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I svI MARS I 2011 2011 I MARS I svI
repousse les limites entre
les notions de bruit et de signal.
Pour un mathématicien, c’est
un peu comme transformer du
plomb en or !”
En 2007, Michel Campillo,
qui tâche de développer cette
méthode pour la prédiction des
séismes et pour la recherche et
le suivi des gisements de pé-
trole, propose au géophysicien
Florent Brenguier, en quête
d’un sujet post doctoral, d’appli-
quer sa techni que aux volcans
sur l’île de la Réunion : avec
deux éruptions annuelles en
moyenne et un observatoire
parfaitement configuré, le Piton
de la Fournaise apparaît en effet
comme l’endroit idéal. Aussitôt
dit, aussitôt fait. Dans un pre-
mier temps, Florent Brenguier
se plonge dans les données sis-
miques. En remontant sur deux
années d’enregistrements et en
se penchant sur cha que couple
de capteurs sismiques, il ne tar-
de pas à établir des corrélations
dans les signaux du bruit de
fond indiquant la vitesse à la-
quelle celui-ci s’est déplacé, et
donc les structures géologiques
qu’il a traversées.
Cette première représentation
en poche, le jeune chercheur
entre prend d’étudier com ment
cette vitesse du bruit de fond a
évolué avec le temps… et il finit
par trouver le signal précurseur
qu’il recherche : une nette chute
de la vitesse du bruit de fond
quelques semaines avant cha-
cune des quatre éruptions obser-
vées durant cette période.
le piton valide le modèle
La découverte fait immédiate-
ment grand bruit chez les sis-
mologues. Un tel signe précur-
seur d’une éruption promet de
pouvoir surveiller l’activité des
volcans bien plus en profondeur
que ne le permettent les mé-
thodes sismiques tradition-
nelles et les mesures géodési-
ques de déformations par GPS,
inclinomètre ou extensomètre.
Dès lors, les choses vont aller
vite. Récompensé par le presti-
gieux prix Keiiti Aki, Florent
Brenguier est nommé, en 2009,
coordinateur scientifique de
l’ambitieux programme Under-
volc (Understanding Volcanoes)
déployé à la Réunion, qui ras-
semble une trentaine de cher-
cheurs du monde entier et dont
l’un des objectifs est de valider
la méthode du bruit sismique.
Les résultats ne tardent pas.
Grâce à des capacités informati-
ques permettant d’étudier dix
années de données, les sis mo -
logues con firment rapidement
la validité du signe précurseur
à quelques semaines. De plus,
une nouvelle cartographie de
l’intérieur du Piton permet de
locali ser la bouche d’injection
de magma sous le volcan où est
repéré un marqueur pré-éruptif
supplémentaire… plusieurs
mois avant chaque éruption.
Enfin, un modèle de suivi spa-
tio-temporel du magma durant
les heures qui précèdent l’érup-
tion est développé par Benoît
Taisne, de l’IPGP, afin de suivre
en temps réel le moment et le
point de sortie de la lave. Res-
tait à subir le baptême du feu.
L’éruption du mois d’octobre
2010, prédite trois semaines
avant par la nette variation dans
la vitesse du bruit sismique, en
a offert l’occasion. Elle a aussi
permis de valider le modèle de
suivi du magma en temps réel
au cours des heures précédant
l’éruption. Le test a donc été un
succès éclatant. “Undervolc
permet d’affiner considérable-
ment notre modèle volcano-sis-
mique, assure Florent Bren-
guier. Nous allumons des
témoins à plusieurs échelles de
temps, quelques mois, quelques
semai nes et quel ques heures
avant l’éruption. Et ce sont ces
marqueurs pris dans leur en-
semble qui améliorent la pré-
diction et la surveillance du
volcan.” Yosuke Aoki, de l’uni-
versité de Tokyo, applaudit des
deux mains : “Avant l’ère du
bruit sismique, il était impos-
sible d’avoir une image fiable
de l’évolution temporelle de la
structure sis mi que, un élément
clé de la prédictibilité volcani-
que. Même si nous ne connais-
sons pas la nature précise de
ces changements, nous savons
désormais quand ils ont lieu.”
et les volcans explosiFs ?
Le travail n’est pourtant pas fini.
L’objectif du program me Under-
volc, à l’hori zon 2012, est de
dévelop per un algorithme dédié
à cette nouvelle méthode d’ana-
lyse du bruit sismique afin de
l’appliquer à d’autres volcans.
Car tous ne ressemblent pas au
Piton de la Fournaise. “La mé-
thode du bruit est prometteuse
mais n’a cependant pas encore
été testée de manière appro-
fondie sur des volcans explo-
sifs, souligne Bernard Chouet,
de l’USGS, l’organisme de sur-
veillance géologique américain.
Il est donc prématuré d’émettre
un pronostic sur son potentiel
prédictif pour ce type de volcan.
Mais le Merapi, très actif, paraît
être un excellent candidat pour
le vérifier.”
C’est du reste le dernier et
pré cieux avantage de cette mé-
thode : elle est facile à mettre en
place. Les zones à risques possè-
dent en effet généralement déjà
un réseau sismique aux données
exploitables. Et si les calculs de
corrélation sur des temps d’en-
registrement très longs nécessi-
tent des capacités de calcul et
de stockage de données très im-
portantes, l’investissement reste
raisonnable (et délocalisable).
Nous sommes donc peut-être à
l’aube d’une nouvelle ère pour
la surveillance de l’activité
volcanique et la protection des
populations menacées. Dans
quelque temps, peut-être, les
plus spectaculaires colères de la
Terre seront prédites sans coup
férir grâce à ses plus discrets
murmures. z
→
10 km
1 km
3 km
Le site de l’Institut
de physique du
globe de Paris :
http://www.ipgp.fr/
en
savoir
plus
L’analyse du signal repéré prédit une éruption… dans
les semaines à venir. Dès lors, l’activité du volcan est
suivie en temps réel grâce aux enregistrements des
sismomètres (ci-contre). Mis en corrélation, leurs
signaux permettent de représenter en 3D la cheminée
(ci-dessous) et le suivi de son activité magmati que.
Trois semaines plus tard, le 14 octobre, le Piton de la
Fournaise entre en éruption. Confirmant avec éclat la
prévision établie par cette nouvelle méthode.
(temps en millisecondes)
(temps en millisecondes)
La corrélation des signaux des sismomètres trace l’activité du volcan.
…ce signal annonçait bien une éruption : la méthode marche !
Signal enregistré du sismomètre A
0 200 400 600 800 1000
Reconstitution 3D de la cheminée du Piton
Signal enregistré du sismomètre B
0 200 400 600 800 1000
Corrélation mathématique entre les signaux A et B
0 200 400 600 800 1000
octobre 2010
14 octobre 2010
CNRS
f l o R e N t b R e N g u i e R
E.HADDOK
fondamental
avant-première