Banque & Stratégie n° 334 mars 2015 3
Dossier
FINANCEMENT
DES ENTREPRISES SOCIALES
Un écosystème en construction
Dossier réalisé par Séverine Leboucher
10 % du PIB français est produit par les acteurs
de l’économie sociale et solidaire (ESS) 1. Santé et
dépendance, insertion des chômeurs de longue
durée, technologies inclusives, circuits de
distribution écologiques… le champ d’action de ce
secteur est vaste et souvent contracyclique. Le statut
des acteurs est lui aussi hétérogène. Si beaucoup
sont des associations (lire le témoignage de
Vitamine T, p. 5) ou des coopératives, ce n’est
plus exclusif : une loi de juillet 2014 2 a permis
de reconnaître qu’une entreprise à but commercial
pouvait appartenir à l’ESS pour peu qu’elle ait un
impact social clair et qu’elle respecte certains critères
de gouvernance. De plus en plus d’entrepreneurs
se lancent avec une double ambition sociale et
économique, à l’instar d’Olivier Jeannel, fondateur
de RogerVoice, une application sur smartphone
pour les malentendants (lire son témoignage p. 12).
Les grandes entreprises aussi s’y intéressent,
non pas sous l’angle du mécénat, mais bien comme
un investissement à mi-chemin entre la RSE
et une démarche stratégique de très long terme
(lire l’expérience de Danone, p. 15).
Le secteur de l’ESS ne capte pourtant qu’une
infime partie des flux de financement privés.
Le modèle économique hybride des entreprises
sociales, la lenteur du retour sur investissement
financier proposé, la gouvernance spécifique
qu’elles imposent sont autant de freins à l’intérêt
du secteur financier traditionnel. Pourtant, les
barrières sont doucement en train de tomber dans
un secteur en quête de valeurs nouvelles (lire le
dossier « Entreprises sociales : vers un nouveau
marché pour les banques », Revue Banque n° 778,
mars 2015). Les grilles d’analyses s’adaptent,
1. Source : ministère de l’Économie.
2. Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.
de même que les conditions de financement. En
période de taux bas, face à des investisseurs à la
recherche de rendement (lire l’interview d’Aviva
France, p. 8), les entreprises sociales ont des
atouts à faire jouer.
Encore faut-il que le lien se fasse entre le monde
de l’ESS et celui de la finance. Des acteurs
spécialisés jouent alors les intermédiaires : à la
fin des années 2000, des fonds d’investissement
à impact (impact investing) ont vu le jour. C’est
le cas du Comptoir de l’innovation (lire p. 10) ou
du FCPR de Danone Communities (p. 18), abondé
par une Sicav éponyme dite « 90/10 » 3. L’Europe
aussi, sous l’impulsion de Michel Barnier, alors
commissaire européen, s’était emparée du sujet :
pour faciliter l’aiguillage des grands fleuves de
l’épargne vers ces acteurs de l’ESS, un statut de
Fonds européen d’entrepreneuriat social (EuSEF)
a été créé (lire les explications de la Commission
européenne p. 22). En France, seul un gérant
– Phitrust Partenaires – a été enregistré comme
gestionnaire de EuSEF, le statut n’étant pour
l’instant pas très adapté à d’autres modèles.
Côté grand public aussi, on s’intéresse de manière
innovante à ce secteur économique « porteur de
sens ». Ainsi les dons des particuliers prennent
des formes nouvelles, à travers des produits
financiers dits « de partage » (lire p. 26).
Les flux de financement transitent enfin par
des plates-formes de crowdfunding estampillées
« solidaires », à l’instar de Spear (lire p. 20) qui
lève de l’argent pour que les banques puissent
financer ces entreprises sociales en mal de
capitaux. L’écosystème qui permettra de financer
la croissance de l’ESS est bien en train d’émerger.
3. Investie à hauteur de 10 % dans des entreprises sociales, les 90 % restants étant
placés de manière traditionnelle, souvent ISR.