Isolement des patients atteints de tuberculose à germes

INT J TUBERC LUNG DIS 13(10):1200–1209
© 2009 The Union ARTICLE DE REVUE
Isolement des patients atteints de tuberculose à germes
ultrarésistants aux médicaments : un équilibre entre
la protection des systèmes de santé, les droits individuels
et la santé publique
L. London
Health and Human Rights Programme, School of Public Health and Family Medicine, University of Cape Town,
Cape Town, South Africa
Auteur pour correspondance : Leslie London, Health and Human Rights Programme, School of Public Health and Family
Medicine, University of Cape Town, South Africa. Tel : (+27) 21 406 6524. Fax : (+27) 021 406 6163. e-mail : leslie.london@
uct.ac.za
Dans le contexte d’une expansion de l’épidémie tuberculose (TB) et virus de l’immunodé cience humaine (VIH) en
Afrique du Sud, la mise en œuvre de l’hospitalisation pour la TB extensivement résistante pose de nombreux dilemmes
éthiques et de droits humains, particulièrement parce qu’elle efface les droits humains de l’individu en faveur du bien
public. Toutefois, cette dichotomie peut aussi bien être conçue comme une compétition entre les prétentions des
droits et les obligations des droits de l’Etat en matière de lutte contre les maladies infectieuses. Des analyses super-
cielles des problèmes éthiques et de droits dans le traitement des patients tuberculeux résistants aux médicaments
sont susceptibles de faire plus de tort que du bien. Cet article plaide en faveur d’un dialogue plus nuancé concernant
ces choix dif ciles de politique, en fournissant une analyse plus soigneuse des droits humains, en utilisant des con-
textes analytiques bien admis pour démêler les critères potentiels qui pourraient justi er la limitation des droits indi-
viduels. De manière générale, les hospitalisations imposées ne devraient être prises en considération que dans des
situations très rares où un risque clairement dé ni existe pour une ou plusieurs tierces parties, risque basé sur des
preuves et admis après prise en considération soigneuse des alternatives disponibles. Des stratégies basées sur la col-
lectivité doivent être développées pour faire face à la lutte contre l’infection sans arriver dans la plupart des cas à une
hospitalisation forcée, particulièrement dans les contextes à haute prévalence typiques dans beaucoup de pays en
développement. Même lorsque l’hospitalisation imposée est indiquée, il est nécessaire que l’on adhère strictement à
des procédures administratives justes. La collocation n’a pas sa place comme stratégie plus large de lutte contre l’épi-
démie, lutte qui dépend d’une implication persistante dans l’amélioration du fonctionnement des systèmes de santé et
dans les actions prises pour faire face aux investissements abyssaux en matière de recherche et de développement des
médicaments qui s’imposent pour les maladies négligées au niveau mondial.
MOTS-CLES : droits de l’homme ; éthiques ; TB ; résistance aux médicaments
EN AFRIQUE DU SUD, les épidémies de tuberculose
(TB) et du virus de l’immunodé cience humaine (VIH)
continuent à confronter le système de santé à
d ’énormes dé s en matière clinique et de fourniture
de services, et plus récemment à une série de dilemmes
en matière éthique et en matière de droits de l’homme.
