Dans la perspective d’analyse de la société à partir de cette vision
globalisante, s’ouvre un débat sur la place de la culture dans cette analyse. On va de
l’équation culture = société qui résulte de la définition large ci-dessous à l’idée que la culture
est elle-même entièrement déterminée par des données matérielles (scientisme cf. Taine) ou
de manière plus subtile à travers l’articulation infrastructures/superstructures chez Marx. La
culture est, chez lui, à la fois produite par des données extérieures (cependant n’entrons-nous
pas dans le domaine de la culture dès qu’on sort du milieu physique ?) et autoproduite
(l’acculturation des classes dominées, par exemple). Dans la perspective actionniste, Weber
dégage des convergences entre données culturelles liées au protestantisme et données
culturelles liées au capitalisme avec comme résultat une transformation économique mais il
ne dit pas une seconde que le protestantisme est ce qui a permis le capitalisme ; plus
généralement, il ne soutient pas que la rationalisation est la cause des transformations de la
société occidentale mais un des facteurs de celles-ci.
On voit que le problème gravite au bout du compte autour de la définition
de la culture : si tout est culturel alors la capacité analytique du concept devient faible, il
n’introduit pas de dimension différenciante dans l’analyse de la société. Pourtant, d’un autre
côté, tout dans la société des hommes est effectivement culturel.
Pour sortir de ce qui peut ressembler à une impasse, on peut introduire la notion de bien
culturel.
3) La notion de bien culturel
La culture s’appréhende effectivement à travers ses manifestations, qu’elles
soient matérielles ou immatérielles. Elles prennent la forme de biens ou de services (pour aller
plus vite on utilisera le terme de bien pour les deux) lorsqu’elles sont produites par le système
économique. Dans les sociétés dites primitives, la distinction entre un usage du travail non
rémunéré et rémunéré n’a pas de sens ; en ce sens tous les biens et services créés par l’homme
relèvent effectivement de la culture. Dans la société contemporaine, il y a une spécialisation
dans la production par un travail rémunéré de biens à vocation de symboles et de croyances,
production qui inclut évidemment leur diffusion mais l’activité culturelle ne s’y réduit pas
(par exemple, un ouvrage de sociologie ou la gay pride sont explicitement à vocation
cognitive ou symbolique mais un bien destiné d’abord à une usage pratique, un vêtement ou
un plat, peuvent acquérir cette dimension). En outre persiste bien entendu l’existence de
productions culturelles non économiques (un langage par exemple).
Les biens culturels peuvent se subdiviser de la façon suivante :
- les biens passés reconnus comme témoignage ce qui signifie que tous les produits du
passé n’ont pas vocation à être bien culturel (un hangar en tôle ondulée) mais peuvent
l’acquérir (une usine, une mine) et, inversement, certains biens du passé à vocation
cognitive et symbolique peuvent cesser d’être reconnus comme tels (films de propagande
antisémite)
- les biens actuels associent des biens matériels (tableaux, monuments, livres,
vêtements…), des productions immatériels (langages, croyances, valeurs…) qui transitent
par les biens matériels mais ne s’y réduisent pas et des biens corporels sous la forme de
signes inscrits sur le corps, d’attitudes…
Selon Béra et Lamy, un bien acquiert le qualificatif de culturel par une
épreuve de qualification et à travers ses effets. Il faut, bien évidemment, préciser que le bien
culturel intéresse nécessairement une collectivité ; pour Merleau ŔPonty c’est la différence
entre art et culture : on peut pratiquer un art sans produire un objet culturel.
C’est donc le collectif qui impose l’épreuve de qualification. Celle-ci va
mobiliser les acteurs (« producteurs », « consommateurs », « experts ») à travers une
appropriation par le sujet (intériorisation de la portée cognitive et symbolique) et l’élaboration