CH-1567 Delley 021 / 947 41 00 [email protected] Postfach 87 CH-7304 Maienfeld 081 / 322 70 69 [email protected] Bronislaw Erlich, survivant de l'Holocauste Mesdames et Messieurs, Chers compatriotes, Je vous remercie de l'invitation à me présenter devant vous afin de vous raconter ma souffrance durant la Seconde Guerre mondiale comme survivant de l'Holocauste. Il y a 75 ans, le mot Holocauste était encore inconnu. Il n’existait pas de mots dans la langue civilisée pour décrire ce crime sans précédent. Dès que l’ampleur du massacre collectif des juifs a été connue, le terme d’Holocauste a été utilisé. Avant que je ne raconte ma triste histoire, j’aimerais d’abord exprimer à la Suisse et au peuple suisse, à l'occasion de la Fête nationale du 1er août, mes meilleurs souhaits : santé, bien-être, développement réussi et paix tout autour de vous et dans le monde entier ! Je suis originaire de Varsovie en Pologne, le premier pays d’Europe qui a fait front à l'agression d’Hitler et s’est opposé militairement à lui. Le 21 septembre 1961, sur invitation d’une entreprise bernoise, je suis entré en Suisse pour prendre un emploi dans mon métier d’imprimeur. Depuis 1974, je suis fier d’être citoyen suisse et membre de la communauté juive de Berne. Le chemin de croix des Juifs polonais a commencé avec l'invasion de la Wehrmacht allemande en Pologne le 1e septembre 1939. Bombardements aériens quotidiens, bâtiments brûlants et s’écroulant, partout des morts et des blessés. La terreur et le chaos régnaient. Les services de secours, les ambulanciers et les pompiers étaient totalement débordés. Le 7 septembre, les troupes allemandes se sont approchées des banlieues de Varsovie. Les tirs d'artillerie ont causés des dommages supplémentaires énormes. Le 27 septembre, les soldats sont entrées en ville et l'orgie de la persécution des Juifs a commencé. Les Juifs ont été totalement privés de leurs droits et dégradés au rang de gibier humain. Les soldats allemands ont eu la permission de maltraiter arbitrairement, d’humilier, de rouer de coups selon leur bon plaisir, de dévaliser et de couper la barbe des Juifs religieux. Dans notre rue, quelques portes plus loin, un Juif et un officier de la police se sont bagarrés. Après une demi-heure, un groupe de soldats est arrivé. Ils ont fait sortir dans la rue 50 hommes de la maison. Ils ont tous été fusillés devant l’entrée. Chaque jour de nouveaux règlements étaient publiés. Les Juifs avaient l’interdiction de travailler dans des entreprises appartenant à l'Etat et dans les institutions publiques. Ils n’avaient plus accès aux parcs. On leur interdisait d’utiliser le train et le tram. Les objets de valeur comme l'or, les bijoux, les vêtements de fourrure, les radios et caméras devaient être rendus. Il était interdit aux Juifs de cuire du pain. Les médecins juifs ne pouvaient plus soigner des patients nonjuifs. témoignage bronislaw erlich jnp-15 v2.docx Page 1/4 Témoignage de Bronislaw ERLICH à la JNP-15 Une famille juive ne devait pas posséder plus de 2’000 zlotys. L’excédent devait être rendu. Un Juif ne devait pas gagner plus de 500 zlotys par mois (1 kg de pain coûtait 80 zlotys). Tous les Juifs à partir de 12 ans devaient porter un brassard avec l'étoile de David. Toute infraction aux règles était punie de mort. Il était clair pour tout le monde que ça signifiait l’arrêt de mort des juifs. Mes parents ont donc décidé que leurs grands enfants, ma sœur, mon frère et moi, devaient quitter Varsovie. Nous avons dû aller nous installer dans la zone occupée par les Russes, à l'est de la Pologne. C’était des temps difficiles à l’étranger. Mon frère aîné a été incorporé dans