politique industrielle et politique de la concurrence

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Direction Générale du Trésor
et de la Politique Économique
POLITIQUE INDUSTRIELLE ET
POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
Stéphane GALLON, Marie-Alberte PINÇON,
Daniel VASSEUR
Document de travail
Juillet 2005
POLITIQUE INDUSTRIELLE ET POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
Stéphane GALLON
Marie-Alberte PINÇON
Daniel VASSEUR
Document de travail
Juillet 2005
Ce document de travail n’engage que ses auteurs. L’objet de sa diffusion
est de stimuler le débat et d’appeler commentaires et critiques.
MINISTERE DE L’ECONOMIE
DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique
139, rue de Bercy - 75572 - PARIS Cedex 12
Sommaire
Résumé/ Abstract
3
I-
Un cadre économique pour éclairer l’articulation entre la politique
industrielle et la politique de la concurrence
5
I.1 -
La politique de la concurrence est justifiée par sa capacité à atteindre des
situations économiques qualifiées d’optimales, à condition que certaines
hypothèses soient vérifiées
5
I.2 -
L’optimum économique que sert la politique de la concurrence n’est pas
nécessairement celui qui est souhaitable pour la collectivité nationale ou
européenne, ce qui peut justifier l’intervention publique dans l’industrie
6
I.3 -
Le jeu de la concurrence nécessite la présence d’un nombre suffisant de
compétiteurs sur le marché, ce qui légitime certaines interventions de
politique industrielle en particulier dans le cas d’activités à rendements
croissants
7
I.4 -
L’incertitude sur l’avenir justifie certaines interventions relevant de la
politique industrielle quand le jeu concurrentiel n’est plus optimal en raison
des risques et des asymétries d’information. Cependant, conscientes que la
collectivité refusera leur disparition, certaines industries risquent de relâcher
leur gestion et de nécessiter des aides répétées
8
Annexe : Arbre de justification d'une politique industrielle
II -
9
Politique industrielle et politique de la concurrence : le cas des
aides aux entreprises en difficulté
10
II.1 -
Le discrédit et l'effacement progressif de la politique industrielle entendue
au sens traditionnel
10
II.2 -
La politique industrielle ne manque pourtant pas de fondements théoriques
solides
10
II.3 -
Au final, les cas particuliers de la théorie standard, qui en pratique se
multiplient, invitent à considérer un autre paradigme, de nature plus
"évolutionniste"
12
II.4 -
Ces fondements théoriques doivent aussi s'énoncer comme les conditions
d'une intervention appropriée
14
Conclusion
15
Résumé
Ce document montre comment politique industrielle et politique de la concurrence
poursuivent, par des moyens différents et complémentaires, le même objectif
d’efficacité économique, bien qu’elles paraissent s’opposer. En effet, les
interventions publiques en faveur d’entreprises ou de secteurs sont a priori sources
de distorsions de concurrence. Cependant, la concurrence ne constitue pas une fin
en soi mais n’est qu’un moyen -certes souvent privilégié- pour atteindre des
objectifs économiques (efficacité des producteurs, fixation des prix à un niveau
correct, et in fine maximisation du surplus global). Or, dans certains cas, la
politique industrielle apparaît comme un moyen qui permet d’atteindre plus
facilement ces objectifs.
Mots-clé : politique industrielle, concurrence, équilibre général.
Classification JEL : L52, L40, D50, D41.
Abstract
This document shows how industrial policy and competition policy can
pursue, by different and complementary means, the same objective of
economic efficiency, though they seem opposite. Actually, governments’
interventions in favour of some companies or industrial sectors give a priori
birth to competition distortions. However, competition is not a goal by
itself but only one of the means available – and namely often privileged – to
reach economic purposes (producers’ efficiency, correct price levels, and
finally maximizing global surplus). In some situations, industrial policy
seems an easier way to achieve such goals.
Keywords : industrial policy, competition, general equilibrium.
JEL classification : L52, L40, D50, D41.
3
I - Un cadre économique pour éclairer l’articulation entre la politique
industrielle et la politique de la
concurrence
I.1 - La politique de la concurrence est
justifiée par sa capacité à atteindre des
situations économiques qualifiées d’optimales, à condition que certaines hypothèses
soient vérifiées.
Dès lors qu’elle va au-delà d’actions strictement
horizontales, l’intervention publique dans le
domaine industriel – qu'elle prenne la forme de
soutien à des entreprises particulières ou à certains
secteurs - est a priori source de distorsions par
rapport au libre jeu de la concurrence. C’est
pourquoi de telles interventions sectorielles ou
verticales sont scrupuleusement examinées par les
autorités en charge du contrôle de la concurrence.
A ce titre, on a récemment pu avoir le sentiment,
notamment au niveau européen, que les décisions
prises plaçaient la politique de la concurrence au
dessus de tout objectif de politique industrielle.
Pourtant, politique industrielle et contrôle de la
concurrence visent l’une et l’autre le même
objectif d’efficacité économique, qu’ils s’efforcent
simplement d’atteindre par des moyens différents,
mais complémentaires.
La théorie économique montre que l’équilibre
décentralisé concurrentiel permet d’atteindre un
optimum collectif que l’on peut qualifier de
maximal (il s’agit de l’optimum de Pareto, on
reviendra sur le sens à donner à cette notion).
Réciproquement, on peut démontrer que tout
optimum au sens de Pareto peut être atteint par un
équilibre de concurrence pure et parfaite, sous
réserve que l’Etat procède à des transferts
forfaitaires de revenus. Ces résultats constituent les
deux théorèmes de la théorie du bien-être, qui
peuvent justifier que l’on accorde un rôle
primordial à la politique de la concurrence et au
bon fonctionnement des marchés. Toutefois, ces
théorèmes reposent sur des hypothèses fortes qui
ne sont pas toujours vérifiées : atomicité des
marchés, rendements décroissants, information
parfaite, absence d’externalités, etc.
