s`attaquer à l`inégalité et la pauvreté pour réussir

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Prospérer
ensemble
s’attaquer à l’inégalité et la pauvreté
pour réussir dans l’économie du
savoir
groupe de travail
d’action Canada
février 2012
action canada
action canada est le principal programme de fellowship
canadien consacré aux politiques publiques
L
es Fellows sélectionnés proviennent de tous les secteurs, dont le milieu des affaires, les sciences, le
gouvernement, les milieu universitaire et les professions libérales. Le programme s’articule autour de
conférences organisées à travers le Canada, lors desquelles les Fellows interagissent avec des leaders du
gouvernement, de l’industrie, des médias, du milieu universitaire et des ONG. Les Fellows travaillent
en équipes sur des projets de politiques qui ont, dans le passé, été à l’origine de politiques publiques
canadiennes.
biographies
Anouk Dey est rédactrice en chef adjointe de www.OpenCanada.org, le carrefour du Conseil international
du Canada pour les discussions sur les affaires internationales, et présidente fondatrice de Reclaim Childhood, une organisation qui fait découvrir les sports aux réfugiées irakiennes.
Michael Marin est boursier Gates à l’Université de Cambridge et chargé de cours à la Faculté de droit de
l’Université d’Ottawa. Il est également président de la Bourse CAÉP qui aide les personnes issues de milieux
défavorisé à faire des études et à accéder à des services professionnels.
Philippe-Olivier Giroux est agent de programmes à la Fondation canadienne pour l’innovation. Il s’implique
également à Mission Leadership Québec, une organisation qui développe le réseautage et le positionnement
stratégique des jeunes leaders québécois.
Sadia Rafiquddin est boursière de la Fondation Jeanne Sauvé à Montréal, au Québec. Elle travaille actuellement à la production d’une série de vidéos d’entrevues et d’essais photographiques sur des questions de
droit de la personne à travers le monde.
Eric Tribe est conseiller en gestion chez Boston Consulting Group, à Toronto. Il fait aussi partie de redseven,
une organisation caritative qui se consacre à l’éducation des jeunes dans le monde.
Paul M.Yeung est directeur, Affaires réglementaires et gouvernementales, à la Banque royale du Canada.
Il est instructeur bénévole pour le programme Emerging Global Leaders de l’Université York et est membre
de l’équipe d’évaluation des demandes de subvention à la Fondation Trillium.
remerciements
Les membres du groupe de travail tiennent à remercier Action Canada et ses généreux donateurs pour leur
soutient. Le groupe de travail remercie particulièrement Cathy Beehan pour son organisation méticuleuse
ainsi que Rae Hull, dont le travail infatigable et inestimable ont transformé la simple production d’un rapport
en une expérience d’apprentissage bien plus vaste. Nous tenons également à remercier Kevin Chan, Marcel
Côté, Mary-Lou Finlay, Bob Foulkes et Janet Smith pour leurs commentaires constructifs sur notre rapport,
ainsi que les panelistes de notre dialogue public, John Curtis, Jim Milway et Armine Yalnizyan. En particulier,
nous remercions M. Curtis pour avoir lancé l’idée d’une Commission Royale.
2
le groupe de travail d’action canada sur les inégalités, la pauvreté
et l’économie du savoir - www.prospererensemble.ca
table des matières
au sujet d’action canada ............................................................... 2
biographies..................................................................................... 2
remerciements................................................................................ 2
table des matières .......................................................................... 3
introduction ................................................................................. 4
les déterminants sociaux du capital humain................................ 5
les inégalités et la pauvreté comptent aussi
pour des raisons économiques..................................................... 5
qu’est-ce que le capital humain?................................................... 5
pourquoi le capital humain compte-t-il maintenant? . .............. 6
le processus de développement du capital humain..................... 6
l’impact de la pauvreté et des inégalités sur le
développement du capital humain................................................ 7
ce qu’il en est au canada aujourd’hui . ......................................... 8
l’inégalité croissante des revenus................................................ 8
une érosion de l’effet de redistribution des impôts et des
transferts....................................................................................... 9
un niveau général d’inégalité élevé.............................................. 9
des niveaux de pauvreté constamment élevés.............................. 10
la polarisation de la main-d’œuvre.............................................. 10
qu’est-ce que cela signifie pour le capital humain?...................... 12
recommandations de politiques ................................................... 13
un mécanisme pour préparer le canada pour
l’économie du savoir...................................................................... 13
une commission royale d’enquête sur l’économie et la société. 14
bibliographie.................................................................................. 15
3
introduction
O
n pourrait penser que les inégalités et la
pauvreté sont l’apanage des politiques
sociales, et non des « politiques économiques
et commerciales », le thème du programme
d’Act i on Cana da p our cette an n ée. On a p prend aux Canadiens à considérer les politiques
économiques et sociales comme des domaines
distincts. Et en effet, quand le groupe de travail
d’Action Canada sur l’inégalité, la pauvreté et
l’économie du savoir (« Le groupe de travail »)
a commencé à discuter du présent projet, c’était
avec une conception beaucoup plus étroite des
« politiques économiques et commerciales ».
Politiques économiques et politiques sociales
sont devenues indissociables à nos yeux – au
point que nous nous sommes convaincus que,
si l’on veut assurer la prospérité économique du
Canada à long terme, il est crucial de se pencher
sur des enjeux qui sont traditionnellement considérés comme sociaux. L’évolution même de la
pensée du groupe de travail montre combien les
inégalités et la pauvreté sont importantes d’un
point de vue économique.
Le groupe de travail a commencé par se concentrer
sur la lente croissance de la productivité au Canada, tendance que certains attribuent à un manque
d’innovation au pays. Ces tendances négatives ont
retenu notre attention parce que, selon les théories
économiques conventionnelles, l’innovation entraîne une augmentation de la productivité, ce qui
résulte en des salaires, des revenus et des niveaux
de vie plus élevés pour tous. Mais, en y regardant
mieux, le groupe de travail a découvert que, dans la
pratique, cela se passe tout autrement. Entre 1980 et
2005, bien que la productivité de la main-d’œuvre se
soit considérablement accrue, le salaire réel moyen
des Canadiens a à peine augmenté. Autrement dit, la
majorité des Canadiens n’ont pas bénéficié des retombées escomptées de la « tangente innovation » prise
par le pays.
