agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2006-2007
fiches de lecture
Famille et modernité occidentale
Lahire (1995) : Tableaux de famille
Fiche de lecture réalisée par les agrégatifs des ENS Ulm et Cachan
LAHIRE B. (1995), Tableaux de famille. Heurs et malheurs scolaires en milieux
populaires, Paris, Gallimard/Seuil, 297 p.
« Il n’y a qu’une manière de parvenir au général, c’est d’observer le particulier, non pas superficiellement et en gros,
mais minutieusement et par le détail. »
E. Durkheim
Les situations de réussite scolaire d’enfants issus de milieux cumulant les « handicaps » face au système
scolaire sont un défi sociologique. La méthode suivie par l’auteur pour élucider ce mystère est la prise en compte de
différences « secondaires » entre des familles populaires dont le niveau de revenu et le niveau scolaire sont assez
proches, en essayant de comprendre les positions scolaires d’enfants de CE2 par rapport à leur situation, analysées
comme consonances ou dissonances entre des configurations familiales et l’univers scolaire. A travers cette analyse,
l’auteur remet en cause la notion de « capital culturel » et de transmission ou d’héritage, dès lors qu’il adopte une
échelle d’observation lui permettant de saisir les modalités de la socialisation familiale ou scolaire.
Spécificité de l’écriture : sous forme de « portraits de famille », décrit comme un genre scientifique
librement inspiré du genre littéraire, lequel répond à 2 exigences : il est la peinture d’un modèle particulier existant
dans la réalité, et il doit faire apparaître le point de vue spécifique du peintre.
Données : entretiens avec 26 familles à leur domicile, notes ethnographiques sur leur contexte, fiches de
renseignement scolaires, cahiers d’évaluation, entretiens à l’école avec les 27 enfants, entretiens en début et fin
d’année avec les 7 enseignants concernés, entretiens avec les 4 directeurs d’école, avec retour réflexif à chaque étape.
Le point de vue de connaissance
La structure du comportement et de la personnalité de l’enfant
L’enfant constitue ses schèmes comportementaux, cognitifs et évaluatifs à travers les relations
d’interdépendance avec les personnes qui l’entourent le plus fréquemment et le plus durablement, à savoir les
membres de sa famille. Il ne reproduit pas forcément directement les manières vues dans sa famille, mais trouve sa
modalité propre de comportement en fonction de la configuration des relations au sein desquelles il est inséré. Il ne
s’agit donc pas de réifier des « personnalités », mais plutôt de rendre compte du réseau d’interdépendance familiale à
travers lequel il a constitué ses schèmes de perception et de réaction, et la manière dont ces schèmes peuvent réagir
lorsqu’ils fonctionnent dans des formes scolaires de relations sociales.
Les traits pertinents de la lecture sociologique
L’échec et la réussite scolaires peuvent donc être appréhendés comme la plus ou moins grande consonance
ou dissonance des formes de relations sociales d’un réseau d’interdépendance à l’autre (famille et école). La méthode
retenue est donc l’analyse de configurations singulières, combinaisons spécifiques de traits généraux, ces
configurations pouvant être décrites à partir des 5 thèmes suivants :
Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2006-2007 2
Les formes familiales de la culture écrite
L’école étant le lieu de la culture écrite, il faut s’interroger sur le statut de l’écrit au sein de l’espace domestique
des milieux populaires : or, ce statut se révèle pluriel lorsque l’on y regarde de plus près. Il faut en effet s’attacher à
analyser à la fois la présence ou l’absence d’actes de lecture à la maison, et la modalité selon laquelle est vécue
l’éventuelle pratique (plaisir/déplaisir, compatibilité avec les modalités de la socialisation scolaire de l’écrit). Le fait
de lire à haute voix des récits aux enfants, et d’en discuter ensuite avec lui est ainsi fortement corrélé avec la réussite
scolaire ; à l’inverse, les familles dans lesquelles les livres sont trop respectés, rangés à peine offerts, ou encore
offerts comme des jouets avec lesquels l’enfant doit se débrouiller seul peuvent conduire à des comportements
ambivalents voire négatifs de l’enfant avec l’écrit. Etudier les pratiques ordinaires d’écriture se révèle d’autant plus
important qu’elles constituent de véritables ruptures vis-à-vis du sens pratique : en effet, elles entretiennent un rapport
négatif à la mémoire pratique de l’habitus et rendent possible une maîtrise symbolique et une rationalisation de
certaines activités. C’est ainsi que les moyens d’objectivation du temps (agendas, calendriers), les listes de choses à
dire ou à faire, les correspondances écrites sont des instruments de mise en forme de notre temporalité qui constituent
des exceptions quotidiennes et répétées par rapport à l’ajustement préréflexif du sens pratique à une situation sociale.
