I. Découvrir la conscience certaine de soi : le cogito. René

I. Découvrir la conscience certaine de soi : le cogito.
René Descartes, le philosophe français par excellence, est un passage obligé sur la question
du sujet et de la conscience, tant il a marqué cette question. Il ne l’a pas seulement marquée
chez les philosophes, mais tout aussi bien la pensée populaire, puisque tout le monde,
aujourd’hui connaît la célèbre formule du cogito cartésien : « Je pense, donc je suis ». Tout le
monde la connaît, mais tout le monde ne sait pas véritablement ce qu’elle signifie.
On va étudier les deux premières Méditations métaphysiques de Descartes. C’est le texte sur
lequel vous pourrez être interrogés à l’oral si vous choisissez de prendre la philosophie à
l’oral du second groupe.
On l’étudie ici dans le cours sur le sujet et la conscience, mais c’est très utile pour bien
d’autres notions : autrui, la perception, l’existence, la vérité, la démonstration, etc. Attention à
ne pas se mettre d’œillères.
Avant, quelques repères sur l’homme Descartes. Contemporain de Galilée et de Pascal, il se
situe entre les deux. Il est philosophe, certes, mais aussi physicien et mathématicien.
En tant que physicien, il s’est intéressé à la réfraction de la lumière, quand elle se propage
dans un milieu, par exemple de l’eau. Cela l’a amené aussi à travailler sur la structure de l’œil
pour comprendre comment la lumière se propage dans les muqueuses de l’œil et comment se
forment des images.
En tant que mathématicien, il est l’inventeur de la géométrie analytique qui réunit algèbre et
géométrie, puisqu’il montre qu’on peut noter les choses de la géométrie par l’algèbre. Ex :
y=ax+b est l’équation cartésienne d’une droite, x
2
donnera une courbe exponentielle, etc.
On va donc faire une lecture suivie d’un texte archi-célèbre de Descartes, les Méditations
métaphysiques, qui est son plus grand texte. Il faut d’abord comprendre ce titre.
Méditation : une pensée solitaire, puisqu’il va s’agir de découvrir la conscience de soi en
excluant tout le reste. La méditation implique (1) la solitude, cela n’est donc pas comme le
dialogue, qu’on trouve chez Platon. La méditation signifie aussi (2) que c’est une
expérience à réaliser, un exercice de pensée. Descartes, dans ce texte, réalise une
expérience que le lecteur devra réaliser pour lui-même. C’est ici un sujet, un Je, qui va réaliser
cette expérience pour finalement se découvrir lui-même. C’est pourquoi Descartes écrit ce
texte à la première personne du singulier, c’est à noter dans toutes les explications de texte sur
cet auteur : c’est ici un je qui médite et qui va se trouver dans le cogito. C’est une originalité à
noter, car vous savez qu’en philosophie habituellement, on ne s’exprime jamais à la première
personne, car on prétend ne pas exposer quelque chose de subjectif. Comparez par exemples
avec les textes de Kant, vous verrez tout de suite la différence.
Méditation, cela veut dire aussi (3) que ce n’est pas un texte qui va exposer des vérités qu’il
aurait découvert avant d’écrire le texte. Une méditation n’est pas un exposé, c’est un
exercice de pensée par lequel l’auteur va découvrir des vérités. Son texte n’est pas un
compte-rendu écrit après qu’il ait pensé, c’est une expérience de pensée qu’il réalise par son
texte et la lecture implique pour le lecteur de réaliser la même expérience que celle de
Descartes. En lisant ce texte, on voit Descartes en train de découvrir des vérités, mais du
même coup on n’expose pas des vérités au lecteur, on fait en sorte que le lecteur découvre lui-
même les vérités en suivant la démarche de Descartes. Chacun doit pour lui-même faire
l’expérience de pensée que fait Descartes pour découvrir ces vérités. C’est donc pleinement
une méditation au sens (définition) d’un exercice spirituel solitaire, une démarche
introspective où l’on fait retour sur soi-même, sur notre esprit.
Métaphysique : ca veut dire, au-delà de la physique. Meta en grec est un préfixe qui veut
dire au-delà, comme trans en latin. Ca veut dire penser quelque chose qui n’est plus une
réalité physique, donc plus une réalité matérielle, un corps, et cette réalité métaphysique, c’est
celle de la conscience, qu’on va appeler le cogito, le « je pense », ou ce que Descartes va
appeler une chose qui pense.
