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Crise et régulation nancière I DOSSIER
9
décembre 2013 I n° 174 I idées économiques et sociales
constaté que l’empreinte écologique de l’homme –
qui mesure le degré d’utilisation de la nature par les
activités humaines de production et de consomma-
tion6 – est supérieure à 100% depuis les années 1970.
En d’autres termes, le système économique actuel
conduit depuis quatre décennies à une réduction
du capital naturel à la disposition de l’humanité. La
recherche de rendements nanciers élevés a été satis-
faite en grande partie par une surexploitation, non
seulement du travail, mais également de la planète
et de son écosystème. Ce modèle de développement
productiviste et extractiviste a atteint ses limites,
comme le montrent notamment les perspectives
prochaines d’épuisement des ressources naturelles
non renouvelables7. La notion de développement
durable, qui «répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures à
répondre aux leurs» et avait été proposée dans les
années1980 par un rapport des Nations unies, est
d’une grande actualité8. La question posée en ce début
de esiècle est celle de la transition vers un nouveau
mode de développement, respectueux de l’environ-
nement9. Cette évolution s’impose d’une manière
critique pour faire face à l’augmentation prévue de
50% de la population mondiale à l’horizon 2050.
L’Union européenne, maillon faible
de l’économie mondiale
L’Union européenne, et singulièrement la zone
euro, a moins bien résisté que les autres régions du
monde face au choc de la crise de 2007, ce qui est
illustré par une récession plus durable et des taux de
chômage record, dépassant 50% pour la population
active jeune dans les pays les plus touchés par la crise.
Cette vulnérabilité provient de l’incomplétude de
la construction européenne et de l’incohérence des
politiques économiques. La construction européenne
repose sur deux piliers, l’Acte unique (1986) et le traité
de Maastricht (1992). L’Acte unique, qui a conduit à
l’édi cation du marché unique – avec la libre circula-
tion des biens, des capitaux et des personnes –, consacre
la suprématie de la logique du marché et de la concur-
rence comme vecteur d’intégration dans l’espace
européen. De son côté, le traité de Maastricht institue
la monnaie unique et fait de la politique monétaire le
seul instrument commun de politique économique
dans la zone. La construction monétaire européenne
repose sur une conception étroite et donc erronée de
la monnaie, appelée monétarisme [14]. La monnaie
protection des ménages face au surendettement; et
d’autre part, les innovations nancières telles que
les crédits rechargeables à taux variables qui ont
augmenté la capacité d’endettement des ménages.
C’est ainsi que les ménages américains, dont la
dépense est passée de 60% à 70% du PIB, ont joué
le rôle de «consommateurs en dernier ressort» de
l’économie mondiale [13]. La progression soutenue
de la consommation américaine a en e et tiré la crois-
sance mondiale au début des années 2000, ce dont ont
largement pro té les pays émergents, Chine en tête.
Or, cette évolution a entraîné une montée vertigi-
neuse de la dette interne et externe des États-Unis.
Le déclenchement de la crise aux États-Unis vient de
ce que le recours massif à l’endettement des ménages,
destiné à pallier l’insu sance du pouvoir d’achat de
leurs revenus, a atteint ses limites. Ce régime de crois-
sance mondial, fondé sur la dette, a pu fonctionner
durablement tant que les États-Unis ont béné cié
d’un « nancement sans pleurs» de leur balance des
paiements, selon l’expression de J.Rue , grâce au
rôle de devise-clé du dollar mis en place par les accords
de Bretton Woods (1944). Or la crise des subprimes a
a aibli les pays les plus avancés, à commencer par les
États-Unis. Les rapports de force entre les principales
puissances économiques de la planète se sont modi-
és en faveur des grands pays émergents, souvent
dénommés les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).
On doit s’attendre à une remise en cause progressive
de l’ordre économique et monétaire institué sous la
domination états-unienne au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale. Cette crise est donc également
géopolitique.
Un modèle de développement
non soutenable
On ne peut comprendre la crise en cours, et
son caractère systémique, sans prendre en compte
sa dimension écologique. Même si leurs tempo-
ralités sont di érentes (la question écologique est
ancienne et liée à la société industrielle née à la n du
esiècle), les di érentes dimensions – nancière,
économique, sociale, écologique – de la crise actuelle
sont étroitement imbriquées. Ainsi, l’accélération
récente du processus de réchau ement climatique,
mise en lumière par les travaux du GIEC (Groupe
international d’experts sur le climat), est concomi-
tante à l’émergence du capitalisme nancier à la n
des années1970. Les scienti ques ont également
6 La défi nition exacte de
l’empreinte écologique est
« la surface terrestre et
aquatique biologiquement
productive nécessaire à la
production des ressources
consommées et à l’assimilation
des déchets produits par cette
population, indépendamment
de la localisation de cette
surface ».
7 G. Azam, Le Temps du
monde fi ni. Vers l’après-
capitalisme, Les liens qui
libèrent, 2010.
8 « Notre avenir à tous »,
rapport Bruntland, Nations
unies, 1987.
9 Pour une réfl exion sur
un nouveau mode de
développement, voir
Tim Jackson, Prospérité sans
croissance. La transition vers
une économie durable,
De Boeck, 2010. Tim Jackson
a été membre de la Commission
du développement durable
au Royaume-Uni.
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