Ce document de travail vise à rappeler qu’il existe
en effet des fondements économiques à la politique
industrielle, et donc des arguments économiques
susceptibles d’être utilisés pour défendre sa place à
côté d’une politique de la concurrence qui ne
garantit pas systématiquement des décisions
optimales. La concurrence ne constitue pas une fin
en soi, mais n’est qu’un moyen -certes privilégiépour atteindre des objectifs économiques
(efficacité des producteurs, fixation des prix à un
niveau correct, et in fine maximisation du surplus
global). Ce sont ces objectifs qui devraient primer.
Or, dans certains cas, la politique industrielle
apparaît comme un moyen pour les atteindre plus
facilement.
Dès lors, ces résultats n’excluent pas
intrinsèquement toute forme d’intervention
publique. Celle-ci apparaît même justifiée :
Sont présentées rapidement, ci-après, ces
justifications économiques à la politique
industrielle, et leur articulation avec le modèle
concurrentiel. L’annexe illustre un arbre de
décision permettant d’identifier les arguments
économiques qui impliquent, vis à vis des autorités
de la concurrence, une aide publique à un groupe
en difficulté.
C) enfin, quand l’optimum économique ne
correspond pas à l’optimum souhaitable (par
exemple quand il s’agit d’un optimum au niveau
mondial mais qu’il se traduit par des pertes nettes
au niveau national ou européen).
A) quand les hypothèses ne sont pas spontanément
vérifiées mais qu’elles peuvent l’être grâce à
l’intervention publique (par exemple en forçant les
agents à prendre en compte des externalités comme
c’est le cas lorsque l’on taxe la pollution) ;
B) quand les hypothèses ne sont pas vérifiées, pour
proposer des alternatives au jeu, alors
potentiellement néfaste, de la concurrence (par
exemple quand les rendements sont croissants et
que la structure la plus efficace pour la production
est un monopole) ;
La politique industrielle trouve des justifications
économiques dans chacun de ces trois cas, qui ne
sont d’ailleurs pas exclusifs (on peut mobiliser
plusieurs d’entre eux pour un même problème).
Elle apparaît même comme une alternative au
simple contrôle de la concurrence, impuissant dans
ces situations à remplir son objectif d’efficacité
économique.
Les
principaux
arguments
correspondants sont développés dans les parties
suivantes.
5
A titre d’exemple, décomposons le surplus
économique mondial en quatre composantes :
surplus (i.e. profit) des entreprises nationales(1),
surplus des entreprises étrangères, surplus des
consommateurs
étrangers,
surplus
des
consommateurs nationaux. Lorsque l’ensemble des
hypothèses est vérifié, la concurrence pure et
parfaite assure que la somme de ces quatre surplus
sera maximale. Mais rien ne garantit que ce sera le
cas du surplus national, obtenu en ajoutant le profit
des entreprises nationales et celui des
consommateurs nationaux. Le tableau 1 en donne
une illustration.
I.2 - L’optimum économique que sert la
politique de la concurrence n’est pas
nécessairement celui qui est souhaitable
pour la collectivité nationale ou européenne,
ce qui peut justifier l’intervention publique
dans l’industrie.
Un optimum mondial et non un optimum
national ou européen
Si la concurrence conduit à un optimum au niveau
mondial, rien ne garantit que le bilan net pour telle
sous partie géographique (la France, par exemple,
ou l’Europe) ne se traduise pas par une perte.
Tableau 1
Surplus
des
agents
économiques selon la politique
suivie(2)
A.
B.
Maximisation du surplus mondial
Politique nationale
(maximise le surplus national)
Entreprises nationales
10
30
Consommateurs nationaux
50
40
TOTAL NATIONAL
60
70
Entreprises étrangères
40
10
Consommateurs étrangers
50
40
TOTAL ETRANGER
90
50
TOTAL MONDIAL
150
120
Passer de la politique B à la politique A est
souhaitable au niveau mondial mais dégrade la
situation nationale. En théorie, il est toujours
possible de procéder à des transferts entre agents
pour rendre l’optimum mondial acceptable à tous,
c’est à dire pour s’assurer qu’il améliore
effectivement la situation de chacun(3). (Dans
l’exemple ci dessus, il « suffit » d’effectuer un
transfert de 20 depuis l’étranger vers la France
pour que la situation A soit bien préférée à B, tant
par la France que l’étranger.) En pratique, de tels
transferts ne sont pas aisés au niveau mondial. Au
nom de la défense de l’intérêt national, on pourrait
donc estimer préférable de ne pas promouvoir la
politique de la concurrence A si elle conduit à la
situation A (maximisation du surplus mondial)
mais plutôt la politique nationale B.
______________________________
(1) La « nationalité » d’une entreprise est d’ailleurs difficile à
appréhender. Elle peut être définie comme la nationalité de la
tête du groupe auquel l’entreprise appartient, ou comme celle
des actionnaires détenant son contrôle, ou encore par référence
à son histoire, à l’emplacement de son siège social ou de ses
lieux de production, ou être assimilée à la nationalité de ses
dirigeants de droit ou de fait.
6
Ainsi, on pourrait donc justifier la politique
industrielle par l’incapacité à répartir correctement,
entre un Etat et le reste du monde, les gains
maximaux que permet la concurrence mondiale.
On ne saurait imaginer, en effet, que les agents
économiques lésés dans le passage d’un état A à un
état B (ou inversement) subissent cette mutation
sans réagir et sans exiger du gouvernement de leur
pays des mesures de défense. Toutefois, l’industrie
n’est que l’un des secteurs soumis à concurrence et
susceptible de redistribuer les surplus entre Etats
au niveau mondial. Des pertes dans un secteur
peuvent être compensées par des gains dans
d’autres et c’est cet espoir qui légitime la levée des
barrières protectionnistes. En effet, de nombreuses
analyses économiques, y compris empiriques, ont
pu montrer que des politiques protectionnistes ont
souvent un effet négatif sur le surplus du pays,
même si elles sont un effet positif pour les
producteurs qui en bénéficient.
