Transformation et ou échec des institutions de microfinance dans l

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Transformation et ou échec
des institutions de microfinance
dans l’espace de l’Union
économique monétaire
ouest-africaine1
RÉSUMÉ • Au cours de leur développement, les
institution de microfinace (IMF) intègrent l’économie
de marché et excluent des catégories pauvres, faisant
penser à un double échec : échec du modèle mutualiste
d’abord et ensuite échec de ce modèle à lutter pour la
réduction de la pauvreté. La réduction de la pauvreté
devenue un objectif mondial, il importe d’infirmer
l’hypothèse de l’inefficacité des IMF en dynamique
pour que celles-ci trouvent leur place au rang des
meilleures politiques alternatives. Sur ces points,
l’auteur montre d’abord qu’il n y a pas échec des IMF
mais bien une transformation nécessaire et compatible
avec la lutte contre la pauvreté. Il soutient ensuite que
dans un « système complet de microfinance », l’exclusion ne peut pas être absolue mais relative pour un
individu doté d’un minimum de capital social ; il trouvera dans « le système complet de microfinance » une
institution apte à satisfaire son besoin. Quant à l’exclusion absolue de l’espace de la microfinance, sa solution
relève de l’action sociale et des politiques publiques.
S. SOULAMA
Professeur agrégé des Facultés
des sciences économiques2
UFR/SEG, Université
de Ougadougou, Burkina Faso
[email protected]
ABSTRACT • As they follow their development
process, the microfinance institutions (MFIs) integrate
market economy and exclude poor categories, making
think of a double failure : they fail, first as mutualist
model and second, they fail against poverty alleviation. As the reduction of poverty becomes a world
objective, it is important to counter the hypothesis
of the ineffectiveness of the MFIs in dynamic so that
these find their place to the rank of alternative policies
against poverty. The subject of this article is concerned
with these two points. Going into the market economy
does not mean failure. They do so because of their own
socio-economic transformation process which is in fact
compatible with poverty alleviation. About exclusion,
attention must be paid to a distinction between relative
exclusion and absolute exclusion. The first which is
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concerned in this paper, means that in a “complete system of MFIs”, an individual
endowed with a minimum of social capital cannot be excluded absolutely ; he will
find an institution which fits his demand and his capacity. Absolute exclusion
means an individual so poor that he cannot have access to any MFI in the “complete system of MFIs”. Theses cases cannot be solved by the MFI system but must
be taken in charge by others social institutions and public policies.
RESUMEN • Durante su desarrollo, las IMF integran la economía de mercado y
excluyen categorías pobres, haciendo pensar en un doble fracaso : el del modelo
mutualista, en primer lugar, y luego el de lucha por la reducción de la pobreza.
Debido a que la reducción de la pobreza se ha convertido en un objetivo mundial,
es importante invalidar la hipótesis de la ineficiencia de la dinámica de las IMF
para que éstas encuentren su lugar en el rango de las mejores políticas alternativas. Sobre estos puntos el autor pone de manifiesto, en primer lugar, que no
hay fracaso de las IMF sino una transformación necesaria y compatible con la
lucha contra la pobreza. Sostiene a continuación que en un « sistema completo de
microfinanza », la exclusión no puede ser absoluta sino relativa para un individuo
dotado con un mínimo de capital social, quien encontrará en « el sistema completo
de microfinanza » una institución capaz de satisfacer su necesidad. En cuanto a
la exclusión absoluta del espacio de la microfinanza, su solución proviene de la
acción social y de las políticas públicas.
—•—
INTRODUCTION
Deux idées fortes inspirées par les expériences de la microfinance dans
l’espace UEMOA (Union économique monétaire ouest-africaine) ont été à la
base de cet article : en premier lieu, il y a le développement quantitatif et qualitatif des institutions de microfinance (IMF) dans cet espace depuis le début des
années 1990 notamment. Suivant la définition de la Banque centrale des États
de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO-BIT, 1997), les IMF ou les systèmes financiers
décentralisés (SFD) sont « un ensemble regroupant une variété d’expériences
d’épargne et ou de crédit, diverses par la taille, le degré de structuration, la
philosophie, les objectifs, les moyens techniques, financiers et humains, mis
en œuvre pour les populations à la base avec ou sans le soutien des partenaires extérieurs en vue d’assurer l’autopromotion économique et sociale de
ces populations ». La BCEAO distingue principalement trois types de structures : les coopératives ou mutuelles d’épargne et de crédit, les institutions de
crédit solidaire et les projets à volet crédit. La croissance du nombre de clients,
de guichets ouverts, de volume d’épargne ou de crédit est impressionnante3
(UEMOA-BCEAO-BIT, 1999 ; Haudeville et Dado, 2002). Leur développement
fut si rapide dans l’espace UEMOA qu’on a conçu en 1994 un cadre réglementaire pour l’exercice de la profession.
