cp44-p092093_synthese.xp 24/02/11 11:06 Page 92 Synthèse Les troubles du sommeil Une insomnie a des retentissements sur la qualité de la veille. Les somnifères ne devraient être prescrits que le temps de « réapprendre à bien dormir ». Jérôme Palazzolo, psychiatre, est professeur au Département santé de l’Université internationale Senghor, à Alexandrie, en Égypte, chargé de cours à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, et chercheur associé au Laboratoire d’anthropologie et de sociologie, Mémoire, identité et cognition sociale, LASMIC, à Nice. 92 n estime à 15 pour cent, la proportion d’Européens qui se plaint de la qualité ou de la quantité de leur sommeil. D’autres chiffres sont instructifs : 85 pour cent des troubles du sommeil ne sont jamais diagnostiqués (pas même évoqués par le patient lors de la visite chez son médecin) ; 20 à 30 pour cent des accidents de la circulation sur autoroute sont dus à la fatigue et à l’endormissement au volant ; 14 pour cent des Français prennent des hypnotiques (10 pour cent des hommes et 17 pour cent des femmes), contre 6 pour cent des Européens. Lorsque la personne qui souffre de troubles du sommeil en parle à son médecin généraliste, il s’agit déjà, dans 15 pour cent des cas, d’une insomnie chronique, datant de plus de six mois. Et au lieu de consulter rapidement, elle a testé diverses recettes plus ou moins adaptées : cette automédication va de la simple préparation de grand-mère (lait au miel, bouillotte, etc.) aux médicaments d’origine végétale, en passant par des techniques de relaxation (sophrologie, yoga), des médicaments sédatifs en vente libre (parfois plus nocifs que ceux prescrits sur ordonnance), voire de l’alcool ou autres toxiques (cannabis entre autres). Bien souvent, la réponse donnée à quelqu’un qui souffre d’insomnie est une prescription quasi automatique d’hypnotiques ; une étude américaine a ainsi montré que parmi 536 patients ayant reçu des somnifères, seulement 12 pour cent se sont vu poser des questions concernant l’origine possible de leur trouble du sommeil. Ce qui signifie que pour 88 pour cent des personnes interrogées, un médicament a été prescrit après une réponse négative à la question : « Est-ce que vous dormez bien ces derniers temps ? » Qu’est-ce qu’une insomnie ? C’est une diminution de la qualité et de la durée du sommeil, entraînant une mauvaise récupération de la fatigue diurne. La durée moyenne du sommeil O d’un Français qui a bien dormi est aujourd’hui de sept heures, mais peut varier de cinq à dix heures par nuit. Généralement, il s’écoule au maximum 30 minutes entre le moment où l’on se couche et celui où l’on s’endort. Mauvaise nuit, mauvaise journée Certains proposent de calculer l’efficience du sommeil, c’est-à-dire le rapport entre sa durée subjective – le nombre d’heures durant lesquelles la personne pense avoir dormi – et le temps total passé au lit. Normalement, ce rapport devrait être supérieur à 85 pour cent. Nous l’avons signalé, outre la durée, la qualité du sommeil est importante, et les insomniaques se plaignent d’une mauvaise qualité de leur sommeil, ce qui entraîne un certain mal-être au cours de la journée, avec fatigue, irritabilité, difficultés à se concentrer, humeur maussade, etc. Le DSM-IV, la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, définit l’insomnie primaire et l’insomnie secondaire. Dans les deux cas, le sujet a des difficultés à s’endormir, il se réveille au milieu de la nuit sans pouvoir se rendormir, ou son sommeil n’est pas réparateur, ces trois aspects durant au moins un mois. Ce manque de sommeil de qualité se traduit par une souffrance ou une altération du fonctionnement personnel, social et professionnel. Quelle est la cause d’un tel trouble ? En fait, il n’en a pas une, mais plusieurs. Une insomnie primaire est essentiellement due au stress, lequel entraîne souvent un comportement inadapté au moment de l’endormissement et favorise l’installation, puis le maintien de l’insomnie. Quant à l’insomnie secondaire, elle se déclenche à la suite d’une autre maladie. Dans ce cas, la cause peut être : un problème de santé qui survient la nuit, par exemple une difficulté respiratoire durant le sommeil ; une maladie © Cerveau & Psycho - n° 44 mars - avril 2011 cp44-p092093_synthese.xp 24/02/11 11:06 Page 93 Jérôme Palazzolo psychique (une dépression ou une angoisse) ; une maladie physique (angine de poitrine ou asthme), la consommation d’alcool ou de toxiques avant de se coucher. Les troubles du sommeil sont en majorité associés au stress. À cela s’ajoute un comportement inadapté de gestion de l’insomnie qui ne fait que favoriser son installation et son maintien. Ainsi, le sujet s’inquiète des conséquences de l’insomnie sur