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Fluctuations des prix du pétrole:
Répercussions pour le Canada
Février 2015
Préparée par Jim Stanford, économiste, Unifor
Introduction
La baisse considérable des prix du pétrole au
cours des six derniers mois plonge l’économie
canadienne dans la tourmente. Sur le marché
mondial, le prix du brut a chuté de moitié,
passant grosso modo de 100 à 50 $ US le baril
de l’été 2014 à aujourd’hui (figure 1). Pire
encore, la production de pétrole du Canada se
vend encore moins cher : nos exportations de
pétrole lourd non traité ne valent qu’environ
35 $ le baril sur le marché américain (en raison
de sa qualité inférieure et d’une offre régionale
excédentaire).
Les économistes et les ministres des Finances
cherchent à comprendre l’effondrement des
prix du pétrole, à mesurer ses conséquences sur
l’économie canadienne et à examiner des
politiques pour atténuer ces dernières.
Certaines de ces conséquences sont positives;
d’autres sont négatives. La baisse des prix du
pétrole peut être avantageuse ou
désavantageuse, selon la région dans laquelle
on habite et travaille. La présente fiche
d’information explique la chute brutale des
cours du pétrole, les répercussions de cette
dernière et les leçons que le Canada peut tirer
du ralentissement dans le secteur des
ressources pour stabiliser et diversifier
davantage son économie.
Le prix mondial du pétrole a chuté aussi
brutalement pour les nombreuses raisons
exposées ci-dessous.
Demande : La demande mondiale des
consommateurs est plus faible que prévu, pour
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Figure 1 Source : Recherche d’Unifor à partir des données du Department of Energy et du Bureau of Labor
Statistics des États-Unis
de bonnes comme de mauvaises raisons. Les
mesures d’économie d’énergie et d’efficience
énergétique (motivées en partie par des prix
élevés et des préoccupations
environnementales) entraînent une baisse de la
consommation. En outre, la croissance
économique décevante de nombreuses parties
du monde, dont l’Europe, le Japon, la Chine et
même le Canada, freine la demande.
Offre : Au cours des 10 dernières années, les
prix élevés du pétrole ont favorisé l’émergence
de nouvelles sources d’approvisionnement en
pétrole. Les sources non traditionnelles de
pétrole (dont l’huile de schiste américaine, le
bitume canadien et d’autres sources à coûts
élevés) ont connu une croissance rapide. De
nouvelles sources d’approvisionnement ont
également été trouvées dans des pays du
Moyen-Orient ravagés par la guerre, comme
l’Irak, l’Iran et la Libye. La production de pétrole
a augmenté plus rapidement en Amérique du
Nord que dans n’importe quelle autre région, ce
qui a joué un rôle déterminant dans la baisse
des cours mondiaux. La croissance très rapide
de la production intérieure a donc causé en
partie le fléchissement des prix. Il semble que
chaque boom pétrolier soit inévitablement suivi
d’une crise.
Géopolitique : En règle générale, les montées
précédentes des prix du pétrole étaient
associées à des guerres, à des révolutions et à
d’autres événements tragiques survenant
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surtout au Moyen-Orient. La situation est plus
instable que jamais dans cette partie du monde.
Par contre, le marché du pétrole n’a souffert
d’aucune rupture majeure d’approvisionnement
récemment, ce qui a eu pour effet de faire
baisser les cours. D’autre part, l’OPEP, c’est-à-
dire le cartel des grands pays exportateurs de
pétrole, a perdu du pouvoir ces dernières
années.
Spéculation boursière : Sur le marché mondial
du pétrole, la plupart des acheteurs et des
vendeurs ne sont pas des producteurs ni des
consommateurs de pétrole. Ce sont plutôt des
investisseurs financiers qui achètent des actifs
énergétiques complexes et imprévisibles,
comme des contrats à terme portant sur le
pétrole et d’autres dérivés) dans l’espoir de
réaliser un profit théorique à la suite de
fluctuations rapides des prix. La spéculation, et
non les forces véritables de l’offre et de la
demande, explique la nature violente des
fluctuations des prix du pétrole, tant à la baisse
qu’à la hausse. L’influence des spéculateurs a
des effets destructeurs sur l’économie : il est
illogique que notre économie nationale tout
entière soit retenue en otage de cette manière
par les spéculateurs boursiers.