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En deuxième lieu, deux faits majeurs apparaissent dans les transformations qui accompagnent le développement des IMF : le premier fait est relatif
à ces membres de plus en plus nombreux, qui se plaignent d’être marginalisés par leur propre structure ; les conditions d’accès aux services financiers
sont devenues plus difficiles avec le temps de sorte qu’ils sont exposés à un
« risque d’exclusion par le bas ». Avec l’effet de sélection adverse en faveur des
riches, il existe donc un risque, tout comme le prédit la loi de Gresham4 dans
le domaine de la monnaie (Yunus, 19975, p. 95) que « le mauvais pauvre chasse
le bon pauvre ». L’expérience des caisses populaires du Burkina Faso montre,
notamment à partir des années 1990, qu’une institution de microfinance qui
a pour vocation de s’adresser à une population, tous niveaux de bien-être et
de richesse confondus, a le plus souvent tendance à écarter les clients les plus
démunis et donc à produire elle-même ses propres exclus. L’ouverture au
milieu urbain à partir des années 1990 a accru le degré d’exigence. Les clients
candidats à un crédit sont contraints de produire une garantie matérielle ou
une caution plus exigeante. Le deuxième fait est relatif à ces dirigeants de
caisses populaires qui se trouvent confrontés à la difficulté suivante : que faire
des membres, micro-entrepreneurs dynamiques, que la caisse a contribué
à former, et qui sont devenus aujourd’hui très performants à tel point que
sans modification majeure des conditions financières de fonctionnement de
la caisse, ces acteurs dynamiques se sentent à l’étroit et sont prêts à « migrer »
vers une institution financière formelle. Cette deuxième catégorie d’acteurs
est exposée à un « risque d’exclusion par le haut ».
Ces deux types de risque sont caractéristiques du développement de
l’IMF et relèvent d’une même problématique : la capacité des IMF à lutter
pour la réduction de la pauvreté dans une économie de marché tout en sauvegardant leur caractère mutualiste ou solidaire. Tandis que l’exclusion « vers le
haut » risque de confiner l’IMF dans un espace étroit avec en prime le respect
des principes de solidarité, l’exclusion « par le bas » intègre davantage l’IMF
dans l’économie de marché avec pour conséquence le relâchement des liens
de solidarité. Ne serait-il donc pas possible de croître sans exclure, ni « par
le haut », ni « par le bas » ? Cela est possible dès que l’on ne traite plus d’une
IMF particulière mais que l’on se situe dans l’optique d’« un système complet
d’IMF ». Il apparaît donc qu’au cours de leur développement les IMF intègrent
l’économie de marché et excluent des catégories pauvres, faisant penser à un
double échec : échec du modèle mutualiste d’abord et ensuite échec de ce
modèle à lutter pour la réduction de la pauvreté. La réduction de la pauvreté
devenue un objectif mondial, il importe d’infirmer l’hypothèse de l’inefficacité des IMF en dynamique pour que celles-ci trouvent leur place au rang des
meilleures politiques alternatives. Cet article montre qu’il n y a pas échec des
IMF mais bien une transformation nécessaire et compatible avec la lutte contre
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la pauvreté. En outre, il est montré que, dans un « système complet de microfinance », l’exclusion ne peut pas être absolue mais relative pour un individu
doté d’un minimum de capital social ; il trouvera dans « le système complet de
microfinance » une institution apte à satisfaire son besoin.
Pour démontrer cette thèse, il est discuté dans un premier temps de
la nature de l’exclusion replacée dans le contexte d’un « système complet
de microfinance » ; il est possible d’expliquer ensuite par l’analyse socioéconomique, le processus de transformation nécessaire par lequel des
IMF particulières en viennent à être sélectives. Cette même analyse socioéconomique permet de concilier la croissance de l’IMF avec la lutte contre la
pauvreté. Les IMF auxquelles se réfère cette analyse sont celles qui ont un fondement mutualiste ou solidaire, qu’elles soient formelles ou informelles. Elles
ont été tirées des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine,
notamment du Bénin, du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal6.
LA DYNAMIQUE D’EXCLUSION DANS UN SYSTÈME
COMPLET D’INSTITUTIONS DE MICROFINANCE
Les IMF à fondement mutualiste ou solidaire sont contraintes, dans une économie de marché, d’arbitrer entre leur objectif spécifique de développement
économique et social dans la solidarité et l’objectif normatif de rentabilité
économique et financière (Gentil et Fournier, 1993 ; Guérin, 2000 ; Haudeville,
2001 ; Parodi, 2000). Pour ce faire, elles exigent une garantie de plus en plus
substantielle, excluant certains clients pauvres. Les IMF peuvent produire
ainsi leurs propres exclus. Mais si l’on se situe dans l’optique d’un « système
complet d’IMF » l’exclusion est relative et non absolue. Dans cet espace, la
transformation d’une IMF particulière est nécessaire et compatible avec la
lutte contre la pauvreté. La définition préalable du système complet d’IMF
permettra de distinguer les deux modes d’exclusion : l’exclusion relative
d’un individu et son exclusion absolue, de relier celles-ci à la nécessaire
transformation de l’IMF qui en est la cause.
Le « système complet d’IMF »
À partir d’une typologie des IMF fondée sur la garantie exigée, on peut
construire un système complet d’IMF. Ce système sera constitué d’un continum d’IMF différentes les unes des autres par leur système de garantie ; la
garantie est plus ou moins sélective d’une IMF à une autre. Admettons que
la garantie minimale (la moins sélective) soit l’appartenance à un groupe de
caution solidaire, appartenance qui est fonction du capital social de l’individu.
Plus généralement, le capital social est défini comme la densité des rapports
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sociaux d’un individu, de son insertion sociale. Formellement, le « système
complet d’IMF » est un ensemble E formé d’un continuum d’IMF tel que :
E ={IMF1, IMF2, IMF3, … IMFi, … IMFN}.
