Résumés Résumés des articles Vincent Berry Sociologie des MMORPG et profils de joueurs : pour une théorie sociale de l’activité (vidéo)ludique en ligne Cet article propose une analyse des publics de joueurs de jeux de rôles massivement multi-joueurs : World of Warcraft et Dark Age of Camelot. Dans un premier temps, à partir de données quantitatives et qualitatives, quelques caractéristiques de la population sont présentées, et des corrélations entre les pratiques et certaines variables socioculturelles sont mises en évidence. Dans un deuxième temps, des éléments théoriques sont proposés pour comprendre, dans une perspective sociologique, la façon dont on peut appréhender l’analyse des publics joueurs de jeux vidéo en ligne. Si l’analyse de variables sociales (âge, sexe, milieu social, habitus) reste importante, la culture ludique des joueurs apparait comme une variable essentielle pour comprendre les publics, les pratiques et les usages vidéoludiques. Maude Bonenfant Les mondes numériques ne sont pas « virtuels » : l’exemple des jeux vidéo en ligne Les « mondes » des jeux vidéo en ligne sont souvent qualifiés de « virtuels » et l’usage de ce qualificatif laisse entendre que ces mondes sont hors de la « vraie vie ». Pourtant, la virtualité dont il est 198 question n’est pas celle qui est définie par l’étymologie et par la plupart des philosophes et ne peut pas s’appliquer pour définir ce qui a « réellement » lieu lors de la pratique vidéoludique. Cette manière de considérer le jeu vidéo provient, entre autres, de l’introduction du concept de « cercle magique » dès le début des études sur le jeu, de la séparation entre le travail et le jeu et de la mauvaise utilisation du mot « virtuel » qui catégorise déjà le jeu vidéo en ligne dans « l’irréel », « l’intangible » et « le faux ». L’usage erroné de ce terme empêche de considérer à leur juste valeur les effets positifs et négatifs des jeux vidéo en ligne et d’en mesurer les impacts « réels », entre autres sur la socialisation des joueurs. Aymeric Brody L’investissement de l’espace domestique par le jeu d’argent : l’exemple du poker Au moment où le monopole français sur la distribution des jeux d’argent s’ouvre notamment au secteur du poker « en ligne », cet article s’inscrit à contre courant dans une analyse des espaces privés du poker « en dur ». Dans une perspective tracée par Anselm Strauss autour de la notion de « monde social », il s’agit de comprendre comment un jeu d’argent comme le poker a pu pénétrer jusque l’espace d’un monde privé. Dans la sphère domestique, la table de poker apparaît comme ce lieu privilégié où se résumés rassemblent, s’organisent et éventuellement se croisent les groupes de joueurs. Participant de ce processus par lequel un espace domestique prend forme ludique, l’enjeu monétaire introduit de la sorte le jeu d’argent dans la vie courante de ces mondes privés. Aurélie Choné & Jean-François Alizon Le jeu à la lumière de l’alchimie : enjeux symboliques et anthropologiques L’alchimie a été qualifiée de « jeu sérieux », par le médecin particulier de Rodolphe II, Michel Maier (1568-1622). Le titre de son ouvrage de 1616, Lusus serius, peut nous amener à considérer, avec Hector Rodriguez, « que de nombreuses manifestations de la culture dite sérieuse possèdent intrinsèquement des aspects ludiques ». L’article examine comment une activité a priori non ludique a pu être investie par le jeu et montre que l’idée de « jeu sérieux » n’est oxymorique que dans une société qui oppose jeu et fiction ou dans un mode de pensée qui oppose art et science, science et religion, pensée mythique et pensée rationnelle, logos et mythos. Le jeu restitue un mode d’être au monde qui implique attention, imagination et créativité dans une société moderne profondément marquée par la rationalité de nos modes de pensée, de nos emplois du temps, de nos modes de production. Maxime Coulombe Le secours de la fiction : World of Warcraft et la reconnaissance virtuelle Les jeux en ligne massivement multijoueurs autorisent une fuite hors du réel qui est aussi une forme de critique de la société actuelle. L’adolescent y trouve le moyen de s’aménager un espace transitionnel dans lequel il peut se socialiser à moindre coût, s’expérimenter autrement, et parfois contester l’univers d’attentes que les parents, les éducateurs et la société aménagent pour lui. L’univers alternatif des jeux en ligne distille une drogue qui est plus forte que toute toxine : la reconnaissance. On doit donc demeurer prudent à trop vite condamner ces jeux, car ils expriment une carence de reconnaissance dans notre société : ils offrent une réponse à cette carence, à défaut de proposer une solution. Sylvie Craipeau, Raphaël Koster, Bruno Rocher & Jean-Luc Vénisse Le jeu « excessif » comme analyseur