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croissance démographique importante qui avait permis la maîtrise de l’occupation du sol). Un facteur sociologique consolide cette répartition : même si au XIIIe siècle,
l’amour courtois a permis une certaine émancipation de la femme, et malgré l’apparition du mariage amoureux dans la littérature au milieu du XVIIIe siècle, le mariage
arrangé reste longtemps prédominant pour ne s’effacer progressivement qu’à partir de la moitié du XXe siècle. Les conditions modernes de vie au XXe siècle ont
partiellement défait ces bases anthropologiques qui restent cependant inscrites génétiquement dans l’histoire de l’Europe et en font sa spécificité. Les fonctions de solidarité
assurées par les liens communautaires et familiaux sont transférées au niveau de l’Etat (avec par exemple la naissance de la Sécurité Sociale). L’émergence de
l’individualisme après la seconde guerre mondiale accompagne la réalité sociale du mariage amoureux et l’évolution vers l’égalité entre les sexes, mais provoque aussi
l’éclatement de la famille avec les cellules monoparentales et les nouvelles familles recomposées. Si la famille nucléaire est prédominante, la famille communautaire
exogame persiste dans certaines régions, comme dans l’Italie centrale. Quant à la famille souche, en Allemagne, elle a tendance à disparaître au profit d’une « société sans
pères ». Ailleurs, en Catalogne particulièrement, elle reste un modèle.
Comme nous le constatons en regardant la carte, les pays européens présentent diverses combinaisons de types familiaux. La France apparaît comme le seul pays au monde
à réunir les quatre types familiaux exogames avec deux types dominants, la famille nucléaire égalitaire (dans l’ensemble hostile au traité de Maastricht) et la famille souche
(qui dans l’ensemble lui est au contraire favorable). On remarque de plus, en Corse, la présence de formes patrilinéaires à résidu endogamique. La France établit ainsi un
lien entre l’Europe réformée du nord et l’Europe catholique du sud, entre le monde atlantique et le monde continental, entre le monde anglo-saxon et le monde slave, entre
les deux rives de la Méditerranée. Ces quatre types familiaux sont structurés en deux couples d'opposés : famille nucléaire égalitaire / famille souche d'une part, famille
nucléaire absolue / famille communautaire égalitaire. Le destin de l'Europe est de restaurer un ordre psycho-socio-politique en analogie avec le Soi : principe de régulation /
création (puissance étatique / développement de la créativité et de l'innovation), et régulation entre le travail et le capital (voir fondements de l'Europe).
Cette mosaïque de systèmes familiaux distingue l’Europe des Etats-Unis (structurés sur la famille nucléaire absolue) et de la Russie (structurée sur la famille communautaire
exogame) où seul un des termes, l’individualisme ou le système communautaire, est privilégié.
Avec son livre "L'origine des systèmes familiaux" (tome 1), Emmanuel Todd complète cette description avec la famille nucléaire à co-résidence temporaire, la famille
nucléaire intégrée, la famille souche à co-résidence temporaire additionnelle.
La famille nucléaire à co-résidence temporaire : les jeunes mariés passent une ou plusieurs années avec la famille d'origine de l'époux ou de l'épouse puis vont fonder leur
propre ménage nucléaire. Cette famille est de type indifférent, ni libérale, ni autoritaire, avec une même incertitude concernant l'égalité ou l'inégalité.
La famille nucléaire intégrée : les familles sont nucléaires mais elles peuvent coopérer et s'intégrer au sein d'un ensemble plus vaste englobant les familles nucléaires.
La famille souche à co-résidence temporaire additionnelle : la famille souche est capable d'agréger en plus, de façon temporaire, un frère ou une soeur et leur conjoint.
E.Todd décrit une séquence dans la différenciation des systèmes familiaux en Europe : famille nucléaire à co-résidence temporaire avec son indifférenciation puis famille souche et
famille communautaire, puis émergence des systèmes nucléaires purs. Cette répartition s'élabore entre le XIe et XVe siècle. Et pour revenir aux racines grecques, dans la Grèce
antique, on trouve une endogamie importante. Ce qui donne donc le schéma : endogamie - processus d'exogamie - répartition finale des quatre systèmes familiaux exogames purs.
Les quatre types familiaux exogames représentent quatre facettes, quatre façons différentes d’aborder la réalité. Le communisme s’implantera sélectivement là où la famille
communautaire exogame est largement dominante, celle-ci étant réfractaire au libéralisme économique de type anglo-saxon. Ce dernier se développera sur une structure familiale de
type nucléaire absolue qui, de son côté, sera réfractaire au communisme. Ainsi l’identité européenne est-elle reliée, non pas aux valeurs de tel ou tel type familial, mais à cette
imbrication des différentes structures familiales, avec en filigrane la quête de l’élément coordinateur qui intègre dans une structure unitaire quatre représentations du monde.
Les États-Unis et l’Europe n’ont pas le même projet de société du fait de leurs structures familiales. Structurés sur la famille nucléaire absolue, les États-Unis expriment une
dérive du fondamentalisme protestant avec cette vision messianique et civilisatrice pour diriger le monde selon leurs propres intérêts. Du fait de sa mosaïque de structures
familiales, l’Europe devrait favoriser l’émergence d’un monde polycentrique. Cependant, depuis l'Acte Unique, tout se passe comme si l'identité européenne était réduite
aux valeurs véhiculées par la famille nucléaire absolue, à savoir la pensée unique du néo-libéralisme. D'où l'échec de cette conception de l'Europe.