Les IMF sont différentes les unes des autres et elles peuvent être ordonnées elles-mêmes selon un degré d’exigence croissante de leur système de
garantie, de la manière suivante : IMF1 < IMF2 < IMF3 … < IMFi … < IMFN.
L’IMF1 est moins exigeante que l’IMF2, elle-même, moins exigeante que
l’IMF3 et ainsi de suite. La garantie la plus faible, celle exigée par l’IMF1 est
par hypothèse l’appartenance à un groupe de caution solidaire. On parle de
système complet parce que l’union des IMF, IMF1∪ IMF2 ∪ IMF3….∪ IMFi
…..∪ IMFN couvre tout l’espace de la microfinance de sorte que toute transaction financière quelle qu’elle soit, répondant aux conditions minimales,
celles de l’IMF1 (la capacité d’appartenir à un groupe de caution solidaire),
trouve sa place dans le système microfinancier. Une comparaison7 peut être
faite avec le système de distribution des marchandises (Haudeville et Dado,
2002). Les banques formelles seraient en fait des grossistes des transactions
financières, les mutuelles et coopératives d’épargne et de crédit seraient des
demi-grossistes, les institutions de crédit solidaire seraient l’échelon intermédiaire équivalent de la grosse épicerie ou de la supérette et, enfin, la finance
informelle pourrait être assimilée aux détaillants qui recyclent de petits lots de
produits. On serait alors en présence d’un « système financier complet », selon
qu’on traite de la globalité du système financier, ou d’un « système microfinancier complet » selon qu’on traite de la seule microfinance. Comme indiqué, au sens large, on peut inclure dans le « système complet de microfinance »
toutes les institutions de microfinance formelle et informelle allant des coopératives et mutuelles d’épargne et de crédit aux tontines en passant par le
crédit solidaire, etc. ; dans ce cas, l’ensemble sera borné au niveau inférieur
par les institutions de la finance informelle. Dans une analyse plus restrictive
qui exclurait la finance informelle, le « système complet de microfinance » est
borné à son niveau inférieur par les modèles de type crédit solidaire et à son
niveau supérieur par les mutuelles d’épargne et de crédit dont les garanties
sont assimilables dans certains cas à celles demandées par les banques commerciales. Que signifie alors l’exclusion d’une catégorie socioéconomique de
l’accès à cet espace d’IMF ?
L’exclusion relative d’un individu ou d’une catégorie
L’analyse des IMF montre que le passage de la caution solidaire comme garantie à l’épargne préalable (forme de garantie supérieure, plus exigeante) se traduit par l’exclusion des membres très pauvres pour qui la garantie morale est
la seule qu’ils peuvent mobiliser. Mais si cette population pauvre est dotée
d’un « capital social », son exclusion par une IMFi particulière est relative, car
elle n’est pas exclue pour autant du « système complet de microfinance » qui
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comprend d’autres institutions, soit {E − (IMFi < IMFi+1….<IMFi+1)}. Grâce à
son « capital social minimal requis », l’individu exclu de manière relative peut
accéder encore à d’autres formes d’institutions de microfinance : par exemple
le type de crédit solidaire IMF1 en lieu et place de la coopérative ou de la
mutuelle d’épargne et de crédit IMFi. D’une manière générale, on supposera
que dès l’instant où l’individu dispose d’un « capital social » au moins égal au
minimum requis, son exclusion de l’espace de la microfinance est impossible.
L’exclusion relative se mesure à la capacité d’un acteur à établir des liens
sociaux stables ou suffisamment intenses qu’il peut toujours mobiliser en cas
de besoin pour intégrer l’espace de la microfinance. Si l’on admet cette interprétation, il devient clair que le passage d’une forme de microfinance à une
autre ou encore l’évolution d’une même structure de microfinance qui change
de forme institutionnelle comporte en elle-même une dynamique d’exclusion
relative de certains membres.
L’exclusion absolue de l’espace de la microfinance
En considérant l’appartenance à un groupe de caution solidaire comme la
condition minimale d’accès à une structure de microcrédit solidaire (IMF1),
l’individu exclu dans l’absolu est celui qui n’a pas le minimum de capital
social requis et qui ne peut même pas être membre d’un groupe de caution
solidaire. C’est le cas par exemple de cette femme avec qui personne ne veut
s’associer pour former un groupe de caution solidaire. Il s’agit généralement
d’un individu dont les relations sociales sont « pauvres » (Lachaud, 1997,
p. 11-13). On retrouvera dans cette catégorie des marginaux souvent trop
instables pour tenir une activité productive, ceux dont la pauvreté monétaire
est doublée d’une pauvreté sociale. La catégorie qui retient l’attention dans
la présente analyse est celle qui subit l’exclusion relative. Le traitement de
l’exclusion absolue relève de la politique distributive de l’État.
L’exclusion est en fait inhérente au processus de croissance et de transformation de l’IMF. Elle fait douter de la capacité des IMF à croître en luttant
contre la pauvreté et l’exclusion tout en sauvegardant leur caractère mutualiste. Il s’agit dans la suite de cette analyse de montrer que non seulement
la transformation de l’IMF est nécessaire pour rendre possible sa croissance
mais qu’il existe également une solution au problème de l’exclusion dans la
croissance. C’est la flexibilité et la complémentarité des formes institutionnelles de la microfinance : complémentarité, d’une part, entre les institutions
de microfinance elles-mêmes, pour résoudre les problèmes d’exclusion « par
le bas » et « par le haut » ; complémentarité, d’autre part, entre les institutions
de microfinance et les institutions financières formelles, pour permettre une
intégration « par le haut » dans la finance formelle, des membres performants
qui le souhaiteraient. Cela permet d’assurer une meilleure accessibilité des
populations pauvres aux services financiers.