des pratiques vidéoludiques Cet article est le fruit d’une coopération entre psychiatres et sociologues, qui autorise une comparaison des discours de joueurs aux jeux vidéo (essentiellement massivement multi joueurs), ayant demandé une psychothérapie pour les aider à cesser le jeu (consultants) et ceux de joueurs non consultants. Seuls trois traits semblent distinguer ces populations : le plaisir du jeu, la capacité à investir successivement les mondes du quotidien et du jeu, la perception et la place du corps. La sociabilité diffère selon qu’il s’agit de consultants ou non, mais ils participent tous d’un même phénomène social de transformation des modes de sociabilité dans notre société industrielle et technicienne. Le monde social est vécu comme une contrainte, le jeu comme une évasion mais aussi une alternative possible et un lieu d’expérimentation d’autres modes d’être « ensemble séparément » ou dans une « solitude collective ». Le monde du jeu offre un nouvel espace social où la reconnaissance est enfin possible pour certains, une quête sans fin pour les autres. Enfin, la plupart des joueurs évitent de s’enfermer entièrement dans le monde numérique du jeu, leur corps réagissant comme un ultime signal d’alerte, signal que ne peuvent entendre les autres. Marie-Noële Denis & Alain Ercker Les jouets dans la pédagogie du pasteur Oberlin au siècle des Lumières Jean-Frédéric Oberlin ( 1740-1826 ) fut pendant presque soixante ans pasteur de la communauté du Ban de la Roche, l’une des régions les plus pauvres et les plus isolées des Vosges. Homme des Lumières et, malgré son éloignement des courants philosophiques des capitales européennes, il se rendit célèbre par des méthodes pédagogiques originales, appliquées non seulement aux élèves des écoles des villages sous sa juridiction, mais aussi aux adultes et surtout aux petits enfants des « poêles à tricoter », ancêtres de nos écoles maternelles. Le pasteur Oberlin a intégré jeux et jouets dans sa pédagogie, utilisant le plaisir et l’amusement au service des apprentissages scolaires, ce qui fait de lui un précurseur des concepteurs de jouets éducatifs. Nadia Foisil Jeu du comédien et jeu de l’enfant Le jeu est dans la comédie sociale et le comédien le transporte sur la scène. Les rôles dépendent de la structure de la société, de la place de l’acteur et de son individualité. Ils évoluent selon des facteurs extérieurs et intérieurs à l’humain. Certains acteurs s’approprient plus facilement leur rôle que d’autres, s’en défont pour en jouer un nouveau avec une aisance surprenante. Ils naviguent au sein de la société, épousent gestuelle et discours de chaque classe, abandonnent un costume pour en revêtir un autre. Ils s’engagent dans une nouvelle partie du jeu social, alors que d’autres n’en maîtrisent qu’une. Leur latitude est plus restreinte. Le théâtre est le domaine qui érige ce jeu des rôles en profession. Dès lors, l’interrogation sur la latitude du comédien à jouer requiert une contextualisation et appelle la question de l’inné et de l’acquis. L’humain joue-t-il d’emblée ou apprend-il à jouer et dans ce cas quelles étapes jalonnent cette formation? Sébastien Genvo Penser les phénomènes de « ludicisation » du numérique : pour une théorie de la jouabilité Depuis leur apparition, les jeux vidéo se sont déplacés de la périphérie au centre du numérique, tant sur le plan économique, technologique que culturel. Les dispositifs techniques développés à l’origine par l’industrie vidéoludique font l’objet 199 d’applications dans de nombreux secteurs d’activité. On constate à ce titre une mise en forme ludique de plus en plus prononcée et répandue des technologies de l’information et de la communication. Cette « ludicisation » de nombreuses technologies numériques induit de profondes modifications des représentations culturelles liées au jeu. À présent, le terme de jeu s’applique à des réalités qui paraissaient pourtant être étrangères au domaine il y a quelques dizaines d’années encore. Ce constat vient confirmer une hypothèse formulée par Jacques Henriot qui avance que les significations liées au jeu sont culturellement construites, les peuples ont des idées différentes de ce qu’est le jeu, qui évoluent à travers le temps et l’espace. Dès lors, quels seraient les processus qui feraient entrer ou sortir certaines activités dans le « jeu » ? Comment penser et analyser de façon unifiée les mises en forme ludique des supports numériques si l’on considère que le jeu est un processus mouvant, en perpétuelle mutation ? En développant le concept de jouabilité, cet article propose de revenir sur certains acquis contemporains de l’ontologie du jeu pour formuler un cadre théorique invitant à ouvrir des pistes de recherche sur les processus de ludicisation. Pascal Hintermeyer