Le groupe de travail a ensuite pris un peu de recul
et s’est penché sur les ingrédients de base de la réussite dans l’économie du 21e siècle. L’idée que la plus
importante ressource dans l’économie actuelle est le
capital humain fait consensus – le savoir, les compétences et les qualités des gens. Après avoir identifié
les éléments clés du capital humain, nous nous sommes interrogés sur les conditions qui favorisent ou
gênent l’acquisition de ces éléments. Les membres du
4
groupe de travail ont trouvé plusieurs études qui suggèrent que les inégalités et la pauvreté sont nuisibles
pour les diverses
composantes du Le Canada doit changer
capital humain.
sa façon de penser. …
les Canadiens doivent
Après avoir consta- commencer à voir
té la performance
les inégalités et la
du Canada dans
ces domaines, le pauvreté comme
groupe de travail des obstacles à la
s’est rendu compte croissance économique
qu’il manque une – et non comme ses
dimension essenti- conséquences.
elle dans le discours
sur les « politiques
économiques et commerciales » dans ce pays. Le
Canada se classe 17 eparmi 20 pays de taille comparable en ce qui a trait à l’inégalité. Ces 30 dernières
années, celle-ci a augmenté plus vite qu’aux ÉtatsUnis, le pays industrialisé où les inégalités sont les
plus grandes. Le problème est aggravé par le fait
que le système canadien de fiscalité et de transferts
ne corrige pas les inégalités de revenu attribuables
au marché du travail comme c’était le cas il y a une
vingtaine d’années. Si le taux de pauvreté est resté
le même pendant cette période, il demeure élevé par
rapport aux normes internationales, particulièrement
pour les enfants.
Le groupe de travail avait donc, à ce point, bouclé la
boucle. Si, dans une économie du savoir, la réussite
dépend du capital humain et si les inégalités et la pauvreté ont une incidence négative sur les composantes
du capital humain, alors les inégalités grandissantes
et les niveaux constamment élevés de pauvreté pourraient compromettre la capacité du Canada à prospérer. La façon dont le Canada met en œuvre son programme d’innovation – ne prêtant guère attention à
l’évolution inquiétante des inégalités et de la pauvreté
– pourrait en fait saper ses efforts. De l’avis du groupe
de travail, la question méritait que l’on y réfléchisse
davantage.
Au cours de nos recherches et de nos consultations,
nous avons découvert que le débat sur ces questions
est bien plus polarisé qu’il ne le devrait. Alors que le
milieu des affaires déplore la lenteur du Canada à embrasser l’économie du savoir et que les défenseurs de
la justice sociale décrient les inégalités et la pauvreté,
aucun des groupes ne semble se rendre compte qu’ils
le groupe de travail d’action canada sur les inégalités, la pauvreté
et l’économie du savoir - www.prospererensemble.ca
pourraient en réalité avoir des intérêts communs dans
ce domaine. Le groupe de travail espère montrer que
la seule façon pour les Canadiens de prospérer dans
l’économie du savoir est de le faire ensemble. Pour
établir la nouvelle économie de manière durable au
Canada, les leaders canadiens doivent faire en sorte
que le Canada ait accès aux meilleurs cerveaux et aux
plus grands talents, ce qui signifie nous assurer que
tous ont la possibilité de contribuer à la prospérité
future du pays et d’en tirer profit.
Le Canada doit changer sa façon de penser. Comme
le présent rapport le démontre, les Canadiens doivent
commencer à voir les inégalités et la pauvreté comme des obstacles à la croissance économique – et non
comme ses conséquences. Nous devons commencer à
comprendre que la prospérité n’est pas la seule solution aux inégalités et à la pauvreté et qu’atténuer ces
problèmes sociaux est un ingrédient essentiel de notre
prospérité à long terme. Les politiques que recommande notre groupe de travail mettront le Canada sur
la bonne voie pour créer une économie du 21e siècle
qui sera concurrentielle parce qu’inclusive.
le capital humain
les inégalités et la pauvreté
comptent aussi pour des raisons
économiques
C
ette année, le mouvement Occupons Wall
Street a mis les inégalités et la pauvreté au
premier plan des préoccupations du public. Mais
malheureusement ce dernier ne semble pas avoir
saisi toute l’importance de ce fait nouveau. Les
inégalités, tout comme la pauvreté, ont un impact économique sur toute la société, du 1 %
du haut au 1 % du bas. La réussite des entreprises canadiennes dans l’économie du savoir
dépend de leur capacité d’innover. Comme l’a
récemment fait observer le Groupe d’experts
sur le soutien fédéral de la recherche-développement, « l’innovation est à l’origine même
de la compétitivité à long terme des entreprises
et de la qualité de vie de la population canadienne» 1 . La capacité d’innovation du Canada
découle directement de son capital humain, luimême grandement influencé par les facteurs socioéconomiques. Comme nous l’expliquons cidessous, pour avoir des travailleurs hautement
qualifiés comme ceux sur lesquels s’appuient
des entreprises comme RIM et OpenText pour
offrir des innovations compétitives au niveau
mondial, des conditions sociales porteuses sont
nécessaires et elles ne sont pas compatibles avec
des niveaux élevés d’inégalité et de pauvreté.
Si le mouvement Occupons Wall Street a attiré
l’attention sur les inégalités et la pauvreté en tant
qu’enjeux moraux, nous nous concentrons exclusivement ici sur l’impératif économique de s’occuper de
ces enjeux et plus précisément sur le risque qu’ils
sabotent la capacité du Canada de prospérer.
qu’est-ce que le capital humain?
Le Blackberry n’est pas apparu par miracle, alors d’où
vient-il? Les économistes emploient le terme « facteur
de production » pour décrire les différents éléments
qui contribuent à la production de quelque chose
comme le Blackberry. De tradition, ils englobent dans
ces facteurs de production le capital, la matière première et la main-d’œuvre. Mais il faut bien plus que
des machines, des semi-conducteurs et des chaînes
de montage pour produire un Blackberry. Il faut aussi
des cerveaux comme celui de Mike Lazaridis et des
employés innovateurs de RIM.
Dans les années 1960, des économistes ont introduit
la notion de « capital humain » pour décrire ce
facteur de production moins tangible mais tout à
fait crucial. Aujourd’hui, le capital humain est pour
nous « l’ensemble des connaissances, qualifications, compétences et caractéristiques individuelles
qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique»2 . Il repose sur quatre piliers :
l’éducation, les compétences, la santé et les relations
5
sociales. Plus une société possède de ces éléments,
plus elle est riche en capital humain – et, à terme,
plus il est probable qu’elle soit productive. En effet,
l’économie s’orientant vers la production de produits
et services de plus en plus complexes, « le capital humain… est la source la plus importante de richesse
nationale et de compétitivité internationale » (TRADUCTION)3 , disent beaucoup d’économistes.
pourquoi le capital humain
compte-t-il maintenant?
