Université de Picardie Jules Verne Laboratoire des glucides CNRS UMR 6219 Equipe THERA Sidérophore de synthèse Conception de chélateur du fer Sylvain Fardeau, Alexandra Dassonville, Nicolas Audic, Pascal Sonnet 19 Juin 2009 Critères de choix d'un chélateur du fer Pour être un candidat thérapeutique valable un chélateur doit répondre à différentes exigences Etre sélectif : présenter une chélation hexavalante forte des ions ferrique et moindre d'autres ions Etre efficace : avoir une bonne constance d'association avec l'ion métallique Ne pas être nocif : éviter les risques de toxicité aigu et chronique Présenter une balance hydrophilie-lipophilie Etre assimilable (ou non) par les micro-organismes (suivant la stratégie thérapeutique suivie) – Stratégie « cheval de Troie » – Traitement de maladie lié au fer Modèle de chélateurs du fer : les sidérophores bactériens Les bactéries sont des êtres vivants ubiquitaires, présents dans tous les écosystèmes. Leurs besoin en ions ferrique, en parallèle de sa faible disponibilité dans les milieux, les pousse à synthétiser de puissants chélateurs du fer, les sidérophores. A ce jour ces molécules sont les meilleurs chélateurs du fer connu, avec des résultats dépassant les différents chélateurs synthétisés par l'homme Enterobactine (E. coli) : KFe = 1052 M-1 Acide ethylenediaminetetraacetique (EDTA) : KFe = 1025 M-1 Ces molécules représentent un modèle dans la conception de nouveaux agents chélateurs des métaux. Cependant ils ne peuvent être utilisés directement Gen. Pharmacol. 9, 1978, 123-127 : il a été testé sur des rongeurs l'enterobactine comme agent thérapeutique. Les cobayes sont morts par la suite de septicémie. O O OH H N NH OH OH O HO OH OH O OH O O O OH O N O HN HO O O OH O O N N N OH Vibriobactine OH Enterobactine OH OH HOOC H N O H N N H OH COOH O OH OH N H Petrobactine N H N N H OH COOH O H N O OH H N O O O O N HOOC OH Aerobactine Objectif : chélateur du fer hexadenté -Un squelette central -trois chélateurs bidentés -trois connexions X3 X1 X2 Y3 Y1 Y2 I- Synthons clefs du sidérophores a) Le squelette central Structure centrale du chélateur : son rôle est d'assurer d’une part la cohésion avec les ligands et le « stress » sur les liaisons de coordination Espaceurs les plus souvent employés : dérivés di et tri-amines NH 2 H N H2N N NH2 diethylenetriamine H2N NH2 triethylenetriamine Avantages – grande ressemblance structurale avec certains sidérophores (vibriobactine) – souplesse de la structure – longueur de chaîne modifiable N NH O HO HN O NH HO N HO OH NH O HO SO3Na HN O HO NH N HO O SO3Na HO O TRENCAM N HO N SO3Na NH O HN O N NH O O O-TRENSOX O N N OH OH N O TRENDROX HO Autres espaceurs cités dans la littérature NH2 HN NH H2N N H NH2 benzene-1,3,5-triyltrimethanamine J. of Bact., 153, 1983, 109-115 1,4,7-triazocyclononane J. Am. Chem. Soc., 103, 1981, 2667-2675 analogue peptidique de l'enterobactine Chem. Eur. J., 14, 2008, 11061-11068 Il faut tenir compte que à pH physiologique (~7,5) l'atome central d'azote est sous forme chargé (ammonium). La géométrie du complexe est alors celle d'un tétraèdre, que l'on peut comparer à celle d'un carbone quaternaire. Un espaceur ayant un carbone comme atome central est donc aussi envisageable, et présente l'avantage de pouvoir fonctionnaliser le chélateur. R R H2N HO C C NH2 OH OH NH2 R = OH, CHO, CO 2H, CONH... La longueur de chaque s bras de l'espaceur va jouer un rôle dans la capacité chélatrice du futur complexe : plus forte seront les tensions et les gènes stériques au sein de la molécule plus sera instable l'édifice chélateur-métal. Exemple TRISPYR et CP130 (Inorganica Chimica Acta 281, 1998, 60-63) N O O O R R R TRISPYR NH HN R NH O O O R O N =R R HO CP130 Le chélateur CP130 (pFe = 28,8) montre une moins bonne chélation du fer que le TRISPYR (pFe = 37,6) malgré la présence des mêmes ligands bidentés : ce dernier ne peut se placer dans sa conformation idéale à cause de la rigidité et de l'encombrement des liaisons amides. Exemple MECAMS, CYCAMS et TRENCAMS (Harris et al., J. Am. Chem. Soc., 1981, 103, 26672675) N NH O HO SO3Na HN O NH HO O SO3Na OH HO HO OH HO O SO3Na SO 3Na HO TRENCAMS pFe = 29.6 SO3 Na