Évaluation des traitements en alcoologie, études anglo-saxonnes Anglo-saxon studies for the evaluation of treatments in addictology M.L. Raynal* Lors du 25e anniversaire de l’Unité pour la recherche et les soins en alcoologie à SaintCloud (Hauts-de-Seine) en mai dernier, le Pr Thomas Babor, expert international en addictologie, a présenté trois grandes études anglo-saxonnes (MATCH, AVA et UKATT) réalisées dans les années 1990 (1), concernant les médiateurs et les modérateurs du changement de comportement vis-à-vis de l’alcool après traitement. À cette occasion, il n’a pas hésité à en montrer la faiblesse. En effet, malgré les financements déployés, elles n’ont pas trouvé de résultats probants, mais démontrent que d’autres facteurs interviennent dans la réussite du traitement, comme la facilité de l'accès aux soins, l’offre des outils thérapeutiques et la modification des conditions de vie. MéDIATEURS ET MODéRATEURS Selon Finney (1995), les "médiateurs" (2) sont définis comme des variables actives qui transmettent les effets d’une première variable à une autre. Par exemple : les modalités du traitement, la participation du patient, les caractéristiques d’une thérapie sont toutes considérées comme des médiateurs variables. Quant aux "modérateurs", il les définit comme des variables qui affectent la relation thérapeutique, la compliance et les résultats du traitement : le sexe du patient, la sévérité de la dépendance et la capacité à surmonter des moments difficiles. L’intérêt de l’étude de ces deux variables est qu’elle contribue à répondre aux deux questions essentielles : comment et pourquoi un traitement fonctionne-t-il (les effets des médiateurs) ; quels traitements sont-ils efficaces pour certaines personnes en particulier (modérateurs) ? Elle permet un meilleur appariement entre patients et pratiques thérapeutiques. Le projet “match" dans neuf sites américains La première étude, le projet Matching alcohol treatment to client heterogeneity (MATCH) a été la plus grande étude clinique de traitement d’alcool jamais menée aux États-Unis. Achevée dans les années 1990, MATCH a évalué les bénéfices potentiels du regroupement de certains patients avec un traitement spécifique. L’étude a été sponsorisée par l’Institut national américain sur l’abus d’alcool et l’alcoolisme. Neuf sites de traitement et 1 726 * Coordinatrice clinique Liberté, 10, rue de la Liberté, 92220 Bagneux. patients y ont participé. Le projet était divisé en deux études cliniques indépendantes et concernait deux groupes de patients : ceux qui étaient pris en charge en ambulatoire et ceux qui étaient en post-cure et avaient été jusqu’au bout d’un traitement lourd en milieu hospitalier. Les données obtenues par les interviews étaient utilisées pour mesurer les modérateurs variables : la dépendance à l’alcool, les caractéristiques de la personnalité, le statut psychologique, le support social et le désir de changer. Et les médiateurs : les caractéristiques des thérapies, la participation à l’organisation Alcooliques Anonymes, etc. Les deux catégories de patients étaient choisis au hasard et assignés à l’une de ces trois modalités de traitement : 4 "La facilitation 12 étapes" (Twelve-Step Facilitation, TSF ou F12) qui consiste à suivre 12 sessions hebdomadaires, au cours desquelles les thérapeutes encourageaient les patients à participer activement au programme de soutien des Alcooliques Anonymes. 4 La thérapie cognitivo-comportementale (Cognitive-Behavioral Therapy [CBT]) qui consiste à suivre 12 sessions hebdomadaires, au cours desquelles les thérapeutes apprenaient aux patients à se confronter aux situations à risque pour éviter la rechute. 4 La thérapie motivationnelle (Motivational Enhancement Therapy [MET]) qui consiste à suivre 4 sessions sur une période de 12 semaines, au cours desquelles les thérapeutes encourageaient les patients à examiner les effets de l’alcool sur leur vie et à développer un plan personnel pour cesser de boire. Les résultats montrent que les trois traitements ont une efficacité équivalente : les patients réduisent leur consommation d’alcool – de 25 à 6 jours par mois en moyenne – et ces améliorations continuent pendant les 12 mois Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2010 12 qui suivent le traitement. Les progrès ont perduré pendant 12 mois à 3 ans. Parmi 21 variables de modérateurs testés, seuls 4 étaient signifiants : les troubles psychiatriques, la colère, l’environnement social poussant ou non à boire et la dépendance alcoolique. De plus, les résultats de l’étude (3) ont montré également que le traitement F12 apporte davantage de bénéfices pour les patients en ambulatoire sans problème psychologique et ceux qui ont une dépendance importante à l’alcool. Le traitement MET est particulièrement efficace pour les patients qui montrent un niveau élevé d’agressivité. Enfin, le traitement CBT est mieux adapté