______________________________
(2) Les valeurs indiquées ont été choisies à titre d’illustration,
sans prétention à décrire par ce tableau un équilibre
économique global.
(3) Optimum de Pareto.
De plus, une politique industrielle nationale
apparaissant protectionniste peut engendrer des
représailles coûteuses, dont il faut tenir compte.
Dans une perspective dynamique, on s’aperçoit en
effet que le passage de l’état A à l’état B n’est sans
doute pas durable, compte tenu des réactions à
attendre des pays étrangers.
on peut craindre que ces dernières s’intéressent
moins au surplus total qu’au seul surplus des
consommateurs, même au sein d’un pays isolé.
Or, l’objectif de l’économie ne saurait consister à
réduire les prix au maximum et à faire disparaître
les profits des entreprises. Comme le montre le
tableau 2, ce n’est pas parce que le surplus des
consommateurs est maximal que la politique suivie
est optimale : la politique D est préférable pour la
collectivité à la politique C bien que les
consommateurs y soient moins bien lotis et les
producteurs mieux.
Un optimum pour les consommateurs et non
pour la société dans son ensemble
Par ailleurs, en raison de l’approche parfois très
juridique des autorités en charge de la concurrence,
Tableau 2
C.
D.
Politique « concurrentielle en faveur
du consommateur »
(maximise le surplus des
consommateurs)
Politique « concurrentielle bien
entendue »
(maximise le surplus total)
Entreprises
20
130
Consommateurs
80
70
TOTAL
100
200
Surplus
des
agents
économiques selon la politique
suivie
Il faut donc veiller à ce que les autorités en charge
de la concurrence ne se focalisent pas
excessivement sur les seuls gains que tirent les
consommateurs des échanges économiques. A ce
titre, la politique industrielle pourrait être justifiée
comme un moyen de faire prendre en compte les
surplus des producteurs dans le processus de
décision de telle ou telle politique.
I.3 - Le jeu de la concurrence nécessite la
présence d’un nombre suffisant de
compétiteurs sur le marché, ce qui légitime
certaines
interventions
de
politique
industrielle en particulier dans le cas
d’activités à rendements croissants.
L’une des hypothèses qui sous-tend le caractère
optimal de l’équilibre concurrentiel est la présence
sur le marché d’un grand nombre de concurrents.
Si la politique de la concurrence prend en compte
cet aspect lors du contrôle des fusions - une
concentration excessive du marché est jugée
néfaste - elle peut aussi parfois pénaliser le
maintien d’un certain degré de concurrence en
empêchant les plans destinés à soutenir la présence
de tel ou tel compétiteur sur le marché
(assimilation à des aides d’Etat).
Evidemment, il ne faut pas soutenir artificiellement
la
présence
d’entreprises
inefficaces
et
sanctionnées par le marché. C’est pourquoi la
politique industrielle ne peut être justifiée que pour
des actions de soutien ponctuelles accompagnées
de plans de redressement. Il convient toutefois de
prendre garde à ce que la politique de la
concurrence n’interdise pas simultanément le
soutien à un groupe en difficulté (au nom de la
sanction par le marché) et sa reprise ou fusion avec
un concurrent plus performant (au nom du
maintien de la concurrence).
Outre la viabilité des entreprises bénéficiaires de la
politique industrielle, la nature des rendements
d’échelle de l’activité considérée doit également
être examinée de près. Quand les rendements sont
croissants, la production à moindre coût exige
qu’une seule entreprise soit présente sur le marché.
La concurrence n’est donc pas souhaitable ; la
solution préconisée consiste alors à créer un
monopole régulé. En pratique, il est difficile de
réguler un monopole et certains ne peuvent pas
l’être au niveau mondial (Boeing avant
l’émergence d’Airbus, par exemple). La politique
industrielle en faveur d’un second, ou troisième,
producteur est alors justifiée dès lors qu’elle arbitre
correctement entre l’efficacité productive (qui
7
exige qu’il n’y ait qu’un petit nombre, voire un
seul, producteur) et les gains que permet la
concurrence (meilleure qualité, prix plus bas,
incitation à l’innovation, etc.). Le duopole Boeing Airbus en constitue sans doute un exemple.
I.4 - L’incertitude sur l’avenir justifie
certaines interventions relevant de la
politique industrielle quand le jeu
concurrentiel n’est plus optimal en raison
des risques et des asymétries d’information.
Cependant, conscientes que la collectivité
refusera
leur
disparition,
certaines
industries risquent de relâcher leur gestion
et de nécessiter des aides répétées.
Le caractère optimal de l’équilibre concurrentiel
suppose que l’investissement dans certaines
activités à risque, mais à potentiel de croissance et
effet d’entraînement importants ne soit pas
pénalisé de façon excessive. En dépit de
l’existence des mécanismes traditionnels de
partage
du
risque
(assurance,
marchés
financiers…), la rentabilité économique peut être
trop incertaine pour engendrer un niveau suffisant
d’investissement, ce qui peut justifier une
intervention publique soit sur les mécanismes de
financement et le partage des risques, soit sur le
secteur considéré lui-même. Certaines activités
souhaitables peuvent ne pas apparaître sur le
marché, ou à des niveaux insuffisants. D’autres
risquent de disparaître, entraînant des défauts de
fourniture ou des situations de dépendance
pénalisants. Toutes ces imperfections de marché
justifient l’intervention publique.
Le souhait de faire émerger certaines activités peut
ainsi justifier des programmes industriels (par
exemple, en France, dans le domaine du nucléaire).