Pour réussir dans l’économie du 21e siècle, il
faut s’adapter aux forces de la mondialisation :
l’internationalisation de la production, la montée des
entreprises transnationales, la mobilité du capital et
de la main-d’œuvre et l’intégration des marchés à
l’échelle mondiale.4 Avec une économie ouverte et
de petite taille, le Canada ne peut guère se permettre
d’ignorer ces tendances. Sur ce marché mondial
hyper-compétitif, son abondance de facteurs traditionnels de production – capital, matières premières,
main-d’œuvre et même technologie – ne suffit pas
pour bâtir une économie à salaires élevés.
6
Figure 1 . Relation entre les inégalités et la pauvreté
(représentées par le revenu et le statut social) et le développement du capital humain dans une économie du savoir
promet de créer « la main-d’œuvre la plus scolarisée,
la plus qualifiée… au monde » .7
Certains diront que le Canada devrait se servir de
l’immigration pour développer sa main-d’œuvre. Les
indicateurs macro-démographiques ne sont cependant pas encourageants. La demande en capital humain est appelée à augmenter au fur et à mesure que
la population du Canada, comme beaucoup d’autres
dans le monde, vieillit et voit baisser son taux de natalité. Selon les projections du Forum économique
mondial, d’ici 2030, les É.-U. et l’Europe auront besoin
de 70 millions de travailleurs de plus pour maintenir
leur croissance économique. Dans ce marché où la
compétition pour le capital humain restera grande, il
est peu probable que le Canada réussisse à combler
tous ses besoins en talent en puisant dans d’autres
pays.
Pourquoi le Canada doit-il être compétitif dans
l’économie du savoir? Pourquoi ne pouvons-nous
pas continuer de compter sur nos ressources naturelles, au lieu de nos ressources humaines? Même en
faisant abstraction de l’impact environnemental d’une
telle approche, celle-ci nous mettrait à la merci des
fluctuations du cours des produits de base ainsi que
des effets de la mondialisation qui mettent l’acier chinois en concurrence avec l’acier canadien. En plus de
cela, dépendre de l’exportations de ressources ferait
monter notre dollar, rendant difficiles les exportations
dans d’autres secteurs (et nos secteurs non liés aux
ressources et notre secteur manufacturier représentent une part bien plus importante de l’emploi et de
la production économique que notre secteur des ressources naturelles).5 Pour faire augmenter le niveau
de vie des Canadiens, « au lieu de trop dépendre
des matières premières et de produits indifférenciés
dans de nombreux secteurs, nous devons compter davantage sur des produits différenciés à valeur ajoutée et sur les innovations canadiennes dans tous les
secteurs » (TRADUCTION).6
le processus de développement du
capital humain
Par conséquent, la prospérité future du pays passe
par l’identification de façons de combiner les facteurs
traditionnels de production avec créativité. Pour ce
faire, il doit exploiter le talent et l’ingéniosité de son
capital humain. Cette opinion se retrouve dans le
plan économique phare du gouvernement fédéral qui
On voit à la Figure 1 comment les inégalités et la pauvreté affectent le développement du capital humain.
Le niveau de capital humain d’une personne est fonction de l’éducation qu’elle a acquise, ses compétences,
sa santé et ses relations sociales. Mais comment sont
acquis ces ingrédients du capital humain? Il existe
Sous-traiter le développement de notre capital humain à l’extérieur du pays ne peut être notre seule
stratégie pour prospérer dans l’économie du savoir.
Nous devons fournir des conditions dans lesquelles il
est possible pour tout le monde – immigrants et non
immigrants de tous horizons – de contribuer à notre
prospérité à long terme.
le groupe de travail d’action canada sur les inégalités, la pauvreté
et l’économie du savoir - www.prospererensemble.ca
maintes façons d’acquérir ce capital humain, mais
elles dépendent fortement du revenu et du statut
social de la personne, autrement dit de son milieu
socioéconomique. Ainsi, une famille pauvre n’aura
pas forcément les moyens d’inscrire son enfant dans
un programme éducatif pour les jeunes enfants; une
adolescente d’un quartier à faible revenu qui aime
les ordinateurs ne pourra pas toujours parler avec un
conseiller d’orientation professionnelle des carrières
qui existent pour elle.
développement des compétences cognitives et noncognitives de base, un processus qui est influencé par
la situation socioéconomique de la famille8. La pauvreté continue aussi d’influer sur les études plus tard
dans la vie. Le coût d’opportunité des études postsecondaires pour un diplômé du secondaire d’une
famille à faible revenu, par exemple, risque fort de
représenter plus d’argent et d’être moins facile à gérer
que pour un diplômé venant d’un milieu aisé9.
Comme l’illustre la Figure 1, le processus de développement du capital humain est cyclique plutôt que
linéaire. Le stock de capital humain d’une personne a
de bonnes chances d’avoir une incidence sur son revenu et sa carrière plus tard. Dans un environnement
social porteur, un jeune intéressé par l’informatique a
plus de chances de devenir le prochain Bill Gates. Un
revenu et un statut social plus élevés tendront à faciliter l’accès à l’éducation, aux compétences, à la santé et
aux relations sociales – pour cette génération et pour
la suivante. À l’opposé, un Canadien qui a peu accès
aux programmes de capital humain aura un revenu et
un statut social inférieurs, et ses enfants auront à leur
tour moins aisément accès aux ingrédients du capital
humain. Par conséquent, selon le revenu et le statut
social initiaux des Canadiens, le cycle de développement du capital humain sera un cercle vertueux ou
un cercle vicieux.
de problèmes de santé, entre autres davantage de
maladies chroniques et une espérance de vie moindre10. Ceci découle directement des privations matérielles qui vont de pair avec la pauvreté – insécurité
alimentaire, logements inadéquats, taux de chômage
élevé, conditions de travail dangereuses, contamination environnementale, criminalité et violence11.
Santé – La pauvreté est associée à toute une gamme
Relations sociales et ségrégation
économique – La pauvreté limite l’accès aux
types de relations sociales qui ouvrent des possibilités économiques. Les gens qui vivent dans la pauvreté ont généralement moins de liens sociaux et les
relations qu’ils ont sont souvent avec des gens d’un
niveau social plus faible12. Par conséquent, les gens
qui vivent dans la pauvreté ont moins de chance de
bénéficier d’un réseau de contacts susceptible de les
aider à trouver du travail, de les encourager à poursuivre leurs études ou de leur prêter de l’argent pour
se lancer en affaires.
l’impact de la pauvreté et des
inégalités sur le développement du
Inégalités
capital humain
Des études théoriques et empiriques montrent que,
par divers mécanismes, la pauvreté et les inégalités
sont intimement liées aux quatre éléments du capital
humain.
