Il faut noter d’abord une distinction importante entre le récit des Actes et les traditions du Sinaï.
Pour les traditions du Sinaï, c’est Dieu qui a parlé plusieurs langues. Le nombre a varié : 3 selon le Tg de Dt
33,2 (les langues d’Édom, d’Ismaël et d’Israël selon une autre source) ; enfin 70 selon la conception la plus
connue. Mais le but est le même : souligner que Dieu a proposé la Torah aux différents peuples, et que, pour
se faire entendre d’eux, il a parlé leur propre langue.
Dans les Actes, le parler en langues étrangères, celui de Dieu autrefois, est attribué maintenant aux
Apôtres. Il y a là une transformation considérable. Elle correspond il l’évolution que nous avons notée dans
la tradition juive, qui a attribué une part de plus en plus grande aux hommes, et à Moïse en particulier, dans
la proclamation de la Parole de Dieu.
Selon la conception juive la plus ancienne, Dieu a prononcé personnellement les dix Paroles. Puis on a
insisté sur le rôle intermédiaire de Moïse, du moins pour les huit dernières et pour le reste de la Torah. La
Parole de Dieu parvenait aux hommes à travers les prophètes, inspirés de Dieu. Ceux-ci n’inventent pas
leurs messages, ils les reçoivent de Dieu. C’est pourquoi la théologie rabbinique dira que tous les prophètes
se trouvaient au Sinaï.
Parallèlement, en concluant le récit de la première prédication à Jérusalem (Ac 5,42), Luc écrit au sujet des
Apôtres : « ils ne cessaient d’enseigner et d’annoncer la Bonne Nouvelle du Christ Jésus », ce que le
Targum du Ps 68,12 disait de Moïse et d’Aaron : «YHWH a annoncé les Paroles de la Loi à son peuple,
Moïse et Aaron annonçaient la bonne nouvelle du Memra de Dieu à la grande armée d’Israël.»
La grande nouveauté de la Pentecôte chrétienne
Dans la conception du récit des Actes, l’Esprit, celui du Christ, fait des Douze les prophètes de sa Parole.
Ainsi la comparaison ne fait que souligner la supériorité du Christ : celui-ci n’est pas un simple relais de la
Parole. Pour saint Luc, il est celui qui donne l’Esprit et consacre les nouveaux Prophètes. Nous saisissons ici
la différence entre l’événement du Sinaï et l’événement de la Pentecôte.
Aucune source juive ne parle de la venue de l’Esprit sur Israël au Sinaï. L’assemblée est une assemblée
sainte, composée de rois et de prêtres, mais non de prophètes. Ceci ne doit pas nous étonner.
Le don de l’Esprit est réservé à l’ère messianique. Le midrash Tanhuma dit précisément : « Dans ce monde,
quelques-uns prophétisent ; mais dans le monde à venir, tous les Israélites prophétiseront ». Ce midrash se
base sur Joël 3,1-2, qui est cité dans le discours de Pierre à la Pentecôte.
Jean POTIN, La fête juive de la Pentecôte, tome I, Cerf, Paris 1971, p.300-316, extraits par F.Breynaert