Les stratégies de compréhension dans le traitement des relations

Les stratégies de compréhension dans le traitement des relations fonctionnelles de base
Georges NOIZET* et Monique VI0N**
1. Définition des stratégies
Dans la compréhension d'une phrase, les stratégies se définissent comme des procédures de traitement
aboutissant à un ensemble d'hypothèses sur les relations entre les éléments constitutifs de cette phrase.
L'emploi du terme « ensemble d'hypothèses » ne signifie pas que le locuteur, face à une tâche de
compréhension, se trouve en situation de résolution de problème. Il veut dire que le locuteur construit une «
représentation» (une «organisation potentielle» selon l'expression de Bever, Garrett et Hurtig, 1973) et que
cette représentation s'inscrit dans une boucle de régulation analogue à celle proposée par Halle et Stevens
(1964) dans leur modèle d'analyse par synthèse. Cet ensemble d'hypothèses traduit la signification que le
locuteur donne à la phrase en pensant quelque chose de ce qu'il entend ou lit, autrement dit en associant un
cogitatum à un locutum (l'idée d'association exprime la dimension relationnelle de la notion de signification
appliquée à un objet linguistique)1. Donner une signification à une phrase s'effectue, de ce fait, dans un
contexte à la fois situationnel et cognitif.
Il découle de la perspective précédente qu'il n'y a pas lieu de parler de stratégies sémantiques pour
opposer de telles stratégies à des stratégies d'un autre type. C'est Bever (1970), comme chacun sait, qui nous
a appris à aborder l'étude du processus de compréhension en termes dc stratégies. Sous le nom de «
stratégies perceptives », il décrit des procédures de traitement - par exemple des stratégies de segmentation
ou stratégies d'étiquetage - qui rendent compte de la manière dont le locuteur traite l'information contenue
dans le signal pour dégager les relations qui unissent les termes de l'énoncé. Ainsi parle-t-il d'une stratégie
sémantique (ibid., p.296) qui utilise les contraintes sur les relations unissant, au plan de la signification, les
lexèmes de l'énoncé, par exemple « homme », « mange » et « gâteau » dans la phrase « L'homme mange le
gâteau ». La manière dont Bever caractérise cette stratégie et les exemples qu'il prend montrent qu'elle peut,
tout aussi bien, être qualifiée de lexicale.
Si nous préférons ne pas parler de stratégies sémantiques, c'est que toute stratégie de compréhension est à
finalité sémantique, puisqu'elle a pour objectif de donner une signification à un énoncé. Or ce qui est
intéressant pour le psycholinguiste dans l'étude des stratégies, c'est moins de définir leur objectif que dc
distinguer les divers moyens (procédures) par lesquels cet objectif peut être atteint.
Il convient par ailleurs de distinguer strategies et mécanismes, même si la frontière est délicate à établir,
sans doute parce qu'il s'agit d'un de ces changements qualitatifs dont il est toujours possible de prétendre soit
qu'ils renvoient à une différence de degré, soit qu'ils renvoient à une différence de nature. Un exemple aidera
à comprendre. Quand, dans des tâches d'identification visuelle de mots, on oppose un traitement en série des
unités (quelle que soit la définition de ces unités: par ex. lettres ou groupes de lettres), et un traitement en
parallèle, on se situe au niveau des mécanismes. Dans ce cas, ce sont les contraintes du système qui sont
dominantes. La manière dont le sujet fonctionne dépend des conditions de stimulation (par exemple de
l'écartement spatial des unités), mais, à conditions identiques, le fonctionnement est le même. Il est clair, par
* Laboratoire de psychologie expérimentale, université René Descartes et Ecole pratique des hautes etudes 3 section, associé au
CNRS, 28, rue Serpente, 75006, Paris.
** Laboratoire de psychologie expérimentale, département de psychologie, université de Provence, associé au CNRS, 29, avenue
Robert Schuman, 13621, Aix-en-Provence.
1 La signification que le locuteur donne à la phrase n'est pas nécessairement complète. Elle peut être partielle et ne concerner que
certains éléments, pat exemple ceux qu'il suffit de traiter pour fournir une réponse dans la tâche qui est proposée. Dans cc dernier
cas, une stratégie locale peut se révéler suffisante. Il ressort par ailleurs de cc qui vient d'être dit qu'il ne nous paraît pas pertinent,
dans une approche psycholinguistique, de reprendre la distinction établie par certains linguistes, comme Prieto, entre sens et
signification. Tout énoncé étant toujours reçu dans un contexte particulier, la signification n'a pas de réalité psychologique
indépendamment du sens.
ailleurs, que plusieurs mécanismes - en particulier ceux dont nous venons de prendre l'exemple - peuvent
coexister et interagir.