En particulier, les taux croissants de la TB à la fois pul-
monaire et extra-pulmonaire, stimulés par un fardeau
énorme du VIH, ont été de pair avec une augmenta-
tion du fardeau des cas de TB à germes multirésistants
(TB-MDR)1 et à l’émergence de mini-épidémies de TB
à germes ultrarésistants (TB-XDR) dans l’ensemble du
pays,2–5 caractérisées dans la presse populaire comme
constituant « la pire des craintes » pour les agents de
santé.6
Le pronostic de la TB-XDR est extrêmement mé-
diocre.7,8 Les estimations de guérison sont actuelle-
ment spéculatives et on cite un taux de mortalité de
80%.9 Les résultats sont certainement beaucoup plus
médiocres que dans le cas de TB sensibles aux médi-
caments, où la mortalité est actuellement de 50% ou
moins en Afrique du Sud.10 Sur les 53 patients XDR
traités à Tugela Ferry dans la Province de KwaZulu-
Natal, tous sauf un sont décédés dans les 4 semaines,
ce qui a suscité la description d’une affection incu-
rable.11–13 Les coûts du traitement pour la TB-MDR,
et particulièrement pour la TB-XDR, sont prohibitifs,
car celui-ci comporte des régimes dif ciles à admini-
strer, pénibles et comportant des risques élevés d’effets
collatéraux. Le traitement est typiquement beaucoup
plus long et exige des admissions pour des périodes
allant jusqu’à 2 ans ; il coûte environ 300 fois plus
[Traduction de l’article : « Con nement for extensively drug-resistant tuberculosis: balancing protection of health systems,
i ndividual rights and the public’s health » Int J Tuberc Lung Dis 2009; 13 (10): 1200–1209]
RÉSUMÉ
2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
que celui d’une TB à germes sensibles.10 De plus, l’im-
pact de la co-infection tuberculeuse sur la progression
de la maladie chez les sujets atteints par le VIH signi-
e qu’une augmentation de la TB-XDR peut exacer-
ber de manière signi cative l’épidémie de VIH/SIDA
(syndrome d’immunodé cience acquise).9
Dès lors, la signi cation de la TB-XDR en matière
de santé publique est substantielle, non seulement
en termes de survie des patients individuels, où elle
est conçue quasiment « comme une condamnation à
mort »,11 mais aussi pour les risques potentiels qu’en-
courent les membres de la famille et les contacts
étroits et, nalement, aussi en termes de risques de
dissémination dans le réservoir infectieux d’Afrique
du Sud et de ses conséquences pour le système de
santé. Par exemple, on cite un of ciel de la santé qui
décrit la TB-XDR comme une « guerre biologique »
qui, si on la perd, risque de « décimer la popula-
tion ».14 Dans la population d’Afrique du Sud, déjà
rendue vulnérable par une séroprévalence du VIH qui
dépasse 30% chez les adultes en âge de reproduc-
tion, la TB-XDR éveille le spectre d’une épidémie
incu rable entraînant une escalade de dévastation so-
ciale et économique jamais connue antérieurement.
De telles pré dictions du type « jugement dernier »
ne sont pas uniquement le produit du sensation-
nalisme des journaux6,11,15 elles se retrouvent égale-
ment dans les avertissements plus sobres d’une me-
nace de désastre énoncés par toute une série de
sources scienti ques.16–19
Dans ces circonstances, il n’est peut-être pas éton-
nant que l’Afrique du Sud ait connu la réapparition
d’actions coercitives de santé publique comme des
décisions des tribunaux imposant à des patients XDR
le traitement et/ou une admission forcé dans les hôpi-
taux.10 Ces actions des tribunaux ont été largement
diffusées dans la presse et ont attiré l’attention au
niveau national20 et international :6,9,10,14,15 elles ont
comporté des statistiques sauvagement mal citées sur
la fréquence des cas XDR,21 des af rmations d’une
menace pour des millions de vies en Afrique du Sud,22
et des avertissements spéciaux de conseils de santé
adressés aux étudiants qui se rendent en Afrique du
Sud pour des études.23 Malheureusement, une grande
partie de la couverture des média publics s’est focalisée
sur les aspects les plus sensationnels d’un dilemme
qui est complexe,24 et elle a réduit les choix à une
décision binaire simpliste entre le bien public et les
droits de l’homme chez les patients individuels.
Cet article af rme que les analyses super cielles
des problèmes de droits de l’homme et des problèmes
éthiques dans la prise en charge des patients TB à
germes résistants sont plus susceptibles de faire du
tort que du bien, et il propose un dialogue plus nuancé
au sujet de ces questions dif ciles. En particulier, il se
focalise sur l’application d’une analyse des droits de
l’homme qui reconnait les droits tant des individus
que ceux des collectivités et qui admet que la protec-
tion de la santé publique est une obligation de droit
très spéci que qui s’impose à l’Etat. Ce cadre donne
la possibilité d’explorer quand il est légitime de limi-
ter les droits humains individuels dans l’intérêt du
bien public avec comme exemple les dilemmes autour
de l’hospitalisation forcée pour TB-XDR. Alors que
cet article se focalise sur l’Afrique du Sud comme cas
primaire, il est évident que la question d’internement
pour maladie infectieuse est un phénomène mon-
dial.25 Le recadrage d’une approche plus sensible aux
droits pour le problème de la TB-XDR pourrait bien
être utile dans d’autres contextes, particulièrement
dans les pays en développement qui doivent faire face
à la fois à des ressources limitées et à des taux très
élevés de prévalence du VIH et/ou de TB, ainsi qu’aux
dé s de systèmes de santé soutenables dans la durée.