Peu importe la cause du recul actuel, la forte
volatilité des prix du pétrole ne devrait pas être
une surprise pour personne. Qui plus est, les
gouvernements et les employeurs ne peuvent
pas légitimement évoquer cette volatilité pour
justifier les sacrifices « urgents » exigés des
travailleurs ou des collectivités. La figure 1
illustre les fluctuations historiques des prix du
pétrole : ils augmentent dans un climat de
tension mondiale ou en période de forte
croissance et ils diminuent dans d’autres
circonstances. Corrigés en fonction de
l’inflation, au cours des 40 dernières années, les
prix du pétrole se situent, en moyenne, à peine
sous la barre des 50 $ US le baril. C’est
pratiquement la valeur du pétrole à l’heure
actuelle.
Tout compte fait, les prix actuels ne sont peut-
être pas « bas ». Les entreprises et les
gouvernements qui supposaient que les prix
demeureraient largement supérieurs aux
normes historiques (100 $ ou plus le baril)
prenaient leurs désirs pour des réalités.
Répercussions pour le Canada
L’économie canadienne est complexe et
diversifiée, et les effets de la baisse des prix du
pétrole le seront tout autant. Certaines
industries et régions en souffriront, alors que
d’autres en profiteront.
Production de pétrole : Les bas prix n’auront
aucune incidence majeure sur la production de
pétrole au Canada, du moins pas avant
plusieurs années. Les puits de pétrole et les
sites de production de bitume existants
continueront à pomper du brut, car leurs
propriétaires ont déjà investi des capitaux
importants dans ces installations et doivent
rentrer dans leurs fonds. En réalité, la
production de pétrole canadien augmentera
pendant encore au moins deux ou trois ans, au
fur et à mesure que les nouveaux ouvrages
actuellement inachevés seront mis en service
de façon graduelle. Cette stabilité inhérente à la
production de pétrole s’observe également
dans la plupart des régions productrices du
monde. L’espoir que la baisse des prix fera
rapidement diminuer la production à coût élevé
(et, ce faisant, rétablira l’équilibre entre l’offre
et la demande) est irréaliste.
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Nouveaux investissements dans le pétrole :
L’effet le plus grave de la baisse des prix du
pétrole sur l’industrie pétrolière aura trait aux
investissements dans de nouveaux travaux
d’exploration et de forage et aux nouvelles
dépenses en capital. La production actuelle ne
diminuera pas, mais les nouvelles dépenses en
capital chuteront rapidement. D’une part, les
entreprises craignent que les investissements
ne soient pas rentables et, d’autre part, elles ne
possèdent pas les liquidités nécessaires pour
faire de nouvelles dépenses en capital. Le
ralentissement des investissements
n’entraînera pas de baisse de production avant
de nombreuses années. Entre-temps, les
activités de forage et de construction ainsi que
les services de soutien diminueront
considérablement. Les travailleurs de ces
secteurs de l’industrie pétrolière subiront des
mises à pied et souffriront d’insécurité.
Prix de l’essence : Les consommateurs
profitent d’une baisse substantielle des prix de
l’essence (lesquels ont diminué du tiers environ
depuis l’été dernier). La baisse des prix de
l’essence n’est pas aussi importante,
proportionnellement, que la baisse des prix du
pétrole (en partie parce que les raffineurs de
pétrole dégagent une marge de profit
supérieure). Les prix plus abordables de
l’essence et d’autres produits pétroliers
aideront les finances des ménages (bien que la
dette des ménages ne cesse de croître au
Canada) et pourraient se traduire par une
augmentation des dépenses de consommation
pour d’autres produits et services.
Inflation : La baisse des prix de l’essence
ramènera l’inflation à près de zéro, du moins
pour un certain temps. Ce n’est pas une bonne
nouvelle. En fait, les économistes aux
quatre coins de la planète redoutent de plus en
plus la « déflation », un phénomène contraire
qui se caractérise par la stagnation ou la chute
des prix moyens. La déflation engendre des
conséquences terribles sur les dépenses,
l’endettement et la création d’emplois.