Conditions et dispositions économiques
Les conditions économiques immédiates, conjoncturelles, ne déterminent pas mécaniquement des
comportements économiques ou des dispositions économiques, mais sont médiatisées par les techniques
intellectuelles appropriées (calculs, rapprochements bancaires, prévisions rapportées dans un livre de compte…).
Ainsi, le même capital peut être géré de différentes manières et celles-ci sont autant le produit de la socialisation
familiale d’origine, des trajectoires scolaires ou professionnelles, que des conditions économiques.
L’ordre moral domestique
Une partie des familles des milieux populaires attache une grande importance à la « bonne conduite » et au
respect de l’autorité du maître. A défaut de pouvoir les aider scolairement, elles tentent de leur inculquer la capacité à
se soumettre à l’autorité scolaire en se comportant correctement, en étant attentifs, et elles peuvent exercer un
contrôle indirect par le temps consacré aux études, par le choix des fréquentations, pour éviter que les enfants ne
« tournent mal ».
De plus, l’ordre matériel et domestique plus général se révèle particulièrement important dans la réussite des
enfants, dans la mesure où il représente un ordre cognitif : des horaires réguliers, des règles de vie strictes et
récurrentes, les mises en ordre, les classements domestiques produisent des structures cognitives qui permettent en
définitive une organisation de la pensée.
Les formes de l’autorité familiale
Les régimes disciplinaires familial et scolaire peuvent entrer en contradiction. Ainsi les différentes formes
d’exercice d’autorité familiale donnent plus ou moins d’importance à l’autocontrainte, forme privilégiée par le milieu
scolaire ; ces différentes formes se donnent notamment à voir dans les différents types de sanction appliqués aux
enfants : de la brutale sanction physique ou verbale immédiate, aux formes de punition différées, visant à faire
réfléchir l’enfant.
Les modes familiaux d’investissement pédagogique
L’analyse de l’ouvrage s’est construite en partie contre l’idée selon laquelle les familles populaires qui ont des
enfants en « réussite » scolaire seraient essentiellement caractérisées par des pratiques de sur-scolarisation, car cette
explication ne correspond qu’à un modèle de réussite méritocratique qui empêche de saisir la clé générale d’accès à la
réussite.
Or, le sacrifice parental peut dépasser de beaucoup le seul investissement pédagogique, visible dans
l’organisation de l’ordre moral domestique et dans la gestion de la situation économique de la famille. Il s’agit ainsi
d’analyser les variations des formes de l’investissement pédagogique, ainsi que l’adéquation plus ou moins grande de
cet investissement avec l’objectif visé.
La pluralité des styles de « réussite »
Il existe différents types d’explication de la réussite scolaire d’enfants de milieux populaires :
surinvestissement scolaire, familles ouvrières militantes (militantisme religieux, syndical ou politique qui permet le
développement d’un intérêt culturel qui passe par les livres, la parole formelle, explicative, explicite), ou la variante
des familles autodidactes, souvent un peu plus qualifiées que les autres (ouvrier qualifié, aristocratie ouvrière) ; ces
différents types peuvent être résumés par une forme de capital culturel acquis ou conquis. Mais si l’on considère les
cas singuliers dans leur complexité, on se rend compte que ces différentes hypothèses négligent leur interdépendance.
Il faut ainsi se demander si ces différentes figures de parents disposent du temps et des occasions favorables pour
exercer pleinement leur effet de socialisation scolairement positif.
C’est pourquoi il faut s’attacher à reconstituer, derrière des degrés comparables de « réussite », des styles de
réussite différents, que l’école élémentaire propose d’ailleurs objectivement : réussite par le métier d’élève ou
performances brillantes, qualités littéraires ou scientifiques, sous une forme « besogneuse » ou « aventureuse »…
Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2006-2007 3
Singularité et généralité
Le problème central de la construction de l’objet consiste à passer d’une réflexion statistique sur les
corrélations entre milieu social (PCS du père) et performances scolaires, à une microscopie sociologique des
processus et des modalités des phénomènes sociaux, sans tomber pour autant dans de pures descriptions
monographiques. D’où réflexion sur problèmes méthodologiques :
Contextualiser
Lorsqu’on change la focale de l’objectif et que l’on entend considérer des différences entre familles qui sont
souvent rendues équivalentes dans les enquêtes statistiques (même colonne ou même ligne) par leur similitude du
point de vue de propriétés sociales générales (capital scolaire et économique), alors on se rend compte qu’il n’y a rien
de mécanique ; le sociologue montre alors ce que les modèles théoriques fondés sur la connaissance statistique et le
langage des variables ignoraient ou présupposaient : les pratiques et les formes de relations sociales qui conduisent
vers les situations d’échec ou de réussite.
