Ratios infirmière-patients dans le contexte canadien

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Ratios infirmière-patients dans le contexte canadien
Larry LeMoal
Analyste, recherches et politiques
Syndicat des infirmières et infirmiers de la Saskatchewan
« La dotation en personnel infirmier est l’un des rares domaines en matière de soins de santé au
Canada dans lesquels on ne tient pas compte des faits probants lorsque l’on prend des
décisions. »1
Vue d’ensemble
Le personnel infirmier des organismes de santé canadiens a du mal à offrir des services de soins
infirmiers et des soins aux patients sécuritaires et de qualité au grand public dans les milieux de
pratique professionnelle dans lesquels aucune norme ne définit les niveaux de dotation
minimaux. Cette situation persiste malgré la recherche qui documente les répercussions de
niveaux insuffisants de dotation en personnel infirmier sur les résultats pour le patient, la qualité
des soins et la sécurité pour le patient, de même que pour la santé du personnel infirmier. Un
rapport de 2004 publié par l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC) sur la
composition du personnel infirmier indique que les « études de recherche au Canada et aux
États-Unis ont démontré qu’un ratio plus élevée de niveaux de dotation du personnel infirmier
autorisé (PIA) est régulièrement liée à des soins de meilleure qualité, à de plus faibles taux de
morbidité et de mortalité, à de meilleurs résultats pour le patient et à une diminution du nombre
de situations préjudiciables en ce qui concerne les soins de courte durée, à long terme et
communautaires. »2
La pénurie de personnel infirmier au Canada a plus que doublé le nombre de situations dans
lesquelles le personnel infirmier est insuffisant. Cette pénurie s’intensifie de plus en plus, en
partie en raison du fait que certains infirmiers et infirmières quittent la profession, frustrés par le
manque de personnel chronique. Malgré l’existence de plans de dotation et de cadres de
composition du personnel officiels élaborés en collaboration avec des chercheurs et des
organismes de réglementation dans le but d’aider infirmiers et infirmières gestionnaires à
élaborer des plans de dotation officiels, la recherche indique que les décisions en matière de
dotation au niveau de l’unité dans les organismes de soins de santé canadiens sont prises sur une
base empirique.
Comme le concluait le sommaire de recherche de l’AIIC de 2006 sur la dotation du personnel
infirmier : « Même si des preuves empiriques solides indiquent que la composition du personnel
infirmier a une incidence sur les résultats pour le patient dans les milieux de soins de courte
1 McGillis Hall, L., Pink, L., Lalonde, L., Tomblin Murphy, G., O’Brien Pallas, L., Laschinger, H, et al. (2006).
Decision Making for Nurse Staffing: Canadian Perspectives. Policy, Politics, & Nursing Practice, 7(4), p. 267.
2 AIIC (2004) La composition du personnel infirmier : Une recherche documentaire. p. 3.
Source : http://www.cna-aiic.ca/CNA/documents/pdf/publications/Final_Staf_Mix_Literature_Review_f.pdf
2
durée, ces preuves ont rarement été appliquées dans les milieux de pratique. »3 Le sommaire de
l’AIIC a également conclu que l’on sait peu de choses au sujet de l’efficacité des modèles de
composition du personnel infirmier et que les systèmes de mesure de la charge de travail du
personnel infirmier ne reflètent souvent pas la charge de travail véritable, que l’on n’ajuste pas la
dotation en conséquence et que le processus est trop long.4
Bien que des normes en matière de dotation et des exigences réglementaires existent dans
d’autres industries pour protéger le grand public, les services infirmiers dans les milieux de soins
de courte durée, de santé mentale, à long terme et communautaires sont offerts dans un
environnement dans lequel aucune norme minimale n’est établie et appliquée par les employeurs,
le gouvernement ou d’autres organismes de réglementation. Si un service des urgences, un
service des soins intensifs ou un établissement de soins à long terme occupé est habituellement
doté de huit infirmiers et infirmières autorisés, aucun règlement n’existe pour protéger le grand
public de manière à assurer le maintien d’un niveau de dotation suffisant à un niveau sécuritaire.
Ce service ou cet établissement offre-t-il des soins sécuritaires lorsque le nombre d’infirmiers et
d’infirmières autorisés chute à six, quatre ou même deux personnes? De quelle façon et à quelle
fréquence cette décision en matière de dotation devrait-elle être prise, examinée et ajustée?