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LA TRANSFORMATION DES INSTITUTIONS
DE MICROFINANCE ET LA COMPLÉMENTARITÉ
DES FORMES INSTITUTIONNELLES
L’analyse socioéconomique d’inspiration « dualiste » permet d’expliciter la
dynamique de la transformation des IMF (Peyrega, 1978 ; Soulama, 1987,
1995). Le modèle théorique socioéconomique postule a priori un dualisme
économique de type systémique, hiérarchisé en distinguant deux secteurs :
le secteur moderne de production marchande est entraînant ; le secteur traditionnel de l’économie domestique ou solidaire est entraîné. Selon l’approche
socioéconomique, le secteur de l’économie solidaire s’articule au secteur
marchand, se transforme et se développe. La transformation est réussie
lorsque le secteur de l’économie solidaire s’articule parfaitement au secteur
moderne, adopte partiellement le mode de raisonnement de celui-ci (calcul
économique en l’occurrence) tout en sauvegardant les identités socioéconomiques (principe de solidarité). Appliqué aux IMF, le raisonnement conforme
à « l’optimum de Pareto8 » est le suivant : si au départ, une structure de microfinancement démarre avec 100 individus tous initialement exclus du marché
de l’intermédiation financière formelle et qu’à l’arrivée, elle en sélectionne 60,
se transforme elle-même et intègre les normes du marché, peut-on dire au
terme du processus qu’il y a eu échec ? En termes d’optimum, si la situation
des 40 exclus relatifs n’est pas pire, ou si l’amélioration de la situation des
60 agents ne s’est faite ni au détriment des 40 autres, ni au détriment de la
nature solidaire de l’IMF, l’IMF, avec la transformation socioéconomique et
l’exclusion relative de certaine catégorie de la population, a participé à l’amélioration du bien-être social global. Comme le suggère l’analyse socioéconomique, il n’y a donc pas d’échec par rapport au modèle mutualiste ; il n’y a
pas d’échec non plus par rapport à la capacité de lutter pour la réduction de
la pauvreté.
La dynamique socioéconomique
d’une institution de microfinance
L’analyse de la dynamique d’une institution de microfinance à base mutualiste ou solidaire (Vienney 1980 ; Desroche, 1969) permet de comprendre le
processus qui aboutit à l’exclusion de certaines catégories socioéconomiques.
L’interprétation socioéconomique
de l’IMF à base mutualiste ou solidaire
Pour ce faire, l’analyse socioéconomique considère les trois éléments constitutifs9 (Soulama, 1987, 1995) de l’entreprise de microfinance de type mutualiste
que sont : les individus sociétaires (I-S), l’activité de microfinance (épargne
et crédit E-C) et le groupement mutualiste représenté dans sa plus simple
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expression par le groupe de caution solidaire (GCS). L’individu sociétaire est
socialement déterminé (Soulama, 1987). Ego est un agent économique pauvre,
qui est exclu du marché de la finance formelle. Il existe en outre une demande
potentielle formée par la demande de l’ensemble des individus qui partagent
la même condition que ego. Dans ces conditions, ces individus se mettent
ensemble pour créer une entreprise de microfinance afin de satisfaire leurs
besoins de microfinance. Donc, ils sont les usagers-propriétaires de leur entreprise. Dès lors la maximisation du profit d’entreprise n’a aucun sens pour eux
(Pichette, 1972 ; Angers, 1974 ; Vienney, 1994 ; Soulama, 1995, 2002). Il est par
contre tout à fait rationnel qu’une telle entreprise vise à satisfaire le plus grand
nombre au moindre coût. Le groupe de caution solidaire est une construction
des agents concernés qui exerce sur chaque agent un contrôle social dans le
respect des normes, du système de valeur et de l’identité socioéconomique
du groupe. Le système de règles est implicite ou explicite ; ce qui importe,
c’est qu’il soit connu et accepté de tous ; il s’inspire des coutumes, des normes,
des vertus en vigueur dans le milieu socioéconomique. Il définit les droits et
devoirs de chaque entité (I-S, E-C, GCS) de même que les sanctions et récompenses. Les règles peuvent être formulées différemment mais ce qui importe,
c’est que l’on retrouve un système de quatre règles structurelles (Vienney,
1980 ; Soulama, 1995) : respectivement, l’égalité des sociétaires dans la prise
de décision, l’existence d’un lien nécessaire entre l’activité des individus et
l’activité de leur entreprise de microfinance, la répartition des résultats aux
prorata des transactions et, enfin, l’appropriation durablement collective des
résultats réinvestis. La notion de système de règles signifie qu’aucune de ces
règles prises isolément n’est particulière à ce type d’organisation. L’IMF est à
la fois autocentrée et ouverte sur son environnement.
