Table ronde - Autisme et psychomotricité : Actualités et perspectives

Les Entretiens
de
Psychomotricité
2014
Psychomotricité
© Les entretiens de Bichat 2014 - 1
RÉSUMÉ
La nature neuro-développementale des
troubles du spectre autistique (TSA) induit
dès le plus jeune âge, une altération glo-
bale et hétérogène de la vie en relation.
Ces particularités s’actualisent notam-
ment dans les fonctions d’exploration de
l’environnement (intentionnalité, senso-
rialité, gnosie), mais aussi d’action (praxie)
et de communication (communication
non verbale, réciprocité socio-émotion-
nelle). En ce sens, les troubles psychomo-
teurs sont au cœur de la symptomatologie
autistique. Pourtant la place et les fonc-
tions du psychomotricien dans la chaine
de soin des personnes avec TSA
demeurent floues. Ainsi les recommanda-
tions de la Haute Autorité de Santé
concernant les interventions proposées
aux enfants et adolescents porteurs de
TSA, pointent la nécessité de spécifier
l’approche psychomotrice et encouragent
à produire des données scientifiques per-
mettant de juger de son efficacité. Ce
constat met en évidence un besoin urgent
de clarification des champs d’action et des
modalités de pratique rééducative du psy-
chomotricien dans sa spécificité et sa
complémentarité avec les pratiques
recommandées. Il suggère par ailleurs
qu’il est essentiel que la psychomotricité
s’inscrive dans la dynamique des
Table ronde - Autisme et
psychomotricité : Actualités et
perspectives
J. Perrin*, C. Le Menn-Tripi**, T. Maffre***,
C. Barthélémy****
* Psychomotricien, CHU de Toulouse (SUPEA, Pr Raynaud) et Centre de Ressources Autisme de la
région Midi-Pyrénées, perrin.j@chu-toulouse.fr
** Psychomotricienne, Centre Universitaire de Pédopsychiatrie et Centre de Ressources Autisme de la
région Centre, Pr Bonnet-Brilhault, CHRU Tours, c.lemenn@chu-tours.fr
*** PH, Pédopsychiatre, CHU de Toulouse et directeur du Centre de Ressources Autisme de la région
Midi Pyrénées
**** MD, Ph D, Pédopsychiatre Physiologiste Professeur au CHRU de Tours, INSERM UMR 0930
recherches actuelles à la fois pour évaluer
les thérapeutiques proposées et explorer
de nouvelles voies thérapeutiques mais
aussi pour apporter son éclairage dans la
compréhension des mécanismes étiopa-
thogéniques à l’œuvre dans les TSA.
MOTS-CLÉS
Trouble du Spectre Autistique, troubles
psychomoteurs, recommandations, éva-
luation des pratiques, recherche
Introduction
Les troubles envahissants du développement
(TED) regroupent un ensemble de troubles
affectant la qualité des interactions sociales,
de la communication et des intérêts. Parmi
ceux-ci, la CIM-10 [25] distingue notamment,
sur la base de différents critères : l’autisme,
l’autisme atypique et le syndrome d’Asper-
ger. Néanmoins, au sein d’une même caté-
gorie diagnostique, la symptomatologie
présentée demeure extrêmement variable
d’un individu à l’autre, à la fois dans son
intensité mais aussi dans ses formes. Par ail-
leurs, la fréquence des comorbidités repé-
rées et leurs exclusions réciproques liées à
l’organisation hiérarchique des classifica-
tions ou bien encore l’absence d’étiologie
spécifique pour chaque catégorie diagnos-
tique ont progressivement conduit à un
Psychomotricité
2 - © Les entretiens de Bichat 2014
changement de perspective. Ainsi, le
DSM-5 [1] appréhende désormais ces troubles
de manière dimensionnelle. Autrement dit,
ces difficultés sont regroupées au sein d’une
seule et même entité clinique appelée :
troubles du spectre autistique (TSA). La
notion de « spectre » renvoie à un conti-
nuum clinique, fonction de l’intensité de la
symptomatologie. De plus, la triade évolue
en dyade (communication sociale – compor-
tements répétitifs et stéréotypés) afin de
placer les difficultés de réciprocité socio-
émotionnelle au centre de la symptomatolo-
gie autistique et de l’inadaptation sociale
qu’elles induisent. Pour terminer, on peut
noter l’apparition des critères d’hyper ou
d’hypo-sensibilité sensorielle au sein des
comportements répétitifs.