Un questionnement métaphysique porte sur ce qui n’appartient pas à la réalité physique : la
pensée, donc, mais aussi Dieu, qui fait l’objet de la 3
ème
méditation et dont il prétend
démontrer l’existence, c’est la fameuse preuve ontologique qu’on avait étudiée dans le cours
sur la religion.
Métaphysique, ce mot n’apparait que dans la traduction en français. A l’origine, le texte
est paru en latin et indique prima philosophia. Philosophie première donc. On l’a traduit
par métaphysique, car celle-ci désigne la philosophie première pour Descartes, c’est-à-dire
celle qui porte sur les fondements de toutes nos connaissances, les premières vérités, les
plus certaines. Il donne une image devenue célèbre, celle de l’arbre de la connaissance, dans
les Principes de la philosophie de 1644 : les sciences sont le tronc et les branches c’est la
technique, donc les applications de la science, mais les racines sont la métaphysique ou
philosophie première, qui fonde les sciences.
On va commencer par la première méditation et on va voir qu’elle est entièrement négative,
elle va tout exclure sans rien trouver de positif à connaître.
1. Doute et certitude.
Quel est le problème de Descartes dans cette œuvre ?
Il est donné dès le § 1.
C’est le problème classique pour tout scientifique et philosophe : comment atteindre la
vérité ? Descartes est scientifique, mais il se demande comment faire pour atteindre une
connaissance dont on soit certain qu’elle est vraie.
Pourquoi une telle exigence de certitude ? Pourquoi vouloir que nos connaissances soient non
seulement vraies, mais surtout certaines ? Parce qu’il a fait souvent l’expérience que ce qu’il a
cru vrai s’est en fait révélé être faux. C’est l’expérience de l’erreur : on s’est trompé.
On retrouve ici la distinction croire/savoir, opinion/connaissance.
On a pensé avoir un savoir, une connaissance, mais en réalité ca s’est révélé faux. Donc
c’était une simple croyance. On a cru que c’était vrai, mais ca ne l’était pas.
Cela peut-être des connaissances scientifiques qui lui ont été apprises par l’école, dans
l’enseignement. A l’époque de Descartes, c’est la révolution scientifique, on remet en cause
tout le savoir hérité des grecs, tout particulièrement d’Aristote et de sa physique. Voilà ce
qu’il vise par cette « quantité d’opinions tenues pour véritables ».
Mais il précise aussi « dès mes premières années ». Cela renvoie donc à l’enfance. L’enfant
apprend énormément de choses par expérience, par ses parents, par son éducations, son
milieu, sa culture, qui deviennent des préjugés qu’il ne met plus en question. Elles ne sont pas
le produit d’une démonstration, donc ces opinions sont douteuses.
Comment savoir si on a affaire à un savoir, une connaissance ? Il faut qu’on sache que
c’est vrai, pas qu’on se contente de croire que c’est vrai. Il faut donc qu’on soit certain de
cette connaissance pour que ce soit une connaissance. Pour Descartes, une connaissance
certaine, c’est au fond un pléonasme. Sans la certitude, on n’a qu’une simple croyance.
Repartons de l’expérience qu’il décrit : il s’est trompé. Ce qu’il a cru vrai était en fait faux.
C’est un problème, cette expérience, parce que qu’est ce qui nous dit que ce qu’on tient
pour vrai aujourd’hui, nos connaissances, elles ne vont pas se révéler demain être des
erreurs ? Cela m’est arrivé de nombreuses fois, cela peut donc m’arriver de nouveau.
Il faudrait donc qu’on soit certain de la vérité, qu’on soit certain qu’on n’est pas dans
l’erreur, sinon ce sont de simples croyances.
Comment faire alors pour trouver des connaissances certaines ? Il va falloir trouver une
méthode pour atteindre la certitude absolue dans nos sciences. Constant et ferme, ce qui
ne peut pas se révéler à l’avenir être faux.
On peut d’abord se demander ce que cela veut dire incertain : si c’est incertain, ca veut dire
qu’on doute, c’est douteux. Je ne suis pas certain que c’est vrai, ca veut dire que je doute de
la vérité. « Fort douteux et incertain », écrit Descartes.
Du coup, qu’est-ce que c’est, être certain ? C’est ne plus pouvoir douter ! Le certain,
c’est l’indubitable. Cela, puisqu’on ne peut en douter, le certain, c’est ce qui ne pourra
jamais se révéler faux. Donc, c’est une connaissance qui est vraie une fois pour toute, elle
ne pourra pas changer. C’est pour cela que Descartes appelle cela le « ferme et
constant ».
