les attitudes des bénévoles aux soins face à la mort

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LES ATTITUDES DES BÉNÉVOLES
AUX SOINS FACE À LA MORT : LE
CAS DE LA MAISON MICHEL-
SARAZIN
Julie SAMSON
Publié dans Aspects sociologiques, vol. 8, no 1 & 2, printemps 2001, pp. 42-48.
La vision de la mort est caractéristique d'une époque. Autrefois, la mort était en
Occident un phénomène apprivoisé, une évidence incontournable. On mourait chez
soi parmi ses proches. Actuellement, la situation s'est inversée. La mort est devenue
un sujet à éviter, à extraire même du concept de la vie. Désormais, on meurt seul à
l'hôpital. Face à cette mort hospitalière est née, en 1985 à Québec, la Maison Michel
Sarrazin, un organisme qui accueille des malades atteints de cancer en phase termi-
nale. Il s'agit d'un organisme qui a notamment pour but de changer les attitudes
sociales face à la mort en lui redonnant son visage humain et familier d'autrefois.
Cette étude a tenté d'évaluer son action chez ceux qui accompagnent les mourants
dans leur cheminement vers la mort : les bénévoles aux soins. L'étude a démontré
l'influence déterminante de la Maison Michel Sarazin sur les attitudes des béné-
voles; un milieu qui leur a permis d'apprivoiser la mort.
Tout au long de l'histoire, les attitudes
sociales face à la mort ont suivi le mou-
vement des sociétés. En Occident, la
vision de la mort a, depuis le Moyen
Âge, grandement changé. On peut même
dire qu’en rapport à la situation d'au-
jourd'hui que l'image de la mort s'est
inversée. Pendant des siècles, elle était
apprivoisée. La mort était alors familiè-
re, c'est-à-dire qu'elle était perçue com-
me un événement normal, faisant partie
de la vie. Elle était donc acceptée et vé-
cue en communauté car tous y partici-
paient. On mourait chez soi, entouré des
voisins, de sa famille et de ses proches.
Le deuil et les rituels sociaux entourant
la mort étaient un événement public.
Mais la vision de la mort a chan-
gé; celle-ci ne nous est plus familière.
Depuis le XXe siècle, on parle d'une né-
gation de la mort; une mort qui se veut
cachée et ignorée. On fait comme si elle
n'existait pas. Socialement, elle est vécue
assez difficilement. On n'a plus le temps
de porter le deuil et les rituels funéraires
ne sont plus une cérémonie publique,
mais réservés aux proches. La plupart du
temps, ces rituels sont abandonnés. On
retourne rapidement à la vie quotidienne.
De plus, on décède seul à l'hôpital dans
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un milieu qui se préoccupe de guérir. La
mort est alors synonyme d'échec. Elle
n'est plus perçue comme un événement
naturel mais comme quelque chose à
combattre. Le mourant est par consé-
quent laissé à lui-même et à ses souf-
frances.
C'est dans ce contexte que nais-
sent les soins palliatifs, la personne
qui va mourir se retrouve au centre des
interventions. Il s'agit des soins prodi-
gués aux personnes qui sont en phase
terminale et qui n’ont plus d'espoir de
guérir. Ces soins consistent en un soula-
gement de la douleur et des symptômes
reliés à la maladie. La Maison Michel
Sarrazin, un centre de soins palliatifs,
accueille des malades qui sont atteints de
cancer en phase terminale. Au sein de
cet organisme, les patients peuvent mou-
rir entourés de leurs proches, tout en
recevant les meilleurs soins possibles.
En plus de vouloir s'occuper des mou-
rants, la Maison Michel Sarrazin vise
également à changer les attitudes socia-
les face à la mort. Elle veut que notre
société actuelle réapprivoise la mort et
ce, en changeant les attitudes face à cel-
le-ci chez ceux qui s'occupent des mou-
rants, mais également dans la population
en général afin qu'elle l'apprivoise da-
vantage.