l'armée soviétique. Ma sœur aînée a été déportée dans un camp de travail en Sibérie. Et moi, encore mineur, je suis resté seul à Volkovysk. En juin 1941, l'armée allemande a envahi l'Union soviétique et quelques jours plus tard, elle était à Volkovysk. J’ai trouvé un emploi chez un agriculteur où j’ai vécu et travaillé jusqu'au 2 novembre 1942. En ce jour fatidique, tous les Juifs de Volkovysk et des alentours ont été obligés de quitter leurs maisons et de s'installer dans un camp de concentration à l'extérieur de la ville. J’ai essayé de m’enfuir vers les partisans. Mais cela n'a pas été possible, car toutes les sorties de la ville étaient contrôlées par des soldats. Il ne me restait rien d’autre à faire que d’entrer dans le camp. C’était des baraques sans eau, sans lumière, sans raccordement électrique. Au centre, des couchettes en bois sur deux étages. Sur le côté, une plateforme en bois, sur laquelle je me suis choisi une place. Les conditions dans les baraques bondées étaient: cohue, pleurs, cris. Un enfer dantesque pour mourir atrocement. Je restai tout habillé pendant la nuit, avec chaussures et chapeau. Pas question de dormir. Les 24 heures que j'y ai passées ont durées une éternité. En file indienne dans un commando de travail, nous avons été conduits hors du camp et logés dans la prison de la ville. Après 5 semaines, je suis parvenu à m’en échapper avec de faux documents. Après un séjour de trois mois chez un agriculteur, j’ai été expédié en Allemagne, où j’ai été libéré après 2 ans par les Américains. L’ampleur de l'extermination massive des Juifs a seulement été reconnue quand les armées alliées de l'est et de l'ouest ont eu atteint les usines de la mort nazies dans les zones libérées. A la fin mars 1946, je suis revenu d'Allemagne à Varsovie, afin de retrouver mes parents et la maison. Tout le quartier juif était en ruine. Pas de route, pas une seule maison avec des contours reconnaissables, il ne restait rien. Qu'était-il arrivé ? Les Allemands avaient emprisonné 300’000 Juifs de Varsovie et 150’000 autres Juifs des villages et villes alentours dans un ghetto. Page 2/4 Témoignage de Bronislaw ERLICH à la JNP-15 450’000 personnes ont été entassées sur 307 hectares. Cette densité résidentielle catastrophique, la malnutrition ciblée et accompagnée de conditions d'hygiène intolérables dans des pièces non chauffées, ont conduit massivement ces personnes à la maladie et à la mort. D’octobre 1939 à juin 1942, 100’000 Juifs sont morts d’inanition dans le ghetto de Varsovie. La déportation massive des habitants du ghetto a commencé le 22 juillet 1942, en direction des chambres à gaz de Treblinka, l'usine de la mort, à 90 km au nord-est de Varsovie. Le déroulement de cette frénésie d'assassinats industriels était le suivant: Les unités SS et la police passaient de maison en maison, battaient les gens et les expulsaient dans la cour, hors de leur maison. Ceux qui se cachaient étaient abattus. Un invalide en fauteuil roulant qui ne se déplaçait pas assez vite, a été saisi avec son fauteuil roulant et jeté dans la rue par la fenêtre. Les camions militaires allemands roulaient sur les moribonds étendus sur le sol. Les Juifs ont été obligés de marcher vers ce qu’on appelait des lieux de transit. Ils étaient connectés à une gare. Les personnes étaient ensuite chargées dans des wagons à bestiaux, à coups de fouet. Il n'y avait pas d'eau, pas de toilettes. Les gens étaient entassés et restaient dans leurs propres excréments et leur urine. Le voyage de Varsovie à Treblinka prend habituellement environ 2 heures. Mais les trains avec les Juifs étaient souvent en route toute une journée ou