« fort douteux et incertain » s’oppose à « ferme et constant ». On veut se débarrasser du
premier pour obtenir le second.
Il faut donc faire le tri entre ce qui est douteux et ce qui est indubitable, écarter tout ce qui est
douteux pour obtenir des connaissances indubitables.
Comment faire ce tri, comment savoir si quelque chose est douteux ou indubitable ?
Douteux : ce dont je peux douter. Indubitable : ce dont je ne peux pas douter.
Comment faire pour savoir si on peut faire quelque chose ? Il faut essayer.
Pour savoir si on peut en douter, eh bien il n’y a qu’une seule méthode possible : il faut
essayer d’en douter. Si on arrive à en douter c’est douteux, si on n’y arrive pas, alors c’est
indubitable.
La méthode, pour atteindre la certitude, ca va donc consister à voir si on peut douter. Si
oui, alors ce n’est pas certain. Si on ne peut absolument pas douter, alors c’est certain.
On va essayer de trouver toutes les raisons qu’on peut avoir de douter de nos
connaissances. C’est ce que Descartes appelle ici « détruire toutes nos anciennes opinions ».
Le doute, ici, devient une méthode qu’on utilise volontairement, et plus seulement un état
passif, subi, qui nous atteint malgré nous.
Ce doute va faire plus que douter, car il va nier tout ce qui est douteux. Descartes met en place
une méthode qui consiste à dire que dès qu’on trouvera une seule raison de douter, on
rejettera cette croyance comme si elle était fausse.
C’est ce qu’on appelle la méthode du doute hyperbolique. Le mot est utilisé une seule fois
par Descartes, mais c’est traditionnel chez les commentateurs de qualifier ce doute par ce mot.
Hyperbolique veut dire exagéré. Ca ne renvoie pas à l’hyperbole en mathématiques mais à
la figure de style de l’hyperbole en littérature : c’est une image exagérée de quelque chose.
Exagéré par ce que 1. c’est totalement artificiel, on se force à douter là où normalement on ne
doute pas. Exagéré aussi du même coup parce que c’est un doute délibéré, choisi, actif, on fait
exprès de douter, alors que le doute naturel est subi, on ne choisit pas de douter, c’est passif.
2. Mais exagéré aussi parce qu’on va dire que s’il y a la moindre raison de douter
d’une vérité, alors elle est fausse. C’est une exagération parce qu’en fait ce n’est
pas parce que c’est douteux que c’est faux. Si c’est douteux, alors justement on
n’est pas certain que c’est faux, on ne sait pas vraiment si c’est vrai ou faux. Rien
n’autorise à dire de quelque chose de douteux qu’il est faux, puisque précisément on
doute. Mais là, artificiellement, pour les besoins de notre méthode de pensée, on
rejette comme faux tout ce qui est douteux. C’est exagéré parce que cela va au-delà de
ce qu’on a droit de dire quand quelque chose est douteux. Le but, c’est de faire place
nette pour que ne reste que ce dont on ne peut absolument pas douter,
l’indubitable, le certain. Normalement, du douteux, c’est V ou F, et du certain, c’est
V. Pour les besoins de la recherche, le doute hyperbolique consiste à dire que si c’est
douteux, donc V ou F, on dit que c’est F. Rien ne justifie logiquement ce passage,
c’est une décision méthodologique, mais en droit, ce n’est pas parce que c’est douteux
que c’est faux : serais-je encore en vie demain, c’est douteux, cela ne me permet pas
de conclure que je ne serais pas en vie demain !
Il faut préciser le rapport de cette méthode avec le scepticisme. Le scepticisme désigne une
doctrine que l’on doit au philosophie grec Pyrrhon au 4
ème
siècle avant JC qui affirme que
nous devons douter de tout et suspendre notre jugement sur tous les points. Cette doctrine, on
la retrouve dans les Essais de Montaigne, qui parvient à la même conclusion, l’impossibilité
pour l’homme de connaitre la vérité.
En apparence, Descartes reprend ce projet. Attention au contre-sens : Descartes n’est pas
sceptique, bien au contraire. Pour les sceptiques, le doute est un terme, une fin, leur but est de
douter sans cesse, il n’y a rien ensuite car on ne trouve aucune certitude indubitable. Avec
Descartes, au contraire, le doute est un simple moyen qui va être dépassé car on va grâce à lui
trouver des vérités indubitables.
Il s’agit maintenant de mettre en œuvre cette méthode, mais avant cela se pose un problème :
la faisabilité du projet.