Schématiquement, le modèle est représenté comme ci-contre (graphique 1) : le « triangle mutualiste ou de type mutualiste » entouré d’un cercle,
le tout, placé dans un champ de forces (Soulama, 1995, 2002). Le triangle illustre le « noyau dur » tandis que le cercle simule l’environnement10. Chacun des
sommets du triangle représente un des trois éléments constitutifs du « noyau
dur » de la structure mutualiste : l’individu sociétaire noté I-S, l’activité de
microfinance réduite à l’épargne et au crédit notée E-C et, enfin, le groupement mutualiste noté GCS. Au centre du triangle se trouve le système de
règles noté S-R. Enfin, comme indiqué, l’unité ainsi constituée est en contact
avec son environnement noté E. Le système est donc soumis, d’une part, à
une dynamique introvertie mue par les relations intrasystème et, d’autre part,
à une dynamique extravertie mue par les relations entre le système et son
environnement.
Deux forces de sens opposé exercent une attraction sur le « noyau dur »
et impriment à l’entreprise son sentier de développement11. La première force
d’attraction est positive (pression attractive de S-R), de type centripète, tournée vers l’intérieur ; elle est exercée par le système de règles mutualistes conçu
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Graphique 1
Structure systémique et champs de forces d’une IMF
I-S
E
E
S-R
E-C
GCS
E
et accepté par le GCS. Elle a pour objet de maintenir l’ensemble en cohérence,
d’intégrer les trois éléments du noyau dur, pour former ainsi une action collective de type mutualiste. Cette force pousse l’individu sociétaire à respecter la
règle, à agir conformément à la confiance placée en lui par les autres membres
du groupe. Elle renforce également dans l’unité économique chargée de la
mise en œuvre des activités d’épargne et de crédit la propension à satisfaire
et à agir dans le sens de l’intérêt des individus membres. Elle renforce enfin
dans le GCS la tendance à agir comme facteur d’incitation des individus et
de l’unité économique. La deuxième force d’attraction est négative, de type
centrifuge, tournée vers l’extérieur ; elle est exercée par l’environnement, sur
chacun des éléments du noyau dur. Elle tend à faire « éclater » l’ensemble, à
le désintégrer. Elle tend par exemple à développer, chez l’individu adhérent,
la rationalité égoïste de l’individu (recherche de la maximisation de son seul
bien-être) contre la rationalité du groupe (recherche de la maximisation du
bien-être du groupe). Elle renforce dans l’unité économique, la tendance à se
détourner de l’intérêt des membres, à placer par exemple, dans une recherche
de meilleure rentabilité financière, l’épargne collectée hors de la structure,
répondant très peu aux besoins de crédit des membres jugés peu rentables ou
trop risqués. Elle renforce dans le GCS l’esprit de la solidarité perverse (Gentil
et Fournier, 1993 ; Soulama, 1995), soit la solidarité dans le non-remboursement
en lieu et place de la solidarité dans le remboursement. Si, comparativement,
la force centripète l’emporte dans le champ de forces, autrement dit si les liens
intrasystème sont relativement plus puissants, l’IMF peut fonctionner comme
une entreprise autocentrée et ouverte en même temps sur son environnement.
Dans l’hypothèse où la force centrifuge l’emporte sur le champ de forces, c’està-dire lorsque les liens intrasystème sont faibles, la structure mutualiste éclate
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sous la pression de l’environnement. Dans ce cas, chacun des éléments constitutifs, en l’occurrence l’institution de microfinance et l’individu sociétaire,
tend à se constituer en une unité économique autonome. En réalité, quand
les liens intrasystèmes sont faibles, l’entreprise de micro-finance à fondement
mutualiste ou solidaire n’a pas sa raison d’être.
Les implications du modèle
L’analyse socioéconomique permet de relever les tensions qui s’exercent dans
la structure de microfinance et d’expliquer son évolution. La pression exercée
par l’environnement marchand et sur l’individu sociétaire (I-S) et sur l’entreprise coopérative (E-C) entraîne bien souvent une transformation de la fonction objective de l’IMF. Au terme de ce processus, le volet entreprise devient
dominant relativement au volet association. Cette domination de l’entreprise
et/ou de l’objectif de rentabilité a un effet sur les choix stratégiques : l’IMF
aura tendance à élargir sa clientèle au-delà de sa clientèle traditionnelle, à
diversifier ses produits et services, sans tenir compte de l’intérêt immédiat du
sociétaire de base, à s’investir dans des métiers liés au secteur financier. On
repère les signes d’une altération de la spécificité coopérative et mutualiste
intervenue dans les pays développés au cours de ces vingt-cinq dernières
années. Les membres se transforment en clients simples d’une banque « coopérative » structurée en holding. Les choix opérés ont conduit à un élargissement de leur clientèle traditionnelle, de leurs gammes de produits et services.
Il découle de la construction théorique que puisque les sociétaires (I-S) sont
en principe égaux dans la prise de décision, que les décisions sont prises
démocratiquement par le groupe (GCS), tout changement dans la composition du groupe, y compris à la suite de la différenciation des individus qui le
constituent, va entraîner une évolution de l’IMF (E-C). Ainsi une recomposition ou différenciation du sociétariat au profit des catégories plus aisées va se
traduire par une configuration qui accroît le risque d’exclusion des catégories
plus pauvres. Il en fut ainsi pour le Réseau des Caisses populaires du Burkina
Faso avec le déplacement du centre de gravité du réseau de la campagne
(1972-1990) vers les villes (1990-2000). Il s’en est suivi un biais urbain du
sociétariat avec, pour corollaire, l’exclusion des catégories pauvres du fait de
la garantie plus substantielle qui leur est exigée (Soulama, 2002 ; Congo, 2001).
