Les valeurs chrétiennes consacrées dans la Constitution de la Roumanie PUSKÁS ValenJn-Zoltán Juge à la Cour Cons<tu<onnelle Le christianisme est un élément essentiel de l’identité européenne. L’Europe de nos jours est marquée par de vifs débats sur le rôle des racines chrétiennes, de la religion dans la société contemporaine. Le rapport entre l’Église et l’État, entre l’identité chrétienne et celle européenne engendre beaucoup de discussions, parfois âpres, surtout en ce qui concerne l’élaboration d’une Constitution Européenne. Dans le préambule du projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe, adopté par consensus par la Convention Européenne le 13 juin et le 10 juillet 20031, il est statué : « S’inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe, dont les valeurs, toujours présentes dans son patrimoine, ont ancré dans la vie de la société le rôle central de la personne humaine et de ses droits inviolables et inaliénables, ainsi que le respect du droit ». Bien que timide, ce texte du préambule du Traité fait aussi une référence directe, à côté de l’héritage culturel et humaniste, aux valeurs religieuses qui ont été « ancrées » dans la vie de la société. La Roumanie, pays chrétien orthodoxe, avec des racines chrétiennes millénaires, avec une société où les traditions religieuses ont été passées d’une génération à l’autre, garde, nonobstant les conceptions « plus modernistes » qui peuvent apparaître, les valeurs chrétiennes qui régissent les relations entre les membres de la société. La prise en charge des traditions chrétiennes millénaires par nous, les Roumains, mais aussi par l’Europe contemporaine, est, à mon sens, une nécessité naturelle pour préserver l’identité roumaine, ainsi que celle européenne. Dans ce contexte, le reflet, la consécration et la sauvegarde des valeurs chrétiennes dans la Constitution, nationale ou européenne, est un souhait non seulement nécessaire, mais aussi obligatoire. Mais qu’est-ce qu’on comprend, en fait, par les valeurs chrétiennes ? Il est difficile de fournir une définition exhaustive dans ce sens. Les valeurs chrétiennes sont comprises dans la Bible et visent un champ extrêmement vaste. Par l’analyse du syntagme, on peut constater que la valeur est la qualité de certaines choses, faits, idées et phénomènes de correspondre aux nécessités sociales et aux idéaux qu’elles engendrent, et chrétien, du latin cristianus, signifie quelque chose provenant de Jésus Christ. 1 Publié dans le Préambule au projet de Traité établissant une ConsJtuJon pour l’Europe dans le cadre de la ConvenJon sur l’avenir de l’Europe, le 18 juillet 2003, signé à Rome le 29 octobre 2004. 51 PUSKÁS Valen<n-Zoltán À partir de cette analyse, je peux statuer, sans prétendre à être précis, que la valeur chrétienne est une idée, un idéal, qui vient de Jésus Christ à travers les enseignements de la Bible. Du point de vue de la Constitution, on peut analyser surtout les valeurs chrétiennes qui régissent les relations générales de la société humaine. Le Pape Jean-Paul II, dans son message « Vers une Constitution Européenne », adressé aux participants à la Conférence de Rome de juin 2002, propose, pour la Constitution Européenne, les valeurs chrétiennes suivantes : – le caractère sacré de la vie humaine – la dignité de la personne – le rôle central de la famille fondée sur le mariage – l’importance de l’éducation – la liberté de pensée et d’expression – la liberté de profession de ses convictions et de sa religion – la protection juridique des individus et des groupes – la collaboration de tous au bien commun (bonum commune) – le travail considéré comme un bien personnel et social – le pouvoir politique entendu comme un service public. Un bref rappel de ces valeurs nous offre un tableau vaste, qui comprend, en grande partie, les droits et les libertés consacrés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais aussi par les constitutions nationales des pays démocratiques. D’où la question, à mon avis, légitime : Si ces valeurs sont mentionnées, dans leur majorité, dans les conventions internationales, mais aussi, dans une certaine mesure, dans le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe, pourquoi ne pas les reconnaître, de manière unanime, comme des valeurs chrétiennes ? La réponse est très difficile et demande un parcours historique de l’évolution de la société humaine et, surtout, du rôle de l’Église dans