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VIII
VENDREDI 7MARS 2008
LA LIBRE BELGIQUE
VERSETS DOULOUREUX Introspection sur les textes sacrés, parfois porteurs de violences
Nos religions sont malades
Le rabbin David Meyer est
l’inspirateur du livre “Les
Versets douloureux”. Ren-
contre.
Le problème fondamental créé par
les dérives d’une certaine pratique
des religions n’est-il pas lié à la dis-
tance que les fidèles prennent ou non
avec le sens littéral des textes sa-
crés ?
Il semble que cette question de la
“distance” soit effectivement l’une
des clés de compréhension des pro-
blèmes de violence dans les religions
que nous connaissons actuellement.
Le texte “sacré” peut en fait être un
texte non seulement porteur d’inspi-
ration, d’éthique et de valeurs mora-
les mais parfois aussi un texte vio-
lent, belliqueux, haineux et man-
quant totalement de respect pour
l’Autre. Face à ce dilemme d’un texte
à “deux facettes”, il faut toujours gar-
der à l’esprit que le sens littéral ne
doit pas devenir le sens unique de la
lecture et de la compréhension. La
“distance” par rapport au texte, c’est
avant tout dans ma capacité à garder
mon libre arbitre et mon sens moral
que je parviens à l’exprimer. Cela
veut dire que je ne dois jamais aban-
donner mon sens des responsabilités
sous prétexte que le texte me dit ceci
ou cela. Il est triste de constater que
c’est cette “distance” qui fait le plus
souvent défaut dans la pratique de la
religion et de l’étude religieuse de
nos jours. Nous pourrions dire que la
“distance” dans la relation au texte
est justement ce qui doit nous sépa-
rer de la tentation de la “foi aveugle”
et donc, comme toujours lorsque
l’on évoque ce terme, de la violence
au nom de la religion.
La “maladie” des religions réside-t-
elle dans ce défaut de travail d’inter-
prétation ?
Je crois en effet que parler de “ma-
ladie” pour nos religions aujourd’hui
est quelque chose qui s’impose. Nos
religions sont malades et il faut le
dire. L’une des facettes de cette mala-
die, c’est la perte de l’audace inter-
prétative sans laquelle nous prenons
corps avec le sens littéral du verset et
risquons donc de sombrer dans le fa-
natisme et la violence. Il y a de très
nombreux religieux qui étudient,
mais la question que l’on doit se po-
ser, c’est de savoir s’ils étudient
comme il faudrait ? Ma remarque est
sans doute un peu prétentieuse, mais
l’étude qui crée la “distance” ne peut
pas être une sorte de “lecture adora-
tion” qui se contente de savourer la
beauté du texte. La véritable inter-
prétation doit, au contraire, prendre
le texte à bras-le-corps, le travailler,
le rendre malléable afin d’en faire
germer un sens qui se veut être res-
pectueux de l’autre. Ce véritable
“travail” d’interprétation manque
cruellement de nos jours.
N’avez-vous pas le sentiment
d’“avoir trituré” ces “versets dou-
loureux” pour les présenter sous un
angle plus conforme à votre vision,
disons progressiste, de la religion ? Et
dès lors, en quoi votre interprétation
serait-elle plus pertinente qu’une vi-
sion plus conservatrice des textes ?
Il me semble que notre approche
commune de nos textes “sacrés” est
réellement de “triturer” le texte, les
mots, le contexte historico-social.
Mais nous ne prétendons jamais dé-
tenir la “Vérité” de ces textes. C’est là
une différence très importante avec
les lectures et les lecteurs fanatiques
du texte. Je sais, car je dois l’admet-
tre, que l’interprétation tolérante et
respectueuse que je cherche à faire
passer n’est pas la seule et unique
lecture des versets possible. Je sais
que d’autres peuvent mettre en avant
le sens littéral, même si celui-ci est
violent et haineux. Mais mon com-
bat, c’est d’essayer d’être plus con-
vaincant que les autres. Lorsque l’on
prêche le respect et la tolérance, il
faut aussi savoir le vivre vis-à-vis de
ceux qui ne sont pas du même bord
que soi. C’est un exercice bien déli-
cat.
“Tout le judaïsme se situe dans le do-
maine de l’enseignement, de l’indé-
pendance d’esprit et du devoir de ré-
flexion et de décision”, écrivez-vous.
Pensez-vous que l’on peut classer les
religions à l’aune de leur aptitude à
l’autocritique ?