Le biais urbain est doublé pour la même raison d’un biais sectoriel en défaveur de l’agriculture. Le réseau consacre ainsi au financement de l’agriculture
une part marginale de ses crédits : 4 % en 2000 contre 15 % pour l’immobilier,
25 % pour le commerce, 22 % pour les activités rémunératrices des femmes.
Ce modèle laisse toutefois soupçonner l’existence de plusieurs sentiers
de développement possibles : un sentier de développement unidirectionnel
de l’IMF qui se fait au profit de la fraction pauvre des adhérents, privilégiant
donc « l’exclusion par le haut » ; dans ce cas assez rare dans l’espace UEMOA,
l’IMF garde les clients relativement pauvres et chasse les gros. Un sentier de
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développement unidirectionnel de l’IMF qui se fait au profit de la fraction la
plus riche des adhérents, privilégiant « l’exclusion par le bas » ; l’IMF garde les
membres relativement riches et chasse les pauvres. Les résultats empiriques
confirment que certains micro-entrepreneurs, après une période d’apprentissage dans la microfinance atteignent un volume d’affaires désormais incompatible avec la microfinance. Ils sont alors incités à aller vers le système financier
formel : faut-il les en empêcher au risque de limiter leur capacité de croissance
ou faut-il les retenir en s’adaptant à leurs besoins12 ? Pour les retenir ne faut-il
pas que l’IMF change ses méthodes, peut-être au détriment des membres
plus pauvres, en vue de répondre aux besoins de cette nouvelle clientèle ? Ce
problème montre bien la nécessité d’une articulation/transformation négociée soit avec d’autres composantes du système microfinancier, soit avec le
système financier formel. Un sentier de développement mixte qui se fait au
profit de l’une et de l’autre catégorie. Cette troisième éventualité nécessite une
flexibilité/complémentarité des formes institutionnelles de la microfinance :
la structure de type coopérative d’épargne et de crédit garde les gros et petits
clients tout en aménageant en son sein un « sous espace microfinancier »
de type crédit solidaire pour les petits clients. Cette variante d’apparition
récente dans l’espace UEMOA s’inscrit dans la logique du « système complet
de microfinance » ; elle est plus efficace, car plus apte à concilier les exigences
d’efficacité économique et financière avec les exigences de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. L’extension de cette variante dans l’espace UEMOA et ses
performances (Haudeville et Dado, 2002 ; Soulama, 2002 ; UEMOA-BECAOBIT, 1999) confirme la possibilité de poursuivre conjointement l’objectif de
croissance avec celui de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
L’efficacité dans la complémentarité
des formes institutionnelles
Une complémentarité entre la coopérative d’épargne et de crédit et le microcrédit solidaire crée la possibilité pour les structures de microfinance de
croître tout en restant disponibles pour les populations pauvres. De la même
manière, on peut montrer qu’une complémentarité entre la microfinance et le
système formel est possible. Elle permet au système financier formel d’être
disponible pour les catégories intermédiaires tout en étant accessibles pour
les catégories pauvres. Dès lors, il devient possible pour les agents économiques performants de passer d’une forme de microfinance à une autre, de
la microfinance, à la finance formelle dès lors que la taille de leur activité le
leur permet.
La complémentarité est d’autant plus nécessaire pour garantir l’accès
des populations pauvres au système financier que les institutions de crédit
solidaire ont une plus grande propension à atteindre les plus pauvres que les
coopératives ou mutuelles d’épargne et de crédit qui sont elles-mêmes plus
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accessibles aux catégories intermédiaires. La complémentarité entre l’une
et l’autre formes améliorerait la performance globale du système. Le crédit
solidaire est efficace dans un mode d’économie d’échange relativement peu
complexe où la production et les échanges sont fortement personnalisés.
Le groupe de caution solidaire, garantie « immatérielle » efficace fonctionne
avec succès dans la plupart des crédits solidaires. Les mutuelles d’épargne
et de crédit sont efficaces dans un système où le réseau de dépendance et
de proximité se relâche, le processus d’échange de plus en plus impersonnel
favorisant le développement de divers comportements opportunistes, ce qui
entraîne une augmentation des coûts de transaction. Pour prévenir les risques
d’impayés, une garantie matérielle adaptée au « patrimoine » de la population
cible est introduite. La microfinance de type mutualiste possède une supériorité institutionnelle incontestable sur le système financier formel, mais elle
est limitée dans sa capacité à disposer de financement. Dans certains pays
de l’UEMOA, l’amorce d’un partenariat institutionnel efficace à l’intérieur
même du secteur microfinancier ou entre celui-ci et le secteur bancaire formel
permet de pousser encore plus loin la frontière du système financier en y intégrant des populations jusque-là tenues en marge.
La complémentarité des formes institutionnelles
entre IMF de nature différente
Une des solutions mises en œuvre au Burkina Faso et au Bénin est l’articulation des caisses d’épargne et de crédit avec le microcrédit solidaire. Dans le cas
du Burkina Faso, les caisses populaires ont introduit en leur sein en 1996, le
principe du prêt de groupes et le mécanisme de la caution solidaire de groupe
afin d’améliorer l’accès au crédit des femmes rurales (Congo, 2001). Le crédit
est attribué par le Regroupement des caisses populaires à des groupes solidaires appelés « caisses villageoises », constitués d’une trentaine de personnes,
exclusivement des femmes rurales démunies qui se connaissent bien et qui
adoptent la caution solidaire comme système de gestion et d’organisation.