l’histoire de l’Europe. Les valeurs mentionnées dans le message du Pape Jean-Paul II ont des racines historiques chrétiennes, et, le long de l’histoire, elles ont été empruntées par divers courants humanistes, mouvements démocratiques et institutions laïques. Ce qui est important, à mon avis, est l’exercice, l’emploi de ces valeurs tout en respectant le plus important commandement et la plus importante valeur chrétienne – aimer son prochain. La foi religieuse, le Dieu, les valeurs traditionnelles chrétiennes sont présents dans les constitutions nationales depuis leur apparition. La Constitution des États-Unis d’Amérique – adoptée le 17 septembre 1787, renvoie, dans son préambule, aux valeurs chrétiennes comme le fait d’« établir la justice », de « développer le bien-être général » ou d’« assurer les bienfaits de la liberté », qui sont édictées et promulguées par « Nous, le peuple des États-Unis ». Dans sa première forme, le texte de la Constitution ne renvoie aucunement à la liberté de la religion ou de la « parole », mais la première modification de la Constitution, en 1791, introduit un article interdisant au Congrès d’adopter des lois interdisant la création des cultes religieux ou empêchant la liberté religieuse ou restreignant la liberté d’expression. Tel que mentionné ci-dessus, les constitutions nationales des pays démocratiques consacrent les principales valeurs traditionnelles chrétiennes, sans faire référence directe à Dieu ou à l’origine chrétienne de ces valeurs. Mais cette réalité ne diminue en rien l’importance de 52 Les valeurs chré<ennes consacrées dans la Cons<tu<on de la Roumanie la consécration de ces valeurs. Pourtant, il existe plusieurs constitutions nationales qui font des références directes à Dieu ou aux traditions chrétiennes. Un exemple éloquent en ce sens est la Constitution de la Pologne (2 avril 1997), qui prévoit dans son préambule : « Nous – Nation polonaise – tous les citoyens […] tant ceux qui croient en Dieu, source de la vérité, de la justice, de la bonté et de la beauté, que ceux qui ne partagent pas cette foi et qui puisent ces valeurs universelles dans d’autres sources … » La Constitution de la République fédérale d’Allemagne (1949, Bonn) inclut dans son préambule le texte suivant : « Conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes […] ». La Constitution de la Grèce (1975) statue à l’article 3 de son préambule : « La religion dominante en Grèce est celle de l’Église Orthodoxe […] reconnaissant pour Chef Notre Seigneur Jésus-Christ ». La Constitution de l’Irlande (1937) inclut des textes comme « Au nom de la Très Sainte Trinité », « reconnaissant humblement toutes nos obligations envers notre Seigneur, Jésus Christ ». La Constitution du Canada (1982) inclut le texte : « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». La Constitution hongroise (2011) prévoit dans son préambule : « Nous, membres de l’Assemblée Nationale, qui pensons que le créateur de l’histoire est le Saint Dieu ». Le nom de Dieu est aussi mentionné par les constitutions nationales des pays comme la Suède, la Norvège, le Liechtenstein, Malte. Dans la Constitution de la Roumanie, le mot « Dieu » apparaît à l’article 82 – le serment du Président de la Roumanie – par le syntagme « Que Dieu m’y aide! ». Sans faire une analyse du libellé du serment prêté par le Président élu, et validé par la Cour Constitutionnelle, je pose la question rhétorique : Qu’est-ce qui va se passer si le président élu et validé de la Roumanie est un athée ou un musulman ? L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 18 mars 2011, selon lequel la présence des crucifix dans les salles de classe d’écoles publiques en Italie n’a pas d’incidence sur les droits de l’homme, est considéré comme une victoire de la reconnaissance des racines et des traditions chrétiennes européennes. Un arrêt similaire a été adopté par la Cour Constitutionnelle de l’Autriche, qui a statué que : « La présence des symboles chrétiens dans les écoles n’était pas contraire à la Constitution du pays […] ». En analysant la consécration des valeurs chrétiennes, telles que proposées par le Pape Jean-Paul II pour la Constitution Européenne, on peut constater que les principales valeurs chrétiennes sont présentes aussi dans notre Constitution. L’article 1er, alinéa (3), la Constitution prévoit : « La Roumanie est un État de droit, démocratique et social, dans lequel la