Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
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Article
Ethique et critique morale. « La fin justifie-t-elle les moyens ? »
The Constant Gardener: Love at any cost
Réalisé par Fernando Meirelles - Sorti le 28 Décembre 2005
Céline Peudenier – Septembre 2007
Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2006-2007
Genèse de l’article : Cet article a été écrit dans le cadre du séminaire « Corporate Social
Irresponsibility» animé par David Bevan pour les élèves de la Majeure Alternative Management,
spécialité de troisième année du programme Grande Ecole du groupe HEC.
Origin of this article: This article was written within the framework of a course on « Corporate
Social Irresponsability » taught by David Bevan in the Alternative Management Program, an HEC
Grande Ecole third year specialization.
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6 Peudenier C. – Article : « The Constant Gardener, Ethique et critique morale » - Septembre 2007
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Ethique et critique morale. « La fin justifie-t-elle les moyens ? »
Résumé : Dans le film « The constant gardener », le réalisateur Fernando Meirelles dénonce le
scandale des tests médicamenteux réalisés à moindre frais par les grands laboratoires
pharmaceutiques dans les pays en développement sur des cobayes insuffisamment informés.
Au travers de personnages fictionnels, il amène le spectateur à réflechir à la complexité des
questions éthiques. Mais paradoxalement, la cible contre laquelle le film entend mobiliser échappe à
ce traitement complexe : tout au long de l’histoire, le secteur pharmaceutique n’apparaît que comme
une industrie criminelle et sans scrupule.
Il est donc intéressant d’étudier le paradoxe apparent qui réside dans ce film. D’un côté, l’auteur
semble vouloir montrer au travers de ses personnages que ces questions éthiques sont complexes,
qu’elles ne peuvent être tranchées facilement, et que la perception de ce qui est éthique varie
énormément en fonction du point de vue. Mais de l’autre côté, il présente lui-même la position des
laboratoires de manière réductrice et partisane en faisant l’économie d’une véritable réflexion sur
leur situation.
Est-ce le prix à payer pour mobiliser efficacement le public occidental contre ces pratiques ?
Mots-clés : Ethique, Industries Pharmaceutiques, Film
Which ethics for moral critics? « Does the end justify the means? »
Abstract : In his movie « The Constant Gardener », Fernando Meirelles denounces the scandal of
drug trials performed by transnational pharmaceutical companies on uninformed populations in
developing countries. Through an exploration of the main characters’ ethical dilemmas, he shows
how ethics is a subjective and complex notion. But the situation of “Big Pharma” is paradoxically
depicted in a simplistic way. It is interesting to reflect on this obvious inconsistency. On the one
hand, he explains us how difficult and deceptive it can be to assess the ethic of a particular position.
On the other hand, this is exactly what he does with the very unbalanced description of his “target”.
Is this the price for effectively raising awareness and triggering (re)-action among the general
western public?
Key words: Ethics, Big Pharma, Drug Testing
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Ethique et critique morale. « La fin justifie-t-elle les moyens ? »
1. La complexité du rapport à l’éthique
Dans le film « The constant gardener », le réalisateur Fernando Meirelles met en image le
roman de John Le Carré publié en 2001. Le film dénonce, au travers de personnages fictionnels, un
scandale bien réel : celui des tests médicamenteux réalisés à moindre frais par les grands
laboratoires pharmaceutiques dans les pays en développement sur des cobayes insuffisamment
informés.
Le film met en scène Justin Quayle, diplomate britannique en poste au Kenya, et son épouse
Tessa, une jeune femme passionnée par combat contre toutes les formes d’injustice. Ce couple
cristallise en son sein la majorité des questions éthiques posées par le film. En effet, les conceptions
éthiques de ces deux personnages principaux divergent fondamentalement sans pour autant que
l’auteur prenne partie pour l’une ou l’autre.
A l’inverse, la cible du film (les grands laboratoires pharmaceutiques) est privée de cette
description complexe et impartiale. Tout au long de l’histoire, elle n’apparaît que comme une
industrie criminelle et sans scrupule.
Il est donc intéressant d’étudier le paradoxe apparent qui réside dans ce film. D’un côté, l’auteur
semble vouloir montrer au travers de ses personnages que ces questions éthiques sont complexes,
qu’elles ne peuvent être tranchées facilement, et que la perception de ce qui est éthique varie
énormément en fonction du point de vue. Mais de l’autre côté, il présente lui-même la position des
laboratoires de manière réductrice et partisane en faisant l’économie d’une véritable réflexion sur
leur situation.
Après avoir exposé la position de l’auteur sur la complexité du rapport à l’éthique, nous étudierons
en quoi sa description des laboratoires pharmaceutiques et de leurs pratiques échappe à cette
présentation complexe. Enfin, nous essaierons de montrer que cette apparente contradiction peut
s’expliquer par une conception utilitariste de l’éthique chez l’auteur.
2. Une description réductrice de la question des tests médicamenteux
A l’opposé de cette description impartiale et complexe, propice à la réflexion, l’industrie
pharmaceutique est présentée comme un monstre avide et sans scrupule, seul coupable des atrocités
commises au nom d’un intérêt commercial. Pourtant, nul n’ignore que les tests médicamenteux
représentent un problème éthique difficile. Où qu’ils soient pratiqués, ces tests sont dangereux. Pour
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cette raison, les cobayes ont de tout temps été majoritairement recrutés parmi les personnes les plus
en détresse. Ces pratiques sont évidemment moralement choquantes, mais une vision objective
conduit aussi à reconnaître que ce sont ces tests qui permettent à la médecine d’avancer, et à des
millions de personnes de vivre plus longtemps en meilleure santé.