N HO N OH O O HO OH O SO3Na N OH HO N H N H O HO SO 3Na S O3Na HN SO3 Na OH CYCAMS pFe = 24.9 Structure rigide ne facilitant pas la complexation O OH OH MECAMS pFe = 29.4 I- Synthons clefs du sidérophores b) Le chélateur bidenté Les ions ferriques (Fe3+) sont des atomes dit « dur » (selon les règles de Lewis), demandant des donneurs « durs » sur les agents chélatants. Ce sont les atomes d'oxygènes, et dans une moindre mesure ceux d'azotes, qui remplissent principalement ces rôles. Principaux chélateurs bidentates connus OH O HO O N OH OH catéchol OH acide hydroxamique HO HO O N O 3-hydroxy-4-pyridinone acide hydroxycarboxylique N 3-hydroxy-2-pyridinone N OH 8-hydroxyquinolone O N HO phénol oxazoline N HO pyridinophenol HO OH o,o'-dihtdroxybiphenol Ces différents fragments sont disponibles à partir de produits d'accès facile COOH CONHR OH OMe OH OMe HO BnO N O O 3-hydroxy-2-méthyl-4-pyridinone acide 2,3-diméthoxy benzoique catéchol R O maltol benzyl Une classification des ligands peut être faites suivant la taille de l'anneau de chélation (5, 6 voire 7) O O O Fe Fe Fe N N O O O chélation à 5 liaisons N O Fe chélation à 6 liaisons O O Fe chélation à 7 liaisons Les résultats donnée dans la littérature indique de meilleurs résultats avec les anneaux de chélation de taille 5 Modification notable des ligands N N NH O HO N HN HO O HN N HN O NH HO HO O N OH NH HO O SO3Na HO HO HO SO3Na OH HO HO 3 hydroxypyridin-4-one pFe=30.5 tetrahedron letters, 46, 2005, 1333-1336 HO O OH HO HO O NH O SO3Na NH HO N NH O HO TRENCAMS pFe=29.6 Inorg. Chim. Acta, 291, 1999, 148-157 TRENCAM pFe=27.8 Inorg. Chemical, 26, 1987, 1622-1625 Valeurs calculées (Pallas v3.5.1.1) des pKa des phénols (valeurs expérimentales) 3hydroxypiridin-4one TRENCAMS TRENCAM pKa1 (phénol) 6.58 (6.58) 6.86 (5.57) 7.67 (5.88) pKa2 (phénol) 7.21 (7.65) 7.34 (6.32) 8.15 (6.71) pKa3 (phénol) 7.68 (8.10) 7.82 (7.05) 8.63 (8.61) Tous facteurs modifiant l’acidité des ligands influera sur leurs capacités chélatrices I- Synthons clefs du sidérophores c) La connexion espaceur-chélateur La connexion chimique la plus souvent observée dans les chélateurs du fer (naturels ou synthétique) est la fonction amide obtenu entre l'amine primaire de l’espaceur et l'acide carboxylique du chélateur. Différents modes opératoires existent : chlorure d'acide (SOCl2,...) 3-carbonyl-1,3-thiazolidine-2-thione N,N'-carbonyldiimidazole (ou EDCI) Il peut être trouvé dans la littérature d'autres fonctions chimiques, comme les imines ou les amines; la plupart des exemples donnent des résultats inférieurs aux amides. (Tetrahedron, 1994, 50, 7, 2077-2094) L'étude de la famille des chélateurs du fer TRENSOX pose une énigme (J. Am. Chem. Soc., 1995, 117, 9760) N O HO N NH SO3 Na HN N HO O N HO O SO3Na HN O NH NH O NH N SO 3Na O N N SO3Na HO HO SO3Na N O-TRENSOX HO SO 3Na N-TRENSOX Dans les 2 cas nous avons : Le même espaceur Le même ligand bidentée La même fonction les connectant (amide) Pourtant on note une forte différence dans la complexation du fer (pFe (O-TRENSOX) = 29,5 et pFe (N-TRENSOX) = 21,6). O-TRENSOX, Inorganic Chemistry, 38, 840-841 HN HN O O Fe O N O Fe N Coordination type salicylate Est-ce que cette coordination type salicylate se retrouve dans d'autres cas? J. Am. Chem. Soc., 1998, 120, 35, 6277-6286 Les analyses des complexes cristallisés montrent l'existence de cette coordination avec un dérivé catéchol. Raymond et al. (J. Am. Chem. Soc, 2006, 128, 8920—8931) se sont intéressés aux différentes caractéristiques physicochimiques des groupements amide-catéchol et ont posé l'existence d'un équilibre suivant le pH du milieu. HN HN O H O + Fe O O O Fe OH Ne peut il pas se poser des problèmes de chiralité? tris(oxalato)-ferrate (III) [C6O12Fe]3- Λ tris(oxalato)-ferrate (III) Δ tris(oxalato)-ferrate (III) II- Chiralité des complexes a) Définition La configuration absolue d’un complexe chiral est décrite en l’observant suivant un axe d’ordre trois de l’édifice et en notant le sens de rotation de l’hélice formé par les ligands. On nomme Λ une hélice tournant vers la gauche et Δ une hélice tournant vers la droite II- Chiralité optique des complexes b) Le ferrichrome Les premiers