dignité de l’être humain, les droits et les libertés des citoyens, le libre développement de la personnalité humaine, la justice et le pluralisme politique représentent les valeurs suprêmes, dans l’esprit des traditions démocratiques du peuple roumain et des idéaux de la Révolution de décembre 1989, et sont garantis ». Donc, on retrouve dans ce texte les valeurs chrétiennes telles la dignité de l’être humain, le libre développement de la personnalité humaine, la justice. De lege ferenda, lors d’une éventuelle révision de la Constitution, personnellement, je proposerais l’introduction des racines et des traditions chrétiennes dans ce texte, à côté des traditions démocratiques. 53 PUSKÁS Valen<n-Zoltán L’article 4, alinéa (1) « L’État a pour fondement l’unité du peuple roumain et la solidarité de ses citoyens ». La consécration de l’État social [article 1, alinéa (3)] et de la solidarité de ses citoyens [article 4, alinéa (1)] prouve l’esprit chrétien de la Constitution de la Roumanie, en assurant la collaboration de la société pour le bien-être commun des citoyens. Le caractère sacré de la vie humaine, la première proposition du Pape Jean-Paul II, est consacré dans la Constitution de la Roumanie par les dispositions de l’article 22, Le droit à la vie et à l’intégrité physique et psychique, de l’article 34, Le droit à la protection de la santé, de l’article 35, Le droit à un environnement sain, et de l’article 47, Le niveau de vie. La protection de la famille, le mariage comme l’acte de base sur lequel la famille est fondée, sont des valeurs spéciales dans la société roumaine, qui jouissent d’une réglementation adéquate tant dans la Constitution, à l’article 48, La famille, que dans le nouveau Code civil, à l’article 271, lequel, reposant sur des valeurs chrétiennes, établit : « Le mariage est conclu entre un homme et une femme par leur consentement personnel et librement exprimé ». L’article 49, La protection des enfants et des jeunes, est une autre disposition ayant une valeur chrétienne tout à fait particulière, en instituant un régime spécial de protection pour les enfants et les jeunes. Par la consécration des dispositions de l’article 50, La protection des personnes handicapées, reposant sur le caractère sacré de la vie humaine et sur la dignité de l’être humain, la Constitution protège les valeurs de base du christianisme. L’importance accordée à l’éducation, considérée par le Pape Jean-Paul II comme une valeur extrêmement importante, avec des racines chrétiennes, qui doit se retrouver dans la Constitution Européenne, est consacrée à l’article 32, Le droit à l’instruction, de la Constitution de la Roumanie, et est développée par les dispositions de l’article 33, L’accès à la culture. L’article 29, La liberté de conscience, garantit, à part la liberté de pensée et de la conviction religieuse, l’autonomie des cultes religieux par rapport à l’État, leur organisation conformément à leurs propres statuts, et l’article 30, La liberté d’expression, consacre l’inviolabilité de l’expression des pensées, des opinions et des croyances. Les deux articles représentent une consécration convaincante des valeurs chrétiennes mentionnées dans le message du Pape Jean-Paul II, la liberté de profession de ses convictions et la liberté d’expression. Une dernière proposition du Pape Jean-Paul II pour la Constitution Européenne est le pouvoir politique entendu comme un service public. En ce sens, je veux seulement mentionner les dispositions de l’article 61, alinéa (1) « Le Parlement est l’organe représentatif suprême du peuple roumain et l’unique autorité législative du pays », lesquelles, corroborées avec les dispositions de l’article 69, alinéa (1) « Dans l’exercice de leur mandat, les députés et les sénateurs sont au service du peuple », prouvent de manière éloquente que, par les dispositions de la Constitution, le pouvoir politique est au service du peuple, des citoyens. Par cette brève analyse des dispositions de la Constitution de la Roumanie, mises en relation avec les plus importantes valeurs chrétiennes, qui devraient se retrouver dans la Constitution de l’Europe, j’ai voulu démontrer que, tandis qu’en Europe il y a des débats interminables à ce sujet, bien qu’elle ne fasse pas des références textuelles aux racines, aux traditions et aux valeurs chrétiennes, la Constitution de la Roumanie consacre ces valeurs dans l’intérêt de la société roumaine. 54