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Char qui séjournait souvent à Paris éprouvait très vite
une sorte de douleur due à l’éloignement de sa ville
natale. Il était toujours pressé d’y revenir.
En 1960, après la vente obligée de sa maison d’ori-
gine, Les Névons, il vint habiter aux Busclats, un peu
à l’écart de la ville et du cours de la Sorgue. C’est là
que je le rencontrai pour la première fois en 1963 ;
puis en septembre 1964, le jour où nous devînmes
amis.
Toute rencontre est unique et s’impose dans l’évi-
dence. Les poèmes étaient la fragile, la forte et inex-
plicable passerelle. Autour de nous, septembre dans
ce territoire du Vaucluse. Triangle entre le Ventoux,
la Fontaine de Vaucluse, le Luberon. Un monde qui
ne se donne pas facilement, dont il savait tout et que
je découvrais depuis quatre ans. Un monde aux anti-
podes de la Lorraine qui m’avait nourrie.
René Char avait cinquante-sept ans, j’avais trente
et un ans.
Lorsque nous avons commencé à parler ensem-
ble, son existence était déjà filtrée par la vie. Je pou-
vais deviner, à travers les récits de sa jeunesse, des
excès qu’il avait délaissés pour une sorte de sagesse
viscéralement liée à la nature, à la beauté, et à un si-
lence intérieur qui couvait sous ses paroles. Sa so-
briété matérielle était remarquable.
Levé à l’aube, il emportait dans ses journées un
bloc de rêves qu’il avait traversé, il écrivait très tôt
des fragments de poèmes, parfois un poème entier ;
des lignes noires qu’il reprenait dans des demi-lignes
intercalaires et sur lesquelles il revenait souvent pour
René Char.p65 23/03/2010, 09:4912