Les femmes obtiennent individuellement par ce biais, des microcrédits (de
10 000 à 50 000 FCFA) sans épargne préalable, pour la réalisation de leurs
activités génératrices de revenus. La mise en œuvre des caisses villageoises
vise à corriger le biais en défaveur des populations pauvres. L’expérience a été
concluante comme en témoignent l’explosion du nombre de clients et l’augmentation du portefeuille de prêts. En 2000, il existait 2010 caisses villageoises
gérant un volume total de crédit de près de 1,4 milliard de francs CFA, soit
environ 15 % de l’ensemble du portefeuille de prêts du réseau et environ 35 %
de celui des caisses populaires concernées. En dépit de cette croissance des
besoins, le prêt moyen par client a augmenté ; dans le même temps, le taux
de recouvrement des crédits s’est maintenu à un niveau toujours élevé, de
l’ordre de 100 %. Au Bénin, lorsque la Fédération of Agricultural Savings and
Credit Unims (FECECAM) a mis en place son « Projet de tout petit crédit aux
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femmes », elle a procédé en fait à une articulation d’une mutuelle d’épargne
crédit avec un crédit solidaire. Cette articulation a permis d’octroyer des prêts
de 10 000 à 50 000 FCFA pour une durée de trois à neuf mois aux femmes
démunies ne pouvant pas remplir les conditions générales d’accès au crédit.
C’est ainsi que 42 456 petits crédits de 15 000 à 40 000 FCFA ont été octroyés
aux femmes pour un montant de 1,5 milliard de FCFA. Il faut signaler par
ailleurs que la FECECAM entretient des relations financières avec la finance
informelle (clubs de tontines et les banquiers ambulants) de même qu’avec les
autres systèmes financiers décentralisés et les banques formelles.
L’expérience malienne offre un autre exemple de complémentarité au
sein du Réseau des caisses populaires de Nyèsigiso, entre la Caisse associative d’épargne et de crédit des entrepreneurs et des commerçants de Bamako
(CAECE) et les autres caisses de base du Réseau des caisses populaires de
Nyèsigiso (Ntesiyaremye, Larocque et St-Hilaire, 1997). La CAECE est une
composante spécifique, relativement fermée, qui s’adresse à une clientèle
spécifique, soit les micro-entrepreneurs qui ont franchi le seuil de pauvreté
et dont les perspectives d’affaires sont assez favorables. L’éventail de prêt
accordé va de 500 000 FCFA à 10 millions de FCFA. La CAECE est tout de
même membre du Réseau. Les autres caisses de ce réseau sont des caisses
ordinaires d’épargne et de crédit qui s’adressent à une catégorie plus pauvre
qui se situe sans ambiguïté en dessous du seuil de pauvreté. Toutefois, afin de
ne pas concurrencer les caisses de bases du Réseau de Nyèsigiso, le prêt minimal octroyé par la CAECE correspond au prêt maximal en vigueur dans les
caisses du Réseau, soit 500 000 FCFA. Le montant maximal est de 1,5 million
de FCFA pour le premier prêt, de 3 millions de FCFA pour le deuxième prêt,
de 5 millions de FCFA pour le troisième prêt et de 10 millions de FCFA pour
tout autre prêt subséquent. Cet exemple donne la preuve que dans un système
complet de microfinance, le développement « par le haut » peut être compatible avec le développement « par le bas ». Un tel système permet de retrouver
la compatibilité entre les objectifs de croissance, de viabilité et d’accessibilité
aux populations pauvres.
La complémentarité des formes institutionnelles
entre les IMF et les institutions financières formelles
La complémentarité entre les banques et les IMF se développe dans certains
pays de l’UEMOA. Elle relâche la contrainte de ressources qui pèse sur les
IMF et diminue pour les banques commerciales partenaires les risques de
défaut de paiement. Au Mali, la Banque nationale de développement agricole (BNDA) (UEMOA-BCEAO-BIT, 1999) offre aux IMF partenaires des
services financiers (refinancement et placement), des services de soutien et de
promotion (création et surveillance des IMF pour le compte des bailleurs de
fonds). La Caisse nationale du crédit agricole du Sénégal (CNCAS) fournit des
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prestations d’ordre technique à ses partenaires de la microfinance (action de
sensibilisation, de formation des gérants et des élus des organes de contrôle)
et offre également des prestations d’ordre financier (gestion de trésorerie, taux
d’intérêt préférentiel). La Financial Bank au Bénin a créé sa propre filiale de
microfinance, la FINADEV. Progressivement (Haudeville et Dado, 2002), la
complémentarité se met en place, facilitant la gestion des excédents des institutions faîtières des réseaux mutualistes, mais aussi mettant à leur disposition
des ressources leur permettant de se refinancer.
CONCLUSION
En se développant dans l’espace UEMOA, les institutions de microfinance
produisent, par l’instauration d’un système de garantie de plus en plus
sélective, leurs propres exclus relatifs. Deux facteurs sont à la base de cette
exclusion : d’une part, le processus de différenciation des sociétaires propre
au système de microfinance et, d’autre part, la pression exercée par l’environnement socioéconomique marchand. L’exclusion « par le haut » ou « par
le bas » qui résulte de cette dynamique revêt toutefois un caractère relatif.
