Introduction a la cohomologie des faisceaux

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Introduction a la
cohomologie des
faisceaux
Projet professionnel
Master 2 - Mathématiques et Applications
Université Montpellier II 2015
Jérémy NUSA
[email protected]
1 — Cohomologie des faisceaux
Étant donné un espace topologique X et des données locales sur X,
on cherche à connaitre les conditions d’existence et les obstructions pour
obtenir des données globales sur X recouvrant les données locales.
Exemple
– Orientation des variétés : Passer d’une orientation locale à la classe
fondamentale de la variété.
– Fonctions méromorphes sur C : Recoller des séries de Laurent
– Surfaces de Riemann : Problème de Mittag-Leffler.
Définition 1.1 (Faisceau)
Un faisceau F, sur X est la donnée de deux ensembles
• Les sections de F : Pour tout ouvert U de X, on a un groupe
abélien F(U ), l’ensemble des sections de F au-dessus de U .
• Les restrictions de F : Pour tout couple d’ouvert V ⊂ U , on a un
morphisme de groupes abéliens rU,V : F(U ) → F(V ), la restriction
de U à V .
Vérifiant les conditions suivantes
• Pour tout triplet d’ouverts W ⊂ V ⊂ U on a rU,W = rV,W ◦ rU,V et
rU,U = idF (U )
• Pour tout couple d’ouverts U, V , pour tout σ ∈ F(U ) et τ ∈ F(V )
si rU,U ∩V (σ) = rV,U ∩V (τ ) alors il existe une section π ∈ F(U ∪ V )
telle que rU ∪V,U (π) = σ et rU ∪V,V (π) = τ .
• Pour tout couple d’ouverts U, V , pour tout σ ∈ F(U ∪ V ) si
rU ∪V,U (σ) = 0 et rU ∪V,V (σ) = 0 alors σ = 0.
En l’absence d’ambiguı̈té on note σ|V := rU,V (σ) la restriction d’une
section σ à V ⊂ U .
Exemple
– Orientation des variétés : F(U ) = Hn (X, X \ U ) et rU,V est induit par
le quotient.
– Fonctions méromorphes sur C : F(U ) = O(U ), l’anneau des fonctions
holomorphes sur U et rU,V est la restriction de fonctions.
1
Définition 1.2 (Morphisme de faisceaux )
Soient F, G deux faisceaux sur X. Un morphisme de faisceau α : F → G
est une collection de morphismes de groupes abéliens αU : F(U ) → G(U )
qui commute avec l’opération de restriction. Autrement dit on a le
diagramme commutatif suivant
F(U )
F
rU,V
/
F(V )
αU
G(U )
G
rU,V
/
αV
G(V )
Tout morphisme de faisceaux α : F → G induit l’existence de deux
autres faisceaux importants, son noyau et son conoyau.
• Ker(α) : C’est le faisceau sur X tel que Ker(α)(U ) := Ker(αU )
• CoKer(α) : Si on définit le conoyau de façon usuelle via
G(U )/αU (F(U )), alors cet ensemble peut ne pas satisfaire les
conditions requises pour être un faisceau. A la place on définit donc
une section σ de CoKer(α)(U ) comme étant un ensemble de couples
{(Ui , σi )}i où les Ui forment un recouvrement de U et les σi ∈ G(Ui )
sont tels que pour tout i, j on ait
σi|Ui ∩Uj − σj|Ui ∩Uj ∈ αUi ∩Uj (F(Ui ∩ Uj ))
De plus on identifie deux telles sections {(Ui , σi )}i et {(Uj0 , σj0 )}j
si pour tout x ∈ U et pour tout couple Ui , Uj0 contenant x
dans leur intersection, il existe un ouvert V ⊂ Ui ∩ Uj0 tel que
0
∈ αV (F(V )).
σi|V − σj|V
Définition 1.3 (Suite exacte de faisceaux )
Soient E, F, G des faisceaux et α, β deux morphismes de faisceaux. Une
suite de faisceaux
0
/
E
α
/
F
β
/
G
/0
est dites exacte si, E = Ker(β) et G = CoKer(α). Dans ce cas on dit
aussi que E est un sous-faisceau de F et que G est le faisceau quotient
de F par E noté F/E.
2
Définition 1.4 (Suite exacte longue de faisceaux )
Soient {Fi }i des faisceaux et {αi : Fi → Fi+1 } des morphismes de
faisceaux. Une suite longue de faisceaux
...
αi−1
/
Fi
αi
/
Fi+1
αi+1
/
...
est dites exacte si, αi+1 ◦ αi = 0 et si la suite
0 → Ker(αi ) → Fi → Ker(αi+1 ) → 0 est exacte pour tout i.
courte
Remarque
Le fait qu’une suite courte soit exacte n’implique pas que la suite
courte induite par un ouvert U
0
/
E(U )
αU
/ F(U ) βU /
G(U )
/
0
le soit également. On verra plus loin comment s’y ramener dans certains
cas. Cependant on a que
• La suite est exacte en E(U ) et F(U ).