La “classification” des religions
est une notion très complexe et pro-
blématique. Cependant, je continue
à croire que pour ce qui est du ju-
daïsme, l’enseignement de base de la
Torah se rapporte en effet à cette ca-
pacité d’autocritique et d’indépen-
dance d’esprit. La difficulté majeure
serait donc de “juger” de l’état des
autres religions à la lumière de la
compréhension de sa propre tradi-
tion. Prenons un exemple. Lorsque
l’on me dit que le mot “islam” signifie
“soumission”, cela pourrait me poser
une difficulté très réelle car cela va à
l’encontre de ma perception de l’es-
sence du judaïsme où l’acte de “sou-
mission” n’a pas véritablement lieu
d’être. Je pourrais donc être tenté de
classer et de hiérarchiser les reli-
gions. Mais dans quel but ? Certaine-
ment pas pour établir un jugement
de valeur et pour se positionner “au-
dessus” des autres. Nous savons où
cela mène. Ainsi, avant de juger et de
“classer” encore me faut-il prendre
véritablement le temps de compren-
dre ce que la religion de l’autre ensei-
gne et assimiler ce que les mots et les
concepts utilisés veulent réellement
dire. Comment le musulman com-
prend-il sa notion de “soumission” et
où cela le mène-t-il dans sa relation à
moi ? Voila la véritable question.
En ce qui me concerne, si j’insiste
tant sur la notion d’autocritique et
d’indépendance c’est parce que pour
un esprit juif, seule l’autocritique
permet de regarder l’autre avec
compréhension et surtout avec la
“distance” nécessaire au respect et à
la tolérance. C’est parce que l’auto-
critique mène à la tolérance que je
suis tenté tout de même de juger les
religions à cette lumière. A ce titre,
avec Nostra Aetate et Vatican II,
l’Eglise nous a donné à tous une le-
çon magistrale de courage, d’audace
et d’intelligence.
Gérald Papy
Les Versets
douloureux
David Meyer,
Yves Simoens,
Soheib Bencheikh
Lessius, collection
“L’Autre et les autres”,
202 pp., env. 22
David Meyer
rabbin,
enseignant,
écrivain.
D.R.
Une grande et belle leçon d’humili
Le rabbin David Meyer, le jé-
suite Yves Simoens et le
grand mufti de Marseille
Soheib Bencheikh : ils sont
trois à avoir relevé le défi de pas-
ser au crible les “versets doulou-
reux” des livres sacrés, bible,
évangile et coran, de leur religion
respective.
Le problème le plus important
qui m’est apparu dans le dialogue
interreligieux que j’ai mené depuis
une quinzaine d’années,a été de
prendre conscience, explique Da-
vid Meyer, que, trop souvent, les
partenaires d’un tel dialogue “se
jettent des fleurs” afin de créer les
conditions d’une certaine cordia-
lité nécessaire à l’écoute récipro-
que”. Or, “il y a, à l’intérieur du
dialogue, un besoin pressant d’une
lecture critique de sa propre tradi-
tion qui est l’élément principal per-
mettant de faire une place à
l’autre”.
Le constat dressé, c’est une ren-
contre avec Soheib Bencheikh,
lors d’une “conférence des imams
et des rabbins pour la paix” à Sé-
ville qui va être le catalyseur du
projet, auquel se joindra Yves Si-
moens.
Résultat, au terme d’un travail
lancé en octobre 2006, cet ouvrage,
“Les versets douloureux, Bible,
Evangile et Coran entre conflit et
dialogue”, qui regroupe trois con-
tributions : les versets douloureux
de la tradition juive, de la tradi-
tion islamique et l’Evangile selon
Jean et les juifs.
L’exercice se révèle passion-
nant, même si certains passages
du livre sont un peu hermétiques
au non-initié. Et les réflexions qui
en découlent réconcilieront avec la
pratique religieuse ceux qu’ef-
frayent les diktats imposés au
nom de “La Vérité” qu’inspire leur
religion à certains extrémistes.
Car, comme l’écrit le rabbin
Meyer, “n’est-ce pas là finalement
la preuve d’une grande religion
que d’avoir le courage et l’audace
de se regarder en face collective-
ment et de se demander où se trou-
vent les sources religieuses, socia-
les et historiques de notre propre
extrémisme ?”. En effet, “comment
une parole révélée par un Dieu
d’amour et de miséricorde peut-
elle être douloureuse et violente ?”.
G.P.
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