Avec ce mouvement des soins
palliatifs mais également avec les tra-
vaux et les conférences de la psychiatre
Élisabeth Kübler-Ross, qui tente depuis
plusieurs années de redonner à la mort
un visage plus familier et plus humain,
de nombreuses recherches ont été entre-
prises sur les attitudes face à la mort de
divers intervenants dans le domaine hos-
pitalier. Mais peu d'entre elles portent
sur les attitudes dans un milieu sont
pratiqués les soins palliatifs. Une recher-
che s'imposait donc; J'ai décidé d'entre-
prendre cette étude afin de voir si le fait
d'être dans un environnement la mort
est apprivoisée amène ceux qui s'occu-
pent des mourants à mieux accepter le
phénomène de la mort. Mon choix s'est
alors arrêté sur la Maison Michel Sarra-
zin, un organisme qui fait autorité dans
le domaine des soins palliatifs. Les bé-
névoles aux soins ont été ma population
à l'étude.
On peut définir les bénévoles aux
soins comme étant ceux qui font partie
de l'équipe interdisciplinaire de la Mai-
son Michel Sarrazin, c'est-à-dire de
l'équipe soignante composée des méde-
cins, du personnel infirmier, du pharma-
cien, du travailleur social, du psychiatre
et du conseiller spirituel. Il s'agit
d’individus qui ont choisi de consacrer
du temps à des malades en phase termi-
nale et à leurs proches. Les bénévoles
sont régulièrement en contact avec les
mourants et les accompagnent dans leur
démarche de mourir : écoute, présence
humaine attentive et discrète, soutien
affectif et psychosocial et petits gestes
affectueux.
La méthodologie
La présente étude a tenté d'éva-
luer la Maison Michel Sarrazin en tant
qu'outil de changement d'attitude face à
la mort, c'est-à-dire voir si l'expérience
des bénévoles aux soins (qui ont reçu
une formation en soins palliatifs) auprès
des mourants a modifié leur perception
de la mort.
Mon hypothèse de recherche se
formulait ainsi : le travail d'accompa-
gnement des mourants par les bénévoles
aux soins de la Maison Michel Sarrazin
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provoque chez ceux-ci un changement
d’attitude devant la mort qui va de la
négation à l'acceptation de celle-ci (l'ex-
périence des bénévoles à la Maison Mi-
chel Sarrazin devrait les amener à mieux
accepter le phénomène de la mort). Afin
de vérifier cette hypothèse, j'ai évalué les
attitudes de ces bénévoles aux soins de-
vant la mort avant leur entrée à la Mai-
son Michel Sarrazin et leurs attitudes
actuelles et ce, pour voir si leur expé-
rience d'accompagnement a eu une in-
fluence sur leur perception de la mort. Il
s'agit d'une approche plutôt qualitative,
car l'hypothèse a été vérifiée à l'aide des
réponses ouvertes des bénévoles aux
diverses questions posées lors des entre-
vues.
Cette recherche consiste donc en
une enquête par entrevue. Mon échantil-
lon était composé de vingt bénévoles
(échantillon typique de l'ensemble des
bénévoles qui sont au nombre de soixan-
te-dix-huit). Le choix des répondants
s’est fait à l’aide des critères suivants :
l'âge, le sexe et le nombre d'années d'ex-
périence dans le bénévolat. Dans cet
échantillon, on retrouve quatre hommes
et seize femmes dont l'âge varie entre 22
et 77 ans, pour une moyenne d'âge de 43
ans. Le nombre d'années d'expérience
dans le bénévolat varie de quelques mois
à onze ans. La plupart des répondants
consacrent huit heures et plus par semai-
ne au bénévolat. Leurs professions sont
assez diversifiées. On retrouve trois in-
firmières, un commis dans une caisse
populaire, une adjointe administrative,
un coordonnateur dans un centre de ré-
adaptation, une éducatrice spécialisée,
un ébéniste et une technicienne en labo-
ratoire. Il y a également quatre femmes
au foyer, cinq retraités, une étudiante en
médecine ainsi qu'une religieuse. Les
questions posées à ces bénévoles ont
porté notamment sur leurs attitudes avant
et après leur passage à la Maison Michel
Sarrazin, mais aussi sur leur rôle auprès
des mourants.
Le cadre conceptuel de cette étude était
donc basé sur trois attitudes possibles
face à la mort. Il s'agit de trois attitudes
générales qui ont été catégorisées de la
manière suivante : acceptation, accepta-
tion partielle et négation.