Les caricatures en exemples
Les analyses décontextualisées (c'est-à-dire fondées sur des modèles statistiques hors de toute référence à des
situations particulières) peuvent ainsi conduire à la construction de caricatures, comme accumulation sur un individu
de tous les critères statistiquement attachés au groupe. En fait, pour que l’on ait un système de dispositions
individuelles cohérent, il faut des conditions sociales tout à fait particulières rarement réunies. Durkheim utilise ainsi
la notion d’habitus dans le sens d’un rapport au monde cohérent et durable dans deux situations historiques
particulières : les « sociétés traditionnelles »1, et le « régime de l’internat »2. Dès lors que l’enfant évolue dans des
univers sociaux différents, il se peut qu’il doive alors faire face à un rapport au monde non cohérent, non unifié, ce
qui donne lieu à des variations de pratiques selon la situation sociale dans laquelle il est amené à fonctionner. Note de
bas de page dans laquelle l’auteur cite la définition du goût par Bourdieu dans La Distinction comme formule
génératrice au principe du style de vie ou ensemble unitaire de préférences distinctives qui correspondent à une même
intention expressive. Lahire soutient la thèse que, même si l’on peut trouver dans la réalité des situations semblables
(où l’ensemble des goûts est cohérent), tous les cas ne relèvent pas de ce modèle.
La structuration d’objets singuliers
Méthode : croisement d’informations sur les enfants (fournies par les enseignants, les familles, les dossiers
scolaires, les entretiens avec les enfants), sur les familles (obtenues par les entretiens avec les familles, les
enseignants, les enfants) et sur la vie de classe (entretiens avec les enseignants, les enfants). Le but est de comprendre
comment des résultats et des comportements scolaires singuliers ne s’expliquent que si l’on tient compte d’une
situation d’ensemble comme interaction de réseaux d’interdépendance (familiaux et scolaires) tramés par des formes
de relations sociales plus ou moins harmonieuses ou contradictoires, à partir de la reconstitution des configurations
sociales complexes et non à partir de simples variables. La comparaison s’opère donc entre ces configurations et non
entre des variables, logique qui décompose/recompose les contextes sociaux à partir d’une grille de critères objectifs.
Il définit ici ce qu’il entend par configuration sociale, comme notion liée à une anthropologie de
l’interdépendance humaine, qui considère les individus avant tout comme des êtres sociaux pris dans des relations
d’interdépendance, occupant des places dans des réseaux de relations d’interdépendance et, du même coup, possédant
des capitaux ou des ressources liés à ces places ainsi qu’à leur socialisation antérieure au sein d’autres configurations
sociales. La configuration peut donc se définir comme l’ensemble des liens constituant une « partie » (plus ou moins
grande) de la réalité sociale conçue comme un réseau de relations d’interdépendance humaine.
I. « Echec » et « réussite »
La population enquêtée
77% des pères sont ouvriers ou employés non qualifiés. 66% des mères sont au foyer. 68% des couples sont mariés
ou vivent maritalement, et avec un nombre moyen de 3.3 enfants par famille, on enregistre la forte prédominance des
familles populaires dans la population retenue (40% des familles ont 4 enfants ou plus). Forte présence de chefs de
1 « Le groupe réalise, d’une manière régulière, une uniformité intellectuelle et morale dont nous ne trouvons que de
rares exemples dans les sociétés plus avancées. Tout est commun à tous », in Les formes élémentaires de la vie
religieuse
2 L’éducation est alors organisée dans un sens univoque, et les différentes influences exercées sur l’enfant « ne se
dispersent pas dans des sens divergents », in l’évolution pédagogique en France
Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2006-2007 4
ménage (surtout des pères) de nationalité non française ; les origines : Maghreb (44%), France (29%), Cambodge et
Vietnam (11%).
Les résultats à l’évaluation nationale de CE2 passée par ces élèves en 91 (5.5/10) les situent en dessous de la
moyenne nationale (6.5).