aux patients avec une dépendance faible. Dans l’ensemble, les résultats de cette étude ont montré que corréler un patient et un type de traitement n’était pas aussi pertinent qu’on aurait pu le croire. Toutefois, l’étude a indiqué que le groupe de soutien Alcooliques Anonymes aidait bien les patients à gérer les pressions sociales poussant à boire. L’éTUDE “AVA" PARMI LES “VETS" La seconde étude, US Department of Veterans Affairs Effectiveness Study, pour l’American Veterans Affairs (AVA), le département américain des vétérans, a été conduite durant la même période. Cette étude multicentrique compare les traitements TSF et CBT pour 1 873 patients recrutés dans 10 programmes du système de santé national pour les vétérans de l’armée américaine. Il s’agissait pour cette étude de mesurer l’efficacité du système. On pensait que le traitement TSF, avec l’abstinence comme objectif, donnerait de meilleurs résultats parmi les patients qui avaient de faibles capacités cognitives, une religiosité intrinsèque et une dépendance alcoolique sévère. Par opposition, il était établi que le traitement CBT "marcherait" mieux parmi les patients qui avaient peu de compétences pour réagir à des événements donnés et présentaient davantage de symptômes psychologiques. Les interprétations données par les auteurs des recherches confirment, d’une part, que les mécanismes d’un changement durable à l’œuvre dans les modèles TSF et CBT n’ont pas encore été identifiées et, d’autre part, que les variables environnementales post-cure, telles les ressources sociales, ont une forte influence sur les événements qui dépassent les autres variables. L’ESSAI UKATT AU ROYAUME-UNI La troisième étude, United Kingdom Alcohol Treatment Trial (UKATT), est la plus grande étude menée vers la fin des années 1990 au Royaume-Uni concernant les traitements pour l’alcoolisme. Elle a concerné 720 patients (4). Elle a consisté aussi à comparer les résultats obtenus par deux types de traitement et les effets de l’appariement thérapeutique. Elle a inclus une autre modalité de traitement que n’avait pas pris en compte le projet MATCH : le traitement de liaison et de comportement social (Social behavior and network therapy [SBNT]) dans lequel les thérapeutes utilisent différentes approches cognitives comportementales pour construire un réseau social d’aide au changement pour le patient et son entourage. Le deuxième, le traitement motivationnel (MET) est fondé sur les principes d’entretiens motivationnels. Les hypothèses de l’étude étaient les suivantes : le traitement fondé sur la motivation (MET), moins intensif, est aussi efficace que les traitements plus "serrés", fondés sur les déterminants sociaux (SBNT) ; un traitement social, SBNT, est aussi efficace économiquement qu’un traitement moins intensif comme le MET fondé sur la motivation. En fait, les patients disposant d’un faible réseau social lors de l’évaluation initiale ont rencontré les mêmes difficultés avec le MET et le SBNT. Ceux qui étaient peu enclins à modifier leurs comportements de consommation d’alcool lors de l’évaluation initiale n’ont pas obtenu de meilleurs résultats avec le SBNT qu’avec le MET. On na pas noté de relation entre la sévérité de la morbidité psychiatrique des patients, pas plus qu’entre leur niveau de dépendance au départ et l’efficacité relative de l’une ou l’autre de ces modalités de traitement. Même les spécificités des thérapeutes dans l’une ou l’autre d’entre elles n’ont pas débouché sur des résultats différents. L’analyse statistique est fondée sur trois prin- cipes : un essai pragmatique dont l’analyse portera sur l’intention de soigner. Les données de tous les clients seront analysées par le groupe auquel ils ont été orientés et auront reçu un traitement. L’analyse sera focalisée sur les changements des résultats de mesures entre les prétraitements et les traitements suivants après 3 et 12 mois. La recherche portera sur les déséquilibres entre les traitements de groupe au départ. LES RéSULTATS Aucune des hypothèses d’appariement thérapeutique n’a pu être confirmée faute de résultats significativement probants. Trois explications peuvent être avancées. La première est l’erreur théorique. La deuxième ressort de la particularité de la méthodologie de recherche : prise en charge multiple, suivi intense de l’expérimentation, différences entre les sites. La troisième concerne l’appariement qui fonctionne "en dehors" de la thérapie et non "à l’intérieur". Ce constat apparaît très clairement dans le projet MATCH pour les patients qui ont un accompagnement ou non par les Alcooliques Anonymes. Les implications cliniques qui en découlent : la décision de commencer un traitement est associée à une réduction de la consommation d’alcool et il est essentiel de convaincre les patients que le traitement va les aider. Pour conclure, le traitement a porté sur des théories spécifiques telles que