8
Certes, la politique industrielle dans cette
acception est assez proche de la politique de la
recherche et de l’innovation pour lesquelles les
règles communautaires sont sans doute moins
contraignantes. Toutefois, ces dernières sont aussi
susceptibles de heurts avec la politique de la
concurrence et avec l’efficacité économique en
raison des subventions croisées que les groupes
bénéficiaires peuvent mettre en place (utiliser le
soutien sur des activités de recherche au profit de
la défense de leur part de marché concurrentiel).
En ce qui concerne le risque de défaut de
fourniture d’un service, il faut distinguer les types
de services méritant réellement de bénéficier de
garanties publiques. Certains sont indispensables à
court terme à l’économie. D’autres ne sont parfois
défendus qu’au nom d’une « indépendance »
nationale, objectif difficile à justifier économiquement s’il se ramène au risque général sur les
prix (comme l’a montré le cas du pétrole, c’est
moins la rupture totale d’approvisionnement qu’il
faut craindre que des niveaux de prix élevés ;
l’indépendance en tant que telle n’a pas
nécessairement une autre signification que la
capacité à se couvrir contre des risques de prix),
mais ce n’est pas toujours le cas.
Enfin, il faut signaler que l’attitude face au risque
des industries peut être altérée par la certitude de
bénéficier si nécessaire d’un soutien public. Ces
phénomènes d’aléa moral peuvent conduire au
versement d’aides répétées. Il importe donc de
veiller à conserver de bons systèmes de
responsabilisation dans les industries aux produits
jugés stratégiques et déjà suffisamment
concentrées pour que toute disparition soit jugée
insupportable. Des menaces crédibles de sanction
doivent être conservées.
Annexe
Arbre de justification d’une politique industrielle. Exemple de l’aide à un groupe en difficulté.
Envisager la politique
de la recherche et de
l’innovation ; vérifier
l’absence de
subvention croisée
avec toute activité
concurrentielle
OUI
S’agit-il d’une politique visant
une activité émergente (plutôt que
déjà sur le marché) ?
NON
OUI
La fermeture du groupe créet-elle une rupture totale de
service (sans substitut
possible à court terme) ?
Assurer la fourniture à court terme
(facilité si existence d’un « Chapter 11
») ; renvoyer la fourniture à long
terme aux procédures standard
NON
Quelle est la nature des
rendements pour l’activité
concernée ?
Rendements croissants
Créer un monopole
régulé ; bien fixer les
objectifs et moyens de
régulation (cas du
monopole mondial...)
OUI
Rendements décroissants
La solution du monopole
régulé est-elle possible ?
Le groupe à aider a-t-il
déjà été soutenu ?
NON
Aide ponctuelle et
plan de
redressement
NON
NON
Au niveau mondial, la rationalisation de la production (qui
conduirait à l'existence d'un nombre très limité
d'entreprises, voire une seule) l’emporte-t-elle sur les
gains permis par la concurrence (prix, qualité, ...) ?
OUI
(problème
d’aléa
moral si
aide
répétée)
Refus de l’aide ; les autorités de la
concurrence doivent autoriser la
reprise des activités par un
concurrent
Le groupe est-il viable ?
NON
(s’il est mondialement optimal de fermer le groupe, tel n’est
pas forcément le cas à l’échelle française ou européenne )
OUI
OUI
Si le groupe à aider
disparaissait, la nouvelle
répartition géographique
des surplus serait-elle
acceptable ?
OUI
NON
NON
Peut-on négocier un
transfert de surplus (e.g.
obtenir des compensations
par ailleurs, ou devenir
actionnaire des producteurs
concurrents à l’étranger) ?
OUI
9
II - Politique industrielle et politique
de la concurrence : le cas des aides
aux entreprises en difficulté
II.1 - Le discrédit et l'effacement progressif
de la politique industrielle entendue au sens
traditionnel
La notion d'aides d'Etat recouvre en droit
communautaire tous les avantages directs ou
indirects d'origine publique alloués à une entreprise
ou à un secteur d'activité en situation
concurrentielle. Elles sont a priori interdites dans la
mesure où elles faussent le jeu de la concurrence ;
des Etats pourraient les utiliser aux mêmes fins que
des barrières douanières, après le démantèlement
de celles-ci, et se livrer à une surenchère aussi
coûteuse que stérile. Elles contrarient donc
l'intégration européenne et la construction du
marché unique. Il tombe aussi sous le sens que la
concurrence fonctionne si elle sanctionne, c'est-àdire si elle peut se traduire par la faillite ou le
retrait des moins compétitifs. Ces aides se
traduisent donc a priori par des pertes
d'efficacité.
Les dérogations à cette prohibition de principe
concernent les mesures de soutien aux régions
en difficulté et de politique industrielle dite
"horizontale" (promotion de la création
d'entreprises, du développement des PME, de la
R&D, de la protection de l'environnement, de la
formation etc…). Elles trouvent leur fondement
théorique dans l'existence de défaillances de
marché (externalités, asymétries d'information et
donc notamment rationnement du marché du crédit
etc…).
A contrario, sont jugées suspectes les politiques
"verticales", qu'elles prennent la forme de
plans sectoriels, d'aides aux entreprises en
difficulté, ou encore de promotion de
"champions" nationaux ou européens. Bien que
le terme soit évoqué dans le traité de Maastricht, la
politique industrielle au sens strict n'a guère eu
jusqu'ici de place dans l'édifice juridique
communautaire. D'ailleurs, la Commission veille
scrupuleusement au caractère horizontal des
politiques communautaires elles-mêmes. Ainsi,
limite-elle le soutien du budget européen à la
recherche pré-compétitive, de sorte qu'il n'a guère
eu d'effet structurant sur l'économie européenne,
contrairement à celui qu'apportent les agences
fédérales à la recherche industrielle des firmes
américaines.