Les jeux enfantins avec les aliments à l’époque de leur reproduction industrielle Dès lors qu’on ne réduit pas la nourriture à ses aspects physiologiques et fonctionnels, elle s’avère riche de multiples significations anthropologiques. Parmi celles-ci figurent les aspects esthétiques et ludiques. De nombreux exemples montrent l’importance qui leur est accordée dans différents contextes socio-culturels. Jouer avec la nourriture n’est donc pas une nouveauté, mais une inclination qui contourne aisément la réprobation morale qui entend parfois s’y opposer. Cet attrait pour les jeux avec la nourriture est de nos jours anticipé, stimulé et transformé par les fabricants qui intègrent une dimension ludique à leurs offres alimentaires, notamment celles destinées aux jeunes consommateurs. A partir de références théoriques et d’enquêtes menées en Alsace, nous nous proposons de réfléchir aux attentes, aux significations et aux conséquences de la prise en charge de dimensions ludiques dans la conception, la production et l’usage de denrées alimentaires destinées aux enfants. Leila Jeolas Jeu et rite de masculinité : jeunes conducteurs à risque, entre plaisir de la vitesse et affirmation du courage L’article étudie les courses illégales de voitures et de motos improvisées sur la voie publique ou sur circuit automobile au Brésil, connues sous le nom de rachas. Les statistiques brésiliennes attribuent aux garçons le taux le plus élevé d´accidents et ces derniers constituent pour eux la deuxième cause de décès violents après les homicides. Les études qualitatives qui portent sur ce qu´on appelle généralement les conduites à risque des jeunes les interprètent comme une manière ambivalente de lancer un appel au secours ou une façon de s’interroger sur la valeur de leur existence. Sans écarter ces interprétations, une enquête de terrain auprès de ces jeunes amène à souligner également le caractère ludique du vécu des rachadores, qu’il convient d’analyser à la lumière de l’importance qu’y prennent par ailleurs la compétition, le défi et le courage, en tant que valeurs centrales du modèle de masculinité hégémonique. Jean-Paul Lafrance Entre ruse et tricherie : comment s’appliquent les règles dans les jeux vidéo sociaux ? Sans l’établissement de règles, le jeu et particulièrement le jeu vidéo n’a pas d’existence. L’article pose les questions suivantes : Comment peut-on tricher dans les jeux sociaux complexes ? Y a-t-il une différence de nature entre la tricherie et la ruse qui définit le statut du joueur compétent ? Peut-on considérer la tricherie comme une perversion volontaire des règles, ou jouer avec les règles fait-il partie du jeu, dans la mesure où le jeu consiste à exercer la liberté qu’il donne ? Il apparaît que tricher suppose un jugement moral, juridique ou esthétique qui 200 Revue des Sciences Sociales, 2011, n° 45, « Jeux et enjeux » peut ne pas être le même pour tous. À la suite de Duflo, qui établit que le jeu est l’invention d’une liberté par et dans les règles, l’article conclut que jouer est à la fois respecter les règles et les dépasser. David Le Breton Passions contemporaines du vertige L’article revisite les pratiques qualifiées de « conduites à risques » à la lumière de la notion d’Ilinx, la recherche du vertige, qui est au principe de l’une des quatre familles de jeu identifiées par Roger Caillois. Pascaline Lorentz La construction des représentations sexuées à travers la pratique ludique : l’exemple des Sims Le jeu vidéo prend aujourd’hui en Europe la première place dans les loisirs des moins de vingt ans et accède au statut de pratique culturelle. Ce secteur attire principalement un public masculin. Cependant, il existe un jeu vidéo qui fait exception, Les Sims®, qui attire une majorité de filles. Cet article propose d’exposer les raisons de ce succès et montre que la socialisation ludique des jeunes filles, orientée autour de leurs futurs rôles de femme, d’épouse et de mère, les prédispose à apprécier le gameplay de ce jeu. Louis Mathiot La fête et ses jeux avec la nourriture : des usages transgressifs sous contrôle Les fêtes sont des occasions pour les enfants et les adultes de suspendre provisoirement les règles et les normes qui organisent les repas quotidiens. Ces espaces de consommation permettent aux convives de rompre avec l’interdiction de « jouer avec nourriture » et libèrent certaines pratiques alimentaires ludiques. À partir d’observations de repas festifs et d’entretiens menés dans des familles de l’Est de la France, ce travail se propose d’étudier les cérémoniaux, les rituels et les usages propres à ces temps d’excep- résumés tion en vue de comprendre comment leurs cadres spécifiques prescrivent le « jeu ». Des exemples précis tels que la Chandeleur, la Saint Nicolas ou encore