LA SANTÉ PUBLIQUE ET LA
TRADITION AUTORITAIRE
L’idée de mettre en quarantaine les patients atteint de
maladies contagieuses est peut-être une des facettes
qui dé nit le mieux la tradition de santé publique ;26
elle a de profondes racines dans le « mouvement sa-
nitaire »27 de l’Angleterre en voie d’industrialisation
ainsi qu’également dans les civilisations anciennes.28
La connaissance des voies de transmission des épidé-
mies contagieuses a poussé les premiers pionniers à
établir comme un standard de pratique le principe de
séparation des sujets infectés par rapport aux non-
infectés. Le fait de considérer la ségrégation comme
la réponse sanitaire aux maladies infectieuses a été
remis en question au cours des récentes décennies par
la disponibilité de traitements pour de nombreuses
conditions : ces traitements constituent des alterna-
tives meilleures et plus ef cientes que la quarantaine.
De plus, l’épidémie de VIH a fait prendre conscience
du fait que la protection des droits de l’homme peut
être nécessaire à une bonne santé publique,29 en pro-
mouvant la prise en charge par les services de santé,
en améliorant l’adhésion thérapeutique et en créant
la con ance à l’égard des services de santé.30,31
Néanmoins, lorsqu’on se place dans la perspective
de la population, la pratique de la santé publique s’in-
spire fortement d’une tradition de contrôle centra lisé
avec restriction des choix individuels. Par exemple,
presque tous les règlements de santé publique compor-
tent la  xation de limites à l’autonomie individuelle
a n de protéger la santé de la population.31 Dans de
telles actions, une évaluation des risques et avantages
est toujours implicite, et elle requiert des jugements
de valeur basés sur la compréhension des risques.26
Il n’est pas étonnant que, pour cette raison, cer-
taines critiques aient pris position en af rmant qu’il
faut considérer que toutes les politiques de santé pu-
blique violent les droits de l’homme, sauf preuve du
con traire.29 Dans ce sens, les débats actuels au sujet
des hospitalisations forcées pour la TB-XDR18,32–35
Les droits de l’homme et l’isolation pour la TB-DR 3
évoquent un dilemme clé non résolu pour la santé pu-
blique : comment est-il possible de trouver un équi-
libre entre le bien public et la protection des droits
des individus infectés par la TB-XDR ?
QUE REPRÉSENTE LA TB-XDR ?
L’apparition de la TB-XDR représente fondamentale-
ment un échec du système de santé dans le traitement
ef cace des cas de TB.10,32,35 Typiquement, les patients
XDR sont des individus qui ont été traités pour TB à
de multiples occasions avec de fréquents abandons
ou rechutes, qui peuvent abandonner par eux-mêmes
le traitement lorsqu’ils se sentent mieux, ce qui contri-
bue à faciliter la résistance microbienne en raison de
traitements incomplets souvent répétitifs. Beaucoup,
mais pas tous ces sujets, sont vulnérables, sans abri,
utilisent des drogues dures et souffrent d’autres types
de désinsertion sociale. Le fait de dépendre d’alloca-
tions sociales comme seule source de revenus pour la
famille peut également avoir joué un rôle en encoura-
geant la non-adhésion au traitement par crainte de
perdre l’allocation en cas de guérison.36 Chez de tels
patients, le potentiel de stigmatisation est élevé car ils
sont souvent considérés comme étant problématiques
ou « récalcitrants ».26,37
Toutefois, les insuf sances critiques du système de
santé préexistent à l’émergence d’un cas de TB-XDR.
