Application de mesures restrictives pour lutter contre les maladies

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7.2.3 Application de mesures restrictives pour lutter contre les
maladies transmissibles
Ross E.G. Upshur, MD, MSc, MA, CCFP, FRCPC
Objectifs d'apprentissage
Après examen de l'étude de cas, l'apprenant doit être en mesure de :
1. Reconnaître les fondements, sur les plans éthique et juridique, justifiant l'imposition de mesures
restrictives pour lutter contre une maladie transmissible
2. Reconnaître le rôle du médecin durant une catastrophe liée à l'éclosion d'une maladie transmissible
Cas
Durant l'éclosion dans la collectivité d'une maladie respiratoire inconnue, Mme X, une femme de 46 ans par
ailleurs en bonne santé, se présente dans un cabinet de soins primaires pour le traitement d'une toux,
accompagnée de fièvre et de malaise, qui dure depuis dix jours. L'examen physique, les radiographies et les
analyses de laboratoire confirment la présence d'une pneumonie dans le lobe inférieur droit. Mme X est revenue
depuis peu d'un voyage dans une région touchée par une éclosion similaire. L'Organisation mondiale de la santé
a émis un avis à cet effet, et les autorités de santé publique nationales et locales ont émis des alertes demandant
que les cas soient portés à leur attention.
Mme X vit avec son mari et ses trois enfants. Elle dit avoir ressenti des malaises durant le vol de retour ainsi
qu'au travail (bureau à aires ouvertes qu'elle partage avec 20 collègues). Elle s'est rendue dans une clinique sans
rendez-vous il y a deux jours, où on lui a dit qu'elle souffrait d'une affection virale. On lui a recommandé de boire
du liquide, de prendre de l'acétaminophène, de se reposer et de consulter à nouveau si son état ne s'améliorait
pas.
Questions
1. Quelles sont les obligations légales du médecin traitant lorsqu'il y a manifestation d'une maladie
infectieuse importante sur le plan de la santé publique?
2. Quelles sont les obligations éthiques du médecin dans la lutte contre une maladie transmissible importante
pour la santé publique?
3. Quelles mesures restrictives pourraient être envisagées à l'endroit de Mme X et comment pourraient-elles
être justifiées?
Discussion
Q1. Quelles sont les obligations légales du médecin traitant lorsqu'il y a manifestation d'une
maladie infectieuse importante sur le plan de la santé publique?
Les médecins jouent un rôle déterminant dans l'identification et la prise en charge des maladies
transmissibles. Dans toutes les provinces, la loi oblige les médecins à déclarer certaines maladies
transmissibles (leur liste varie d'une province à l'autre), et ceux-ci sont encouragés à signaler aux
autorités de la santé publique toute maladie transmissible préoccupante pour la santé publique.
En Ontario, par exemple, la Loi sur la protection et la promotion de la santé stipule que le médecin ou
le directeur général de l'hôpital doit signaler le cas lorsque, durant la prestation de services
professionnels à une personne, il se rend compte que la personne
est ou peut être atteinte d'une maladie à déclaration obligatoire et n'est pas un malade hospitalisé
ou un malade externe d'un hôpital;
est ou peut être contaminée par l'agent d'une maladie transmissible;
est traitée par le médecin pour une maladie transmissible, mais refuse le traitement ou néglige de le
suivre de la façon et dans la mesure jugées acceptables par le médecin. (extrait d'une politique sur
la déclaration obligatoire du Collège des médecins et chirurgiens de l'Ontario)1.
Ces rapports doivent être présentés au médecin-hygiéniste ou à l'autorité responsable de la santé
publique de la région. Les médecins doivent connaître les exigences en matière de déclaration
obligatoire qui s'appliquent dans leur province ou territoire et ils doivent également savoir à quel
médecin-hygiéniste ou autorité sanitaire ces rapports doivent être présentés. Le service de santé
publique a les pouvoirs et le personnel qualifié pour faire enquête s'il y a éclosion d'une maladie
transmissible, y compris pour retracer les contacts qui sont à risque du fait d'avoir été exposés à la
personne atteinte.
Durant une urgence liée à une maladie transmissible, comme l'épidémie de syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS) ou une pandémie de grippe, les médecins sont des intervenants qualifiés et fiables pour
aider dans la lutte contre les maladies transmissibles.
Q2. Quelles sont les obligations éthiques du médecin dans la lutte contre une maladie
transmissible importante pour la santé publique?