l’Épiphanie permettent de questionner la transgression des normes quotidiennes organisées par ces fêtes mais également de relire les rapports intergénérationnels. Cornélie Matter La récréation à l’école maternelle : jeu et reconnaissance L’observation des jeux des enfants dans les cours d’école maternelle révèle un système de pratiques où les groupes enfantins paraissent posséder une authentique culture avec des modalités spécifiques d’acquisition, de transmission et de régulation. L’extrême diversité des pratiques ludiques exigeant une mise en ordre pour se prêter à toute étude, des classifications successives, en référence tout d’abord à Roger Caillois en vertu de l’esprit du jeu puis à Jean Piaget et Henri Wallon en raison de leurs connaissances dans le développement du jeune enfant, aident à mettre en évidence une fonction majeure du jeu, le lien interhumain, la socialisation. L’analyse des jeux, répartis en quatre typologies selon leur sens social révèle un véritable système d’échanges où les enfants font l’expérience des relations humaines élémentaires : donner, recevoir, rendre. Laurence Schmoll Usages éducatifs des jeux en ligne : l’exemple de l’apprentissage des langues Les jeux en ligne se prêtent particulièrement à une utilisation comme outil d’apprentissage dans certaines matières qui demandent du temps et de la répétition. Ils permettent en effet des interactions avec d’autres, la simulation de situations concrètes, des actions situées en contexte, et une implication dans une vie communautaire incitant à demeurer durablement dans l’espace de jeu et à accepter d’y affronter les difficultés, même répétitives. L’application des jeux en ligne à l’enseignement et à l’apprentissage des langues, apprentissage qui requiert du temps et des interactions, s’est de ce fait développée ces dernières années. L’article présente les plus significatifs de ces jeux en ligne, dans le domaine plus particulier de l’apprentissage du français langue étrangère. Il souligne que la plupart de ces applications sont limitées par leur usage parcimonieux des potentialités des technologies de réseau : faible recours à l’image et à la vidéo, peu ou pas d’interactions entre joueurs, objectifs d’apprentissage trop explicites annulant l’intérêt ludique recherché, approches pédagogiques fondées sur des exercices fermés, etc. Il présente a contrario un concept de jeu vidéo en ligne massivement multi-joueurs pour l’apprentissage des langues, dont Zon (Michigan State University) et Thélème (Université de Strasbourg/CNRS/Almédia) sont les premiers exemples, et qui recourt simultanément à l’ensemble des ressorts du jeu en ligne : interactivité, immersion, simulation et ludicité. L’intérêt de ces jeux soulève cependant des questions liées aux conflits de modèles qu’ils soulèvent : modèles d’apprentissage, modèles de l’acteur-apprenant et de l’acteur-enseignant, modèles sociaux sous-jacents (systèmes de valeurs). Il y a donc un décalage entre l’intérêt théorique et le succès pratique que ces jeux rencontrent sur leur marché. exercices de simulation et le ludo-éducatif. Il permet de légitimer par une nouvelle terminologie, plus englobante, des applications nouvelles plus controversées, notamment publicitaires, militantes ou idéologiques, mais qui ouvrent aux industries du jeu vidéo de nouveaux marchés. L’article explore les enjeux de cette terminologie et interroge sa pertinence au-delà du simple marketing. En particulier, l’expression « jeu sérieux » n’est un oxymore que dans une société qui oppose fermement « jeu » et « sérieux », valorisant le travail au détriment de l’amusement, et rendant donc paradoxale la récupération du futile par l’utile. Le développement de tels jeux exprime que les frontières du ludique sont devenues plus floues de nos jours, renvoyant à une modification du statut du jeu dans nos sociétés, lui-même accompagnant une transformation de celles-ci dans leur ensemble. Patrick Schmoll Jeux sérieux : exploration d’un oxymore La première décennie des années 2000 a vu le succès d’une dénomination, celle de jeu sérieux (serious game en anglais) pour désigner des applications informatiques à finalité utile utilisant les ressorts du jeu vidéo. Le terme recouvre des situations très diverses, comme les logiciels ludo-éducatifs, les exercices de simulation d’une activité (conduite d’un véhicule, opération chirurgicale, gestion d’une entreprise), l’utilisation du jeu vidéo à des fins publicitaires, militantes, informatives, l’entraînement cérébral. Toutes ces applications ont en commun de véhiculer un contenu utile en sollicitant les motivations à jouer et un mécanisme ludique. À bien des égards, le terme de jeu sérieux semble se présenter comme un emballage nouveau pour des réalisations qui existaient déjà, notamment les 201