D’abord, des conditions à remplir : « mon esprit est libre de tout soin ». Il faut s’arracher à
la préoccupation quotidienne, à nos affaires, et nous isoler (la solitude fait partie de la
méditation). Il faut que notre esprit soit le plus libre possible de tout ce qui viendrait
l’empêcher de se concentrer sur cette tâche.
Descartes insiste sur la liberté : l’esprit et délivré, il s’applique avec liberté. Cela veut bien
dire, comme on l’a vu, que la démarche du doute est une décision, parfaitement libre. Ce n’est
rien ni personne dans le monde qui nous l’impose. La méditation qu’on nous propose est donc
un exercice de liberté. Le sujet pensant y faire l’épreuve de sa liberté à l’égard du monde en
s’isolant. Le sujet pensant va se découvrir comme souverain à l’égard de tout ce qui n’est pas
lui : il peut décider de s’en détacher quand il le veut.
Une fois les bonnes dispositions acquises, se pose un autre problème de faisabilité.
En effet, des connaissances, on en a des milliers, et même on ne peut pas les énumérer
toutes. On ne peut pas toutes les passer en revue. Du coup, étudier une par une si elles sont
douteuses ou pas, cela prendrait un temps presque infini, donc personne ne pourrait réussir à
le faire avant de mourir.
Il faut donc faire plus simple pour que la méthode fonctionne : se demander d’où nous
viennent nos connaissances, où on a apprit cela, et si on a une seule raison de douter, alors
on rejettera toutes ces connaissances d’un coup. Toutes les connaissances qui nous viendrons
de cette source, quand bien même elles seraient en nombreux presque infini, seraient d’un
coup éliminées comme douteuses si on n’a une bonne raison de douter de la fiabilité de cette
source. On peut alors rendre possible le passage en revue de toutes nos connaissances, mais
on ne le fait pas une par une.
La métaphore c’est celle de la maison : si on veut la détruire, pas la peine de retirer une à
une chaque brique, ce qui prendrait très longtemps, surtout si la maison est grande, il suffit de
saper les fondements et elle s’effondrera toute seule. C’est bien selon ce principe que l’on
détruit les immeubles. C’est très long à construire, mais c’est détruit en quelque secondes.
Pour nos connaissances, c’est la même chose : trouvons quels sont leurs fondements,
d’où on les tire, et essayons de voir si on peut en douter. Si oui, on le rejette comme faux
et toutes les connaissances qui nous viennent de ce fondement s’effondrent avec, comme
les étages d’un édifice s’effondrent avec les fondations.
2. La connaissance sensible.
§ 2.
Commençons : quel est le fondement le plus évident de nos connaissances ?
Comment j’obtiens des connaissances sur le monde qui m’entoure actuellement ? On l’avait
vu dans le cours sur la vérité : on utilise cet accès au monde qu’est notre expérience du
monde, c’est-à-dire nos sens. Cela désigne nos cinq sens, mais prioritairement la vue et
l’ouïe.
Or, est-ce qu’on n’a aucune raison de douter des informations que nous fournissent nos sens ?
Est-ce qu’elles sont certaines ? Non. Descartes renvoie à une expérience que nous avons tous
fait.
« j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs » > cela renvoie au fait que nos
sens ne sont pas toujours fiables. L’idée renvoie à une perte de crédibilité : celui qui nous a
menti une fois, on ne peut plus savoir s’il ne nous ment pas toujours, on n’a pas de critère
pour savoir s’il ment ou pas. C’est la même chose pour les sens. Descartes aborde ici le
problème de la perception, notion au programme.
Descartes ne développe pas ici, cela lui semble évident. Expliquons.
D’abord, (1) il y a des myopes et des malentendants, donc nos sens fonctionnent mal des
fois. On pourrait répondre que la plupart du temps, nos sens fonctionnent bien, donc que ce
n’est pas une raison assez forte de douter.
Mais (2) même lorsque nos sens fonctionnent bien, ils nous trompent : ils nous font voir
les choses autrement qu’elles ne sont. Ce sont des illusions d’optiques : ex : mettre un bâton
dans l’eau, vous le verrez tordu alors qu’il est droit, secouez un crayon et vous le verrez se
tordre comme s’il était mou.
Il y a aussi les trompe-l’œil : de loin, on croit qu’il y a un homme à un balcon, et en fait c’est
une façade peinte.
Dans ces deux cas, nos sens déforment la réalité alors qu’ils ne sont pas malades, ils
fonctionnent normalement : ce sont les illusions perceptives.
1 / 21 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !