Revue Médicale Suisse
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15 février 2012 363
claire du risque de développer une dépression majeure en
cas de séropositivité, celui-ci étant doublé par rapport aux
sujets séronégatifs (VIH-). Les études conduites en Afrique
subsaharienne identifient la dépression majeure comme
le trouble psychiatrique le plus fréquent parmi les sujets
infectés par le VIH.3 Une étude récente nord-américaine,
portant sur 2864 patients VIH+ sous traitement antirétrovi-
ral, montre que 36% de ces patients présentaient une dé-
pression majeure, 27% une dysthymie (dépression mineure
chronique).4 Un taux de prévalence de 42% pour la dépres-
sion majeure a été retrouvé dans des cohortes nord-amé-
ricaines de 3300 patients VIH+.5
Limites méthodologiques
Certaines études reportent des taux très élevés de pré-
valence pour la dépression en incluant dans l’analyse sta-
tistique les épisodes dépressifs majeurs, les dysthymies
ou d’autres formes de dépression mineure, les troubles de
l’adaptation ou les autres troubles de l’humeur non spéci-
fiés. Il est, de ce fait, difficile d’extraire des données signi-
ficatives homogènes et regroupées par syndromes cliniques
spécifiques. Une autre difficulté d’interprétation des résul-
tats de prévalence pour les troubles unipolaires est repré-
sentée par le fait que jusqu’à aujourd’hui, la majeure par-
tie de la littérature clinique s’est intéressée aux troubles
psychiatriques survenant chez les hommes avec un statut
de séropositivité VIH. Encore trop peu de travaux ont étu-
dié les taux de prévalence des troubles unipolaires chez les
femmes VIH+. Par ailleurs, les études de prévalence pour les
troubles de l’humeur dans la population VIH peuvent don-
ner des chiffres différents selon l’utilisation d’échelles auto-
ou hétéro-administrées. Finalement, la littérature sou ligne
à plusieurs reprises que certains symptômes somatiques
(fatigue, troubles de sommeil et perte de poids), dus à l’in-
fection et à la progression du VIH ou aux effets secondaires
de certains médicaments antirétroviraux, peu vent en soi mi-
mer des symptômes psychiatriques de dépression majeure
ou mineure. D’où l’utilité d’une approche pluri disciplinaire
clinique et de recherche entre les services des maladies
infectieuses, de neurologie et de psychiatrie de liaison.
Présentation clinique
Des symptômes dépressifs peuvent se présenter à tout
moment au cours de la maladie. L’altération thymique va
du simple sentiment de tristesse induit par la difficulté
d’adaptation aux nouvelles étapes de la vie (annonce du
diagnostic VIH, perte d’un travail, stigmatisation sociale, pro-
gression clinique de la maladie) jusqu’à un tableau psy cho-
pathologique complexe et bien constitué. Dans ce dernier
cas, on observera l’apparition d’un épisode dépressif mineur
ou majeur qui peut s’installer de novo chez un patient sans
antécédents psychiatriques de dépression, ou bien faire
partie d’un trouble dépressif récurrent. Les critères habi-
tuels pour établir un diagnostic de dépression majeure res-
tent valides chez des patients séropositifs, à savoir humeur
dépressive ou irritabilité, anhédonie, apathie, sentiments
de culpabilité, troubles de la concentration, fatigue, perte
de l’appétit ou baisse de la libido. Les facteurs de risque
de développer un premier épisode dépressif ou de main-
tenir un trouble dépressif récurrent identifiés dans la litté-
rature1 sont similaires dans la population VIH à ce que l’on
connaît dans la population générale : sexe féminin, abus de
substances ou antécédents d’abus de substances, histoire
familiale de dépression, contexte de conflit et de violence
domestiques, état socio-économique défavorable, situations
de deuil et de perte. Plusieurs mécanismes peu vent être
évoqués comme favorisant plus directement l’émer gence
de la dépression : celle-ci peut être secondaire à l’abus de
substances, aux effets secondaires de certains traitements
antirétroviraux, aux infections opportunistes. Dans certains
cas, elle pourrait être en lien avec la neurotoxicité VIH. L’in-
fection par le VIH semblerait en effet induire, par des mé-
canismes de cascade inflammatoire secondaire à l’infection,
une atteinte cérébrale de type neurodégénérative chez des
patients vulnérables et prédisposés.6
Impact de la dépression
Une question débattue en littérature est de savoir si les
symptômes dépressifs sont des prédicteurs de progres-
sion clinique, du stade de l’infection VIH au stade de sida
déclaré. Si certains auteurs ont effectivement reconnu un
tel lien, d’autres études sont nécessaires pour confirmer
cette observation.7,8 Dans la même ligne, certaines études
montrent une association entre symptômes dépressifs et
risque de mortalité accrue dans le cadre de l’évolution du
sida. A cet effet, dans une étude multicentrique publiée en
2004,9 plus de 1700 femmes séropositives ont été évaluées
et suivies pour dépression pendant sept ans ; 13% des fem-
mes avec symptômes dépressifs chroniques sont décé-
dées prématurément des suites et séquelles liées au sida,
comparées à 6-7% sans comorbidité dépressive. La pré-
sence de symptômes dépressifs chroniques s’est montrée
donc prédictive de mortalité augmentée. En dehors de
l’interprétation de ces résultats, cette étude a souligné une
fois de plus l’importance du traitement psychiatrique com-
me partie intégrante de la prise en charge médicale des
patients infectés par le VIH, surtout dans la phase avancée
de la maladie. En ce qui concerne l’association entre dépres-
sion majeure et baisse de la fonction immunitaire (CD4,
CD8, cellules
natural killer
), la littérature reste partagée :
certaines études récentes retrouvent une claire association,
alors que d’autres ne peuvent pas confirmer ce lien.8
Les mécanismes exacts à travers lesquels les symp-
tômes dépressifs peuvent induire la progression clinique
de la maladie VIH sont en grande partie encore inconnus.8
Risque suicidaire
La question de la suicidalité reste un problème de santé
préoccupant car les sujets infectés par le VIH décèdent par
suicide de façon significativement plus élevée en compa-
raison à la population générale. A cet effet, un récent ar-
ticle,10 qui extrait des donnés épidémiologiques à partir
de l’étude de cohorte VIH suisse portant sur plus de 15 000
patients, comparant les données des patients avant et de-
puis l’avènement des nouvelles trithérapies antirétrovirales,
a montré une diminution significative des taux de suicide.
Les facteurs de risque pour le suicide sont l’âge avancé, le
genre homme, le fait de vivre en Suisse, l’infection VIH par
injection de substances, le stade clinique avancé de l’infec-
tion par le VIH et une histoire personnelle de trouble mental.
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