Pauvreté
Le mécanisme de base par lequel la pauvreté affecte
le capital humain est très simple : si les gens ne peuvent accéder aux produits et services permettant
d’accumuler du capital humain de base, ils seront
moins compétitifs sur le marché du travail et auront
un salaire moins élevé. Tel que démontré par des
études, il existe de nombreux liens entre la pauvreté
et le développement du capital humain :
Éducation et compétences – Comme l’ont
montré Carniero et Heckman, les germes du capital humain sont semés dès la petite enfance, avec le
Si l’effet de la pauvreté sur le développement du capital humain est bien visible, on parle moins de l’impact
que les inégalités, seules, peuvent aussi avoir sur ce
développement :
Éducation et compétences – Les enfants des
pays développés où les inégalités de revenus sont
plus grandes ont de moins bons résultats en mathématiques et en littératie que ceux de pays où les inégalités de revenus sont moindres13. Des études sur
l’alphabétisation dans les pays développés, y compris
le Canada, montrent une corrélation entre les disparités plus faibles au niveau des notes en littératie et
des notes moyennes plus élevées14. Souvent, les élèves
les plus privilégiés de pays jouissant d’une relative
égalité ont de meilleurs résultats que les enfants les
plus privilégiés de pays où les inégalités sont plus
grandes15. Aux États-Unis, on constate une corrélation entre les taux de décrochage et les inégalités de
revenus qui est trop marquée pour être attribuable
7
seulement à la pauvreté16. Des études expérimentales
montrent également que la conscience que les enfants
ont de son statut social peut brimer leur capacité à
résoudre des problèmes17.
prix des logements ou rallongent les trajets pour aller
travailler des familles moins aisées en les forçant à
vivre plus loin de leur travail20. Tout cela brime le capital humain et social essentiel à l’économie du savoir.
Santé – Une série d’études longitudinales faites au
Certains commentateurs disent aussi que les fortes
concentrations de richesse ont un effet néfaste sur
l’égalité des chances par le biais de la privatisation
des services 21. Quand un écart de revenus apparaît, les riches tendent à s’appuyer de plus en plus
sur des écoles et des soins de santé privés et autres
établissements plus exclusifs pour le développement
du capital humain. Combinée avec la suppression de
programmes publics ou de mécanismes de redistribution, cette tendance à la privatisation a des effets
néfastes plus marqués sur l’accès au capital humain.
En effet, comme l’a montré Lindert dans son étude
sur les inégalités de revenus en Grande-Bretagne et en
Amérique couvrant trois siècles, lorsque les inégalités
sont les plus grandes, la redistribution au profit des
pauvres est au plus bas22. Ceci peut aussi s’expliquer
par le fait que, comme on l’a observé, pendant les périodes où les inégalités sont les plus grandes, les élites
ont tendance à voir leur pouvoir politique s’accroître23.
Royaume-Uni où la pauvreté était une variable contrôlée fournissent des preuves convaincantes du lien
entre les inégalités de revenus et une mauvaise santé,
chez les hommes comme chez les femmes18. Il ressort
en outre de ces études que, une fois que l’on parvient à un certain niveau de revenus, la répartition des
revenus, comme déterminant de la santé, devient plus
important19.
Relations sociales et ségrégation
économique – L’impact des inégalités n’est pas
seulement individuel, il affecte aussi les collectivités
en créant une ségrégation économique néfaste pour
les familles à revenu moyen ou faible. En déménageant dans des quartiers exclusifs, les familles riches
réduisent l’assiette fiscale nécessaire au financement
des services public dans les autres quartiers, tandis
qu’en demeurant sur place elles font augmenter le
ce qu’il en est au canada aujourd’hui
I
l est clair que les disparités de revenus et
de statut social jouent un rôle déterminant
dans le processus de développement du
capital humain. Bien que le revenu d’une
personne ne soit pas la même chose que son
statut, les deux tendent à aller de pair. Nous
nous appuyons donc sur des indicateurs
statistiques reconnus de la redistribution
du revenu, comme les quintiles de revenu
e t l e s c o e f f i c i e n t s d e G i n i 24, e t s u r l e s
mesures de la pauvreté pour évaluer les
niveaux d’inégalité et de pauvreté au
Canada. Les tendances indiquées dans la
section suivante soulèvent des questions
graves quant à la capacité du Canada de
réussir dans un contexte économique où le
capital humain est le bien le plus précieux.
l’i n ég a l i t é c ro i s sa n t e d es
revenus
L’inégalité des revenus augmente depuis trente
ans au Canada. Tel que l’indique le Tableau 1, entre 1976 et 2009, deux tiers des Canadiens ont vu
8
Quintile
Inférieur
Deuxième
Troisième
Quatrième
Supérieur
Revenu du
marché ($)
1976
2009
3 900
3 300
26 500
22 200
48 800
45 400
71 400
76 300
127 100 162 100
Changement
$
-600
-4 300
-3 400
+4 900
+35 000
%
-15,4
-16,2
-7,0
+6,9
+27,5
Tableau 1. Modification du revenu du marché
depuis 1976 (toutes les unités familiales)
Source : Statistique Canada, CANSIM, Tableau 202-0701
Note : Revenu du marché en dollars indexés de 2009.
diminuer leur revenu du marché ajusté25. Alors
que le quintile le plus riche de la population augmentait de 35 000 $ son revenu du marché moyen
– une augmentation de 27,5 % – les quatre autres
quintiles subissaient un déclin d’en moyenne 7,9
% de leur revenu du marché.
De plus, les travailleurs canadiens ont peu béné-
le groupe de travail d’action canada sur les inégalités, la pauvreté
et l’économie du savoir - www.prospererensemble.ca
Effet des transferts et des impôts
sur la distribution du revenu,
ensemble des unités familiales
35%
28%
Le fait que les travailleurs n’aient pu bénéficier de
leur « juste part » des gains de productivité et le fait
que la croissance du revenu soit concentrée chez ceux
qui gagnent le plus d’argent soulèvent de sérieuses
questions quant à l’approche actuelle du Canada
pour favoriser une plus grande productivité et son
efficacité pour améliorer réellement le bien-être de la
majorité des Canadiens.
U n e é r o s i o n d e l’ e f f e t d e
redistribution des impôts et des
transferts
21%
Les transferts publics (comme l’aide sociale,
l’assurance-emploi, les prestations pour enfants et la
Sécurité de la vieillesse) et les impôts peuvent atténuer les effets des disparités sur le marché du travail.
Des transferts et des impôts progressifs font en sorte
que la répartition du revenu après impôts est moins
inégale que celle du revenu du marché.
14%
7%
Impôts
Transferts
06
20
96
19
19
19
86
76
0
Total
Figure 2. Réduction du coefficient de Gini en
pourcentage (calculs des auteurs)
Source : Statistique Canada, CANSIM, Tableau 202-0705.
ficié des gains de productivités des 25 dernières années. Alors que la productivité de la main-d’œuvre a
augmenté de 37,5 % entre 1980 et 2005, la rémunération médiane des travailleurs à plein temps et à
l’année n’a augmenté que de 58 $ au Canada, passant
de 41 343 $ à 41 401 $. Pendant la même période, le
quintile supérieur de revenus avait augmenté sa part
du revenu après impôts de 44,7 % à 51,7 %, pendant
que les quatre autres quintiles perdaient du terrain.