La constitution de l’échantillon des 26 familles à partir des 139 élèves initialement retenus a suivi un cheminement
progressif : d’abord sous-groupe des chefs de ménage avec faible capital scolaire et situation économique modeste
(père ouvrier qualifié ou non qualifié, personnel de service, petit employé non qualifié, chômeur, ou retraité de ces
catégories) ; à l’intérieur de ce groupe, 2 sous-groupes : les élèves ayant relativement échoué au test (moyenne
français et maths (<4.5/10), et ceux assez bien « réussi » (>6) ; dernière étape pour évaluer, à l’aide des enseignants,
si ces résultats étaient normaux dans la carrière de l’élève ou exceptionnels.
D’où population avec 14 enfants « en échec » (5 filles et 9 garçons), et 13 enfants « en réussite » (8 filles et 5
garçons).
La perception scolaire des élèves
1. L’ordre scolaire des qualités
Les termes d’ « échec » et de « réussite » prennent des sens différents selon les périodes, les milieux sociaux, les
étapes de la scolarité.
En outre, l’enseignant opère une sélection des faits et gestes des élèves qu’il juge pertinents pour donner une
appréciation de l’élève, et dresse ainsi des portraits qui permettent ou non de mettre en harmonie comportements et
qualités morales d’une part, et résultats scolaires et qualités intellectuelles d’autre part. Le jugement scolaire dépasse
ainsi la seule dimension intellectuelle des comportements des élèves, mais concerne plus largement la bonne ou
mauvaise adaptation à l’espace de socialisation scolaire, la conformité à l’ordre scolaire. En définitive, comme le
suggèrent les enseignants dans les entretiens, rien ne sert d’être intelligent si on n’exerce pas son intelligence dans les
moments, ou surtout, dans les formes scolaires.
2. De l’autonomie et de la discipline
Le terme d’ »autonomie » semble cristalliser un ensemble de caractéristiques valorisées du point de vue scolaire.
On est ainsi passé de la figure idéale de l’élève dressé à l’élève raisonnable et raisonné, le but de la pédagogie
moderne étant d’apprendre à apprendre. Il existe donc une tendance scolaire générale à aller vers les formes
d’organisation qui accordent à l’autodiscipline corporelle et mentale une place centrale, qu’il faut comprendre comme
un rapport social particulier tout autant au pouvoir qu’au savoir. L’école, qui entend rendre les élèves autonomes en
leur apprenant à se débrouiller (notamment par la lecture silencieuse) face à des dispositifs de savoir objectivés, vise
la production de dispositions cognitives à s’approprier des savoirs écrits complexes et, du même coup, de dispositions
sociales à agir dans des formes particulières d’exercice du pouvoir.
Si l’on s’interroge sur les élèves des classes populaires, il apparaît que les reproches faits à leur encontre par les
enseignants correspondent souvent au jugement de manque d’autonomie. Selon l’auteur, ce sont les dispositions et
compétences scolairement adéquates, forgées dans l’interdépendance avec les parents, et dont la présence varie selon
les milieux sociaux et les configurations sociales.
C’est pourquoi, en définitive, les enseignants se trouvent placés devant une contradiction redoutable : d’une part,
les transformations de l’institution pédagogique rendent caducs un certain nombre de termes et de pratiques
pédagogiques (le terme de « règle », les pratiques d’intervention fortes auprès des élèves, les leçons magistrales, les
apprentissages par cœur…), d’autre part, les enseignants sont placés face à des élèves qui les forcent à faire ce qu’ils
peuvent vivre comme des retours pédagogiques en arrière (« mater » les élèves, etc.)
Portraits de configurations
Le but de l’écriture de ces portraits est la recherche d’invariants à travers l’analyse de configurations singulières
traitées comme des variations sur les mêmes thèmes : les cas particuliers traités ne sont ainsi que des synthèses
originales de traits (ou caractéristiques) eux mêmes généraux. L’idée est ainsi de contextualiser l’effet de propriétés
ou de traits pertinents d’analyse tout à fait généraux, ceux-là mêmes que l’on retrouve dans les enquêtes statistiques.
Au contraire de la saisie décontextualisée des causes de l’ « échec » ou de la « réussite », la reconstruction des
contraintes sociales relationnelles concrètes s’exerçant sur des enfants singuliers vise à restituer les déterminismes
sociaux relationnels au plus près de la manière dont ils se présentent à eux.
Regroupement des portraits par thèmes.
Précautions méthodologiques sur la relation d’entretien, nécessairement « pertubatrice » dans l’observation des
pratiques.
NB : Je n’ai pas trouvé la description des différentes configurations très précise, c’est-à-dire que la présentation
qu’il en fait (très souvent simple juxtaposition de traits) ne permet pas de les distinguer de manière très claire les
unes des autres. Donc si ma présentation fait un peu « catalogue » … ce n’est pas entièrement de ma faute !