Il est intéressant de noter que seule la situation de l’industrie pharmaceutique est traitée de
manière si réductrice. Les gouvernements occidentaux, les officiels, les diplomates, pourtant
vivement attaqués par le film pour leur coupable complicité, ont malgré tout le droit à une prise en
compte du contexte dans lequel ils agissent. En effet, est mentionné dans le film le fait qu’ils
« couvrent » les agissements du laboratoire pour sauvegarder des emplois en Grande-Bretagne, ce
dernier menaçant de s’installer en France sinon.
3. Le simplisme : un moyen de parvenir à une fin
Cette apparente contradiction dans le traitement des laboratoires s’explique probablement par
l’objectif de l’auteur. « The Constant Gardener » se veut une fiction militante, destinée à mobiliser
ses spectateurs pour que la situation change. Si l’on se réfère à la définition développée par Sheryl
Tuttle Ross1, ce film remplit les quatre conditions pour pouvoir être considéré comme un message
de propagande. Il comporte une volonté de persuader, il cherche à mobiliser pour une cause, il
s’adresse à un large groupe de personnes. Enfin, il est «
epistemically defective », c’est à dire
qu’indépendamment d’une volonté consciente de mentir, il ne décrit pas la réalité de manière vraie
et objective. Un traitement « éthique » de cette question aurait dû pousser l’auteur à expliquer que
non seulement le sujet est très complexe mais également que chaque individu a sa part de
responsabilité dans le fonctionnement actuel. En effet, le public du film bénéficie des avancées
médicamenteuses tout en refusant de prendre les risques nécessaires à ces progrès, raison pour
laquelle les laboratoires les expérimentent dans des pays moins développés.
La simplification exagérée et le choix d’un ennemi unique sont des techniques classiques de
propagande, qui s’ajoutent à d’autres comme l’appel à l’émotivité du spectateur en montrant à
l’écran la souffrance des enfants. L’auteur nous fournit donc sa vision de l’éthique non par ses
personnages mais plutôt par le traitement qu’il fait de la question centrale des tests médicamenteux.
Celle-ci semble relever d’une forme d’ « utilitarime conséquentialiste » : le film est moralement
juste dans la mesure où ses conséquences souhaitées (une mobilisation du public occidental contre
ces pratiques) sont bonnes d’un point de vue moral pour un maximum de personnes.
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1 Ross, Sheryl Tuttle. "Understanding Propaganda: The Epistemic Merit Model and Its Application to Art." Journal of
Aesthetic Education, 2002, Vol. 36, No.1. pp. 16-30
Finalement, ce film pose la question de la possibilité d’être soi-même éthique dans une lutte
efficace contre des pratiques jugées non éthiques. Dans leur ouvrage « For Business Ethics », Jones,
Parker and ten Bos2 dénoncent cette contradiction chez les « Business Ethicists » : alors qu’ils
revendiquent leur volonté de rendre les entreprises plus éthiques, leur détermination à proposer des
solutions « concrètes » à l’intérieur du système les conduit à considérer l’éthique de manière
restreinte et réductrice, peu ambitieuse d’un point de vue éthique, justement.
4. Au-delà des business ethics
Au delà des Business Ethics, c’est un dilemme moral central dans l’action des ONGs, des
hommes politiques ou de toute personne qui cherche à se battre contre un système dans sa globalité.
D’un côté, toute critique qui rejette intégralement le système et ses pratiques ne peut se développer
qu’à l’extérieur de ce système, de manière parallèle. Par conséquent, elle est condamnée à rester
marginale, dans la mesure où elle ne parvient pas à entrer en interaction avec les membres de ce
système, qui continue à exister sans être ébranlé. C’est encore plus vrai pour les critiques qui au lieu
de promouvoir une alternative de manière frontale, se différencient du système dominant en
admettant les limites des solutions qu’elles proposent. C’est le cas de nombreux mouvements de
commerce équitable, qui favorisent la critique au sein de leur propre système. Il est intéressant de
constater que ces mouvements sont restés marginaux. Le refus de se compromettre moralement
conduit donc à une incapacité à agir sur ce système. De l’autre côté, justifier l’utilisation des
pratiques du système (dénoncées par ailleurs) en expliquant qu’elles sont seules capables de « faire
bouger les choses » revient non seulement à se compromettre moralement mais à admettre
publiquement les mérites d’un système « efficient ». Pour reprendre l’exemple du commerce
équitable, les réseaux qui ont fait surgir le débat auprès du grand public sont ceux qui ont accepté de
distribuer leurs produits en grande distribution, campagnes marketing à l’appui. Certains dénoncent
une dérive à l’opposé des idéaux fondateurs, une capitulation devant un système injuste, d’autres se
satisfont du nombre croissant de petits producteurs à travers le monde qui profitent de cette
croissance du commerce équitable. Toute décision doit probablement relever d’un subtil équilibre
entre une nécessaire compromission avec le système pour en faire réagir les membres et une
nécessité que les pratiques utilisées pour avancer vers une fin jugée plus éthique ne décrédibilisent
pas la cause.
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2 Jones, Parker, ten Bos “For Business Ethics, a critical approach”, 2005
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