travaux répertoriés étudient l'absorption de ferrichrome et de son énantiomère (ici appelé énantio-ferrichrome) chez les espèces Neurospora crassa et Aspergillus quadricintus. ( FEBS Letters, 97, 1979, 43-46) Les analyses structurales des complexes montrent que les complexes sidérophoremétaux sont énantiomères Etude de l’absorption de fer marqué (55Fe) Conclusion proposé : les membranes des champignons peuvent différencier le sidérophore complexé de son énantiomère Absorption ferrichrome spécifique Absorption non spécifique l’énantio-ferrichrome forte faible de de II- Chiralité des complexes c) Cas de l'enterobactine L'enterobactine, synthétisé par Escherichia coli, présente une capacité chélatrice des ions ferrique notable. Une synthèse de son énantiomère, l'énantioenterobactine, a été recherché (J. Org. Chem., 18, 1981, 3579-3590). O O O H N NH HO OH OH O OH O O O O O O O O HN HN O O OH OH OH OH Enterobactine NH HO O O OH H N O OH O OH Enantioenterobactine Le synthon clef de la synthèse est l’aminoacide non naturel la D-sérine. O H2N NH2 O NH2 OH HO Enantioenterobactine O O O O D-sérine O NH2 Rendement total 3.91 % Etape limitante cyclisation (R = 10%) : Cas cyclisation enterobactine (R=16 %) Une fois synthétisé le complexe ion ferrate-énantioenterobactine a été comparé au complexe ion ferrate-enterobactine : les analyses spectroscopique (figure 1) confirme l’énantiomérie des deux composés. Transport du fer Pour juger de l’impact des modifications on utilise une souche de E. coli incapable de biosynthétiser des sidérophores, la rendant dépendante de ceux de son milieu. Les résultats montrent une stagnation, voire une diminution, des populations bactériennes en présence de complexe ion ferrique-énantioenterobactine. Les mesures d’absorption de fer (55Fe) montrent que l’assimilation de cet isotope par le sidérophore non naturel est 25-50% aussi efficace comparé à celui naturel. II- Chiralité des complexes OH c) La fluviabactine et ses dérivés OH OH OH Les bactéries du genre Vibrio appartiennent à la famille des Vibrionaceae. L'espèce la plus connue du genre Vibrio est Vibrio cholerae : agent responsable du choléra. Il y a une vingtaine d'espèces du genre Vibrio, dont de nombreuses impliqués dans des pathologies gastro-intestinales. N O HO O O O HN N NH L-fluviabactine (4S, 5R) R R OH OH Ces bactéries sécrètent différents sidérophores ; la Lfluviabactine, la vibriobactine et la vulnibactine. Ces derniers ont une structure simple à discerner (espaceur diethylenetriamine, ligand bidentés type catéchol et phénol oxazoline). OH OH N O O O HN OH N O O N NH Vibriobactine (R=OH), vulnibactine (R=H) OH Bergeron et al. (J, Med, Chem, 44, 2001, 2469-2478) ont proposé une synthèse de la L-fluviabactine mais également de son énantiomère, la D-fluviabactine, ainsi que des dérivés de ce sidérophore. OH OH OH N O HN O HO O O N NH D-fluviabactine (4R, 5S) OH L’étape clef de la synthèse des deux énantiomères 15 et 16 est l’étape b) où est synthétisé l’amide correspondant à partir de la L ou D thréonine. Les complexes ion ferrique-15 et ion ferrique-16 sont tous deux enantiomères l’un de l’autre, comme on peut en conclure avec le spectre de dichroïsme circulaire. Différents milieux de culture de Paracoccus denitrificans sont préparés avec les composés synthétisés précédemment. Résultats : - taux de croissance similaires pour les produits préparés à partir de L-thréonine - Croissance identique au milieu de contrôle pour le dérivé 16 Etude de la clairance du fer par la L- et Dfluviabactine Résultats : -Bonne excrétion par la bile (D- 90.8% et L- 84.6 %) -Efficacité 5 à 6 fois supérieur au modèle de la desferrioxamine B -Résultats similaires obtenus avec les composés 17 et 18 CONCLUSION • Différents critères pour la synthèse de chélateur du fer peuvent être retenus - espaceur linéaire type triamine - différents chélateurs bidentés possibles (modèle catéchol-amide) • Importance lourde de la chiralité du complexe ion ferrique – chélateur - si configuration inverse du complexe naturel reconnaissance non spécifique faible de la part des micro-organismes - si même configuration reconnaissance et absorption du complexe