Les normes professionnelles ne protègent le grand public que lorsque les compétences ou
l’éthique d’un infirmier ou d’une infirmière en particulier sont mis en doute et que l’on ne peut
pas se fier à cette personne pour assurer le respect d’une norme minimale de soins aux patients
dans les circonstances où tous les membres du personnel infirmier sont compétents, mais tout
simplement surchargés de travail. En l’absence de réglementation ou de normes professionnelles
applicables, vers qui peuvent se tourner les membres du personnel infirmier et le grand public
pour s’assurer que le public reçoit des soins correspondant à tout le moins aux normes minimales
et que la sécurité du patient et du grand public est maintenue? Des ratios infirmière-patients
officiels et prescrits sont la réponse à cette question dans plusieurs sphères de compétence à
l’extérieur du Canada. Des ratios infirmière-patients officiels et prescrits pourraient-ils être la
réponse au Canada et, le cas échéant, de quelle façon fonctionneraient-ils et de quelle manière
pourrait-on les mettre en œuvre?
Le commentaire le plus fréquent concernant les ratios infirmière-patients officiels de la part des
chercheurs et des analystes de la politique canadiens rejette ou émet une mise en garde contre ces
ratios, mais ce commentaire s’appuie fortement sur l’opinion plutôt que sur les faits. Les
commentaires comportent de solides arguments à propos des limites et des lacunes des ratios
infirmière-patients prescrits qui ont été mis en œuvre dans d’autres sphères de compétence, tout
comme de solides arguments et des faits à propos des répercussions positives de ratios améliorés
sur les résultats pour le patient et sur le recrutement et la conservation du personnel infirmier
dans ces sphères de compétence. Par contre, le débat en ce qui concerne les avantages et les
désavantages des ratios prescrits au Japon, en Australie et en Californie (chacun d’eux ayant des
systèmes de santé très différents de ceux du Canada) restera d’une nature liée à la recherche,
3 AIIC (2006). Dotation en personnel infirmier : Dans quelle mesure les mécanismes relatifs à la composition du
personnel infirmier et au nombre de patients par infirmière réussissent-ils à alléger les charges de travail des
infirmières et des infirmiers? Sommaire de recherche.
4 Ibidem.
3
jusqu’à ce que des ratios infirmière-patients officiels prescrits soient mis à l’essai dans le
contexte canadien.
Évidemment, nous devons tirer ce qu’il est possible d’apprendre de l’expérience des autres
sphères de compétence. Cependant, l’expérience et les faits canadiens procureront les arguments
les plus puissants et persuasifs aux infirmières et infirmiers, aux employeurs et aux responsables
de l’élaboration des politiques canadiens. Par conséquent, il y a un urgent besoin d’établir un
dialogue plus éclairé et des projets de recherche appliquée qui mettent en œuvre les ratios
infirmière-patients minimaux et en font l’essai dans divers milieux de pratique des soins
infirmiers canadiens.
Vers un meilleur milieu de travail
Étude de cas fictive
Jane Doe est une infirmière autorisée au sein d’une unité pédiatrique de 32 lits à l’Utopian
General Hospital. Elle a obtenu son diplôme il y a deux ans. Elle a présenté une demande
d’emploi en vue d’obtenir un poste au sein de cette unité en particulier parce que son professeur
en soins infirmiers lui a dit que cet organisme prévoyait instituer des ratios infirmière-patients
officiels au sein d’une unité de soins pédiatriques dans le cadre d’un projet pilote visant à
résoudre les problèmes de taux de roulement élevé et les problèmes récurrents en ce qui a trait à
la sécurité des patients. Il y a un an, elle et d’autres infirmières au sein de l’unité, aidées par du
personnel infirmier du syndicat provincial des infirmières et infirmiers, ont tenu des discussions
conjointes avec la partie patronale des soins infirmiers. Ils ont examiné la dotation actuelle, y
compris le personnel de soutien des soins infirmiers, l’acuité, les taux d’occupation, les absences
prévisibles, les congés de maladie et les taux des heures supplémentaires, ainsi que les données
probantes établies par la recherche en matière de pratiques exemplaires. Ils en sont arrivés à un
consensus avec les dirigeants supérieurs des soins infirmiers à l’effet que l’on devait augmenter
la capacité du personnel de base de l’unité en y ajoutant trois postes à temps plein, ce qui
donnerait un ratiot d’une infirmière autorisée pour six patients.