L'acceptation de la mort est défi-
nie comme étant la prédisposition à ré-
agir positivement face à la mort et à ses
nombreux aspects (parler ouvertement
de la mort, aller dans les endroits l'on
est confronté à la mort, percevoir la mort
comme une étape de la vie et un événe-
ment tout à fait normal, etc.) et la ga-
tion comme la prédisposition à réagir
négativement face à la mort (avoir peur
de la mort, percevoir la mort comme une
négation de la vie : la mort ne devrait pas
exister, ne pas vouloir mourir, etc.).
Le concept d'attitude d'accepta-
tion partielle de la mort se situe à la
jonction des deux attitudes opposées,
c'est-à-dire de négation et d'acceptation
de la mort. Il se caractérise par un début
d'acceptation de la mort, mais avec enco-
re certains éléments de négation (la mort
n'est pas totalement acceptée ni complè-
[…] la Maison Michel Sarra-
zin vise également à changer
les attitudes sociales face à la
mort.
[…] l’individu a besoin de cohérence cog-
nitive, soit de cohérence entre plusieurs de
ses cognitions. Mais il se peut que ces cog-
nitions soient incompatibles entre elles. Il y
a alors une dissonance cognitive.
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tement niée). Par exemple, un sujet peut
avoir une facilité à parler ouvertement de
la mort, mais avoir peur de mourir et
croire que la mort ne devrait pas exister.
Les concepts de négation et
d’acceptation s’appuient sur des indica-
teurs précis tirés de la littérature, alors
que celui de l'acceptation partielle a été
peu abordé par les auteurs, il s'agit donc
d'un concept exploratoire.
Dans cette recherche, la théorie
de la dissonance cognitive de Léon Fes-
tinger a été utilisée afin d'évaluer le
changement d'attitude chez les bénévoles
aux soins. Il s'agit d'une théorie qui met
l'accent sur les processus mentaux qui
influencent ou changent les attitudes.
Selon Festinger, l'individu a besoin de
cohérence cognitive, soit de cohérence
entre plusieurs de ses cognitions (en-
semble de connaissances à propos d'ob-
jets, de situations, de comportements,
etc.). Mais il se peut que ces cognitions
soient incompatibles entre elles. Il y a
alors une dissonance cognitive (lors-
qu’une cognition est la négation de l'au-
tre). Selon Festinger, l'individu qui est en
quête d'équilibre va essayer de concilier
ces deux éléments de connaissances (co-
gnitions) soit en changeant d'attitude soit
en modifiant son comportement. Par
exemple, un sujet peut éviter d'aller dans
les lieux la mort est présente tout en
affirmant n'avoir aucun problème à être
confronté à la mort. Dans ce cas, soit que
le sujet change d'attitude face à la mort
en affirmant avoir peur d'être confronté à
la mort ou soit qu’il change de compor-
tement en fréquentant les lieux la
mort est présente.
En plus d'évaluer le changement
d'attitude, j’ai également mesuré le poids
qu'exerçaient quelques variables sur les
attitudes des bénévoles comme l’âge, le
sexe, la profession, le degré de scolarité,
la religion, le degré de pratique religieu-
se (pratiquant, peu pratiquant, ou non-
pratiquant), la mort d'un proche (avoir
vécu récemment la perte d'un proche), le
nombre d'années d'expérience dans le
bénévolat et le nombre d'heures présent à
chaque semaine à la Maison Michel Sar-
razin.
L'influence de la Maison Michel Sar-
razin
Les données recueillies lors des
entrevues ont donc permis de classer les
attitudes des répondants en deux catégo-
ries, soit l'acceptation et l'acceptation
partielle de la mort.
Sur vingt bénévoles, on en comp-
te dix qui se situent dans la catégorie de
ceux qui acceptent la mort. Ces bénévo-
les (mis à part l'un d'eux qui est passé de
la négation à l’acceptation) n’ont pas
changé d'attitude face à la mort depuis
leur entrée à Sarrazin; ils l'acceptaient
déjà avant d'être bénévoles. Leur vision
positive de la mort a été plutôt acquise
par un cheminement personnel, et la
Maison n'a fait que confirmer leur vision
première. C'est plutôt leur cheminement
de vie qui a fait évoluer leur attitude.