ses performances du lendemain (« Il est trois heures du matin et je ne dors toujours pas… Demain, je vais être incapable de faire une présentation claire »). Son stress est renforcé par ses prévisions négatives (« Il est trois heures et maintenant que je suis réveillé, je sais que je ne vais pas pouvoir me rendormir »). Il tente de mettre en place des stratégies pour trouver le sommeil, mais quand il constate qu’elles sont inefficaces, cela ne fait qu’augmenter son sentiment de frustration : il prolonge pour rien le temps passé au lit. Enfin, face à cette insomnie et au stress qui la cause et qu’elle entretient, il peut céder à la tentation d’utiliser un hypnotique, voire de consommer de l’alcool. Limiter l’usage des somnifères Lorsqu’ils sont prescrits pendant un temps limité et avec parcimonie, les hypnotiques peuvent rendre un grand service à l’insomniaque, notamment pour l’aider à sortir d’un cercle vicieux dans lequel il s’enfonce. Encore faut-il bien en connaître les risques. Pour la majorité d’entre eux, ils sont à l’origine d’effets sédatifs encore présents le matin au réveil : ils diminuent donc la concentration, voire les capacités intellectuelles et physiques. Leurs effets diminuent avec le temps, ce qui entraîne une accoutumance (il faut augmenter les doses pour obtenir le même effet), renforçant le cercle vicieux dont il faudrait au contraire essayer de s’extraire : un mauvais sommeil est traité par des hypnotiques, qui deviennent inefficaces à long terme, il faut donc augmenter les doses, voire associer plusieurs substances ; cette consommation abusive renforce la consommation, etc. Comment s’en sortir ? Certainement pas en décidant d’arrêter brusquement le traitement, car il se produit alors un rebond d’insomnie, lequel conforte le sujet dans l’idée qu’il ne peut plus se passer d’hypnotiques. Le résultat le plus patent de cette escalade est une désorganisation accrue du sommeil, plus mauvais qu’avant tout © Cerveau & Psycho - n° 44 mars - avril 2011 Pour retrouver le sommeil • Allez vous coucher seulement quand vous somnolez déjà. • Évitez de dormir dans la journée (évitez les siestes). • Durant l’heure qui précède le coucher, ne pratiquez pas d’activité stressante, ne regardez pas un film d’horreur ! • Si le sommeil ne survient pas au bout d’une demi-heure, relevez-vous et pratiquez une activité calme dans une autre pièce, jusqu’au moment où vous aurez envie de dormir. • Le temps passé au lit doit être consacré à dormir. • Levez-vous tous les jours à la même heure, même les week-ends, quelles que soient la durée et la qualité de votre sommeil. • Ne vous inquiétez pas après une ou deux nuits où vous avez mal dormi. • Évitez la caféine quelques heures avant le coucher. Évitez l’alcool, la cigarette, les repas copieux proches de l’heure du coucher. • Pratiquez une activité physique dans la journée, mais pas en fin de soirée. traitement. À ce stade, il ne reste plus qu’une solution : le sevrage progressif (avec le soutien du médecin traitant). On prescrit un seul médicament à la fois, avec diminution progressive de la dose. Le sevrage total nécessite parfois plus de trois mois. Aussi, dans bon nombre de cas, mieux vaut ne pas prendre un traitement continu, mais préférer une médication discontinue : un comprimé la première nuit, un demi la deuxième nuit, un quart la troisième et plus rien pendant le reste de la semaine. Un tel schéma thérapeutique empêche le « renforcement conditionné » de l’insomnie dû à la succession des mauvaises nuits, et conserve l’efficacité à long terme de l’hypnotique tout en permettant de se « programmer » quelques bonnes nuits chaque semaine. Pour terminer, quelques recommandations : un hypnotique ne doit être utilisé qu’après une consultation de son médecin traitant, et sur prescription médicale ; l’association d’alcool et d’hypnotiques est formellement contre-indiquée (le risque vital est en jeu, la personne pouvant être victime d’une insuffisance respiratoire aiguë) ; la durée du traitement hypnotique doit être limitée à moins d’un mois ; l’arrêt du traitement doit être progressif, et se faire selon un protocole établi par le médecin traitant. Et, surtout, la prise de médicament doit avoir lieu « en dernier recours », sachant que quelques règles de sommeil bien respectées, dispensées notamment par les centres du sommeil peuvent resI taurer cette fonction… vitale. Bibliographie Le sommeil et ses troubles, L’Essentiel Cerveau&Psycho, n° 2, mai-juillet 2010. J. Palazzolo, En finir avec l’insomnie, Hachette Pratique, 2006. J. Palazzolo et L. Roure, Écarts de conduite. Sécurité routière et psychopathologie, Ellipses, Collection Vivre et Comprendre, 2004. M. Billiard, Le sommeil normal et pathologique, Masson, 1998. 93