Il y avait donc chez cet adolescent un double problème :
• une faiblesse dans le lien entre le code et le jeu, et cela après 5 ans d'apprentissage en
école de musique (phénomène assez fréquent dès qu'on en parle entre collègues, ou dès
qu'on lit quelque expérience effectuée à ce sujet). N'avait-il pas eu l'occasion d'effectuer
un apprentissage primordial dans ses plus jeunes années ou dans ses débuts musicaux ?
Son apprentissage aurait-il été mal orienté : reproduction instrumentale déconnectée du
visuel, de l'écrit, de l'écoute, de tout à la fois ? Ceci supposerait alors de repenser
l'enseignement théorique effectué en formation musicale.
• une absence de sensation corporelle, pas centrée, trop aérienne, même en présence d'un
morceau rock, ou d'une quelconque pulsation, même lorsqu'elle est donnée de façon
appuyée par une grosse caisse et ponctuée par une caisse claire ou une charleston. Ne
pouvait-il pas percevoir certains éléments musicaux essentiels pour saisir le balancement
rythmique d’un morceau ? Ou le percevait-il sans parvenir à le restituer, à le matérialiser ?
Il y aurait donc dans ce cas une absence de lien entre la compréhension/la perception et sa
réalisation.
Enfin, je me suis demandé si sa « nature » même, introvertie, ne représentait pas un
rempart à cet apprentissage. Cet adolescent était incapable d'une quelconque prise de position,
de décision, il semblait inhibé par son éducation, son entourage, replié sur lui-même, sans
repère… Il m'a semblé soudainement que l'état psychologique pouvait peut-être entraver
l'apprentissage de certaines notions musicales. Coïncidence troublante lorsqu'une de mes
collègues m'avoua s'être posée semblable question, car tous ses élèves présentant des lacunes
d'ordre rythmique s'avéraient instables dans leur situation familiale ou sociale. Étrange
hypothèse à explorer… Jusqu'au jour où un élève sans problème familial ou social particulier
se présentera à nous avec les mêmes lacunes d'ordre rythmique…Et nous empêchera de
corroborer cette thèse.
J’ai discuté du cas de mon élève avec le professeur de percussion : « C’est le problème
du solfège, me dit-il, ils apprennent tout séparément. On leur dit « tel rythme se fait comme
ça », par exemple croche/2-doubles, mais quand ils retrouvent une double dans un autre
rythme, ils ne savent pas ce que c’est. Ils n’apprennent pas à se servir de la pulsation. Ils
apprennent à réciter un rythme, pas à le jouer. » De quoi me poser doublement la question de
la formation musicale, tout en me demandant s’il fallait vraiment rejeter toute la faute sur les
professeurs de F.M., si certains pratiquaient un enseignement plus efficace que d’autres, si la
direction générale donnée à l’enseignement musical n’était pas à l’origine de ces problèmes…
Les questions sont nombreuses : chacun apporte une explication, risque une solution,
mais personne ne parvient réellement à y répondre :
Comment font donc les musiciens des battucadas pour entrer dans cette dynamique
pulsive et la ressentir très précisément ? Comment font les Africains, les Martiniquais
lorsqu’ils tapent sur leur tambour, lorsqu’ils dansent sur leur musique rythmée au son de
leur tambour…Ils donnent réellement l’impression de ne pas pouvoir se tromper sur la
rythmique donnée, de repérer sans erreur les temps marqués, moins marqués…Alors ?
Qu'est-ce que le « swing » ? Quel sens mettons-nous derrière ce mot ? Quelles
sensations ? Ces sensations sont-elles différentes chez un adulte, un enfant, un musicien,
un non-musicien, un Européen, un Africain…?