Sauver l'industrie? Des droits de vote doubles inefficaces
Cette généralisation forcée des droits de vote double est destinée à sauver l'industrie nationale en
augmentant l'influence des actionnaires « historiques », en favorisant la présence d'actionnaires forts au
service d'une stratégie créatrice de valeur et en protégeant les entreprises des OPA hostiles.
Mais ces présupposés n'ont aucune assise empirique. Les droits de vote double sont en réalité sans prise
sur l'engagement actionnarial : l'actionnaire qui détient ses actions depuis deux ans n'est pas et ne sera
pas nécessairement un actionnaire engagé avec une stratégie de long terme, et ce d'autant plus qu'un
nombre croissant d'investisseurs déploient des stratégies passives de gestion de portefeuille.
Des effets pervers
Les droits de vote double sont en outre notoirement porteurs d'effets pervers : de nombreuses études -
dont la plus récente est l'édition 2015 de l'étude d'Oddo Securities sur la gouvernance des grandes
capitalisations européennes - montrent que les structures capitalistiques comprenant des droits de vote
double sont moins performantes et moins rentables. Les causes sont variées :
- les droits de vote double soustraient le dirigeant à la discipline du marché et favorisent son contrôle sur
l'entreprise, notamment via l'actionnariat salarié (dont les études empiriques montrent qu'il favorise
l'enracinement du dirigeant),
- les actionnaires majoritaires disposant d'un avantage structurel en termes d'information et de décision sur
la gestion de la société peuvent être tentés de détourner le mécanisme à leur avantage pour capter la
valeur due aux actionnaires minoritaires.
En contradiction avec le contrôle des investissements étrangers
Les droits de vote double ont également des implication en matière de contrôle des investissements
étrangers. Le taux de détention des actions du CAC 40 par des non-résidents étant de 46,7 % au 31
décembre 2013, les droits de vote double bénéficieront à des actionnaires non-résidents, notamment au
sein d'entreprises relevant de secteurs protégés. Cette nouvelle loi apparait à rebours du renforcement du
contrôle des investissements étrangers par le décret Montebourg. A force de protection tous azimuts, les
règlementations se chevauchent au risque de se neutraliser, et l'abaissement du seuil de déclenchement
d'une OPA ne résout pas nécessairement cette contradiction. La nouvelle loi complexifie la mise en œuvre
de la police des investissements étrangers en conduisant à anticiper l'éventuel octroi de droits de vote
double dès l'instruction du dossier de demande de l'autorisation préalable à l'investissement.
D'autres techniques juridiques pour récompenser le soutien des actionnaires
Les droits de vote double n'améliorent pas la gouvernance d'entreprise, et surtout ne doivent pas être
instrumentalisés à des fins protectionnistes. C'est manifestement l'objectif du rapport parlementaire précité
:« éviter les offres publiques d'acquisition (OPA) rampantes ou hostiles, dont l'objectif uniquement
spéculatif se traduira, quand le nouvel actionnaire en aura décidé ainsi, par des délocalisations. Notre pays
compte de très belles entreprises encore sous-cotées, que les dispositions envisagées protégeront de
telles pratiques ». Plutôt que de s'attacher à des faux-semblants, au prix de coûteuses distorsions, cette
volonté tutélaire s'attaquerait plus utilement aux véritables causes de l'OPA-bilité des entreprises