La nature des relations pourvoyeur-patient et la qua-
lité de l’environnement du traitement se sont avérées
un des facteurs les plus importants pour maintenir
une bonne adhésion thérapeutique du patient.38 Si
l’on se focalise uniquement sur les caractéristiques du
patient, on laisse échapper le contexte dans lequel il
cesse d’adhérer au traitement. De plus, les dé ciences
institutionnelles pouvant contribuer de manière cri-
tique à l’échec de l’accompagnement, du traitement
ou de la recherche des patients perdus de vue peuvent
provenir de mandats inoccupés, de l’insuf sance du
personnel, des compétences limitées du personnel dis-
ponible et d’une fourniture irrégulière ou inappropriée
des médicaments. De plus, le fait que les compagnies
pharmaceutiques aient négligé les recherches pour le
développement de nouveaux médicaments pour la
TB a laissé comme héritage une limitation des options
de traitement pour les patients chez qui apparaît
une résistance aux médicaments de première ou de
deuxième ligne.39 Un cadre de droits de l’homme doit
reconnaitre non seulement les antécédents immédiats
d’un problème, mais aussi les facteurs institutionnels
et contextuels qui doivent intervenir dans le choix
des décisions nécessaires à court terme.
EN QUOI CONSISTENT LES DROITS DE
L’HOMME ET QU’IMPLIQUENT-ILS ?
Les droits de l’homme peuvent être décrits comme
des droits qu’ont les gens du fait d’être des humains.
Ils prennent typiquement la forme d’exigences so-
ciales ou matérielles à l’égard de la société, exigences
qui sont universelles au travers des cultures et des
contextes et sont codi ées dans les lois nationales et
internationales. Par nature, ils visent à répondre à des
besoins fondamentaux et trouvent leur origine dans
les préoccupations concernant la protection des gens
à l’égard d’un Etat abusif, en limitant le pouvoir de
cet Etat sur les individus. Alors que le respect de la
dignité et des libertés de l’homme sont des droits
c ivils et politiques qui se situent au cœur du réseau
des droits, les droits aux biens et aux services socio-
économiques (les droits dits socio-économiques)
sont également importants et ne peuvent être isolés
des libertés civiles et politiques desquelles ils sont
interdépendants.
Béné cier d’un droit de l’homme implique pour
cette raison le devoir d’une tierce partie, et typique-
ment de l’Etat, de veiller à garantir ce droit. Les obli-
gations de l’Etat prendront différentes formes : 1) les
Etats doivent respecter les droits en évitant d’édicter
des lois qui par exemple sont discriminatoires à
l’égard de certaines personnes ou de certains groupes.
Dans ce cas, l’obligation de l’Etat est de caractère né-
gatif, c’est-à-dire qu’il doit éviter certaines actions.
2) Les Etats doivent protéger les gens de violations
perpétrées par des tiers ; c’est ce qu’ils font par de
multiples règlements de santé pour protéger les ci-
toyens des effets de la fumée de tabac environne-
mentale. 3) l’Etat doit veiller aux droits des citoyens
en prenant des mesures actives pour répondre à ses
obligations, comme budgéter et fournir des services
et de l’infrastructure, ce qui représente une obligation
positive qu’a l’Etat de mener des actions spéci ques.
La constitution d’Afrique du Sud est unique dans le
fait qu’elle comporte une quatrième obligation pour
l’Etat : la promotion des droits40 en donnant aux bé-
né ciaires des droits l’information et les mécanismes
qui leur permettent d’en béné cier ; sinon, les droits
restent des obligations théoriques sur papier dont les
gens ne béné cient pas et qu’ils n’utilisent pas.