Autres industries : Certains secteurs de
l’économie canadienne seront avantagés par la
baisse des prix de l’énergie, dont les
compagnies aériennes, les autres transporteurs
et certaines industries manufacturières. Par
contre, les industries qui dépendent du secteur
de l’énergie, comme les usines de fabrication de
pipelines et d’autres équipements servant à
l’exploitation du pétrole, sentiront les effets
négatifs du ralentissement des investissements
dans le pétrole. Les effets positifs et négatifs de
ce ralentissement sur une dizaine d’industries
reviendront probablement à un « lessivage » de
l’économie canadienne dans son entier.
Emplois : La chute des prix du pétrole
entraînera une combinaison d’effets positifs et
négatifs sur les emplois. Des emplois seront
perdus dans le secteur de l’énergie, surtout sur
les nouveaux chantiers de forage et de
construction. Jusqu’à maintenant, les membres
d’Unifor qui travaillent dans l’industrie
pétrolière ont été en grande partie épargnés
(puisqu’ils travaillent principalement dans des
installations de production), mais ils souffriront
sûrement d’insécurité au cours des prochaines
années. Entre-temps, de nouveaux emplois
seront créés dans les secteurs qui tirent
avantage de la baisse des prix de l’énergie
(comme le transport et certaines industries
manufacturières, lesquelles emploient aussi un
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grand nombre de membres d’Unifor). En
chiffres nets, la baisse des prix du pétrole n’aura
probablement aucune incidence majeure sur les
niveaux d’emploi en général (qui continueront
de pâtir de la faiblesse de la croissance
économique du Canada à long terme, de la
compression des dépenses gouvernementales
et d’autres facteurs négatifs).
Au Canada, la production de pétrole est le
secteur de l’économie qui exige le plus
d’investissements, mais le moins de main-
d’œuvre. Seulement 0,5 emploi est associé à
chaque million de dollars de production
pétrolière, contre 10 emplois par million dans le
secteur du transport et le secteur
manufacturier (et encore plus dans les services
publics, l’hôtellerie et la restauration, et le
commerce de détail). Les produits et les profits
de l’industrie pétrolière accuseront
certainement une forte baisse, mais les
répercussions sur les niveaux d’emploi en
général seront beaucoup moins graves.
Produit intérieur brut (PIB) : La fluctuation des
prix du pétrole aura très peu d’influence sur le
produit économique total du Canada, appelé
« PIB réel » et corrigé en fonction de l’inflation.
Comme je l’ai déjà mentionné, certaines
industries déclineront, alors que d’autres
enregistreront une croissance. Par contre, il est
clair que la baisse des prix du pétrole, et par
conséquent des niveaux des prix, fera diminuer
la valeur nominale du PIB (mesurée en dollars).
Elle plombera donc les revenus nationaux et le
pouvoir de dépenser.
Budgets gouvernementaux : Puisque le PIB
nominal sera inférieur, les recettes fiscales des
gouvernements diminueront. Les budgets
gouvernementaux s’en ressentiront à des
degrés divers dans les différentes provinces du
pays. Les répercussions sur le budget du
gouvernement fédéral seront mineures étant
donné que celui-ci dépend peu des recettes
pétrolières. Toutefois, les conséquences sur le
budget des provinces productrices de pétrole,
dont l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-
et-Labrador, seront énormes. Comme elles
comptaient trop sur des redevances pétrolières
volatiles pour financer leurs services publics au
quotidien (comme les soins de santé et
l’éducation), ces provinces enregistreront des
déficits importants au cours des prochaines
années. Coupes dans les dépenses publiques
menacées dans les provinces productrices de
pétrole seront une des pires effets secondaires
du prix du pétrole baisse. Les habitants de ces
provinces doivent être prêts à défendre leurs
services publics contre les appels que lanceront
inévitablement les conservateurs en faveur des
compressions budgétaires et de la privatisation.
L’abolition d’emplois dans le secteur public, en
sus de la réduction des effectifs dans l’industrie
pétrolière, ne fera qu’aggraver le
ralentissement économique.
Ces provinces devraient prendre rapidement
des mesures pour restructurer leur régime
fiscal, percevoir plus de recettes au moyen de
programmes fiscaux stables (plutôt que des
redevances imprévisibles sur les hydrocarbures)
et protéger leurs futurs budgets contre les
fluctuations des prix du pétrole.
Coupes dans les dépenses
publiques menacées dans les
provinces productrices de
pétrole seront une des pires
effets secondaires du prix du
pétrole baisse.
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