Selon l’analyse d’Armine Yalnizyan, qui plus est, il y
a eu une concentration continue du revenu dans les
mains de ceux ayant les revenus les plus élevés26. De
fait, entre 1997 et 2007, le 1 % le plus riche a empoché
environ 32 % de la croissance du revenu. De plus, ce
sont les 0,01 % des Canadiens les plus riches qui ont
connu l’augmentation la plus spectaculaire de leur
part du revenu, celle-ci ayant quintuplé entre le milieu des années 1970 et 2007 pour atteindre 2,8 % à la
fin de cette période.
Comme le montre la Figure 2, l’effet de redistribution
des impôts et des transferts a diminué au cours des 20
dernières années. En 1994, ils réduisaient l’inégalité
de la répartition du revenu du marché de 31 %, mais
en 2009, ce pourcentage était tombé à environ 25 %.
L’impact de ces tendances est particulièrement marqué pour les travailleurs peu spécialisés qui font face
à des revenus plus bas sur le marché du travail et des
avantages sociaux plus réduits, en termes d’impôts et
de transferts.
Étant donnés les liens entre les inégalités et le développement du capital humain présentés plus haut,
l’impact combiné des inégalités croissantes sur le
marché du travail et d’une diminution de la redistribution soulève de sérieuses questions quant à la capacité du Canada à être concurrentiel dans l’économie
du savoir.
un niveau général d’inégalité élevé
Parmi les 20 pays de l’OCDE en tête de classement
(PIB par habitant), le Canada a un niveau d’inégalité
des revenus – mesuré avec le coefficient de Gini 27 –
qui est le quatrième par ordre d’importance, n’étant
devancé que par les États-Unis, l’Italie et le RoyaumeUni (voir la Figure 3).
De plus, comme indiqué à la Figure 3, si l’inégalité
des revenus a augmenté dans la majorité des pays de
l’OCDE ces dix dernières années, l’augmentation au
Canada a été parmi les plus élevées.
9
Inégalités dans les 20 pays de
l’OCDE au PIB par habitant le plus
élevé, du milieu des années 1990
au milieu des années 2000
0,32
Il est à noter que certains groupes sont plus sujets
à la pauvreté que d’autres, comme les immigrants
récents, les Autochtones, les minorités raciales, les
personnes handicapées et les enfants de mères seules.
Ces groupes sont tous surreprésentés parmi les pauvres au Canada29.
0,28
la polarisation de la main-d’œuvre
0,4
!"(%
milieu années 2000
0,36
milieu années 1990
0,24
États-Unis
Italie
Royaume-Uni
Canada
Japon
Espagne
Corée
Australie
Allemagne
France
Norvège
Suisse
Islande
Autirche
Belgique
Finlande
Pays-Bas
Luxembourg
Danemark
Suède
0,2
Figure 3. Coefficient de Gini (après impôts et transferts),
population totale, 20 pays de l’OCDE au PIB par habitant le
plus élevé), milieu des années 1990 au milieu des années 2000
Source : Compilation par les auteurs de données tirées de
OCDE. Divided we Stand – Why Inequality Keeps Rising,
OCDE, Paris, 2011.
Note : Les données pour le milieu des années 1990 ne sont
pas disponibles pour la Corée, la Suisse et l’Islande.
d e s n i v e a u x d e pa u v r e t é
constamment élevés
Au niveau international, le Canada a des niveaux
de pauvreté (générale) et de pauvreté infantile plus
élevés que la plupart des pays comparables. Parmi les
20 pays de l’OCDE au PIB par habitant le plus élevé,
le Canada arrive, le Canada arrive 15e en terme de
pauvreté générale et 16e pour la pauvreté infantile
(voir Figure 4). Son niveau de pauvreté générale est
supérieur de près de deux points à la moyenne de
l’OCDE et son niveau de pauvreté infantile dépasse
la moyenne de plus de 4 points.
Chaque année depuis 1990, au moins un million
d’enfants canadiens vivent dans la pauvreté. En 2009,
pour un ménage de quatre personnes, cela signifiait
un revenu après impôts de moins de 37 360 $28 . Si le
taux d’enfants vivant dans la pauvreté a diminué de
2,4 points depuis 1995, à 15 %, il demeure plus élevé
qu’en 1976. Le pourcentage d’adultes vivant dans la
10
pauvreté a aussi augmenté au cours des 35 dernières
années, passant de 10 % en 1976 à 13,1 % en 2009.
Cette année-là, près de 3 millions d’adultes vivaient
en dessous du seuil de faible revenu.
S’il a entraîné des prix plus bas pour les consommateurs, l’avènement de la mondialisation et de la
technologie a aussi contribué à la disparition des
emplois à salaire moyen 30. Autrement dit, dans
l’économie du savoir, il est de moins en moins possible de conserver une classe moyenne employée dans
le traitement ordinaire de produits et d’information,
ces emplois ayant été transférés à des économies où
les salaires sont bas ou bien éliminés au moyen de
l’automatisation et des technologies de l’information.
Il en résulte un marché du travail de plus en plus
polarisé, avec des emplois techniques et de gestion
aux salaires élevés et nécessitant de hauts niveaux
de compétences, d’une part, et des emplois tertiaires,
aux salaires bas et nécessitant peu de compétences
qui ne peuvent être externalisés, comme des emplois
dans la préparation alimentaire ou le commerce de
détail, d’autre part. Cette polarisation accrue se
traduit par des écarts de salaires plus importants
en fonction du niveau d’éducation et de l’âge des
travailleurs. Non seulement les travailleurs moins
éduqués gagnent moins, mais des études montrent
qu’ils travaillent moins d’heures parce qu’il y a plus
de chances qu’ils aient un emploi à temps partiel ou
temporaire; bien sûr, cela creuse l’écart de revenus
entre les travailleurs moins éduqués et leur homologues plus éduqués. De plus, les travailleurs moins
éduqués passent plus d’heures au chômage ou sans
travail31.
Il ressort d’études d’industries européennes que
la polarisation des salaires est plus marquée dans
les secteurs où l’innovation est grande (nouveaux
produits et nouveaux marchés) et où il y a une forte
proportion de travailleurs ayant fait des études universitaires32. Ces facteurs expliquent vraisemblablement les tendances canadiennes discutées dans la
section précédente.
