Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2006-2007 5
La liaison impossible (entre univers scolaire et familial)
Cas rassemblés ici : parents originaires de pays étrangers, rapport difficile à la langue française, parcours
d’immigration comme déracinements douloureux ou adaptation difficile à des situations sociales nouvelles. A cette
trop grande distance culturelle, les parents peuvent opposer une légitimité familiale (morale, religieuse) à la légitimité
de l’institution scolaire, ou même développer une conception machiavélique de l’institution jugée délibérément
ségrégationniste, ces différents mécanismes aboutissant à une fermeture de la famille sur elle même.
Portrait 1 : La distance aux univers objectivés
Mehdi M., né aux Comores, 3 ans de retard, 3.4/10.
Famille dépossédée des pratiques occidentales de l’écrit, leur pays étant beaucoup moins bureaucratisé, les occasions
de confrontation à l’écrit étant alors quasi inexistantes. Pratiquement aucune pratique domestique de l’écrit, même si
lecture de livres religieux, mais en arabe. Père au chômage, alterne avec petits boulots, mère au foyer. Action
éducative surtout orientée vers le contrôle moral de l’enfant, conscient de la nécessité de détenir un diplôme pour
accéder au marché du travail, mais se sentant incapable d’aider ses enfants scolairement. « Nous sommes rien, moi je
veux pas que les enfants restent comme moi ».
Portrait 2 : Une clôture familiale
Latifa S., née en France, 1 an de retard, 3.1/10.
Aïcha S, née en France, à l’heure, 4.1/10.
Proche du cas précédent, mais faible maîtrise du français malgré une présence ancienne en France, et discipline très
sévère appuyée ou légitimée par le respect du Coran, par rapport à un extérieur jugé hostile et mauvais pour les
enfants, entretenant le mythe (ou le projet) du retour en Algérie. Conscience de l’importance de l’école pour
décrocher un emploi, mais importance de la scolarité des filles moindre que celle des fils (au moins pour le père).
Sanctions « immédiates » après de mauvaises notes (coups, cris), loin des normes scolaires d’accès à l’autonomie.
Portrait 3 : Une fracture radicale
N’dongo K., né au Zaïre, à l’heure, 4/10.
Mère seule, femme de ménage. Conception machiavélique de l’échec scolaire des enfants d’étrangers : « on casse les
enfants, c’est leur politique ». Cumul de traits constituant des embûches pour la réussite scolaire : mère scolarisée au
pays seulement 4 ans, revenus très modestes, aucune pratique domestique de lecture et d’écriture.
L’héritage difficile
On voit dans les portraits suivants que ceux qui détiennent les dispositions culturelles les plus compatibles avec
l’univers scolaire ne sont pas toujours ceux qui sont le plus fréquemment et le plus durablement en contact avec
l’enfant, d’où des cas de transmission difficile. Les héritages, réussis ou ratés, ne sont ainsi jamais mécaniques.
Portrait 4 : La situation difficile du « petit dernier »
Ryad B., né à Lyon, 1 an de retard, 3.5/10.
Parents algériens analphabètes, mais quelques pratiques de l’écrit, sœur aînée en réussite scolaire, qui achète le
journal, emprunte des livres à la bibliothèque, s’occupe des affaires domestiques, ce qui, on peut en faire l’hypothèse,
lui a ménagé une place au sein de la fratrie compatible avec la réussite scolaire, contrairement au « petit dernier ».
Portrait 5 : Les mauvaises conditions d’héritage
Ith. K, né à Lyon, à l’heure, 3.8/10.
Ménage très modeste, parents divorcés, histoire familiale mouvementée, la mère est actuellement au chômage et a fait
toutes sortes de petits boulots, et a suivi de courtes études de secrétariat (CAP non abouti). Ce profil serait la preuve
« flagrante » que le capital culturel ne peut avoir d’effets socialisateurs que s’il trouve les moyens de se
« transmettre », car malgré un parcours scolaire plutôt malheureux, elle a malgré tout des pratiques d’écriture
domestique et de lecture (horoscopes, mots croisés, faits divers, programme TV, romans d’aventure, ou d’ « histoires
vraies »).
Portrait 6 : 2 capitaux culturels indisponibles
Smaïn M., né à Lyon, à l’heure, 4.3/10.
Père et mère issus d’un milieu paysan kabyle analphabète, ouvrier qualifié, en France depuis 30 ans. 2 personnes
proches de culture légitime : père militant syndicaliste (il lit les journaux, quelques romans, abonné à la bibliothèque
municipale, il remplit les papiers administratifs de la famille), grande sœur de 23 ans, détentrice d’un CAP, aide-