• ∀σ ∈ G(U ), ∀x ∈ U, ∃V ⊂ X, x ∈ V tel que σ|V ∈ Im(βV ).
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2 — Cohomologie des faisceaux
Soient X un espace topologique, F un faisceau sur X et Ũ := {Uα }α un
recouvrement ouvert localement fini de X.
Définition 2.1 (Co-chaines)
Pour tout p ∈ N on défini l’ensemble des p-cochaines
Y
C p (Ũ , F) :=
F(Uα0 ∩ Uα1 ∩ · · · ∩ Uαp )
0≤i,j≤p;i6=j;αi 6=αj
C’est un produit de groupes abéliens et un élément
σ := {σI ∈ F( ∩ Uαk )|Card(I) = p + 1} est appelé une p-cochaine.
k∈I
Définition 2.2 (Opérateur de bord )
Pour tout p ∈ N on a une application de bord
∂
: C p (Ũ , F)
σ
→ C p+1 (Ũ , F)
7
→
∂σ := {(∂σ)J |Card(J) = p + 2}
p+1
P
(−1)k σj0 ,...,jˆk ,...,jp+1 |Uj
où (∂σ)J :=
k=0
0
∩···∩Ujp+1
Exemple
Soit σ = {σU }U ∈Ũ ∈ C 0 (Ũ , F) alors (∂σ)U,V = −σU |U ∩V + σV |U ∩V .
Grâce à cet opérateur on peut définir l’ensemble des cocycles, c’est
l’ensemble des cochaines σ vérifiant ∂σ = 0 et l’ensemble des cobords qui
est l’ensemble des cochaines telles que σ = ∂τ pour une certaine cochaine
τ de degré inférieur.
On note alors
• L’ensemble des p-cocycles Z p (Ũ , F) := Ker(∂) ⊂ C p (Ũ , F)
• L’ensemble des p-cobords B p (Ũ , F) := ∂C p−1 (Ũ , F)
• Le
groupe
de
cohomologie
de
F
sur
H p (Ũ , F) := Z p (Ũ , F)/B p (Ũ , F)
Ũ ,
Il est alors naturel de se demander quelles relations peuvent entretenir
les groupes de cohomologie d’un même faisceau sur des recouvrements
4
différents. On se donne alors deux recouvrements ouverts localement finis
Ũ := {Uα }α∈I et Ũ 0 := {Uβ0 }β∈I 0 , on dira que Ũ 0 est un raffinement de Ũ si
pour tout β ∈ I 0 il existe α ∈ I avec Uβ0 ⊂ Uα , on note alors Ũ 0 < Ũ . On
peut choisir une application φ : I → I 0 vérifiant Uβ0 ⊂ Uφβ . On a donc une
application induite
: C p (Ũ , F) →
σ 7→
ρφ
C p (Ũ 0 , F)
ρφ σ
où (ρφ σ)β0 ,...,βp = σφβ0 ,...,φβp |Uβ0 ∩···∩Uβp
Proposition 2.1
Cette application commute avec l’opérateur de bord.
∂ ◦ ρφ = ρφ ◦ ∂
Preuve.
((∂ ◦ ρφ )σ)β0 ,...,βp+1
p+1
X
=
(−1)j (ρφ σ)β0 ,...,βˆj ,...,βp+1 |U 0
0
β0 ∩···∩Uβp+1
j=0
p+1
X
=
(−1)j σφβ0 ,...,φβˆ j ,...,φβp+1 |U 0
0
β0 ∩···∩Uβp+1
j=0
D’autre part
((ρφ ◦ ∂)σ)β0 ,...,βp+1 = (ρφ (∂σ))β0 ,...,βp+1
= ∂σφβ0 ,...,φβp+1 |Uβ0 ,...,Uβ0
0
p+1
p+1
X
=(
(−1)j σφβ0 ,...,φβˆ j ,...,φβp+1 |Uφβ
∩···∩Uφβp+1 )|Uβ0 ∩···∩Uβp+1
0
0
0
j=0
Comme Uβ0 i ⊂ Uφβi pour tout i la composition des restrictions vérifie
donc la troisième propriété des faisceaux. On a donc
p+1
X
((ρφ ◦ ∂)σ)β0 ,...,βp+1 = (
(−1)j σφβ0 ,...,φβˆ j ,...,φβp+1 |Uφβ
∩···∩Uφβp+1 )|Uβ0 ∩···∩Uβp+1
0
0
j=0
p+1
X
=
(−1)j σφβ0 ,...,φβˆ j ,...,φβp+1 |U 0
0
β0 ∩···∩Uβp+1
j=0
5
0
La commutativité de ρφ avec ∂ induit donc un morphisme en
cohomologie : ρ : H p (Ũ , F) → H p (Ũ 0 , F).