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Pauvreté (générale et infantile)
dans les 20 pays de l’OCDE au
PIB par habitant le plus élevé,
milieu des années 2000
Danemark
Suède
Finlande
Norvège
Autriche
France
Islande
Suisse
Belgique
Royaume-Uni
Corée
Pays-Bas
Australie
Japon
Canada
Italie
Allemagne
Ireland
Espagne
Étas-Unis
Personnes vivant
dans la pauvreté
Enfants vivants
dans la pauvreté
0
5%
10%
15%
20%
25%
Figure 4. Personnes vivant dans la pauvreté (Indicateur
: Mesure de faible revenu), 20 pays de l’OCDE au PIB par
habitant le plus élevé, milieu des années 2000
Source :O ECD, Distribution des revenus – Pauvreté;
Bien-être des enfants, milieu des années 2000
Par ailleurs, des recherches montrent clairement que,
tout au long des années 1980 et 1990, l’utilisation
grandissante des technologies de l’information et la
demande concomitante de compétences – en particulier de compétences cognitives – ont résulté en une
plus grande inégalité des salaires33. Ainsi, aux ÉtatsUnis comme au Royaume-Uni, les investissements
dans de nouvelles technologies vont de pair avec une
demande accrue de travailleurs capables de les utiliser34, ce qui n’a rien de surprenant. Bien sûr, ces travailleurs reçoivent des salaires plus élevés que leurs homologues moins qualifiés. Comme le développement
de la technologie se poursuivra vraisemblablement
ou s’accélèrera au cours de la prochaine décennie, il
est probable que la polarisation du marché du travail
augmentera aussi.
Le Canada ressent donc les effets d’une transformation économique mondiale massive, une transformation qui ouvre des possibilités gigantesques pour ceux
qui sont bien pourvus en terme de capital humain,
mais qui engendre aussi des conséquences néfastes
sur ceux dont ce n’est pas le cas. Dans ce nouveau
paradigme, dans lequel le capital humain est à la base
de la prospérité collective, les pays qui permettent
aux forces de la mondialisation et de la technologie de
laisser de côté de grands pans de leur population verront leur économie laissée de côté de la même façon.
11
qu’est-ce que cela signifie pour le
capital humain?
S
i l’on revient à la Figure 1, on voit comment
les tendances ci-dessus interagissent avec
le cycle du capital humain. La polarisation du
marché du travail a une incidence sur l’aspect
«possibilités en matière de salaires et d’emploi»
du processus, les travailleurs hautement qualifiés et rémunérés se trouvant dans un cercle vertueux de capital humain, avec de plus en plus de
débouchés pour eux et pour leurs enfants. Les
travailleurs peu spécialisés et peu rémunérés,
par contre, se trouvent dans un cercle vicieux
du capital humain auquel ils auront de plus en
plus de mal à échapRelever les défis per, les tendances désociaux que présente crites ci-dessus allant
l’économie du 21e en s’accélérant.
siècle, n’est pas une
question de charité
pour une minorité,
mais une question de
prospérité collective
à long terme.
Grâce à la disponibilité
d’emplois à salaire moyen, en particulier dans le
secteur manufacturier, les
générations précédentes
avaient beaucoup plus de
possibilités de se mouvoir
dans le cycle du capital humain. Les gens qui entraient dans le cycle avec un salaire et un statut social
bas pouvaient espérer vivre correctement, ce qui leur
permettait d’investir dans le développement de leur
capital humain et de celui de leurs enfants, une situation bénéfique pour l’économie dans son ensemble.
Aujourd’hui, à cause de l’impact de la mondialisation
et de la technologie sur les marchés du travail, de
telles possibilités se font plus rares.
En même temps, ces dernières décennies, le fardeau
du développement du capital humain repose de plus
en plus sur les épaules des individus, sous forme de
coûts plus élevés pour les études postsecondaires,
conjointement avec moins de sécurité d’emploi35 .
Augmenter son capital humain étant devenu plus
difficile, il n’est pas surprenant que, en termes de rémunération, la mobilité des travailleurs canadiens ait
diminué36. Si l’on ne fait rien, ces tendances risquent
d’exacerber les inégalités qui existent déjà dans le
système canadien d’enseignement postsecondaire où
les jeunes de milieux à revenus élevés ont deux fois
12
Figure 1 . Relation entre les inégalités et la pauvreté
(représentées par le revenu et le statut social) et le développement du capital humain dans une économie du savoir
plus de chances d’obtenir un diplôme ou de faire des
études pour en avoir un que les jeunes de milieux à
faibles revenus37.
Comme le montrent les tendances statistiques discutées plus haut, il est probable que jusqu’à 60 % de
la population canadienne soit affectée, sous forme
d’un déclin des revenus du marché, par les forces de
la mondialisation et de la technologie et par les disparités qu’elles engendrent sur le marché du travail.
Nous tenons à être clairs sur ce point : relever les défis sociaux que présente l’économie du 21e siècle, les
inégalités et la pauvreté pour les nommer, n’est pas
une question de charité pour une minorité, mais une
question de prospérité collective à long terme. Cependant, résister au passage à la nouvelle économie n’est
pas la solution pour le Canada. Il doit plutôt se mettre
en position de réussir au sein de cette nouvelle économie en s’assurant que notre économie et notre société
œuvrent toutes deux dans ce sens.
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et l’économie du savoir - www.prospererensemble.ca
recommandations de politiques
C
omme nous l’avons montré dans le présent
rapport, la mondialisation et le passage à une
économie du savoir imposent des modifications
structurelles au Canada, qui s’ils sont ignorés,
pourraient compromettre le développement de
notre capital humain et notre prospérité à long
terme.
que le Canada peut faire pour adapter ses politiques
économiques et sociales en fonction de la mondialisation et du passage à une économie du savoir. Ce mécanisme devrait avoir les caractéristiques suivantes :
En cette période de transformation économique, le
Canada a besoin que tous ses citoyens contribuent à
la prospérité du pays. S’il ne planifie pas adéquatement ses politiques, le Canada ne parviendra pas à
développer le talent et l’ingéniosité d’une part significative de sa population. Puisque la réorganisation
économique sous-jacente touche divers domaines des
politiques, il en résulte un défi qui exige une approche
holistique et coordonnée afin de :
Les inégalités, la pauvreté et le capital humain, en
plus de concerner toutes les sphères de compétence,
sont d’une complexité qui rend indispensable la
participation de tous les niveaux de gouvernement
– fédéral, provinciaux/territoriaux, municipaux et
autochtone. Ainsi, le gouvernement fédéral, du fait
qu’il est responsable des impôts directs et indirects, de
l’assurance-emploi et des peuples autochtones, a un
rôle majeur à jouer. Et on ne peut vraiment progresser
sans la participation des gouvernements provinciaux
et territoriaux, dont les responsabilités comprennent
les impôts directs, l’éducation, les services sociaux et
la législation sur l’emploi. Les municipalités doivent
quant à elles participer du fait de leur rôle dans la
prestation de services comme les services de garde
d’enfants et le logement. Enfin, les gouvernements
autochtones du Canada ont un rôle central dans ce
processus; comme indiqué plus haut, les peuples autochtones sont démesurément affectés par la pauvreté, les jeunes autochtones constituent le segment de
notre population qui augmente le plus rapidement, et
le Nord sera partie intégrante de l’avenir économique
du Canada.