Faire du bénévolat à la Maison est donc
pour eux un moyen de vivre une expé-
rience qui va dans le même sens que leur
perception de la mort. Même si le passa-
ge à la Maison ne les touche pas dans
leur attitude, il leur apporte beaucoup sur
le plan personnel, notamment par l'ac-
quisition de nouvelles valeurs et de nou-
veaux comportements. Par exemple, ils
profitent davantage de la vie, ils sont
plus sereins, ils arrêtent de fumer et
mangent mieux. Ils comprennent mieux
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ce que vivent les personnes mourantes
au plan de la souffrance et des senti-
ments et ils savent comment ils doivent
se comporter avec eux. Ils connaissent
davantage les étapes qui mènent à la
mort et celles dans la progression de la
maladie. De plus, ces bénévoles com-
prennent mieux la mort et le deuil, et ont
aussi appris à devenir de meilleurs ac-
compagnateurs.
Pour les dix autres bénévoles,
leur expérience d'accompagnement a
modifié leur perception de la mort.
Ceux-ci sont passés d'une attitude de
négation ou d'acceptation partielle à une
plus grande acceptation. Ils ne se situent
pas complètement dans l'acceptation
mais plutôt dans l'acceptation partielle,
car ils réagissent de façon positive ou de
façon négative face au phénomène de la
mort et à ses nombreux aspects. Pour
eux, accepter totalement la mort n’est
pas une chose acquise. Ils ne l'acceptent
pas entièrement et ne la nient pas com-
plètement, mais ont une attitude à mi-
chemin entre les deux.
Pour ces répondants, la mort de-
meure tout de même une source d'inquié-
tude et de crainte et à cause de la nature
particulière de leur angoisse, il a fallu
introduire des nuances dans leur attitude
par un classement en trois catégories :
ceux qui ont peur de leur propre mort (la
mort de soi), ceux qui ont peur de la
mort des autres (la mort d'autrui), et ceux
qui ont peur de la mort en général (la
mort dans sa généralité). Les bénévoles
qui se situent dans la mort de soi (2) sont
ceux qui ont peur de mourir, c'est-à-dire
qu'ils appréhendent anxieusement leur
propre mort. Ceux-ci ne veulent pas
mourir et redoutent ce moment. Ceux qui
sont classés dans la mort d'autrui (3) sont
très anxieux face à la perte d'un être
cher. Un événement qu'ils estiment par-
fois difficile et douloureux à vivre sur-
tout à cause de la perte de relation et
d'avoir à admettre que la personne qu'on
aime n'existe plus. Finalement, pour
d'autres bénévoles (5), il s'agit d'une peur
de la mort en général. Pour eux, la mort
est absurde et ne devrait pas exister et
tout ce qui concerne la mort peut amener
chez eux une certaine angoisse.
Ajoutons que tous ces bénévoles
travaillent en vue d'acquérir une plus
grande ouverture sur la mort. Ils ont
conscience de leur attitude et vont vers
une plus grande acceptation. De plus,
leur passage (l'expérience auprès des
mourants et les cours suivis en soins
palliatifs) à la Maison leur a permis
d'avoir une plus grande facilité à parler
de la mort et à se trouver en compagnie
des personnes mourantes. Ils ont égale-
ment moins de sentiments négatifs à
l’endroit de celle-ci, comme la révolte et
la colère. La mort n'est plus perçue
comme une négation de la vie mais
comme faisant partie de celle-ci; on ne
nie plus son existence. Ces bénévoles
parlent davantage de la mort, ils
l’acceptent mieux, ils s'y résignent, ils la
regardent avec plus de sérénité et ils es-
saient de mieux la comprendre.
Ainsi, étant donné la diversité des
expériences de vie des répondants, la
Maison Michel Sarrazin a eu un impact
différent sur leurs attitudes. Ce qui veut
dire que l'influence de la Maison sur les
attitudes des bénévoles va dépendre du
cheminement de vie de chacun (par
exemple, la Maison n'aura pas la même
influence sur un bénévole qui, en plus de
nier la mort, a connu peu de deuils per-
sonnels au cours de sa vie que sur un
autre qui accepte déjà la mort et qui a
vécu de nombreux décès d'êtres chers).
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