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La liaison impossible (entre univers scolaire et familial)
Cas rassemblés ici : parents originaires de pays étrangers, rapport difficile à la langue française, parcours
d’immigration comme déracinements douloureux ou adaptation difficile à des situations sociales nouvelles. A cette
trop grande distance culturelle, les parents peuvent opposer une légitimité familiale (morale, religieuse) à la légitimité
de l’institution scolaire, ou même développer une conception machiavélique de l’institution jugée délibérément
ségrégationniste, ces différents mécanismes aboutissant à une fermeture de la famille sur elle même.
Portrait 1 : La distance aux univers objectivés
Mehdi M., né aux Comores, 3 ans de retard, 3.4/10.
Famille dépossédée des pratiques occidentales de l’écrit, leur pays étant beaucoup moins bureaucratisé, les occasions
de confrontation à l’écrit étant alors quasi inexistantes. Pratiquement aucune pratique domestique de l’écrit, même si
lecture de livres religieux, mais en arabe. Père au chômage, alterne avec petits boulots, mère au foyer. Action
éducative surtout orientée vers le contrôle moral de l’enfant, conscient de la nécessité de détenir un diplôme pour
accéder au marché du travail, mais se sentant incapable d’aider ses enfants scolairement. « Nous sommes rien, moi je
veux pas que les enfants restent comme moi ».
Portrait 2 : Une clôture familiale
Latifa S., née en France, 1 an de retard, 3.1/10.
Aïcha S, née en France, à l’heure, 4.1/10.
Proche du cas précédent, mais faible maîtrise du français malgré une présence ancienne en France, et discipline très
sévère appuyée ou légitimée par le respect du Coran, par rapport à un extérieur jugé hostile et mauvais pour les
enfants, entretenant le mythe (ou le projet) du retour en Algérie. Conscience de l’importance de l’école pour
décrocher un emploi, mais importance de la scolarité des filles moindre que celle des fils (au moins pour le père).
Sanctions « immédiates » après de mauvaises notes (coups, cris), loin des normes scolaires d’accès à l’autonomie.
Portrait 3 : Une fracture radicale
N’dongo K., né au Zaïre, à l’heure, 4/10.
Mère seule, femme de ménage. Conception machiavélique de l’échec scolaire des enfants d’étrangers : « on casse les
enfants, c’est leur politique ». Cumul de traits constituant des embûches pour la réussite scolaire : mère scolarisée au
pays seulement 4 ans, revenus très modestes, aucune pratique domestique de lecture et d’écriture.
L’héritage difficile
On voit dans les portraits suivants que ceux qui détiennent les dispositions culturelles les plus compatibles avec
l’univers scolaire ne sont pas toujours ceux qui sont le plus fréquemment et le plus durablement en contact avec
l’enfant, d’où des cas de transmission difficile. Les héritages, réussis ou ratés, ne sont ainsi jamais mécaniques.
Portrait 4 : La situation difficile du « petit dernier »
Ryad B., né à Lyon, 1 an de retard, 3.5/10.
Parents algériens analphabètes, mais quelques pratiques de l’écrit, sœur aînée en réussite scolaire, qui achète le
journal, emprunte des livres à la bibliothèque, s’occupe des affaires domestiques, ce qui, on peut en faire l’hypothèse,
lui a ménagé une place au sein de la fratrie compatible avec la réussite scolaire, contrairement au « petit dernier ».
Portrait 5 : Les mauvaises conditions d’héritage
Ith. K, né à Lyon, à l’heure, 3.8/10.
Ménage très modeste, parents divorcés, histoire familiale mouvementée, la mère est actuellement au chômage et a fait
toutes sortes de petits boulots, et a suivi de courtes études de secrétariat (CAP non abouti). Ce profil serait la preuve
« flagrante » que le capital culturel ne peut avoir d’effets socialisateurs que s’il trouve les moyens de se
« transmettre », car malgré un parcours scolaire plutôt malheureux, elle a malgré tout des pratiques d’écriture
domestique et de lecture (horoscopes, mots croisés, faits divers, programme TV, romans d’aventure, ou d’ « histoires
vraies »).
Portrait 6 : 2 capitaux culturels indisponibles
Smaïn M., né à Lyon, à l’heure, 4.3/10.
Père et mère issus d’un milieu paysan kabyle analphabète, ouvrier qualifié, en France depuis 30 ans. 2 personnes
proches de culture légitime : père militant syndicaliste (il lit les journaux, quelques romans, abonné à la bibliothèque
municipale, il remplit les papiers administratifs de la famille), grande sœur de 23 ans, détentrice d’un CAP, aide-
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