10
Dans le cas d'entreprises en difficulté financière
pour lesquelles on estime que laisser faire le
marché serait préjudiciable, il faut se demander
pourquoi, si l'outil de production est efficace (et en
particulier dans sa configuration actuelle, par
exemple du fait de complémentarités entre activités
qui justifieraient de prévenir son démantèlement),
le système financier ne joue pas son rôle en
prenant les décisions nécessaires pour maintenir
l'entreprise à flot, tout en lui imposant les
changements de gestion (et de gestionnaires)
souhaitables. En tout état de cause, la solution de
premier rang consiste à remédier à un éventuel
dysfonctionnement de marché - ici du crédit plutôt qu'à en pallier les effets, ce qui passe,
comme on le voit encore une fois, par des
politiques horizontales.
De fait, l'échec de plans sectoriels comme celui de
la machine-outil, le coûteux acharnement
thérapeutique mené dans le passé sur quelques
entreprises non-compétitives, et l'arbitraire évident
de certains jeux de "meccanos industriels" ont pu
déconsidérer ce type de politiques. En France, la
décision des pouvoirs publics, en 1983, de ne pas
venir au secours du leader national de la
mécanique lourde, Creusot-Loire, mais seulement
des salariés et des sites concernés, en mettant
œuvre des politiques de reconversion, a semblé
consacrer l'abandon des politiques sectorielles
au profit des politiques d'environnement
compétitif, avant même que le droit de la
concurrence européen ne prenne l'importance qu'on
lui reconnaît aujourd'hui, et ne consacre cette
situation.
II.2 - La politique industrielle ne manque
pourtant pas de fondements théoriques
solides
A) On peut repartir du cas évoqué précédemment
d'une entreprise menacée de faillite, bien
qu'économiquement viable. Il y a eu, en effet, trop
de cas de grandes sociétés dont la valeur de marché
a pu devenir quasi-nulle avant qu'elles ne se
rétablissent brillamment, souvent en quelques
années et notamment grâce à un soutien public,
pour considérer cette situation comme une vue de
l'esprit ou une rareté (cf Air France, Thomson
Multi Média…)
Comme on l'a dit, les meilleures solutions
devraient a priori prendre la forme de mesures
générales, en l'occurrence de remédiation à des
imperfections du marché du crédit. Toutefois :
- on peut d'abord parfois douter de l'existence de
telles solutions pour la raison que ces difficultés
ne sont pas à proprement parler des imperfections
de marché. Que faire quand la menace de
faillite tient à un horizon d'action trop court
(en tout cas plus court que celui de la collectivité)
et à une aversion au risque trop grande des
établissements financiers, de même qu’à leur
difficulté à se coordonner(4) ?
- on peut ensuite douter de la possibilité à
mettre en œuvre des remèdes efficaces de ce
type. Qu'on pense par exemple aux fluctuations.
Comme celles-ci ne peuvent pas ne pas avoir
d'influence (pro-cyclique) sur les politiques
menées par les établissements de crédit, on ne
voit donc pas comment, lors de chaque phase de
ralentissement conjoncturel, un certain nombre
de grandes entreprises économiquement viables
ne seraient pas privées d'un soutien financier
pourtant justifié. On n'a pas constaté par le passé
que le système financier permettait toujours de
lisser les à-coups conjoncturels - sinon certaines
entreprises ne se trouveraient pas régulièrement
dans l'obligation de réduire leur endettement
quand la conjoncture économique générale se
dégrade, ce que l'on peut supposer temporaire…
- enfin, les imperfections de marché peuvent
différer par leur nature et leur ampleur d'un
secteur à l'autre, ce qui limite la pertinence de
politiques horizontales. Comment prendre en
compte efficacement les spécificités de la
pharmacie et de l’aéronautique si on ne dispose
que des mêmes outils dans les deux cas ?
B) La portée de ces arguments excède de beaucoup
le soutien aux entreprises en difficulté ; ils militent
en faveur du recours à une politique industrielle en particulier le dernier.
Des rendements
d'échelle croissants, le caractère oligopolistique
de certains marchés, l'importance des effets
d'apprentissage, à l'origine de rentes
technologiques - concentrées dans certaines
entreprises ou, plus souvent, qui bénéficient à des
pans entiers de l'économie nationale du fait
d'externalités(5), toujours en partie localisées l'existence de ces dernières, peuvent justifier des
mesures ciblées, dans le souci du bien-être
européen voire mondial.
Ainsi les subventions versées à Airbus ont permis
de réduire la rente de Boeing, au profit des
producteurs
européens
mais
aussi
des
consommateurs de toute la planète en contribuant à
la baisse des prix (et dans le même temps à
l'accroissement de la variété des produits offerts).
Naturellement, le renforcement de la compétition
induisant une diminution de la rente mais non sa
disparition, l'augmentation du bien-être de l'UE
tient aussi au fait qu'elle s'approprie une partie de
cette dernière.
De ce fait, on peut même concevoir que certains
projets (d’accords entre entreprises ou de
concentrations par exemple) réduisent la
concurrence au détriment des consommateurs,
notamment européens, mais que l’accroissement
du surplus des producteurs (actionnaires,
gestionnaires et salariés) de l’Union qui résulte
de l’augmentation de leur pouvoir de marché
excède cette perte, d’où un gain du surplus total
des agents européens. C’est que cet accroissement
correspond aussi en partie à une ponction sur les
surplus des consommateurs extra-communautaires.
On peut également imaginer qu’il se fasse au
détriment des producteurs extra-communautaires,
si le renforcement de l’entreprise européenne
concernée lui permet à terme de les évincer ou de
leur prendre des parts de marché substantielles. Si
Microsoft avait été européen et non pas américain,
à supposer que la logique de standardisation dans
ce secteur devait aboutir à la domination d’une
seule grande entreprise, le consommateur n’en
aurait pas pour autant nécessairement bénéficié de
prix plus bas, mais l’économie européenne serait
aujourd’hui plus puissante.