Les droits doivent souvent être équilibrés, car ils
peuvent venir en con it l’un avec l’autre, et diffé-
rentes parties peuvent avoir des droits opposés. Dans
le premier cas, une action de l‘Etat pourrait violer les
droits de quelqu’un en vue de répondre aux obliga-
tions qu’a l’Etat de protéger, promouvoir ou com-
pléter d’autres droits. Par exemple, la mise en appli-
cation d’honoraires à payer par les utilisateurs des
services de santé peut avoir comme effet la violation
du droit de certaines personnes pauvres qui ne peu-
vent pas payer, et ceci a n d’arriver à un système de
santé plus stable à long terme et de cette façon, d’aider
à réaliser le droit à la santé pour un plus grand nom-
bre de personnes. De la même manière, la  uorisation
de l’eau courante peut violer les droits de choix de
l’individu en faisant prévaloir les droits à la santé de
l’ensemble de la population.41
4 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
Dans tous ces exemples, une base rationnelle s’im-
pose pour des compromis équilibrés dans une poli-
tique qui soit justi ée et justi able. La loi sur les
droits de l’homme répond à ces problèmes de diffé-
rentes manières. En premier lieu, la Convention Inter-
nationale sur les Droits Civils et Politiques (ICCPR)
reconnaît des circonstances dans lesquelles il peut y
avoir en toute validité restriction de droits, c’est-à-
dire les situations où la restriction vise à garantir la
reconnaissance et le respect des droits et des libertés
des autres, dans l’intérêt du bien public et dans les
circonstances d’urgence. En deuxième lieu, la Conven-
tion Internationale sur les Droits Sociaux, Econo-
miques et Culturels (ICSECR) oblige spéci quement
les gouvernements à prendre les mesures nécessaires
pour la prévention, le traitement et lutte contre des
maladies épidémiques, endémiques, professionnelles
ou autres.
Les orientations dans ce domaine peuvent être
trouvées dans les Principes de Syracuse adoptés par le
Conseil Economique et Social des Nations Unies en
1985 ; il a identi é les critères à remplir avant d’envi-
sager une limitation légitime des droits.42 Cet ensem-
ble de principes insiste sur le fait qu’une action qui
entraîne une limitation des droits (par exemple, une
hospitalisation obligatoire pour une maladie conta-
gieuse) devrait être menée dans un processus de trans-
parence qui peut être sujet à des contrôles légaux, qui
a un objectif fondamentalement légitime et qui de-
vrait répondre effectivement à l’objectif qu’il vise à
atteindre lorsque celui-ci ne peut pas être réalisé par
des stratégies alternatives qui empiètent moins sur les
droits de l’homme. Finalement, l’application de cette
politique devrait comporter des contrôles et des équi-
libres suf sants pour garantir que son application
n’est pas arbitraire ou discriminatoire.
Gastin et Mann43 ont développé davantage ce c adre
dans un outil qui comporte une série de questions
(Tableau 1) pour identi er les impacts des politiques
de santé sur les droits pour informer les décideurs
quant aux politiques appropriées et maximiser au sein
d’une politique les droits de l’homme et les avantages
de santé publique. Cet outil, en élaborant un cadre ex-
plicite, rend plus clair les suppositions qui se cachent
derrière les choix de valeur et oblige les décideurs po-
litiques à tenir compte des faits pour soutenir leurs
af rmations. Lorsqu’une telle évidence n’est pas dis-
ponible, cet outil permet de tester le caractère robuste
des suppositions qui doivent être faites en l’absence
d’un fait empirique à l’appui d’une af rmation.
Cet article examine à présent la question de l’hos-
pitalisation imposée pour la TB-XDR en Afrique du
Sud, comme souligné par Singh et al.,18 question par
laquelle les patients atteints de TB-XDR qui, après
avoir été conseillés de manière adéquate sur l’impor-
tance de l’admission, refusent toute hospitalisation et
pourraient être forcés par voie judiciaire à entrer dans
un hôpital préparé de façon adéquate en matière de
maîtrise de l’infection tuberculeuse.
HOSPITALISATION IMPOSÉE POUR TB-XDR
L’objectif de santé publique
La première étape de l’analyse consiste à clari er
l’objectif de santé publique d’une hospitalisation
forcée des patients atteints de TB-XDR. On peut avan-
cer quatre raisons possibles pour justi er le fait de re-
tenir de force les patients contre leur gré (Tableau 2).