Six mois d’expérience avec le ratio de six patients pour une infirmière ont vite fait de révéler de
meilleurs résultats pour le patient, une réduction du taux de roulement, des heures
supplémentaires et des congés de maladie. Le ratio de six pour un a été officialisé dans une lettre
d’entente entre le syndicat des infirmières et des infirmiers et l’employeur. Ce que Jane a le plus
aimé est que la lettre d’entente concernant les ratios officiels spécifiait que, lorsqu’elle était
responsable de l’unité, elle avait le pouvoir d’appeler des ressources supplémentaires pour
remplacer quelqu’un qui s’absentait ou si l’acuité ou les admissions au sein de l’unité
augmentaient subitement. Si aucune ressource supplémentaire n’était disponible, elle pouvait
communiquer avec sa superviseure qui avait alors le choix de fournir des ressources
supplémentaires ou d’autoriser un transfert immédiat de patients vers un autre établissement ou
service de soins infirmiers de manière à assurer le maintien du ratio adéquat.
L’infirmière-gestionnaire était en mesure de signaler à la haute direction que les coûts liés à
l’ajout de trois postes à temps plein étaient largement compensés par la réduction du taux de
roulement, des coûts d’orientation de même que des heures supplémentaires et des congés de
maladie. De plus, étant donné que tous les postes de l’unité étaient pourvus en personnel dans les
4
situations dans lesquelles des congédiements provoquaient des ratios infirmière-patients
supérieurs au ratio officiel, le personnel infirmier a accepté de faire des quarts de travail, par
rotation, dans d’autres unités dans lesquelles ils avaient au préalable reçu de l’orientation et
accumulé de l’expérience. Dans d’autres situations dans lesquelles le ratio de l’unité était
supérieur au ratio officiel mais dans lesquelles des quarts de travail dans d’autres unités n’était
pas nécessaires, les membres du personnel infirmier au sein de l’unité ont continué de travailler
sur un projet de perfectionnement professionnel continu axé sur l’incorporation des pratiques
exemplaires liées aux médicaments et à une meilleure planification des congés pour les patients
et les familles.
Une évaluation officielle du projet de ratio infirmière-patients en ce qui a trait à la pédiatrie a
confirmé les résultats positifs pour l’organisation, les patients et le personnel infirmier, et on a
amorcé des discussions dirigées entre le syndicat dont fait partie Jane et l’Utopian General
Hospital afin de mettre en œuvre des ratios infirmière-patients officiels dans l’ensemble de
l’établissement. Le syndicat dont fait partie Jane a également entrepris des discussions avec
l’Utopian Regional Health Authority ( l’Office régional de la santé) à propos de la mise en œuvre
des ratios officiels dans les milieux de pratique de soins à domicile, en matière de santé mentale,
en matière de santé publique et de soins à long terme. On a demandé à Jane et à son infirmière-
gestionnaire de servir de personnes-ressources durant la tenue de ces discussions.
Plusieurs sphères de compétence à l’extérieur du Canada ont mis en œuvre des ratios infirmière-
patients minimaux officiels. Une loi sur le ratio infirmière-patients prescrit officielle a été adopté
en Californie en 1999. À ce jour, 14 états américains ont proposé une certaine forme
d’intervention législative en ce qui concerne les ratios infirmière-patients. En 2000, la succursale
Victorian de l’Australian Nursing Federation est parvenue à faire adopter des taux de dotation
prescrits dans tous les hôpitaux du secteur public. En 2006, l’Association japonaise de soins
infirmiers a réussi à procéder à la mise en œuvre de ratio infirmière-patients officiel dans les
hôpitaux japonais.5
Cependant, dans les organismes de soins de santé canadiens, les ratios infirmière-patients sont
principalement déterminés sur une base empirique, au lieu d’être guidés par des ratios
obligatoires, des outils de composition du personnel ou même des plans de dotation officiels en
matière de personnel infirmier, élaborés au moyen d’une collaboration entre les chercheurs et
l’Association des infirmières et infirmiers du Canada. Au Canada, en 2003, l’Association des
infirmières et infirmiers du Canada a élaboré des principes visant à faciliter la prise de décision
en ce qui a trait à la dotation et aux soins infirmiers sécuritaires,6 décrits par celle-ci comme étant
applicables à n’importe quel milieu de pratique, sans toutefois être obligatoires.7
En 2004, l’AIIC a effectué un sondage auprès du personnel infirmier dirigeant principal et a
indiqué que 83 % de celui-ci n’utilise pas un outil de prise de décision en matière de composition
5 Gordon, S., Buchanan, J., & Bretherton, T.(2008). Safety in Numbers: Nurse-to-Patient Ratios and the Future of
Health Care. Cornell University Press, p. 1 à 3.