MET et CBT, mais les changements ne sont pas corrélés avec la durée de l’abstinence ou l’importance de la baisse de consommation d’alcool. Les meilleurs résultats obtenus l’ont été lorsqu’il y avait une alliance thérapeutique, un désir de changement du patient et des possibilités pour lui de trouver dans son environnement des ressources d’auto-support. Ces études donnent une forte évaluation des médiateurs et des modérateurs, et de l’efficacité des traitements. L’échec de la recherche sur l’appariement thérapeutique fondé sur le modèle technologique du changement psychothérapeutique peut nous conduire à une recherche plus fructueuse des moyens d’améliorer l’accès aux traitements au travers de la distribution des ressources, ainsi que par des approches individuelles. Selon Thomas Babor, les recherches doivent s’orienter désormais dans d’autres directions, comme l’appariement des traitements pharmacologiques, l’auto-appariement du patient au traitement. v Références bibliographiques 1. Babor T. Traitement des personnes présentant des troubles liés à l’usage de substances psychoactives: nécessité d’une nouvelle approche pour la recherche. Conférence de la journée du 20 mai 2010 célébrant les 25 ans de l’URSA, Saint-Cloud (92). 2. Babor T. Treatment for persons with substance use disorders: mediators, moderators, and the need for a new research approach. Int J Methods Psychiatr Res 2008;17(Suppl.1):S45-9. 3. Babor T, Del Boca F. Treatment matching in alcoholism. Cambridge University Press, 2003. 4. UKATT Research Team. United Kingdom Alcohol Treatment Trial (UKATT): hypotheses, design and methods. Alcohol Alcohol. 2001;36(1):11-21. vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv Paris récompense les lauréats du concours “Trop boire, c’est le cauchemar" utilisés dans le cadre d’actions de sensibilisation et de prévention sur la consommation excessive d’alcool et ses conséquences. v La ville de Paris a lancé en novembre dernier une campagne originale de santé publique sur le phénomène du "binge drinking". Avec, point d’orgue, un concours de minifilms réalisés par des Parisiens âgés de 15 à 25 ans, mis en ligne sur le site Internet www. thebinge-lefilm.com, qui a remporté un vif succès : plus 100 films ont été réalisés, environ 1 000 jeunes ont pris part de façon active au sein des équipes de tournages, plus de 100 000 visiteurs se sont rendus sur le site depuis le début de la campagne. Six films ont été primés par un jury présidé par Chantal Lauby, comédienne et marraine de l’opération, et composé de Jean-Marie Le Guen, adjoint chargé de la santé publique et des relations avec l’AP-HP, de Bruno Julliard, adjoint à la Jeunesse, d’experts de la prévention, et de jeunes des Conseils de la jeunesse parisiens. Résultats : Grand prix du jury : Twist in the night ; 2e prix : Et si t'avais le choix ? 3e prix : Doppelganger ; Prix du public : Écart de conduite ; Prix des associations : Fête foraine ; Prix Coup de cœur du jury : JeanMichel le vampire ; Prix mention spéciale du jury : Cauchemar au collège. Comme l’a expérimenté depuis longtemps le CRIPS avec ces divers concours de films sur le sida, l’usage de drogues ou l’homosexualité, ces films deviendront les supports de communication pour des futures campagnes de prévention. Ils seront diffusés sur le site Paris.fr, dans les équipements municipaux, dispositifs dédiés aux jeunes et à l’occasion d’événements festifs (festivals, concerts, etc.). Ils seront bien sûr La méphédrone au tableau des stups v Le ministère de la Santé a décidé de classer la 4-methylmethcathinone (la méphédrone) comme stupéfiant, suivant en cela les recommandations de l’OMS et la décision d’un certain nombre de pays européens (J.O. du 11 juin 2010). Cette drogue de synthèse stimulante et euphorisante, dérivée du principe actif du khat, était vendue dans toute l’Europe sur le Net comme "engrais végétal", "sels de bains", "produit utilisé pour la recherche", voire "alternative légale à la cocaïne, aux amphétamines, à l’ecstasy". En France, elle a été identifiée pour la première fois à la fin de l’année 2009 dans le cadre du dispositif Système d’identification nationale des toxiques et des substances (SINTES). Depuis, 6 autres échantillons ont été collectés auprès des consommateurs et le réseau des Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacovigilane et l’addictovigilance (CEIP) ont reçu, au début de cette année, les premiers signalements d’effets liés à sa consommation. Elle provoque "une descente" violente, avec maux de tête, crises d’angoisse et de paranoïa. Elle provoque aussi des nausées et des vomissements, des hallucinations, une irritation nasale, une obstruction des vaisseaux périphériques et du bruxisme. Elle est soupçonnée d'être impliquée dans une bonne vingtaine de décès survenus outre-Manche. DGS/Afssaps. P. de P. 13 Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2010