Ces troubles du spectre autistique (TSA)
affectent, dès le plus jeune âge, la vie en
relation avec l’environnement physique et
social de la personne. Ils induisent en effet
une altération globale du fonctionnement
du sujet se manifestant aussi bien dans les
réalisations motrices que dans le traitement
perceptif, cognitif, affectif et motivationnel
qui les précèdent ou qui en découlent. Ces
particularités s’actualisent notamment dans
les conduites d’exploration (ex : intentionna-
lité et pragmatique du mouvement, atten-
tion, perceptions, gnosies, planification),
d’action (ex : praxies, praxies constructives,
praxies idéomotrices) et bien sûr de commu-
nication (ex : communications non verbale,
imitation). En ce sens, les troubles psycho-
moteurs, tels qu’ils sont définis par Cor-
raze [7], sont au cœur de la symptomatologie
autistique. Leurs manifestations sous la
forme de signes doux témoignent d’une
altération globale et a minima du dévelop-
pement cérébral. Les troubles psychomo-
teurs peuvent également s’intégrer aux TSA
dans le cadre de comorbidités neurodéve-
loppementales (ex : TSLO1, TDAH2, TAC3).
Ces différentes entités morbides se poten-
tialisent réciproquement et induisent une
trajectoire développementale singulière qui
impose une démarche thérapeutique spéci-
fique [31]. Quel que soit le cadre nosologique
dans lequel on se situe, les TSA conduisent
à une situation de handicap nécessitant la
mise en œuvre d’un dispositif d’interven-
tion personnalisé et spécifique répondant
aux recommandations de pratiques de la
Haute Autorité de Santé (HAS). Après avoir
précisé la place de la psychomotricité dans
ces recommandations, nous envisagerons
comment elle peut se situer par rapport aux
interventions recommandées tout en pré-
servant sa spécificité. Enfin, à travers les
données scientifiques les plus récentes
obtenues dans le champ des TSA, nous
évoquerons les interfaces possibles entre
psychomotricité et recherche.
Psychomotricité
et recommandations de pratiques
L’implication des autorités gouvernemen-
tales dans la définition d‘une véritable poli-
tique de l’autisme s’est illustrée par la
publication d’une série de rapports, circu-
laires, plans nationaux depuis 1995. L’au-
tisme a par ailleurs fait l’objet d’un
affichage en tant que « Grande Cause
Nationale » en 2012. C'est dans le cadre
de cette politique publique que diverses
recommandations de bonne pratique (RBP)
ont été émises par les autorités compé-
tentes, Haute Autorité de Santé (HAS)
d’une part, Agence Nationale d’Evaluation
de la qualité des Etablissements et services
Sociaux et Médico-sociaux (ANESM)
d’autre part. Elles concernent les connais-
sances sur l’autisme [12], les procédures de
diagnostic [11, 15], les modalités d’organisa-
tion des interventions [2], les modalités
d’intervention [16].
Selon les termes de la HAS, « Les RBP sont
des synthèses rigoureuses de l’état de l’art et
des données de la science à un temps
donné. Elles ne sauraient dispenser le pro-
fessionnel de santé de faire preuve de dis-
cernement dans sa prise en charge du
1 Trouble Spécifique du Langage Oral
2 Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité
3 Trouble d’Acquisition des Coordinations
Psychomotricité
© Les entretiens de Bichat 2014 - 3
judicieuse les preuves actuelles les plus perti-
nentes lors de la prise de décisions concernant
les soins à prodiguer à chaque patient. Sa pra-
tique implique que l’on conjugue l’expertise
clinique individuelle avec les meilleures
preuves cliniques externes obtenues actuelle-
ment par la recherche systématique [29].
L’EBM est donc fondée sur :
• les données de la recherche ; le clinicien
doit consulter la littérature scientifique ori-
ginale pour résoudre les problèmes cli-
niques et proposer une prise en charge
optimale au patient.
• l’expérience clinique ; la connaissance du
médecin, son expérience clinique doit se
fonder sur une analyse systématique des
observations cliniques, de manière repro-
ductible et non biaisée, en évitant toute
interprétation intuitive de l’information.
• les préférences du patient et de son
entourage.
Le niveau de preuve d’une étude dont la lit-
térature scientifique va rendre compte
dépend de :
1 La formulation du problème médical en
une question claire et précise.
2 la recherche dans la littérature des articles
les plus pertinents en rapport avec la
question posée.
3 L'évaluation de la fiabilité et de l’applica-
bilité des conclusions extraites des
articles retenus, la pertinence clinique.
4 L’intégration des conclusions retenues
pour répondre à la question initiale
posée.
