l’isolation, la végétalisation des toits,
la présence d’espaces extérieurs et même des
ruches et des nichoirs
pour les oiseaux. Ces
derniers points pour-
raient passer pour
anecdotiques, mais je
pense qu’ils ne sont
pas tout à fait anecdo-
tiques. Il est nécessaire que la nature, même
dans son sens le plus civilisé, s’invite un peu
en ville. Ainsi, nous avons pris en compte, dans
la conception de ce projet, la lumre naturelle,
les plantations, le maintien des bâtiments exis-
tants en liaison avec les bâtiments neufs, etc.
Par ailleurs, la démolition n’est pas une action
neutre écologiquement, il faut la réfléchir. Elle
entraîne une consommation d’énergie pour la
démolition, mais aussi pour le recyclage. En
outre, des décharges sont nécessaires quand
on ne peut pas recycler. Au total, la non-démo-
lition ou la récupération sont tout aussi écolo-
giques que la préservation des oiseaux ou des
petites fleurs. L’écologie, c’est comme l’écono-
mie : la logique écologique doit être une
logique économique. Il faut s’interroger sur la
valeur des choses, la valeur du vert, la valeur
de l’eau, de la vie humaine, la valeur du désir
de vivre et la valeur de l’argent, aussi. Si on
consomme moins d’argent, c’est plutôt positif,
car l’argent ce n’est pas seulement une mon-
naie qui tourne, c’est la contrepartie du travail,
des ressources…
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Il faut s’interroger sur la valeur
des choses, la valeur du vert, la
valeur de l’eau, de la vie humaine,
la valeur du désir de vivre…
ZAC Boucicaut,
l’incubateur d’entreprises
conçu par AUA Chemetov.
C. Demonfaucon
L. C. – Avez-vous, au quotidien,
une réflexion sur l’impact
de votre travail sur la santé des gens?
P. C. J’essaie de faire des choses durables et
de ne pas faire des choses inhabitables. Habita-
bles, car cela joue sur la san physique, mais
tout autant sur la santé mentale. Une personne
qui habite dans un environnement riche sur le
plan sensoriel, formel, plus coloré, se veloppe
mieux qu’une autre placée dans une cellule de
prison grise, sans fenêtre ou avec des grillages.
Or je constate avec déplaisir, en tant qu’archi-
tecte coordinateur sur cette ZAC, un grand
nombre d’architectes sont intervenus, que les
premières esquisses de logements étaient sou-
vent moyennement habitables, par exemple
sans cuisine naturellement éclaie. À moins de
n’avoir jamais cuisi, on sait qu’on ne peut cui-
siner dans un séjour hormis avec des plats sur-
gelés et un four à micro-ondes. La place des
déchets ménagers n’est pas non plus dans le
séjour… Autre exemple: aménager de la place
devant un ascenseur, c’est plus confortable et
plus convivial car cela permet de discuter avec
le voisin. Toutes ces petites choses jouent sur la
sanphysique et mentale des gens.
L. C. – Avez-vous l’impression
que l’importance de la relation
entre santé et urbanisme a émergé
récemment ou cette thématique
existait déjà au début de votre carrière?
P. C. Cette thématique a toujours existé mais
elle était plus hygiéniste et fonctionnaliste.
Ce qui a évolué – dans les meilleurs des cas
c’est une conception plus entière de la chaîne
des actions qu’il faut conduire, des décisions
qu’il faut prendre pour que la ville soit plus
saine à vivre. Vaste programmeÀ ce jour
inaccompli.
Propos recueillis par Téodora Nikolova
et Sophie Mariotte
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Territoires, incubateurs de santé ?
Les Cahiers de l’IAU îdF
n° 170-171 - septembre 2014
Construire des territoires en santé
Des réponses par l’aménagement urbain
L’hôpital Boucicaut en recyclage
Le projet de reconversion de l’îlot historique de l’hôpital Boucicaut en un quartier écologique et son aménagement a été confié
à l’agence AUA Paul Chemetov en 2003. Le site est situé dans l’ouest du XVearrondissement sur environ 3 hectares, délimités
par les rues de la Convention, Lacordaire, des Cévennes et de Lourmel. Le programme global prévisionnel des constructions à édifier
dans la ZAC est de 51000 m2SHON.
Conçu à la fin du XIXesiècle par les architectes Legros père et fils, l’ensemble hospitalier se composait de 8 pavillons en briques,
séparés les uns des autres pour éviter la contagion entre les services. Le projet de Paul Chemetov en a conservé 4 dont l’ancien
pavillon d’accueil de l’hôpital transformé en école polyvalente, et le pavillon Lenègre qui abrite, aujourd’hui, une crèche et
un institut médico-éducatif.
L’activité hospitalière ayant pris fin en 2000, la reconversion du site a été scindée en 2 secteurs, correspondant à 2 phases
d’aménagement. La 1re phase prévoyait la construction d’un centre d’accueil de jour pour adultes déficients intellectuels,
des logements sociaux, une maison relais pour femmes en difficulté, une structure pour seniors dépendants ainsi que 2 immeubles
accueillant des commerces. Les emprises de la phase 2 ont été libérées en totalité fin 2010 par les laboratoires de recherche
de Jussieu. Les 6 bâtiments de logements sociaux compris dans cette phase et intégrés à un jardin public sont en cour de livraison
depuis fin 2013.
Considéré comme le 2eplus grand incubateur d’entreprises à Paris (6000 m2), le bâtiment conçu par l’agence AUA Chemetov
est une pépinière pour des entreprises innovantes. L’immeuble comprend aussi un hôtel d’entreprises de 2500 m2.
En matière de développement durable, le projet de la ZAC Boucicaut intègre de fortes exigences environnementales : performance
énergétique des bâtiments (label Habitat et Environnement, respect du Plan Climat de la Ville de Paris) et gestion des ressources
en eau (mise en place de panneaux solaires pour l’eau chaude). Cette opération d’aménagement est conçue pour être une opération
pilote en matière de développement de la biodiversité dans la ville. Les espaces publics et privés seront végétalisés, des nichoirs
à oiseaux et à chauves-souris, ainsi que des ruches, seront installés et près de 3500 m2de toitures végétalisées sont prévus.
Par ailleurs, la SemPariSeine développe l’insertion sociale par l’activité économique sur cette opération et s’engage à intégrer
une clause d’insertion sociale lors des consultations d’entreprises pour les marchés de travaux.
Teodora Nikolova
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