Proposition 2.2
Si on a deux applications φ, ψ : I → I 0 pour le raffinement Ũ 0 < Ũ , alors
ρφ et ρψ induisent la même application en cohomologie.
Preuve. Il suffit de montrer que ces deux applications sont homotopes
en construisant une application h : C p+1 (Ũ , F) → C p (Ũ 0 , F) vérifiant
∂h + h∂ = ρφ − ρψ .
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3 — Cohomologie de Čech
Nous allons à présent construire une cohomologie des faisceaux dans un
cas particulier afin de simplifier les calculs de cohomologie. La cohomologie
de Čech se construit comme limite inductive d’une cohomologie de
faisceaux.
Définition 3.1 (Cohomologie de Čech)
Le groupe de cohomologie de Čech est défini par
Ȟ p (X, F) := limH p (Ũ , F)
→
Ũ
Où la limite inductive se construit comme quotient de l’union des
groupes de cohomologie des faisceaux sur tous les recouvrements
possibles de X.
G
limH p (Ũ , F) := H p (Ũ , F)/ ∼
→
Ũ
Ũ
Où pour tout σ ∈ H p (Ũ , F), σ 0 ∈ H p (Ũ 0 , F)
σ ∼ σ 0 ⇔ ∃Ũ0 < Ũ et Ũ0 < Ũ 0 tel que ρ1 σ = ρ2 σ 0
Remarque
Pour tout recouvrement Ũ on a Ȟ 0 (X, F) = H 0 (Ũ , F) = F(X)
Preuve. D’abord pour tout σ ∈ Z 0 (Ũ , F) ⇒ ∂σ = 0
⇒ ∀α, β; σα|Uα ∩Uβ = σβ|Uα ∩Uβ ⇒ ∃ρ ∈ F(Uα ∪ Uβ ), ρ|Uα = σα et ρ|Uβ = σβ
Puis pour tout γ on a
σγ|Uγ ∩Uα = σα|Uα ∩Uγ ⇒ ∃ρ0 ∈ F(Uα ∪ Uγ ), ρ0|Uα = σα = ρ|Uα et ρ0|Uγ = σγ
⇒ ρ|(Uα ∪Uβ )∩(Uα ∪Uγ ) = ρ0|(Uα ∪Uβ )∩(Uα ∪Uγ )
⇒ ∃ρ” ∈ F(Uα ∪ Uβ ∪ Uγ ) tel que ρ”|Uα ∪Uβ = ρ et ρ”|Uα ∪Uγ = ρ0
Comme Ũ recouvre X alors ∃ψ ∈ X , ψ|Uα = σα ⇒ H 0 (Ũ , F) = F(X).
En pratique la limite inductive est difficilement calculable, on cherche
donc une condition pour obtenir une suite stationnaire de H p (Ũ , F) à partir
d’un certain raffinement Ũ .
7
Théorème 3.1 (De Leray )
Si le recouvrement Ũ est acyclique pour le faisceau F. Au sens où
∃p tel que H q (Ui0 ∩ · · · ∩ Uip , F) = 0 pour tout indices i1 , . . . , ıp et pour
tout q > 0.
Preuve. Ce théorème se prouve pour certaines cohomologies de faisceaux.
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4 — Propriétés algébriques des faisceaux
Soit la suite exacte de faisceaux
/
0
α
E
/
β
F
/
/
G
0
Alors on a deux morphismes induits
α
• C p (Ũ , E) → C p (Ũ , F) avec (ασ)i0 ,...,ip = α(Uio ∩ · · · ∩ Uip )(σi0 ,...,ip )
β
• C p (Ũ , F) → C p (Ũ , G) avec (βσ)i0 ,...,ip = β(Uio ∩ · · · ∩ Uip )(σi0 ,...,ip )
Proposition 4.1
Ces morphismes commutent avec l’application de bord.
α∂ = ∂α , β∂ = ∂β
On a donc des applications induites en cohomologie.
α∗
β∗
: Ȟ p (X, E) →
: Ȟ p (X, F) →
Ȟ p (X, F)
Ȟ p (X, G)
On définit ensuite un opérateur de cobord
∂ ∗ : Ȟ p (X, G) → Ȟ p+1 (X, E)
Afin d’obtenir une suite
...
/
α∗
Ȟ p (X, E)
/
Ȟ p (X, F)
β∗
/
∂∗
Ȟ p (X, G)
/
Ȟ p+1 (X, E)
/ ...