Ainsi, les meilleures preuves cliniques obte-
nues par la recherche systématique pro-
viennent-elles presque exclusivement d’essais
contrôlés randomisés et de méta-analyses. La
HAS [13] classe le niveau de preuve des études
et le grade des recommandations correspon-
dantes selon le tableau suivant :
patient, qui doit être celle qu’il estime la plus
appropriée, en fonction de ses propres
constatations » [14].
La plupart des RBP concernant l’autisme ont
été élaborées selon la méthode du consensus
formalisé (CF). Cette méthode est en général
envisagée lorsqu’au moins deux des condi-
tions suivantes sont remplies [13]:
• absence ou insuffisance de littérature de
fort niveau de preuve répondant spécifi-
quement aux questions posées ;
• possibilité de décliner le thème en situa-
tions cliniques facilement identifiables
(listes d’indications, de critères, etc.) ;
• controverse, avec nécessité d’identifier par
un groupe indépendant et de sélectionner
parmi plusieurs alternatives.
Elle repose d’une part, sur l’analyse et la syn-
thèse critiques de la littérature médicale et
scientifique disponible, et d’autre part, sur
l’avis d’un groupe multidisciplinaire de pro-
fessionnels et de représentants d’usagers
concernés par le thème des recommanda-
tions. Les avis émis se fondent dans ce cadre
sur la réponse à trois questions :
• La pratique respecte-t-elle les valeurs et
l’éthique ? Le point de vue des familles, le
respect de règles de bientraitance, les
notions d’égalité des chances et d’évolu-
tion sociétale sont au cœur de cette
question.
• La pratique est-elle validée par la recherche
clinique ? La question est ici de savoir si les
stratégies d’intervention ont été validées
selon les règles de l’« Evidence Based
Medicine » (EBM).
• La pratique tient-elle compte de l’expertise
clinique des intervenants en réponse aux
caractéristiques des personnes et de leur
contexte de développement ? Cette ques-
tion renvoie à la possibilité de diffuser lar-
gement la pratique (formation, supervision,
adaptabilité).
La deuxième question fait donc référence à
l’Evidence Based Medecine (EBM), dont il
nous parait utile de rappeler la définition : La
médecine fondée sur les preuves consiste à
utiliser de manière rigoureuse, explicite et
Psychomotricité
4 - © Les entretiens de Bichat 2014
n’ont pas fait preuve de leur efficacité au vu
des données publiées » [16].
Les études portant sur ces approches sont en
effet insuffisantes en nombre, et/ou insuffi-
samment rigoureuses sur le plan méthodolo-
gique pour relever d’un niveau de preuve
significatif.
Les RBP réduisent donc les indications recom-
mandées sur des troubles spécifiques éven-
tuellement associés/intégrés au trouble
autistique : « En cas de troubles praxiques,
posturaux, toniques, ou gnosiques interfé-
rant avec leurs activités quotidiennes (habil-
lage, alimentation, loisirs) ou leurs
apprentissages scolaires (écriture, lecture), la
psychomotricité et l'ergothérapie peuvent
être proposées, parfois de façon combinée,
pour favoriser le développement de la motri-
cité et des praxies et proposer des aménage-
ments de l'environnement ».
Il ne convient pas d’interpréter les recom-
mandations de la HAS comme une incitation
à abandonner certaines techniques dont
l’efficacité n’a pas été prouvée, mais plutôt à
On comprend que le niveau d’exigence est
élevé, et que la rigueur méthodologique
attendue renvoie plutôt aux études
anglo-saxonnes.
Il ne faut cependant pas confondre « absence
de preuve d’efficacité » et « preuve d’absence
d’efficacité ». D’autant que les essais cli-
niques randomisés (ECR), outils méthodolo-
giques principaux de l’EBM, sont insensibles
aux données contextuelles se rapportant à
l’individualité des patients. Et que la science
est par ailleurs évolutive et en perpétuel
mouvement, et impose la mise à jour des
preuves et l’intégration de l’innovation et de
la découverte : ce qui est vrai aujourd’hui
pourra être contredit demain [32].