6 AIIC (2003). Décisions sur la dotation en personnel pour la prestation de soins infirmiers sécuritaires. [Énoncé de
position] (http://www.cna-nurses.ca/cna/documents/pdf/publications/PS67_Staffing_Decisions_Delivery_Safe_
Nursing_Care_June_2003_f.pdf)
7 AIIC (2005). Les travailleurs de la santé non réglementés : Perspective canadienne et mondiale, p. 26.
5
du personnel.8 (Remarque : la composition du personnel fait référence au nombre de personnes,
de même qu’à la composition de personnel infirmier réglementé et non-réglementé.) De plus, en
2005, la Dre Gail Tomblin Murphy a posé la question, « quel mécanisme de contrôle de la charge
de travail respectant le jugement professionnel du personnel infirmier et leur permettant de
répondre à leurs normes de pratique professionnelle existe-t’il ou peut-il être élaboré? ». Elle a
conclu qu’il « importe de noter que dans la plupart des sphères de compétence au Canada, la
dotation en personnel infirmier a toujours été, historiquement, et continue d’être déterminée de
manière empirique ».9
Une sensibilisation accrue au lien entre la sécurité pour le patient et la dotation en personnel
infirmier a mené à un débat continu en ce qui concerne la désirabilité de ratios infirmière-
patients officiels et à au moins une recommandation consistant à mettre en œuvre des ratios
minimaux :10
« La dotation en personnel infirmier est un facteur déterminant important pour la sécurité
des patients. Selon les données probantes, la dotation en personnel infirmier est
directement liée aux résultats des patients, des infirmières et du système. La dotation en
personnel infirmier autorisé a été mesurée de différentes façons. Nous croyons qu’un
terme opérationnel désignant la dotation en personnel infirmier, la ‘ ratio infirmière-
patients ’, est plus facile à traduire en politique et en pratique. Nous sommes conscients
qu’il existe certains inconvénients à utiliser ce terme opérationnel. Le rapport, par
exemple, ne reflète pas les changements du niveau de gravité de l’état des patients ou les
niveaux de compétences variés et l’expérience du personnel infirmier. Nous prévoyons
aborder ces limites dans nos autres recommandations.
Nous sommes également conscients du manque de données probantes de la recherche
pour ce qui est le ratio infirmière-patients dans différents domaines de pratique, tels que
la pratique communautaire, les soins à domicile et la santé mentale. Nous pensons
pourtant qu’il est important de recommander un ratio infirmière-patients de base lorsqu’il
existe des données probantes pour le faire. Nous croyons que c’est important, car cela
établit une norme professionnelle et un idéal de ce que la recherche prouve être une
‘ pratique exemplaire ’.
Recommandation 1 : Les unités de malades hospitalisés doivent s’efforcer d’atteindre le
ratio infirmière-patients minimum de 1:4.
Lorsque l’état du patient est plus grave, dans les unités de soins intensifs, par exemple, ce
ratio ne devrait pas excéder 1:2. »11
8 AIIC, AIIAC, RPNC. (2004). Cadre d’évaluation commun afin de déterminer l’impact des décisions sur la
composition du personnel, p. 3.
9 FCSII (septembre 2005). Accroissement de la sécurité des patientes et patients grâce à l'établissement de ratios
infirmière/infirmier-patients officiels : document de travail (http://www.nursesunions.ca/extension.php?docex=56)
10 Sanchez McCutcheon, A., MacPhee, M., Davidson, J.M., Doyle-Waters, M., Mason, S., Winslow, W. (novembre
2005). Évaluation de la sécurité des patients et de la dotation en personnel infirmier, Ottawa: Fondation canadienne
de la recherche sur les services de santé.
11 Ibidem, p. 14.
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