Pour répondre dans quelle mesure ces raisons consti-
tuent des objectifs légitimes en termes des Principes
de Syracuse, il faut considérer dans quelle mesure de
tels objectifs, indépendants des méthodes choisies
pour les réaliser, répondent à une justi cation con-
traignante de santé publique. Il y a peu d’arguments
contre l’objectif qui vise à empêcher les patients d’en
infecter d’autres en limitant ainsi la transmission de
Tableau 1 Un cadre pour l’analyse des impacts des politiques
de santé publique sur les droits
1 Clarifi er l’objectif de santé publique
2 Evaluer l’effi cience probable
3 Les cibles de la politique sont-elles les bonnes ?
4 Examiner la politique en matière de poids sur les droits humains
(avantages ?)
5 Existe-t-il une politique moins restrictive qui puisse atteindre cet
objectif ?
6 Quelle est la base d’un standard signifi catif de risque ?
7 Les procédures administratives sont-elles correctes ?
Source : Gostin et Mann, 1999.43
Tableau 2 Objectifs potentiels d’une politique
d’hospitalisation forcée en cas de TB-XDR
Objectif
Bien-fondé
en santé
publique Possibilité d’effi cience
1 Prévenir l’infection
d’autres (individus
spécifi ques à risque)
Oui Ef cience limitée, dépendant
des mesures d’hygiène
dans les services. En
outre, transmission
maximale avant
l’hospitalisation des
patients. Uniquement
dans des cas spécifi ques.
Alternatives basées sur la
collectivité, urgentes et
possibles
2 Prévenir la
transmission de la
TB-XDR dans la
population (niveau
du système)
Oui Nulle, vu l’importance de
l’épidémie TB et VIH en
Afrique du Sud
3 Assurer l’adhésion
au traitement qui
peut contribuer à
1 et à 2, mais pas
inévitablement
Oui Douteux. En présence d’une
TB-XDR, peu d’espoir de
guérison
4 Répondre aux
réoccupations
du public
Non comme
objectif
principal
Pas pris en considération
TB-XDR = tuberculose à germes ultrarésistants aux médicaments ; VIH =
v irus de l’immunodéfi cience humaine.
Les droits de l’homme et l’isolation pour la TB-DR 5
la TB-XDR dans la population et en améliorant l’ad-
hésion thérapeutique. Toutefois, l’adoption de poli-
tiques de santé publique justi ée exclusivement par le
fait de rassurer le public par la prise de quelques me-
sures, ne constitue pas en soi une action légitime de
santé publique, sauf si elle réduit effectivement le far-
deau de santé publique. Sans la preuve qu’une action
de réglementation a quelqu’ef cience attendue, se
baser uniquement sur l’opinion publique constitue-
rait une action médiocre et potentiellement négative
qui donnerait une fausse sensation de sécurité et
ouvrirait la porte à des actions discriminatoires et
stigmatisantes. Pour cette raison, cet objectif poten-
tiel (celui considéré comme une réponse vigoureuse à
l’opinion publique pour apaiser ses craintes) ne sera
plus considéré dans l’analyse qui suit.
La possibilité d’effi cacité
La deuxième étape consiste à ré échir sur l’ef cacité
de la politique proposée en se basant autant que pos-
sible sur les données disponibles provenant de con-
textes directement applicables à la XDR ou de com-
plexes analogues. Si l’on considère l’objectif de la
limitation de l’infection vers d’autres, le fait d’écarter
les patients contagieux de contact avec les membres
de leur famille ou de contact étroit dans la collectivité
réduira le risque d’infection. Il y a toutefois deux
avertissements.