Ces considérations techniques sont impor-
tantes à intégrer pour comprendre la place
faite à la rééducation psychomotrice par les
RBP sur l’autisme. Celles-ci indiquent ainsi
que « les données scientifiques ne per-
mettent pas de juger de l’efficacité ou de la
sécurité de la psychomotricité, de l’ergothé-
rapie ». De même, « les pratiques dites
« d’intégration sensorielle », très diverses,
Tableau I – Niveau de preuve des études et gradation des recommandations
Niveau de preuve scientifique fourni par la littérature
(études thérapeutiques) Grade des recommandations
Niveau 1
• Essais comparatifs randomisés de forte puissance
• Méta-analyse d'essais comparatifs randomisés
Analyse de décision basée sur des études bien menées
A
Preuve scientifique établie
Niveau 2
• Essais comparatifs randomisés de faible puissance
• Etudes comparatives non randomisées bien menées
• Etudes de cohorte
B
Présomption scientifique
Niveau 3
• Etudes cas-témoins
C
Faible niveau de preuve
Niveau 4
• Etudes comparatives comportant des biais importants
• Etudes rétrospectives
• Séries de cas
Psychomotricité
© Les entretiens de Bichat 2014 - 5
vention dont les résultats semblent pouvoir
être validés de manière empirique puissent
faire l’objet de recherche en bonne et due
forme. L’apport de la rééducation psychomo-
trice, que les parents comme les profession-
nels du soin constatent quotidiennement,
doit être démontré dans des démarches de
recherche. Ces recherches doivent s’appuyer
sur des équipes et laboratoires reconnus,
suivre des protocoles et une méthodologie
contrôlés, mais peuvent impliquer les psy-
chomotriciens de terrain.
Il est particulièrement pertinent que les
interventions psychomotrices soient inté-
grées dans les programmes de recherche
sur les interventions en matière d’autisme.
Les RBP précisent en effet que « les critères
de jugement principaux de l’efficacité
devraient correspondre à des variables
considérées comme essentielles pour l’amé-
lioration de la participation de l’enfant/ado-
lescent au sein de la société, tant du point
de vue des professionnels que des associa-
tions représentant les usagers ». Or les
interventions en psychomotricité visent jus-
tement des compétences inscrites dans le
quotidien de l’enfant, dans son foyer
comme au sein de la société.
Nous sommes pour notre part convaincus
que l’intervention psychomotrice peut prou-
ver son efficacité par une approche scienti-
fique. Elle est néanmoins soumise à un
double enjeu : se situer par rapport aux
approches actuellement recommandées tout
en développant une approche spécifique et
validée.
Place de la psychomotricité
dans les pratiques recommandées
Les interventions individualisées, globales et
coordonnées sont fortement recomman-
dées [16] pour les personnes présentant un
TSA, notamment pour les plus petits (avant
4 ans). Ce type d’intervention vient soutenir
l’ensemble du développement de la per-
sonne et aide à l’acquisition de comporte-
ments adaptatifs. A l’heure actuelle, deux
types d’approches globales font consensus
sur la scène scientifique : les interventions
les utiliser de manière raisonnée, contrôlée,
intégrée dans une dynamique pluridiscipli-
naire d’élaboration de projet et d’évaluation
de résultats. Il s’agit au fond de répondre aux
préconisations d’ordre général énoncées par
les RBP :
1 – Donner leur place à l’enfant et ses
parents dans l’élaboration d’un pro-
jet : le choix d’une intervention relève
d’abord et avant tout de la famille, qui a
toute légitimité pour juger de l’efficacité
au niveau individuel d’une approche
rééducative.
2 – Définir des objectifs de prise en
charge, et un calendrier d’évaluation
objective de l’évolution des fonctions
essentielles ciblées par l’intervention :
l’intervention rééducative psychomotrice
se doit de poursuivre des objectifs identi-
fiés et évalués régulièrement.
3 – Coordonner les interventions : la réé-
ducation psychomotrice doit s’intégrer
dans une approche globale formalisée
dans un projet individualisé, et articulée
avec l’ensemble des interventions dont
bénéficie la personne.
4 – S’appuyer sur des professionnels for-
més, aux connaissances actualisées, ce
qui souligne l’importance de la forma-
tion initiale et continue.
Rappelons aussi que les RBP insistent sur un
cadre éthique de l’intervention, qui doit
poursuivre les objectifs suivants :
• proposer à l’enfant et à sa famille un cadre
relationnel sécurisant ;
• favoriser le développement de l’enfant/
adolescent dans différents domaines fonc-
tionnels ainsi que sa participation sociale
et scolaire, son autonomie, son indépen-
dance, ses apprentissages et ses compé-
tences adaptatives ;
• réduire les obstacles environnementaux
augmentant sa situation de handicap ;
• concourir à son bien-être et à son épa-
nouissement personnel.
Au-delà du respect de ces préconisations
dans le cadre d’un accompagnement indivi-
duel, il convient que les techniques d’inter-
1 / 12 100%

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