Cadre général de l'évaluation économique au sein de l'évaluation environnementale Julien Hardelin MEEDDM/Commissariat Général au Développement Durable Service de l'économie, de l'évaluation et de l'intégration du développement durable Colloque Biodiversité et évaluation environnementale, SIFEE – 20-23 sept. 2010, Unesco PARIS Ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer en charge des Technologies vertes et des Négociations sur le climat www.developpement-durable.gouv.fr Plan de l’exposé z Introduction z Le rapport du Centre d'analyse stratégique (2009) : présentation des résultats z L’utilisation des valeurs monétaires « biodiversité » dans les choix publics z Conclusion et discussion Introduction Un contexte de prise de conscience croissante des enjeux liés à la biodiversité : place dans l’économie, pauvreté, développement Un progrès des sciences de la vie, de l’écologie conduisant à une meilleure compréhension du fonctionnement de la biodiversité Une mobilisation croissante de l’approche économique pour appréhender la biodiversité. Initiatives récentes : Rapport du Centre d’analyse stratégique (2009), Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes, mission présidée par le Pr. Bernard Chevassus-au-Louis Projet TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity), présidé par Pavan Sukhdev Saisine du Premier Ministre (16 janvier 2008) • «il est nécessaire de disposer d'éléments d'évaluation objective qui permettront de mieux prendre en compte la valeur de la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes » • « Les connaissances sur l'évaluation économique de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes doivent être améliorées en engageant des travaux de recherche spécifiques sur ce sujet » • « (…) un groupe d'experts, français et étrangers, (…) sera chargé de : – dresser un bilan des connaissances scientifiques sur le thème de la monétarisation des services rendus par les écosystèmes et de la valeur de la biodiversité ; – analyser les enjeux socio-économiques de la diversité biologique en France, y compris dans les départements et collectivités d'outre-mer ; – proposer un cahier des charges pour d'éventuelles recherches ultérieures – estimer des premières valeurs de référence pour la prise en compte de la biodiversité, qui pourront être utilisées notamment dans les études socio-économiques relatives aux projets d'infrastructure. » 4 Qu'est-ce qu'une valeur de référence ? La définition du rapport du CAS. « valeur fixée et utilisée par la puissance publique pour faire prendre en compte et atteindre des objectifs relatifs à des biens relevant de l'action publique et dont la valeur ne semble pas suffisamment perçue par la société ou intégrée par les acteurs économiques privés. De tels biens étant qualifiés de « tutélaires » (…), on utilise parfois le terme de valeurs tutélaires pour qualifier ces valeurs de référence fixées par la puissance publique. » (rapport du CAS n°18, p. 282, 2009) 5 Comment sont estimées les valeurs de référence ? • Approche choisie : analyse coût/avantage – Estimation du coût pour la société du dommage environnemental; – Approche marginaliste – Valeur annuelle, par unité de surface (hectare) du service écosystémique; • Les types de services écosystémiques évalués (typologie du Millenium Ecosystem Assessment) – Services de prélèvement (bois commercialisé, etc.) – Services de régulation (stockage du Carbone, régulation qualitative et quantitative de l'eau) – Services culturels (promenades, éducation, etc.) • Diversité des méthodes de monétarisation utilisées : valeur marchande (bois), tonne de Carbone évitée, prix révélés (CAP, coûts de déplacement) • VALEUR TOTALE = somme des valeurs des services écosystémiques 6 Notion de valeur économique totale Valeur Valeuréconomique économiquetotale totale Valeurs de non-usage Valeurs d’usage Usage direct •Exploitation •Extraction •Activités récréatives •Tourisme Usage indirect Services écologiques: • purification de l’eau • contrôle de l’érosion • stockage du carbone Valeur d’option Utilisations directes et indirectes futures Valeur d’existence Valeur patrimoniale Altruisme Legs Valeurs non-marchandes Valeurs de référence des services écosystémiques – Forêt française (1) Services Prélèvement bois autres produits forestiers (hors gibier) Régulation Fixation Carbone Stockage Carbone Autres gaz atmosphériques Valeur proposée Remarques 75 € (75 à 160 €) Selon méthode d'estimation (bois sur pied ou après exploitation) 10 à 15 € 115 € 414 € (207 à 414 €) Non évaluée 360 € en 2030 650 à 1300 € en 2030 Manque de bilans quantitatifs fiables 8 Valeurs de référence des services écosystémiques – Forêt française (2) Services Valeur proposée Régulation Eau (quantité annuelle) 0€ Eau (régulation des débits) Eau (qualité) Protection (érosion, crues) Biodiversité Autres services de régulation (santé, etc.) Remarques Non évaluée Hypothèse d'absence d'effet majeur des forêts sur le bilan hydrologique annuel Manque d'études pertinentes 90 € Non évaluée Manque d'études pertinentes Non évaluée directement Evaluée via les autres services Non évaluée Manque d'études pertinentes 9 Valeurs de référence des services écosystémiques – Forêt française (3) Services Culturels Promenades (hors cueillette et chasse) Chasse Autres services culturels Valeur proposée Remarques 200 € (0 à 1000 €) Selon fréquentation 55-69 € Externalités négatives à déduire Manque d'études pertinentes Non évaluée TOTAL Environ 970 € Min. Max 500 à plus de 2000 € 10 Conclusions sur la valeur des services rendus par la forêt tempérée française • Poids des services dans la valeur économique totale – carbone = 55% – culturels= 21% – Prélèvement : 8% • Hétérogénéité notable des valeurs : de 0 à 1000 euros/ha/an pour les services culturels ; • De nombreux services non monétarisés faute de connaissances disponibles : protection, santé (cf étude sur le « forest bathing ») 11 Questions méthodologiques sur les valeurs de références estimées i. Variabilité spatiale des valeurs. Comment spatialiser ? Facteurs explicatifs : zone géographique, type d'écosystème, niveau d'anthropisation, richesse du pays → notion de socio-écosystème. ii. Dynamique des écosystèmes : est-elle prise en compte ? Pour ce faire, deux estimations complémentaires : valeur instantanée de référence et valeur maximale plausible (VMP) à moyen terme. iii. La standardisation par unité de surface des valeurs a-t-elle un sens ? Proportionnalité=hypothèse forte, Importance de la surface physique concernée et de sa localisation. iv. Peut-on sommer les valeurs de différents services écosystémiques ? Démarche usuelle. Cependant, méthodes d'estimations différentes par service, échelles et populations concernées différentes, risque de compte double, aspect « portefeuille » de services. Multicritères garde sa pertinence (cf. OCDE 2002 pour la méthodologie). 12 Champ couvert par la monétarisation des services écosystémiques Évaluation monétaire Analyse quantitative Analyse qualitative Gamme complète des services écosystémiques reposant sur la biodiversité Source : P. Brink, séminaire « The Economics of the Global Loss of Biological Diversity », 5-6 mars 2008, Bruxelles 13 Le projet TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity) dirigé par l'économiste Pavan Sukhdev avec un groupe noyau de 90 économistes et écologues, dans le cadre du PNUE ; z Origine : commandé par le ministre de l'Environnement allemand et le Commissaire européen pour l'environnement suite à une réunion sous présidence allemande du G8+5 Environnement à Potsdam en 2007 ; z Objectif : renforcer la place de l'économie dans les politiques en faveur de la biodiversité z z Calendrier du projet : z z Phase I (2007-2008) : cadre méthodologique + évaluation du coût de l'inaction Phase II (2008-2010) : identifier les politiques et les outils permettant d’intégrer leur valeur dans les décisions. 14 Le projet TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity, suite) Les éléments de la Phase II du TEEB : • rapport D1, à destination des décideurs publics, • rapport D2, à destination des administrateurs locaux, • rapport D3 à destination des entreprises, • rapport D4 illustre les coûts et les bénéfices liés aux changements des écosystèmes supportés par les citoyens 15 L'utilisation des valeurs monétaires des biens environnementaux Analyse coûts-bénéfices des projets publics Infrastructures de transport, d'énergie Analyse coûts-bénéfices pour l'orientation des politiques publiques : En amont: prise de conscience de la valeur économique des services écosystémiques. Justification théorique pour la mise en place d'instruments de politiques environnementales (normes, taxes, subventions). Exemple: mesures agro-environnementales NB : Monétarisation n'implique pas création d'un marché de la biodiversité. Révéler une valeur n’implique pas de créer un mécanisme d’échange ! Principes de l'analyse coûts-bénéfices Analyse coûts-efficacité (ACE) ou Analyse coûts-bénéfices (ACA) ? ACA : critère pour choisir des projets alternatifs Fondé sur l'économie du bien-être. Critère=bien-être social. VAN projet 1>VAN projet 2 → projet 1 est préférable du point de vue du bien-être social. L'intégration de l'environnement dans l'évaluation socioéconomique en France : où en est-on ? Cadre législatif pour les infrastructures de transport : Art. 14 LOTI : Les choix d'infrastructure tiennent compte « des coûts économiques réels et des coûts sociaux dont ceux des atteintes à l'environnement. » Cadre réglementaire : Instruction-cadre relative aux méthodes d'évaluation économique (2004, mise à jour 2005) LOTI (1982), LOADT (1999) et Loi Grenelle (2009). Analyse coûts-avantages monétarisés Valeurs de référence pour temps, vie humaine, bruit, pollution atmosphérique et carbone. Issues du Rapport Boiteux 2001. Et la biodiversité ? → CAS (2009) : premières valeurs de référence et pistes de travaux complémentaires Travaux complémentaires au sein du MEEDDM Vers des valeurs de référence pour d’autres écosystèmes Zones humides Ecosystèmes agricoles et para-agricoles Ecosystèmes maritimes (Parc national de Port-Cros, Récifs coralliens (cf. IFRECOR)) Spatialisation de la valeur « forêt » Monétarisation de valeurs non prises en compte (perspectives) Santé Épuisement des ressources (pour l'instant minérales et énergétiques) Séminaire d’échange et de valorisation sur les méthodes de monétarisation - fin 2010 19 Une nécessaire réflexion sur l'articulation de l'ACB avec les autres approches L'analyse coût-avantage est nécessaire mais pas suffisante. Autres approches : multicritères. Recommandations Comité scientifique de l'EPA aux Etats-Unis Heal (économiste de l'environnement) : « Nous conservons beaucoup de choses que nous n'évaluons pas et peu de ce que nous évaluons » Renforcement mutuel ? Multicritères → acquisition d'information → sensibilisation des citoyens → préférences → monétarisation. Exemple des milieux marins : besoin abyssal de connaissances (Livre Vert Grenelle de la Mer), préalable à la monétarisation. Lien avec le tryptique 1. Eviter 2. Réduire 3. Compenser. Lien avec la durabilité faible/forte. Vision de G. Chichilnisky sur les biens fondamentaux. Conclusion et discussion z De réels progrès dans l’évaluation économique de la biodiversité, mais des difficultés persistent. Travaux à poursuivre indiqués par le CAS (2009) ; z Rôle d’éclairage dans la décision publique assis sur des fondements théoriques solides ; z Valeur économique totale : estimation généralement partielle en pratique ; z Autres aspects : – Aspect éthique de la monétarisation. Préférences lexicographiques. Conséquentialisme. – Aspects redistributifs dans l’utilisation des valeurs ; z Travaux du TEEB à suivre dans un futur proche (Nagoya).