Les rôles que peut jouer le médecin sont nombreux. En plus d'être tenus par la loi de déclarer les
maladies transmissibles aux autorités locales de la santé publique, les médecins peuvent mener
plusieurs autres interventions cliniques importantes. Lo et Katz ont défini les obligations éthiques du
médecin durant une situation d'urgence menaçant la santé publique et ils ont notamment formulé les
recommandations suivantes sur la manière dont les médecins peuvent le mieux soutenir leurs patients
qui doivent être mis en isolement ou en quarantaine2 :
1. Tenir compte des besoins et des préoccupations du patient. La présence d'une urgence en santé
publique nécessitant l'adoption de moyens restrictifs n'élimine pas les obligations fiduciaires du
médecin envers les patients. La relation médecin-patient est un excellent véhicule pour aider les
patients à comprendre ce qu'ils doivent faire pour contrôler la maladie et les raisons de
l'imposition de ces mesures, ainsi que pour rassurer les patients et leur apporter un soutien
affectif. Il est probable qu'une intervention aura plus de chance d'être acceptée si le médecin
traitant en explique l'importance.
2. Protéger la santé publique. En périodes de crise menaçant la santé publique, il peut arriver que
l'intérêt public ait préséance sur les droits individuels et sur certains aspects de la relation
médecin-patient, en particulier ceux ayant trait à la vie privée et à la confidentialité des
renseignements sur la santé.
3. Définir clairement les limites. Le médecin doit donner des directives claires pour s'assurer que le
patient comprend bien les limites de son autonomie et le fait que les mesures imposées sont
sanctionnées par la loi.
4. Établir des points communs avec les patients.
5. Agir dans l'intérêt supérieur du patient, dans la mesure où les règles d'éthique le permettent.
6. Prendre la défense du patient. Le médecin peut veiller à ce que le patient ne soit pas détenu
injustement et à ce que ses droits soient respectés. Ce dernier volet pourrait nécessiter une
collaboration avec les représentants juridiques.
7. Atténuer les conséquences négatives des restrictions touchant la santé publique. Le médecin
peut aider à s'assurer que les fardeaux imposés par les mesures restrictives n'ont pas d'effets
négatifs sur l'emploi et ne provoquent pas un stress psychologique excessif.
L'Association médicale mondiale a formulé, à l'intention des médecins, plusieurs recommandations les
exhortant à reconnaître l'importance de participer aux urgences en santé publique, dont les suivantes3 :
« Préparer des outils pédagogiques pour les patients et le personnel, y compris des
recommandations pour un contrôle de l'infection efficace. Le fait que les patients et le public
comprennent la nécessité de mesures drastiques telles que la mise en quarantaine et l'isolement
rendra le travail des médecins plus facile si ces derniers doivent recourir à de telles mesures en cas
de pandémie.
Développer un plan clinique pour limiter les contacts potentiels, y compris des zones d'isolement
pour les patients infectés, l'utilisation de masques chirurgicaux bien étanches, la programmation de
plages de temps distinctes pour les soins aux personnes non touchées par la grippe et le report des
visites médicales non indispensables. »
Q3. Quelles mesures restrictives pourraient être envisagées à l'endroit de Mme X et comment ces
mesures pourraient-elles être justifiées?
Deux types de mesures restrictives sont souvent utilisées dans la lutte contre les maladies
transmissibles, et il existe entre elles une distinction importante à faire. La quarantaine désigne
l'isolement physique obligatoire, y compris l'entrave à la liberté de circulation, de populations ou de
groupes de personnes en bonne santé qui pourraient avoir été exposés à une maladie contagieuse, ou
les efforts visant à isoler ces personnes à l'intérieur de zones géographiques précises. Ces personnes ne
manifestent pas de signes ni de symptômes de la maladie, mais elles sont à risque, car elles ont été
exposées à un cas. L'isolement, en revanche, fait référence à la séparation et au confinement de
personnes qui présentent des signes, des symptômes ou des signes biochimiques d'infection, afin
d'éviter qu'elles ne transmettent la maladie à d'autres4.
Les mesures restrictives sont des mesures non médicales utilisées pour lutter contre les maladies
transmissibles. La transmission interhumaine est en effet responsable de la propagation de nombreuses
maladies infectieuses et, en pareilles circonstances, le recours à des mesures restrictives peut être
indiqué, car, en séparant les personnes infectées ou exposées des personnes non infectées, on brise la
chaîne de transmission de la maladie. Dans le cas présenté ici, il est important d'isoler Mme X et
d'instaurer des mesures adéquates de contrôle et de traitement de l'infection. La notification des
autorités publiques permettra de s'assurer qu'il y aura recherche des contacts, lesquels pourraient
devoir être mis en quarantaine durant une période déterminée. Les médecins peuvent jouer un rôle
essentiel en expliquant la nécessité et l'importance de ces mesures.
Conclusion
Les urgences en santé publique qui exigent l'application de mesures restrictives sont relativement rares.