plus encore. Beaucoup de gens sont morts étouffés ou morts de soif au cours du trajet. Après l'arrivée à Treblinka les hommes étaient incorporés dans des colonnes de travail. Les femmes, les enfants et les personnes âgées étaient emmenés et ont dû se déshabiller. Les femmes ont été tondues. Leurs cheveux ont été utilisés dans l'industrie de guerre. Après cela les Juifs étaient conduits à la chambre à gaz, qui était camouflée en douche. Par une ouverture dans le plafond leurs bourreaux versaient du Zyklon B (acide prussique cristallisé). Après 15 minutes de cris et de hurlements, le silence se faisait dans la chambre à gaz. Tous étaient morts. Après gazage, les dents en or des cadavres étaient brisées et retirées de leur bouche. Cet or a été livré à la Reichsbank pour être fondu. Les cadavres étaient ensuite brûlés. Cet assassinat à la chaîne a été perpétré dans les ghettos de Lodz, Cracovie, Lvov, Bialystok, Vilnius et dans d'autres villes. Dans d'innombrables petites villes où des ghettos n’ont pas pu être mis en place, l'assassinat des Juifs a été organisé différemment, mais sur un modèle similaire. Les soi-disant commandos d’intervention, composés de SS et de policiers, encerclaient une localité et les Juifs étaient conduits sur la place du marché. Les hommes valides étaient envoyés dans des camps de travail. Les femmes, les enfants et les personnes âgées étaient emmenés hors de la ville pour être exécutés, puis simplement jetés dans des fosses communes. En deux mois et demi de l'été 1942, 300’000 Juifs du ghetto de Varsovie ont été assassinés à Treblinka, y compris mes parents et mon plus jeune frère, alors âgé de 45, 52 et 15 ans. *** Page 3/4 Témoignage de Bronislaw ERLICH à la JNP-15 Après la déportation de 300’000 Juifs, les 60’000 Juifs restants, soumis au travail forcé dans les usines allemandes, se sont préparés militairement pour opposer une résistance armée. Le 19 avril 1943, lorsque les troupes allemandes ont pénétré dans le ghetto pour emmener les Juifs, ils ont été accueillis par une grêle de balles. La lutte inégale a duré trois semaines. Les soldats allemands ont subi des pertes, mais tous les insurgés ont ensuite été brûlés dans les bunkers. Le ghetto a été incendié et détruit. Les insurgés n’avaient aucune chance. Mais il s’agissait pour eux de mourir dans l'honneur en combattant, plutôt que de capituler. *** L’Holocauste n’est pas une coïncidence. Il a grandi dans un terreau fertile en Europe pendant de nombreux siècles. Adolf Hitler a utilisé sa haine viscérale des Juifs pour prendre le pouvoir en Allemagne, pour occuper l'Europe et anéantir ensuite les Juifs d'Europe. Malheureusement, beaucoup ont été séduit par Hitler. Les Juifs de l'Empire allemand ont contribué au développement culturel et économique du pays. Pendant la guerre de 1914-18 des citoyens juifs d'Allemagne ont combattu fidèlement et sont tombés pour leur pays. Plusieurs ont même atteint de hauts grades militaires et ont reçu des distinctions. Les Juifs représentaient 1,5% de la population allemande. Mais parmi les lauréats allemands du prix Nobel 19% étaient des Juifs. Quelle est la raison de l'antisémitisme ? Est-ce l’envie ? La jalousie ? La haine ? Ou autre chose encore ? Il y a eu des signes encourageants au cours des dernières années. Le pape polonais Jean-Paul II a déclaré : « L'antisémitisme est incompatible avec le Christianisme. Les Juifs sont les frères aînés des Chrétiens. » Il est de notoriété publique dans les communautés et les églises : « l'antisémitisme est un péché. » Espérons que le bacille ‘antisémite’ disparaisse, comme ce fût le cas pour d'autres épidémies du MoyenAge. Page 4/4