l’adolescence, j’ai été très ébranlé par l’idée sui-
vante : “Si je ne saisis pas encore le sens de la vie,
le seul fait que je veuille me consacrer à sa recher-
che est en soi une raison de vivre et c’est précisé-
ment à cette recherche que je veux consacrer ma
vie”. Voilà la véritable conversion intime qui a
transformé toute ma vie. Cette période de méta-
morphose a été vécue par moi dans l’enthou-
siasme. […] C’est cela qui a été ma véritable
conversion, en tout cas la plus importante de ma
vie, la décision de consacrer ma vie à la recherche
de la vérité, établissant ma foi en l’existence de la
vérité. J’opposais la recherche de la vérité, la
recherche de la raison de vivre à la réalité quoti-
dienne, dénuée de sens. »
Aujourd’hui, en France, des philosophes tels
André Comte-Sponville et Luc Ferry reprennent
le flambeau millénaire de la philosophie comme
art de vivre. Ainsi, pour A. Comte-Sponville, « La
philosophie n'a de sens qu'au service de la vie : il
s'agit de vivre mieux, d'une vie à la fois plus
lucide, plus libre, plus heureuse... Penser mieux,
pour vivre mieux. [...] On ne philosophe pas
pour passer le temps, ni pour faire joujou avec les
concepts : on philosophe pour sauver sa peau et
son âme. » Il reconnaît d’ailleurs sans détours
que son intérêt pour la philosophie est très pro-
bablement dû à son besoin de se libérer de la
souffrance que produisait en lui la vision de sa
mère, femme profondément dépressive. « C'est
parce que je suis très peu doué pour la vie, écrit-
il, que j'ai eu besoin de tant philosopher. »
La quête de sens conduit parfois à la foi reli-
gieuse, en témoigne Léon Tolstoï (1828-1910).
Élevé dans la foi orthodoxe, il évolue jusqu’à ne
plus croire en rien de ce que l'on lui avait appris,
vers l'âge de 18 ans. Les années passent, sa vie
familiale et sa réussite littéraire le détournent
radicalement « de toute quête d'un sens universel
de la vie ». Puis surgissent des moments de per-
plexité, de plus en plus profonds et fréquents,
durant lesquels il a l’impression de ne pas savoir
comment il doit vivre ni ce qu’il doit faire.
Pendant une année, à l’âge de 50 ans, il est obsédé
par la ten t a ti o n du su i c i de . Il ch erche une
réponse à sa quête dans les sciences, la philoso-
phie, la religion ; il observe ses semblables dans
l’espoir de trouver dans leur vie une issue à son
angoisse… et ressort bredouille de sa quête. Il se
tourne alors « vers ces immenses masses d'hom-
mes simples, ni savants ni riches » et est boule-
versé par leur foi simple, ce qui l’amène à cette
certitude : « La foi est la force de la vie. »
L’art est également une source d’enrichisse-
ment de l’existence pour de nombreuses person-
nes. L’un des artistes qui a su le mieux l’exprimer
est le sculpteur Auguste Rodin. « L’art, c’est la
contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui
pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle
est elle-même animée. C'est la joie de l’intelli-
gence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée
en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus
sublime mission de l’homme puisque c’est l’exer-
cice de la pensée qui cherche à comprendre le
monde et à le faire comprendre. »
La valeur de l’artiste réside précisément, selon
Rodin, dans ce qu’il aide l’humanité à s’élever au-
dessus des strictes contingences matérielles et
facilite l’accès à la contemplation et au sens de
l’existence : l’artiste, nous annonce-t-il, « enrichit
l'âme de l’humanité. Car, en teintant de son
esprit le monde matériel, il révèle à ses contem-
porains extasiés mille nuances de sentiment. Il
leur fait découvrir en eux-mêmes des richesses
jusqu’alors inconnues. Il leur donne des raisons
nouvelles d’aimer la vie, de nouvelles clartés inté-
rieures pour se conduire. […] Les œuvres d’art
[…] nous arrachent à l’esclavage de la vie prati-
que et nous ouvrent le monde enchanté de la
contemplation et du rêve. […] Or il n’y a rien au
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La logothérapie
La logothérapie, ou thérapie par le sens, a été élaborée par le psychia-
tre Viktor Frankl, à la suite d’une expérience personnelle dramatique :
jeune Juif, il a vécu l’enfer des camps de concentration, et à sa libération,
il apprend que la plupart des membres de sa famille, dont son épouse, ont
été exterminés.
Cette approche thérapeutique diffère radicalement de la psychanalyse
(thérapie dominante à l’époque), dans la mesure où elle considère que l’être
humain cherche avant tout à donner un sens à sa vie plutôt qu’à satisfaire
uniquement ses besoins et ses instincts.
En logothérapie, on parle de « frustration existentielle », lorsqu’une per-
sonne a le sentiment que sa vie n’a pas de sens. Ceci n’a rien de patholo-
gique, et peut au contraire être mobilisé dans une action thérapeutique.
Selon Frankl, « l’important n’est pas ce que nous attendons de la vie, mais
ce que la vie attend de nous. »
Bien entendu, Frankl estime que l’individu doit s’efforcer d’éliminer les cau-
ses de la souffrance, lorsque cela est possible, mais que faire lorsque ce n’est
pas le cas ? La logothérapie considère alors que toute souffrance, même la
plus intense, peut être surmontée si la personne parvient à lui donner un sens.
Frankl raconte notamment la situation suivante, qu’il a vécue avec un patient.
Cet homme, un médecin d’un certain âge était profondément déprimé depuis
la mort de sa femme, survenue deux ans plus tôt. « Que pouvais-je faire pour
l u i ? Que lui dire ? Je décidai de lui poser la question suivante : “Et si vous
étiez mort le premier et que votre femme ait eu à surmonter le chagrin pro-
voqué par votre décès ?”. “Oh ! pour elle, ç’aurait été affreux ; comme elle
aurait souffert !” lui répond le médecin. “Eh bien Docteur, cette souffrance
lui a été épargnée, et ce, grâce à vous. Certes, vous en payez le prix puis-
que c’est vous qui la pleurez. » Bien entendu, cela n’a pas instantanément
guéri cet homme, mais du moins cela l’a-t-il apaisé. Il a pu créer du sens à
p a rtir d’une situation in-sensée au sens propre, privée de sens.
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