cette raison, les cobayes ont de tout temps été majoritairement recrutés parmi les personnes les plus
en détresse. Ces pratiques sont évidemment moralement choquantes, mais une vision objective
conduit aussi à reconnaître que ce sont ces tests qui permettent à la médecine d’avancer, et à des
millions de personnes de vivre plus longtemps en meilleure santé.
Il est intéressant de noter que seule la situation de l’industrie pharmaceutique est traitée de
manière si réductrice. Les gouvernements occidentaux, les officiels, les diplomates, pourtant
vivement attaqués par le film pour leur coupable complicité, ont malgré tout le droit à une prise en
compte du contexte dans lequel ils agissent. En effet, est mentionné dans le film le fait qu’ils
« couvrent » les agissements du laboratoire pour sauvegarder des emplois en Grande-Bretagne, ce
dernier menaçant de s’installer en France sinon.
3. Le simplisme : un moyen de parvenir à une fin
Cette apparente contradiction dans le traitement des laboratoires s’explique probablement par
l’objectif de l’auteur. « The Constant Gardener » se veut une fiction militante, destinée à mobiliser
ses spectateurs pour que la situation change. Si l’on se réfère à la définition développée par Sheryl
Tuttle Ross1, ce film remplit les quatre conditions pour pouvoir être considéré comme un message
de propagande. Il comporte une volonté de persuader, il cherche à mobiliser pour une cause, il
s’adresse à un large groupe de personnes. Enfin, il est «
epistemically defective », c’est à dire
qu’indépendamment d’une volonté consciente de mentir, il ne décrit pas la réalité de manière vraie
et objective. Un traitement « éthique » de cette question aurait dû pousser l’auteur à expliquer que
non seulement le sujet est très complexe mais également que chaque individu a sa part de
responsabilité dans le fonctionnement actuel. En effet, le public du film bénéficie des avancées
médicamenteuses tout en refusant de prendre les risques nécessaires à ces progrès, raison pour
laquelle les laboratoires les expérimentent dans des pays moins développés.
La simplification exagérée et le choix d’un ennemi unique sont des techniques classiques de
propagande, qui s’ajoutent à d’autres comme l’appel à l’émotivité du spectateur en montrant à
l’écran la souffrance des enfants. L’auteur nous fournit donc sa vision de l’éthique non par ses
personnages mais plutôt par le traitement qu’il fait de la question centrale des tests médicamenteux.
Celle-ci semble relever d’une forme d’ « utilitarime conséquentialiste » : le film est moralement
juste dans la mesure où ses conséquences souhaitées (une mobilisation du public occidental contre
ces pratiques) sont bonnes d’un point de vue moral pour un maximum de personnes.
6 Peudenier C. – Article : « The Constant Gardener, Ethique et critique morale » - Septembre 2007
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1 Ross, Sheryl Tuttle. "Understanding Propaganda: The Epistemic Merit Model and Its Application to Art." Journal of
Aesthetic Education, 2002, Vol. 36, No.1. pp. 16-30