Ces deux scénarios, en général cumulatifs, peuvent
constituer des arguments à l’appui de politiques en
faveur de « champions européens ». Ceci, encore
une fois, sous la réserve de la nature effectivement
particulière des marchés concernés, mais les cas
sont trop nombreux et importants pour que l’Union
puisse ne pas se poser la question de la conduite à
tenir dans de telles configurations.
______________________________
(4) On connaît en particulier le danger des comportements
mimétiques, qui peuvent pourtant, sous certaines hypothèses,
apparaître rationnels.
(5) D'où une incitation insuffisante à investir. Il peut se faire
que l'importance de ces externalités minore structurellement le
taux de profit d'un secteur ou d'un échelon donné d'une filière
de production, et donc que la rente soit entièrement accaparée
par d'autres.
11
C) Or, il arrive
que les services de la
Commission s'en tiennent au surplus des seuls
consommateurs. Il suffit, par exemple, que le
profit que retireraient les consommateurs d’une
opération de concentration lui apparaisse douteux –
soit que les gains d’efficacité liés à celle-ci, soit
que leur transmission aux clients, restent par trop
limités et hypothétiques à ses yeux – pour qu’il y
ait toutes chances qu’elle s’y oppose. Ne
demeurent alors dans la balance que les effets
jugés a priori négatifs du renforcement du pouvoir
de marché des entités fusionnées ou de la création
d’une position dominante à leur bénéfice.
Les outils conceptuels nécessaires à la défense
des intérêts européens ne sont pas toujours
disponibles dans des cas qui relèvent de la
création, du partage ou de la consolidation de
rentes, en particulier technologiques, au niveau
mondial.
Se focaliser sur le surplus du consommateur, au
motif que lui seul importerait in fine, conduit à
négliger la complexité des marchés se
caractérisant à la fois par une concurrence (très)
imparfaite – sans qu’il y ait de remède réaliste à
cette situation – et par leur nature mondiale. Si
toute amélioration de la situation des producteurs
européens est supposée se faire au détriment de
celle des consommateurs européens, ce qui est
souvent inexact, elle apparaîtra naturellement a
priori suspecte et ne pourra constituer un argument
en renfort de l’opération. Pour qu’il en aille
autrement, il faut effectivement prendre en compte
des considérations de politique industrielle –en
s’intéressant à la problématique qui vient d’être
décrite et ce, dans une perspective dynamique; les
positions dominantes sur les marchés
technologiques mondiaux de demain se gagnent
pas des « politiques de puissance » aujourd’hui.
Cet élargissement du champ de l’analyse oblige à
se poser la question de la nationalité des
entreprises. Il importe plus précisément de savoir
qui s’approprie cette rente, comment se répartit le
surplus des producteurs. De fait, elle peut s’avérer
compliquée, le pouvoir de décision, le capital
social, la base productive pouvant se trouver
éclatés entre plusieurs régions du monde. En
pratique, il est rare qu’on ne puisse assigner à un
grand groupe une appartenance géographique ; en
particulier, on peut généralement déterminer si
elle mérite le qualificatif d’ « européenne » (à
défaut de pouvoir être rattachée facilement à un
Etat membre), d’après la localisation de son siège
social, de son appareil de production et la
nationalité de ses salariés. Les entreprises
mondiales ne sont pas nécessairement « globales »
- loin s’en faut.
12
Au total, on voit bien que les politiques
"horizontales" risquent, dans ce type de situation,
de n'exercer que des effets d'aubaine et de se
résumer à un saupoudrage inefficace.
A noter que les aspects sociaux ne sont pas
discutés ici, quoique le coût des plans de
reconversion puisse justifier un calcul économique,
le mettant en rapport avec celui d'une opération de
soutien industriel, à condition que celle-ci reste
temporaire. Il en va de même des préoccupations
d'aménagement du territoire, alors que l'on pourrait
également se soucier de la répartition optimale des
activités sur le territoire d'un point de vue
purement économique - par exemple en prenant en
compte certaines externalités négatives liées à de
trop fortes disparités entre régions ou à une
spécialisation trop poussée.
II.3 - Au final, les cas particuliers de la
théorie standard, qui en pratique se
multiplient, invitent à considérer un autre
paradigme, de nature plus "évolutionniste".
A) Une approche de nature sectorielle est rendue
nécessaire par le fait que la compétitivité des
entreprises ou d'un ensemble d'entreprises ne
constitue pas seulement le résultat de l'initiative
des firmes individuelles, s'adaptant aux signaux du
marché, mais aussi d'agencements systémiques
entre institutions et entreprises - qui mettent en jeu,
par exemple, les rapports entre celles-ci et le
système de formation professionnelle, le monde de
la recherche académique, ou encore les grands
donneurs d'ordre public, comme les ministères ainsi
qu'entre
entreprises
aux
activités
complémentaires voire proches (cf les districts
industriels italiens), qui dépassent le cadre des
seules relations de marché.
Les avantages comparatifs étant socialement
construits et de nature dynamique, l'histoire
compte. On parle de "trajectoire technologique".
Il importe à la fois d'entrer sur un nouveau
marché parmi les premiers, en particulier quand
l'échelle
efficace
de
production
limite
drastiquement
le
nombre
d'entreprises
potentiellement rentables dans un secteur donné.
De même, il s’agit de ne pas se faire évincer de
marchés stratégiques pour les échanges et la
croissance futurs. Le souci de l'efficacité
allocative et productive ne doit pas faire perdre de
vue qu'il existe des industries ou des métiers
durablement plus dynamiques, rémunérateurs et/ou
qui exercent des effets d'entraînement sur le tissu
économique proche. Même si l'on peut encore
trouver les mêmes produits aux même prix, les
conséquences négatives de la fermeture d'une
grande entreprise excèdent le périmètre de cette
dernière, c’est-à-dire de ses salariés et de ses
actionnaires.
Des mesures de type "défensif" peuvent donc
s'insérer dans le cadre d'une véritable politique
industrielle dans des cas où les pertes de savoirfaire risqueraient d’être largement irréversibles
et où tout effort pour reconstituer une base de
production nationale s'avèrerait beaucoup plus
coûteux que le sauvetage d'une entreprise ayant
déjà accumulé un important capital physique et
humain.
L'effet d'hystérésis de semblables faillites apparaît
d'ailleurs d'autant plus dommageable que
l'apparition puis le développement très rapide de
jeunes entreprises innovantes, prenant rang en
quelques années parmi les plus grands groupes
mondiaux se révèle un phénomène beaucoup plus
rare dans l'Union européenne qu'aux Etats-Unis.
Parmi les 25 plus grandes sociétés américaines
d'aujourd'hui, 19 ont été créées après 1960 ; dans le
cas des 25 plus grandes sociétés européennes,
aucune.
B) A cet égard, on pourrait objecter que ce
déficit tient peut-être à un renouvellement
insuffisant du tissu des grandes entreprises
européennes et que ce genre d’intervention
publique irait donc dans le mauvais sens. Plus
généralement, les entreprises installées bénéficiant
de trop de protections, les jeunes pousses auraient
du mal à se développer et à remettre en causes les
positions acquises, ce qui nuirait également à
l’incitation à la prise de risque. L’argument se
trouverait alors retourné.
Toutefois, il apparaît hasardeux d’imputer
principalement cette différence observée entre les
deux rives de l’Atlantique au soutien qu’apportent
les pouvoirs publics européens à leurs
« champions », en particulier dans le cadre
d’opérations de sauvetage, dans la mesure où l’Etat
américain n’est sans doute pas moins actif à cet
égard. Parmi les handicaps dont souffrent les
jeunes entreprises européennes, par comparaison
avec leurs homologues américaines, on doit aussi
citer un cloisonnement persistant des marchés
nationaux, un degré plus élevé de réglementation et
un moindre développement du capital-risque. Cette
objection possible n’en met pas moins en lumière
la nécessité de poser des conditions à ces mesures
« défensives », tenant notamment à la valeur des
savoir-faire en jeu (cf infra).
C) Dans le cadre de cette approche, qui confère un
rôle essentiel au volontarisme des acteurs, on peut
aussi considérer qu'importent non seulement le
maintien de la base productive sur le sol d'un
pays donné mais aussi la nationalité du capital
du groupe, si l'on juge que l'autonomie de décision
et le regroupement des différentes activités de
l'entreprise au sein d'un même ensemble sont
vitaux pour l'avenir. Maintenir le plus possible de
centres de décision en France contribue notamment
à la maîtrise des choix technologiques nationaux
(même s'il faut rappeler que la notion de choix
recouvre aussi celle de sacrifice : on ne peut pas
tout faire). En cas de rachat par un groupe étranger,
et/ou de ventes par appartements, certains
redoutent en effet une délocalisation des savoirfaire ou une perte progressive de substance
(disparition de certaines synergies, priorité donnée
aux sites étrangers).
Il est vrai que la mondialisation du capital
bénéficie aussi aux entreprises françaises et
européennes. Elles peuvent acquérir des savoirfaire ainsi que toute sorte d'actifs immatériels à
l'étranger, pour les mettre au service de stratégies
décidées dans notre pays ou sur notre continent. Il
y a donc un choix à faire - mais sans doute aussi,
au préalable, un constat à dresser : les marchés de
la propriété des entreprises sont-ils aussi ouverts
hors d'Europe que dans l'Union ? Le souci de
l’ouverture du capital des entreprises et de
limitation des interférences des pouvoirs publics
(sous la forme de "golden share" etc…) au sein de
l'Union, n'a-t-il pas créé une asymétrie, dans la
mesure où les sociétés et les investisseurs extracommunautaires en profitent également, parfois
sans contrepartie de la part de leurs pays
d'origine ?
Il s'agit là d'un point de discussion tout à fait
essentiel. En effet, si en dépit de la situation
financière du groupe, l'outil de production restait
lui-même compétitif, d'aucuns objecteront que des
repreneurs ne manqueraient pas de se présenter.
Pour justifier l'intervention de l'Etat, il faut en
effet pouvoir exciper du fait que les procédures
normales aboutiraient à un résultat sousoptimal, bien que ne conduisant que rarement à
des liquidations pures et simples dans le cas de
grands groupes, mais plutôt à leur démantèlement.
En clair, il s’agit de démontrer qu’un intérêt
supérieur s’attache à la nationalité de ceux-ci et à
leur intégrité.
13
II.4 - Ces fondements théoriques doivent
aussi s'énoncer comme les conditions d'une
intervention appropriée.
A) L'étude des situations de concurrence imparfaite
a donc permis de donner à la politique industrielle
les fondements théoriques qui lui manquaient, ce
qui signifie qu'elle possède une légitimité mais
aussi que sa mise en œuvre dépend de conditions
d'application claires. Par le passé, des interventions
de nature trop "politique" n'ont a contrario pu
qu'alimenter un certain scepticisme sur leur bienfondé économique.
Ces conditions touchent à l'état et à la
dynamique des marchés et à l'entreprise, qui
doit se trouver le moins éloignée possible de la
frontière technologique. L'idéal est que les
difficultés rencontrées ne tiennent pas à un manque
d'efficacité productive et à une perte de
compétitivité mais seulement à des erreurs de
gestion financière. Ces dernières appellent certes
une sanction, mais a priori pas sous une forme
allant jusqu'au remodelage de l'outil de production.