Premièrement, cette politique augmentera presque
certainement les risques de transmission nosocomiale
hospitalière vers d’autres patients et probablement
vers les pourvoyeurs de soins de santé. Par exemple,
la mini-épidémie de Tugela Ferry en Afrique du Sud
s’est accompagnée d’une transmission nosocomiale
où 85% des patients étaient porteurs de souches si-
milaires de mycobactéries.3 La mesure dans laquelle
la transmission au sein de l’hôpital peut être réduite
par des mesures d’hygiène n’est pas totalement évi-
dente. Alors que les études sur la transmission noso-
comiale de la TB suggèrent que le risque pour les pa-
tients peut être diminué de moitié et pour les agents
de santé jusqu’à 67%,44,45 de tels avantages sont plus
évidents dans les pays à revenus élevés.46 Le système
de santé d’Afrique du Sud, qui doit déjà se battre
pour faire face aux demandes de fournitures de soins
de santé, n’a pas de bonnes notes en ce qui concerne
la mise en œuvre de mesures de maîtrise de l’infection
pour réduire la transmission de la TB dans ses ser-
vices.10 L’opinion répandue que la réclusion des pa-
tients XDR serait susceptible d’augmenter la trans-
mission nosocomiale10,35 a dès lors un bien fondé
considérable, particulièrement lorsque les patients
MDR et XDR ne sont pas séparés. De plus, une
conséquence non voulue d’une telle politique consiste
à transformer l’agent de santé en un agent de contrôle
social, avec les impacts correspondants sur le moral
de l’agent de santé. La possibilité de maintenir l’interne-
ment des patients, souvent soucieux de s’échapper et
grossiers à l’égard de ceux qu’ils considèrent comme
leurs ravisseurs,5 est peut-être sous-estimée.
Deuxièmement, les patients atteints de TB-XDR
sont probablement les plus susceptibles d’avoir déjà
infecté leurs contacts étroits au moment où le diag-
nostic est obtenu.10 Les évidences provenant d’autres
contextes suggèrent une contagiosité élevée à la fois
dans la collectivité et dans les contextes hospitaliers,47
ainsi que le regroupement des génotypes en grappes.
Vu la médiocre qualité du dépistage et le fait que les
patients se présentent tardivement dans le Programme
TB d’Afrique du Sud,10 est-il raisonnable de conclure
que le fardeau de la transmission se serait déjà le plus
probablement produit au moment de la consultation ?
Par exemple, les évidences provenant d’une étude de
patients TB en Ethiopie suggèrent que la plus grande
part du retard au diagnostic ne provient pas de fac-
teurs liés aux patients mais est plutôt dû à des retards
du pourvoyeur de soins ou du système de santé.48
Comme il a été démontré que la TB à germes résis-
tants aux médicaments (DR) n’est pas plus con ta-
gieuse que la TB à germes sensibles aux médica-
ments,13,49 il est peu justi é de prétendre qu’une
contagiosité supplémentaire de la TB-XDR demande-
rait des mesures plus extrêmes.
Néanmoins, l’argument que la protection des
membres de la famille peut être acquise grâce à l’éloi-
gnement du patient du contexte du domicile pourrait
être avancé. Ceci sera ef cace pour autant que les
membres de la famille soient protégés par des mé-
thodes appropriées de protection lorsqu’ils rendent
visite à des patients en réclusion dans les services.
Toutefois, comme cela est survenu en Afrique du Sud,
cette politique a eu comme conséquence inattendue
des fuites fréquentes de patients exigeant un accroisse-
ment des ressources nécessaires pour maintenir cap-
tifs les patients hospitalisés,5,10,50 ressources qui pour-
raient être mieux utilisées pour le renforcement de
l’infrastructure de base en matière de TB. De plus, la
nécessité de garder les patients hospitalisés tombe
lorsque le traitement rend le patient non contagieux,
puisque l’objectif de protection des tiers à l’égard de
l’infection par une hospitalisation forcée n’existe
plus. La plupart des juridictions reconnaissent que la
détention prolongée de patients atteints de TB à ba-
cilles résistants (TB-DR) qui ne sont plus contagieux
pourrait être considérée comme extrêmement problé-
matique si elle était appelée en justice, même si on
s’attend à ce qu’ils abandonnent leur traitement par
la suite.25,28,51,52
Selon l’expérience des autorités d’Afrique du sud,
le problème n’est pas seulement d’obtenir que les
patients récalcitrants, constituant un risque pour les
autres, viennent à l’hôpital mais aussi d’obtenir que
les patients qui ont échoué dans tous les traitements
et pour lesquels aucune option thérapeutique n’existe
plus ne restent pas plus longtemps dans les hôpitaux
mais béné cient de soins palliatifs au domicile ou
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