Document 2 Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? Michel Billé, sociologue
CNDPF (Carrefour National des Délégués aux prestations familiales), Paris 2013
Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, ce qui structurait et soudait l'unité familiale a changé et continue à
changer avec nous, malgré nous, mais nous sommes désormais impliqués dans des organisations familiales qui
se structurent sur de nouvelles bases :
-Le « toit » faisait la famille. Il y a longtemps que la famille ne tient plus à l'unité d'habitation. La décohabitation
entre les générations est pratiquement devenue la règle et, même, elle n'est plus rare à l'intérieur du couple qui,
parfois, ne met en commun qu'une partie du temps, soit pour des contraintes professionnelles soit par peur de
l'usure de la vie commune, soit pour préserver une zone spécifique aux enfants issus d'un couple antérieur etc.
-Le « nom » faisait famille. On était du même sang, on portait le même nom. Fierté, parfois ou gêne, au
contraire, mais le nom (que l'on tenait du père et, par conséquent, du grand-père) scellait l'unité familiale, disait la
descendance, la transmission, la lignée. Les noms sont multiples, (ils le seront sans doute de plus en plus, la loi
le permet désormais) et ne disent plus grand chose de la nature des relations entre ceux qui habitent ou non
sous le même toit et se considèrent de la même famille.
-Le « droit » faisait famille. Droit coutumier ou droit formel, le contrat -de mariage- scellait l'unité familiale. Il y a
déjà quelques temps que le mariage ne fait plus la famille, en tous cas n'est pas seul à la faire, et que le juge
(des affaires familiales), en cas de conflit, remplace le contrat. (En 2005, 40 divorces pour 100 mariages.)
-Le « sang » faisait la famille. Aujourd'hui les sangs sont multiples, mélangés, métissés, plusieurs sangs se
côtoient dans les mêmes unités familiales. L'autre manière de dire le lien du sang était de dire que l'on était ou
non du même lit… L'expression un peu triviale a du mal à parler d'amour mais les amours sont multiples, les
partenaires peuvent l'être aussi ...
Au-delà du toit, du nom, du contrat et du sang, ce qui fait famille est devenu le choix. Dans une famille
tendanciellement élective, à provenances multiples, potentiellement, virtuellement indéfinie (et non pas réduite,
comme on a souvent tendance à le croire) dans cette famille, je choisis de me relier à certains membres de ce
réseau. Mais je ne peux me relier à tous, c'est tellement grand ... Choisir c'est renoncer. Je ne me relie donc, bon
gré, mal gré, qu'à quelques-uns. Dans un réseau les connections sont toujours réversibles. Dans cette famille-là,
elles le sont aussi; les liens sont a priori réversibles et ils se défont à défaut d'être activés, entretenus, cultivés.
Cette famille est devenue incertaine, instable, mouvante, virtuelle, presque aléatoire.
Les questions d'éducation sont ici immenses : comment apprendre à un enfant, à nos enfants et petits-enfants, à
se relier aux autres ? A choisir les liens et à les cultiver? A se relier aussi avec les plus faibles, les plus pauvres,
les moins enviables, les plus vieux? On sait depuis longtemps, avec plus ou moins de bonheur, imposer à un
enfant une éducation à la contrainte, en tous cas par la contrainte, comment inventer l'éducation au choix, à la
liberté vraie que nécessite cette nouvelle forme familiale?
Sans doute faut-il souligner également quelques questions fondamentales qui trouvent, dans ces nouvelles
formes familiales, des expressions elles aussi nouvelles: Qu'est-ce qu'être parent ? Père ou mère, quand le
ciment conjugal a laissé la place au ciment filial? L'enfant est placé au centre de la famille, c'est au tour de lui
qu'elle se construit, c'est lui qui en fonde la durée ? Qu'en est-il de la parentalité, de la paternalité d'enfants que
l'on n'a ni engendré ni adopté ? De la même manière qu'en est-il de la maternalité ? Qu'en est-il de la beau-
parentalité ? De l'homoparentalité ? Qu'est-ce que le lien de fraternité ? De quoi est-il fait s'il n'est fait ni de sang,
ni de nom, ni même de toit ?
La loi du 17 mai 2013 ouvre désormais le mariage à des couples de même sexe, étendant ainsi, de fait, le statut
de famille à des situations qui en étaient jusque-là écartées. De nouvelles questions se posent alors quant à
l'adoption d'enfants, l'assistance à la procréation, ou la gestation pour autrui... Décidément c'est bien ce qui fait
famille qui se transforme.
Quatre à cinq générations, place des personnes âgées.
La structure familiale en réseau se complexifie encore si l'on y regarde les rapports intergénérationnels. En effet,
pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous voyons apparaître des édifices générationnels où se
superposent quatre voire cinq générations :
• l'aïeul 95 à 105 ans
• les grands-parents 75 à 85 ans
• les parents 50 à 60 ans
• les enfants 25 à 30 ans
• les petits-enfants 0 à 5 ans
4/20