1.S’attaquer aux causes profondes des
inégalités et de la pauvreté
2.Faire en sorte que les Canadiens bénéficient
d’instruments de mobilité sociale adaptés.
Ce défi étant de taille, nous ne recommandons pas,
à ce point-ci, de mesures spécifiques en termes de
politiques; nous proposons plutôt une manière
différente de concevoir la relation entre les politiques
économiques et les politiques sociales, afin de
répondre aux impératifs de l’économie du savoir.
Afin de s’attaquer au plus grand défi économique
auquel le Canada fait face aujourd’hui, nos décideurs
politiques doivent percevoir les défi sociaux, tels que
l’inégalité et la pauvreté, comme des entraves à notre
prospérité à long terme. Ceci exige que l’on approche
l’analyse des politique de manière exhaustive et
holistique, processus qu’un nouveau mécanisme
peut grandement faciliter.
un mécanisme pour préparer le
Canada pour l’économie du savoir
Des politiques efficaces et réfléchies en réponse aux
conséquences de l’évolution structurelle constante
de l’économie sont indispensables pour assurer la
prospérité à long terme du Canada. Le groupe de travail recommande la création d’un mécanisme pour
(1) approfondir notre compréhension du lien entre
les inégalités et la pauvreté et le développement du
capital humain au Canada; et (2) formuler des recommandations de politiques plus spécifiques quant à ce
Capacité de faire participer tous les niveaux
de gouvernement
Capacité de faire participer les collectivités
et l’ensemble de la population
Touchés le plus directement par les politiques gouvernementales, les citoyens, les groupes d’intérêt
et les entreprises constituent une source précieuse
d’information et d’idées. Des solutions spécifiques à
certaines collectivités sont souvent nécessaires pour
s’attaquer aux problèmes associés aux inégalités et à
la pauvreté. Il est essentiel d’avoir un dialogue avec
ces groupes et leurs dirigeants. Qui plus est, la participation généralisée de la société civile au processus de
consultation contribue à l’efficacité et à la légitimité
des politiques qui en découleront.
Capacité de recherche accrue
Les ressources gouvernementales doivent être complétées par une capacité externe à produire une anal-
13
yse bien équilibrée. Les connaissances spécialisées
sur divers aspects des inégalités, de la pauvreté et
du développement du capital humain sont dispersées dans les différents ministères, ainsi que dans le
secteur privé et dans les universités. Le mécanisme
devrait permettre de réunir, au moins temporairement, ces sources de savoir dispersées pour travailler
sur l’évaluation intégrée de la situation et recommander des politiques.
Indépendance et obligation de rendre
compte au public
Le travail effectué dans le cadre de ce mandat
concernera vraisemblablement des domaines sensibles
d’un point de vue politique. Pour garantir la légitimité
du processus et de ses résultats, l’indépendance
politique et l’obligation de rendre compte directement
au public sont nécessaires. En plus de s’inscrire en
phase avec le principe de consultation inclusive et
ouverte que nous recommandons, un tel processus
a plus de chances de voir ses travaux déboucher sur
des recommandations qui seront largement appuyées.
Par conséquent, un mécanisme indépendant et
transparent est plus à même de produire des réformes
à la fois viables et efficaces, ce qui est son objectif
ultime.
une commission royale d’enquête
sur l’économie et la société
Depuis le milieu des années N o u s d e v o n s
1930, des commissions royales reconnaître que
d’enquête ont été créées à maint- notre prospérité à
es occasions pour étudier des long terme dépend
défis sociaux et économiques de ce tous puissent
d’importance nationale. Parmi y contribuer.
les exemples récents de commissions royales d’enquête, on citera la Commission
royale sur l’union économique et les perspectives de
développement du Canada (Commission Mcdonald, 1982) et la Commission royale d’enquête sur
l’avenir des soins de santé au Canada (Commission
Romanow, 2001). Il est incontestable que la question
de l’état de l’économie et de la société canadiennes au
sein de l’économie mondiale du savoir est d’une ampleur, d’une portée et d’une complexité comparables.
Elle justifie une commission royale d’enquête.
En tant que mécanisme pour des recherches approfondies et pour l’élaboration de politiques, une commission royale d’enquête combine les quatre caractéristiques souhaitables décrites ci-dessus. Premièrement,
14
elle requiert la participation du gouvernement fédéral
et, moyennant inclusion dans son mandat (comme ce
fut fait dans le mandat de la Commission Romanow),
permet celle des provinces et des territoires. La nomination d’un groupe équilibré et représentatif de commissaires venant d’horizons divers, peut aussi permettre que les provinces et territoire aient voix au
chapitre. Deuxièmement, une commission royale peut
être conçue de façon à ce que les consultations avec
les citoyens, les groupes d’intérêt, les entreprises et les
autres parties concernées fassent partie intégrante de
son mandat. Troisièmement, étant un mécanisme spécial, une commission royale permet l’assemblage des
ressources gouvernementales et non gouvernementales existantes pour travailler sur une tâche bien définie
et limitée dans le temps. Si la commission concluait
que certains secteurs des politiques doivent faire
l’objet d’un suivi plus serré à l’avenir, elle pourrait
recommander la création d’un organisme permanent
ou la réorganisation des ressources existantes afin de
s’acquitter de ce nouveau mandat. Enfin, une commission royale d’enquête jouit d’une indépendance
complète et rend directement compte au public.
Évidemment, outre ses avantages, une commission
royale d’enquête a aussi des inconvénients, en particulier les ressources considérables requises pour
s’acquitter de sa mission et le temps que cela lui prend
avant de pouvoir publier ses conclusions. Néanmoins,
l’ampleur des changements dans l’économie mondiale, leur incidence généralisée sur la société canadienne
et leurs implications à long terme exige la création
d’une commission royale d’enquête. C’est le meilleur
mécanisme à notre disposition pour déterminer comment relever les défis complexes de l’économie du
savoir.
Ceci étant dit, l’attente d’un moment opportun pour
créer une commission royale d’enquête ne devrait
pas retarder le lancement d’un processus de recherche et de réflexion sur les enjeux mis en lumière dans
le présent rapport. Nous devons débuter sans attendre un dialogue national avec tous les secteurs de la
société canadienne – au sein du gouvernement et à
l’extérieur – dans le but de cerner les faiblesses au
niveau des politiques et de trouver des solutions.