Cette description correspond pour l’essentiel aux
difficultés récentes de France Télécom. Un autre
cas de figure à envisager est celui d’un
effondrement conjoncturel de marchés que l'on sait
très cycliques, ce qui recouvre en partie l’origine
de la crise d'Alstom. De fait, on pourrait trouver
anormal, du strict point de vue de l’efficacité
productive et de la bonne allocation des ressources,
que dans un secteur où toutes les grandes
entreprises souffrent d'un repli général des
commandes, la sélection se fasse sur le seul critère
de la surface et de la solidité financières. Enfin, le
cas de secteurs structurellement surcapacitaires,
comme, par le passé, la sidérurgie ou les chantiers
navals, appelle une action de restructuration à
l'échelle le plus large possible, si possible du
marché lui-même - notamment dans le souci, cette
fois-ci, que survivent les producteurs les plus
efficaces et non pas les plus subventionnés par
leurs autorités nationales.
A rebours, sauver une entreprise devenue
structurellement non-compétitive ou soutenir
pendant des décennies une entreprise qui n'arrive
pas à faire sa place sur le marché n'a évidemment
pas de sens. Tel est peut-être le cas de Bull, même
si les perspectives de croissance du marché de
l'informatique pouvaient justifier initialement une
stratégie volontariste de développement d'un
secteur national. Une "mauvaise" politique
14
industrielle n'est pas nécessairement une politique
dépourvue des fondements mais souvent une
politique qui repose sur une appréciation erronée
des enjeux économiques et technologiques dans un
secteur à un moment donné. Cette évaluation
initiale, dans le cas d'un grand groupe en
difficulté, est compliquée par le fait qu'il gère en
général un portefeuille de produits, certains
d'entre eux, compétitifs - les "vaches à lait" pouvant servir à combler en partie les pertes
imputables à d'autres. Il importe que l'intervention
publique n'ossifie pas la structure des groupes,
au risque de subventions croisées préjudiciables
à tous égards pour la concurrence, mais au
contraire accélère les redéploiements souhaitables.
Il faut parfois un « Etat-chirurgien » plutôt que
« brancardier ».
B) L'indispensable effort de diagnostic et de
pronostic préalables s'avère un exercice
particulièrement délicat et périlleux. Les pouvoirs
publics risquent, en effet, d'imposer aux
marchés une vision plus ou moins arbitraire des
choses, au risque de faire fausse route, alors que
leur intervention a un coût certain (celui des
ressources financières mobilisées, des distorsions
provoquées par les instruments principalement
fiscaux utilisés pour les recouvrer), ou même de
sélectionner la technologie qui se diffusera,
indépendamment de ses qualités intrinsèques,
comme cela peut arriver lors de phases initiales de
développement, dites de « bataille de standard ».
La nécessité de négocier avec la Commission
européenne un plan de restructuration pourrait
fournir l'occasion d'un examen approfondi de
celui-ci dans cette optique. Cependant, les mesures
imposées par cette dernière paraissent en général
moins inspirées par le souci de l'efficacité
industrielle de l'entreprise restructurée, que par la
volonté de restreindre à toute force son périmètre
et son poids sur le marché, dans la mesure où sa
survie serait en soi une atteinte au jeu de la
concurrence. Le terme de "compensations" utilisé
dans de telles occurrences est assez révélateur. Il
ne s'agit pas principalement d'obliger l'entreprise à
se défaire des unités les moins productives, qui ne
méritent effectivement pas d'être soutenues, mais
de réduire son pouvoir de marché, et donc
d’augmenter celui de ses concurrents, « lésées »
par l’intervention publique. Cette approche
apparaît d’ailleurs contradictoire avec le primat
accordé à la concurrence et au bien-être des
consommateurs.
C) Par ailleurs, il convient que les modalités du
soutien public permettent de limiter, autant que
faire se peut, les phénomènes d'aléa moral.
D'abord, il ne doit pas être de nature
inconditionnelle, comme on l'a vu, mais se fonder
sur le résultat d'une analyse objective de la
situation et des perspectives du groupe concerné.
Cette dernière peut conduire à la conclusion que la
collectivité publique n'a pas à faire plus que mettre
en œuvre un dispositif d'accompagnement social
et/ou local, ou que le plan de redressement doit
prévoir la fermeture de certaines unités de
production, la cessation ou la cession de certaines
activités. Il ne faut pas que s’applique un
principe simpliste, « too big to fail », et qu’il
imprègne les esprits, en particulier des
gestionnaires.
Ensuite, la sanction de l'équipe managériale, doit
être la même que dans le cas d'une faillite ou d'un
démembrement. L’intérêt et la viabilité
économique de l’entreprise, s’ils justifient d’agir
pour sa survie et son intégrité, ne doivent pas
exonérer ses dirigeants de leurs responsabilités.
Conclusion
Dans ce texte, on retrouve souvent des arguments
comparables à ceux utilisés par Krugman en faveur
des "politiques commerciales stratégiques". De
fait, la politique industrielle verticale dont il est
ici question ne constitue qu'un volet d'une
action de modelage, remodelage ou préservation
du tissu productif qui devrait également
mobiliser :
- la politique technologique. Celle-ci se distingue
de la politique transversale d'aide à la R&D, et
implique notamment une politique de promotion
de la coopération entre firmes d'un même secteur,
qui nuance l'a priori négatif qu'on peut avoir
envers les ententes, et à rebours d’une conception
naïvement linéaire des relations entre la
recherche, l’innovation et la production,
- la politique commerciale,
- ainsi, naturellement, que celle de la
concurrence, notamment dans le domaine des
concentrations - la politique de la concurrence
ne devant pas se limiter à l'application mécanique
d’un droit mais prendre en compte l’objectif
d’efficacité économique en tant que tel, ce qui
peut impliquer des choix et la mise en œuvre de
stratégies.
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