En ce qui concerne l’exclusion « par le bas » , tant qu’un agent économique
dispose du « capital social minimal requis », il aura toujours accès à une IMF à
condition que l’espace de la microfinance soit compris comme un continuum
d’institutions complémentaires. Dans ce système complet d’IMF, il existe toujours une IMF susceptible de répondre au besoin de financement d’un agent
économique, dès l’instant où celui-ci dispose de la garantie minimale, à savoir
la caution solidaire. Quant à l’exclusion « par le haut », elle pose le problème
de l’adaptation de la structure de microfinance ou de son articulation avec
d’autres IMF ou avec la finance formelle. Dans tous ces cas, l’exclusion est
toujours relative. Le système complet d’IMF permet de concilier, pour une
IMF particulière, les objectifs apparemment contradictoires de croissance, de
viabilité financière et d’accessibilité. Il apparaît que, bien que les IMF particulières procèdent à une exclusion relative de certaines catégories, le système
complet d’IMF n’en constitue pas moins un instrument efficace pour l’accès
des populations pauvres aux services financiers et pour la réduction de la
pauvreté. Quant à l’exclusion absolue de l’espace de la micro-finance, son
traitement relève de la politique de redistribution de l’État et de la société
dans son ensemble.
Notes
1.
206
L’UEMOA est une zone d’intégration économique et monétaire regroupant huit pays de l’Afrique de
l’Ouest qui ont une monnaie commune, le franc CFA : Bénin, Burkina Faso, Côte-d’Ivoire, GuinéeBissau, Mali, Niger, Togo, Sénégal. Le franc CFA se définit par rapport à l’euro dans le rapport de
change suivant : 1 euro = 655,97 FCFA.
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2.
L’auteur remercie les évaluateurs externes de la revue pour leurs suggestions et commentaires très
instructifs. Ces remarques lui ont permis de clarifier davantage sa pensée, de revoir le fond et la
forme de la version initiale de cet article.
3.
Entre 1997 et 1999, le nombre de clients des institutions de microfinance est passé de 1 441 000 à
2 352 000 touchant environ 20 % des ménages (familles) de l’espace UEMOA.
4.
La loi de Gresham (1519-1579) énonce que lorsque deux monnaies circulent parallèlement et que
l’une d’entre elles s’apprécie, elle est thésaurisée, et chassée de la circulation. La mauvaise monnaie reste seule disponible pour les transactions. Ainsi, la mauvaise monnaie chasse la bonne.
5.
Muhammed Yunus a fondé dans la seconde moitié des années 1970 la Grameen Bank au
Bengladesh, un système de microfinance de type crédit solidaire. L’expérience de la Grameen
Bank, par ses succès éclatants dans la lutte contre la pauvreté, a fait découvrir par la communauté
internationale dans les années 1990, les « vertus bienfaisantes » de la microfinance dans la lutte
pour la réduction de la pauvreté.
6.
Le RCPB au Burkina Faso, la FECECAM au Bénin, Nyèsigiso et Kafojiginew au Mali figurent parmi
les IMF les plus représentatives de l’UEMOA. Les formes dominantes sont les mutuelles d’épargne
et de crédit, d’une part, et les microcrédits solidaires de l’autre.
7.
Ce passage est inspirée de HAUDEVILLE et DADO (2002).
8.
Une allocation des ressources est dite optimale au sens de Pareto si, et seulement si, il n’est plus
possible d’améliorer la situation d’un agent économique sans détériorer celle d’au moins une autre
personne.
9.
À l’analyse bicéphale de Claude Vienney qui voit dans l’entreprise coopérative ou mutualiste deux
éléments (l’entreprise, d’une part, et le groupement de personnes de l’autre) ou à l’analyse quadricéphale de Henri Desroches qui retient de l’entreprise coopérative quatre éléments constitutifs
que sont les administrateurs, les managers, les sociétaires et les travailleurs salariés de l’entreprise,
nous opposons une analyse tricéphale : l’individu-adhérent ou sociétaire, l’entreprise en tant que lieu
de combinaison des facteurs de production et le groupement de personnes en tant qu’organe de
décision et de sauvegarde de l’intérêt du groupe. Pour plus de détails, voir SOULAMA, 1987, 1995,
2002.
10.
Voir aussi pour une analyse dynamique, le modèle du « quadrilatère magique » (Henri Desroches)
avec l’identification des quatre éléments suivants : les managers, les administrateurs, les ouvriers
et les Sociétaires. Ce modèle est toutefois un modèle de la dynamique interne de l’entreprise
coopérative et ne fait pas apparaître de manière explicite le rôle de l’environnement.
11.
Graphique et raisonnement extraits de SOULAMA (1995) et adaptés.
12.
Situation réelle vécue et bien perçue par la direction du Réseau des caisses populaires du Burkina.
« Nous avons fait du crédit à des personnes au moment où elles étaient les plus risquées pour
les banques formelles ; nous les avons formées, les avons accompagnées dans le développement
de leurs affaires et maintenant qu’elles sont devenues des entrepreneurs moins risqués, avec un
volume d’affaires plus substantiel vous voulez que nous les remettons entre les mains des banques
formelles ? »
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