Comme nous le soulignons dans le présent rapport,
ce processus de discussion et de réflexion, qu’il ait lieu
dans le cadre d’une commission royale d’enquête ou
non, doit mener à une différente façon de concevoir
les défis auquel le Canada sera confronté au 21e siècle. Nous devons reconnaître notre prospérité à long
terme dépend de ce que tous puissent y contribuer.
Nous devons par conséquent trouver des façons de
prospérer ensemble.
le groupe de travail d’action canada sur les inégalités, la pauvreté
et l’économie du savoir - www.prospererensemble.ca
bibliographie
1 Tom Jenkins et al. Innovation Canada : Le pouvoir d’agir – Examen
du soutien fédéral de la recherche-développement, Rapport final du
groupe d’experts, Travaux publics et services gouvernementaux,
Ottawa, 2011.
2 Keeley, B. Le capital humain : Comment le savoir détermine notre
vie, OECD, Paris, 2007.
3 Blair, M. « An Economic Perspective on the Notion of Human
Capital », dans Burton-Jones et al. (éd.) The Oxford Handbook of
Human Capital, Oxford University Press, Oxford, 2011.
4 Courchene, T. A State of Minds: Toward a Human Capital Future
For Canadians, IRPP, Montréal, 2001.
5 Conseil des académies canadiennes. Innovation et stratégies
d’entreprise : Pourquoi le Canada n’est pas à la hauteur, Conseil
des académies canadiennes, Ottawa, 2009.
6 Brzustowski, T. The Way Ahead: Meeting Canada’s Productivity
Challenge, Presses de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 2008.
7 Ministère des Finances, Avantage Canada – Bâtir une économie
forte pour les Canadiens, Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2006.
8 Carniero, P. et J. Heckman. « Human Capital Policy », dans Heckman, J. et A. Kruger, éd. Inequality in America: What Role for Human Capital Policy?, MIT Press, Cambridge (MA), 2003.
9 Voir, de façon générale, Becker, G.S. Human Capital: A Theoretical
and Empirical Analysis, With Special Reference to Education, 3e
édition, The University of Chicago Press, Chicago, 1994.
10 Olsen, G.M. Power and Inequality: A Comparative Introduction,
OUP, Oxford, 2010.
11 Raphael, D. Poverty and Policy in Canada: Implications for
Health and Quality of Life, Canadian Scholars’ Press, Toronto, 2007.
12 Putnam, R.D. Bowling Alone: The Collapse and Revival of American Community, Simon & Schuster, New York, 2000.
13 Wilkinson, R. et K. Pickett, The Spirit Level: Why Equality is Better for Everyone, Penguin Books, Londres, 2009.
14 Willms, J.D. « Literacy Proficiency of Youth: Evidence of Converging Socioeconomic Gradients », International Journal of Educational Research, 39, p. 247–252, 2003.
15 Ibid.
16 Wilkinson and Pickett, Ibid.
17 Hoff, K. et P. Pandey, « Belief Systems and Durable Inequalities: An Experimental Investigation of Indian Caste », Document
de travail de recherche sur les politiques, 3351, Banque mondiale,
Washington, D.C., 2004.
18 Marmot, M.G. et al, « Social/Economic Status and Disease »,
Annual Review of Public Health, 8, 1987, p. 111–135.
19 Voir Olsen, ibid.
21 Gates, W.H., et C. Collins, Wealth and Our Commonwealth: Why
America Should Tax Accumulated Fortunes, Beacon Press, Boston,
2003.
22 Lindert, P.H. « Three Centuries of Inequality in Britain and
America », document de travail 97-09, University of California Davis Press, Davis (CA), 1998.
23 Ibid.
24 Le coefficient de Gini mesure le degré relatif d’inégalité dans la
redistribution du revenu. L’échelle commence à zéro, qui indique
une distribution parfaitement égale du revenu, et va en augmentant
au fur et à mesure que la distribution devient plus inégale.
25 Le revenu du marché est la somme des gains (emploi et travail
indépendant), des revenus d’investissement nets, des revenus de
pension de retraite et des autres revenus annexes. On l’appelle aussi
revenu avant impôts et transferts.
26 Yalnizyan, A. The Rise of Canada’s Richest 1%, Centre canadien
de politiques alternatives, Ottawa, 2010.
27 Le coefficient de Gini est l’indicateur standard utilisé pour comparer les niveaux d’inégalité dans différents pays. Voir la note 24
pour plus de détails.
28 Statistique Canada, « Les lignes de faible revenu, 2009-10 », Série
de documents de recherche – Revenu, Industrie Canada, Ottawa,
2011.
29 Raphael, D. Poverty and Policy in Canada: Implications for
Health and Quality of Life, Canadian Scholars’ Press, Toronto, 2007.
30 Atkinson, R.D. « Inequality in the New Knowledge Economy
», dans Giddens, A. et P. Diamond (éd.). The New Egalitarianism,
Polity Press, Cambridge, 2005.
31 Kuhn, P. « Labour Market Polarization: Canada in International
Perspective », dans Courchene, T. J. (éd.). Frameworks for a Knowledge Economy, John Deutsch Institute, 1996, p. 283-321
32 Angelini, E. C., Farina, A., et M. Pianta. « Innovation and wage
polarisation in Europe », International Review of Applied Economics, 23(3), mai 2009, p. 309–325. Voir aussi « EUR 24471 EN — Why
socio-economic inequalities increase? Facts and policy
33 Garicano, L. et E. Rossi-Hansberg. « Organization and Inequality
in a Knowledge Economy », The Quarterly Journal of Economics,
vol. 121(4), 2006, p. 1383-1435, MIT Press.
34 Kuhn, P., Ibid.
35 Banting, K. « Dis-Embedding Liberalism? The New Social Policy
Paradigm in Canada », dans Green, D.A. et D.R. Kesselman (éd.).
Dimensions of Inequality in Canada, UBC Press, Vancouver, 2006.
36 Beach, Charles M. « How has Earnings Mobility in Canada
Changed? » dans Ibid.
37 Corak, M. et al. Family Income and Participation in Post-Secondary Education, Statistique Canada, Ottawa, 2003.
20 Kawachi, I. « Income Inequality and Economic Residential Segregation », Journal of Epidemial Community Health, 56, 2002, p.
165-166.
15
16
le présent projet a été entrepris dans le cadre du programme
action Canada. la fondation action canada, faisant affaires
sous le nom d’action canada (www.actioncanada.ca), est
un organisme de bienfaisance enregistré avec pour mission
de renforcer le leadership pour l’avenir du canada. ni
le contenu ni les conclusions de la présente publication
ne sont appuyés ou approuvés par la fondation action
canada, action canada ou le gouvernement du canada.
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