Cependant, comme le montrent la récente éclosion de SRAS, l'apparition de souches résistantes de la tuberculose
et les craintes de bioterrorisme, il est possible que les médecins soient appelés à jouer un rôle durant une
situation d'urgence liée à une maladie infectieuse. En pareilles situations, la préoccupation habituellement
exclusive du médecin pour le bien être de chaque patient change et le médecin doit désormais, dans l'exercice de
son rôle et de ses obligations, accorder une plus grande importance à l'intérêt public.
Les épidémies de maladies infectieuses importantes pour la santé publique s'accompagnent souvent d'une grande
incertitude, en particulier lorsqu'il s'agit de pathogènes nouveaux. Il peut arriver que les autorités de santé
publique imposent des mesures restrictives, souvent accompagnées de sanctions juridiques, dans des situations
controversées et en l'absence de preuves sans équivoque de l'efficacité de ces mesures, et elles invoquent
souvent le principe de précaution pour justifier leur décision. La récente Commission sur le SRAS présidée par le
juge Campbell a notamment recommandé ce qui suit5 :
« Que le principe de précaution, qui prévoit de prendre des mesures de réduction des risques
sans attendre une certitude scientifique, soit expressément adopté comme principe directeur
dans tous les systèmes de santé, de santé publique et de sécurité au travail de l'Ontario par la
voie d'un énoncé de principe, d'une référence explicite dans toutes les normes et directives
opérationnelles pertinentes et de l'inclusion de ce principe au moyen d'un préambule, d'un
énoncé de principe ou autrement dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail, la Loi sur la
protection et la promotion de la santé et l'ensemble des lois et des règlements pertinents
régissant la santé ».
En plus d'invoquer le principe de précaution, on doit également justifier le recours à des mesures restrictives en
établissant qu'il existe un préjudice potentiel pour la collectivité et que l'on utilise la mesure la moins restrictive
pour maîtriser la situation. De plus, la nécessité de ces mesures doit être communiquée au public, au moyen
d'une déclaration qui précise clairement les restrictions auxquelles sont assujetties les personnes visées par ces
mesures, ainsi que les conséquences auxquelles elles s'exposent en ne se conformant pas aux ordonnances de
santé publique. Le loi reconnaît aux patients le droit d'appel et le droit à un avocat. À cela s'ajoute l'obligation
pour la société d'appliquer ces mesures d'une manière juste et non discriminatoire, d'offrir un soutien
psychologique aux personnes et de veiller à ce que leurs besoins fondamentaux soient satisfaits.
En pareilles circonstances, le médecin est une ressource humaine précieuse, à la fois pour les patients et la
population. Comme l'ont fait valoir Lo et Katz2, les médecins doivent utiliser leurs compétences et leurs
expériences cliniques pour maîtriser le problème; ils doivent aussi reconnaître que leur rôle a évolué, expliquer
ces changements aux patients et coopérer avec les autorités de la santé publique dans l'intérêt commun.
Références
1. Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Mandatory reporting, Policy #3-05 [reviewed and
updated September 2005]. Duties: 9. Communicable and reportable disease. Collège des médecins et
chirurgiens de l’Ontario, 2006. Texte publié sur le site
http://www.cpso.on.ca/policies/mandatory.htm#Disease
2. Lo, B et M.H. Katz. « Clinical decision making during public health emergencies: ethical considerations »,
Annals of Internal Medicine, 2005, vol. 143, no 7, p. 493–498.
3. Association médicale mondiale. Déclaration de l’Association médicale mondiale sur la pandémie de grippe
aviaire, Pilanesberg, Afrique du sud, Association médicale mondiale, 2006. Texte publié sur le site :
http://www.wma.net/f/policy/a28.htm
4. Barbera, J., A. Macintyre, L. Gostin, T. Inglesby, T. O’Toole et coll. « Large-scale quarantine following
biological terrorism in the United States: scientific examination, logistic and legal limits, and possible
consequences », JAMA: Journal of the American Medical Association, 2001, vol. 286, no 21, p. 2711–2717.
5. La Commission sur le SRAS. Rapport final, Toronto, Gouvernement de l’Ontario, 2006. Texte publié sur le
site : http://www.sarscommission.ca/
Ressources
Gostin, L. « Public health strategies for pandemic influenza », JAMA: Journal of the American Medical
Association, 2006, vol. 295, p. 1700–1704.
Physicians on the front line: quarantine as a public health strategy. Texte publié sur le site :
http://www.bigshouldersdubs.com/clients/ama/10-AMA-Quarantine.htm
Reis, N.M. « Public health law and ethics: lessons from SARS and quarantine », Health Law Review, 2004, vol.
13, no 1, p. 3–6.
Upshur, REG. « The ethics of quarantine », Virtual Mentor [revue en ligne], 2003, vol. 5, no 11.
Texte publié sur le site http://virtualmentor.ama-assn.org/2003/11/msoc1-0311.html
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