Pour cela on considère le diagramme commutatif suivant
C p (Ũ , E)
/
α
∂
C p+1 (Ũ , E)
α
/
C p (Ũ , F)
β
∂
/
C p+1 (Ũ , F)
β
/
C p (Ũ , G)
∂
C p+1 (Ũ , G)
Soit σ ∈ Z p (Ũ , G), alors par la remarque sur les suites exactes longues
de faisceaux, si on se donne un raffinement Ũ 0 de Ũ alors ∃τ ∈ C p (Ũ 0 , F)
tel que βτ = ρσ. Alors β∂τ = ∂βτ = ∂ρσ = 0. Donc la suite des sections
au-dessus de U est exacte en F(U 0 ).
⇒ Kerβ = Imα ⇒ ∃µ ∈ C p+1 (Ũ 0 , E) tel que αµ = ∂τ
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α∂µ = ∂αµ = ∂ 2 τ = 0 ⇒ ∂µ ∈ Kerα
Et comme α est injectif alors ∂µ = 0 ⇒ µ ∈ Z p+1 (U˜”, E).
Soit donc ∂ ∗ ([σ]) := [µ].
De plus cette construction ne dépend pas des choix intermédiaires de µ
et τ ni des raffinements Ũ 0 et U˜” lorsque l’on passe à la limite inductive.
Proposition 4.2
La suite suivante est exacte
/
Ȟ 0 (X, E)
/
Ȟ 0 (X, F)
/
Ȟ 0 (X, G)
/
Ȟ 1 (X, E)
/
Ȟ 1 (X, F)
/
Ȟ 1 (X, G)
0
..
.
/
..
.
/
Ȟ p (X, E)
/
Ȟ p (X, F)
/
Ȟ p (X, G)
...
Preuve. On se restreint au cas où la suite courte de faisceaux
admet un raffinement Ũ tel que ∃p, ∀U := Ui0 ∩ · · · ∩ Uip la suite
0 → E(U ) → F(U ) → G(U ) → 0 est exacte. Alors la suite
0
/
C p (Ũ , E)
α
/ C p (Ũ , F)
β
/
C p (Ũ , G)
/
0
Reste alors à montrer que Ȟ p (X, E) → Ȟ p (X, F) → Ȟ p (X, G) est exacte.
Par exemple en H p (Ũ , G), soit σ ∈ Z p (Ũ , G) et tel que ∂ ∗ [σ] = 0 dans
p+1
H (Ũ , E). Alors par la suite exacte précédente, ∃τ ∈ C p (Ũ , F) tel que
βτ = σ et µ ∈ C p+1 (Ũ , E) tel que αµ = ∂τ .
Par définition [µ] = ∂ ∗ [σ] = 0 ⇒ µ ∈ B p+1 (Ũ , E, donc µ = ∂v pour un
certain v ∈ C p (Ũ , E).
⇒ τ − αv est un cocycle car ∂(τ − αv) = ∂τ − α∂v = αµ − αµ = 0 dans
C p (Ũ , F) et β(τ − αv) = β(τ ) = σ.
⇒ σ ∈ β ∗ (H p (Ũ , F)) ⇒ Ker∂ ∗ ⊂ Imβ ∗ et réciproquement ∂ ∗ β ∗ = 0 d’où
l’égalité.
Reste à vérifier l’exactitude en les autres points de la suite.
La principale application d’une telle suite exacte courte de faisceaux
est de répondre à la question : Étant donné une section globale σ sur G,
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existe-t-il une section globale τ sur F vérifiant l’égalité βτ = σ ? La réponse
d’après ce que l’on vient de voir est que τ existe si et seulement si ∂ ∗ σ = 0
dans Ȟ 1 (X, E) Un exemple important d’utilisation de la cohomologie des
faisceaux est celui du faisceau constant, F(U ) = F(V ) pour tout couple
d’ouvert U, V .
Théorème 4.1
Soit K un complexe simplicial et M son espace topologique associé.
Alors
H ∗ (K; Z) ∼
= Ȟ ∗ (M, C(Z))
Où H ∗ (K; Z) est la cohomologie simplicial à coefficient dans Z. Et C(Z)
est le faisceau constant valant Z sur tout ouvert U de M .
La cohomologie des faisceaux permet d’obtenir une autre équivalence
de ce type dans le cas d’une variété différentiable. C’est le théorème de
De Rham qui relie la cohomologie de De Rham sur une variété lisse (
infiniment différentiable ) construite à partir des formes différentiables, et
la cohomologie simpliciale sur cette variété.
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Bibliographie
[1] Griffiths & Harris, Principles of Algebraic Geometry, Wiley Classics
Library, 1994.
[2] John W. Milnor, Topology from the Differentiable Viewpoint, Princeton
landmarks in mathematics, 1965.
[3] Allen Hatcher, Algebraic Topology, 2001.
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