Prenons, a contrario, l'exemple d'un locuteur qui traite ou ne traite pas une part (ou la totalité) de
l'information syntaxique que contient un énoncé. Suivant le ca, il développe telle ou telle stratégie parmi les
stratégies possibles. Pour parler de stratégies, il faut donc supposer une pluralité de procédures de traitement
dont dispose le locuteur et entre lesquelles le choix est opéré. Or ce que l'étude génétique met en évidence,
ce sont bien des émergences et des changements de stratégies (et non pas de mécanismes). Bien entendu, le
terme de choix n'a pas dans notre esprit d'autre sens que celui qu'on lui donne en psychologie animale
lorsqu'on parle d'expériences de choix. Il est clair, par ailleurs, que le degré de disponibilité visà-vis de telle
ou telle stratégie dépend à la fois de l'âge (plus précisément, de ce à quoi la variable âge renvoie) et de la
tâche.
2. Classification des stratégies
Au vu des résultats d'observations et d'expériences sur la compréhension des phrases, deux descripteurs
sont susceptibles d'être utilisés pour aboutir à une classification des stratégies.
Le premier descripteur est le type d'information traitée par le locuteur. Il permet d'opposer d'abord des
stratégies lexico-pragmatiques et des stratégies syntaxiques.
Dans les strategies lexico-pragmatiques pures2, le locuteur traite l'énoncé comme une séquence réduite à
ses lexèmes (par référence à une opposition entre unités lexicales ou lexèmes et unités grammaticales ou
morphèmes). Les lexèmes évoquent, au sens le plus général du terme, une connaissance de l'univers à partir
de laquelle des inférences sont faites qui permettent de donner une signification à l'énoncé. Ces stratégies
supposent au minimum la capacité d'identifier les lexèmes dans la chaîne parlée ou écrite et de les traiter
comme des unités porteuses de signification.
Les stratégies syntaxiques se définissent par le traitement d'indices considérés comme fournissant
exclusivement une information sur les relations fonctionnelles de base. Parmi les stratégies syntaxiques, on
distingue des stratégies positionnelles et des stratégies formelles.
Les stratégies positionnelles consistent, par exemple, à donner un caractère de pertinence syntaxique à
l'ordre de succession des lexèmes dans la chaîne parlée ou écrite3. Ainsi, devant deux noms (plus
généralement deux syntagmes nominaux) en succession immédiate ou non, le locuteur fera
systématiquement l'hypothèse que le fait d'occuper la première position est l'indice que le rôle joué est celui
d'actant et que le fait d'occuper la seconde est l'indice que le rôle joué est celui de patient4. Les stratégies
positionnelles supposent au moins, outre la capacité d'identifier les lexèmes, la capacité d'opérer une
partition des lexèmes (par ex. noms et verbes).
Quant aux stratégies formelles, dites aussi morphosyntaxiques, elles se fondent sur le traitement de
marques morphologiques et syntaxiques spécifiques. Ces marques - dont la diversité intra-langues et inter-
langues est considérable - non seulement indiquent les rôles des éléments de l'énoncé, mais en spécifient les
conditions d'exercice. Elles débordent donc le champ de ce que Bronckart (1977) appelle prédication pour
couvrir celui de l'énonciation, de la détermination, de la thématisation et de la discursion. Les informations
2 L'un d'entre nous (Noizet, 1977) a qualifié ces stratégies de « sémanrico-pragmatiques s, en indiquant qu'il est empiriquement
difficile de distinguer dans les réponses du locuteur la part qui revient à la connaissance linguistique des traits lexicaux et celle qui
revient à la connaissance extra-linguistique dc l'univers. De son cote, Bronckart (1977, p.286) parle de « stratégie pragmatique »
en précisant qu'elle « consiste à attribuer les rôles en se servant des caractéristiques sémantiques que l'on peut déceler dans chaque
lexème ». L'analyse psycholinguistique de la procédure de traitement nous fait préférer maintenant l'expression de
lexicopragmatique.
3 Les stratégies d'ordre ne sont pas les seules stratégies positionnelles. Ainsi la stratégie de proximité, qui, comme on le verra plus
loin, se manifeste lors du traitement de séquenes NNV, ou encore dans le traitement de la coréférence, est une stratégie
positionnelle qui n'est pas une stratégie d'ordre.
4 Bien que Tesnière (1969) appelle actants l'ensemble des participants au procès exprimé par le verbe et caractérise les verbes par
le nombre d'actants qu'ils peuvent avoir, nous préférons le terme d'actant à celui d'agent pour désigner l'auteur de l'action (le prime
actant selon Tesnière). A l'opposition actant/patient pour les êtres animés correspond l'opposition instrument/agi pour les êtres
inanimés.
véhiculées par les marques syntaxiques peuvent recéler une part d'ambiguïté (dont la psycholinguistique a
fait son profit expérimental). Toutefois, dans la majorité des cas, elles permettent de définir, sinon une
interprétation exhaustivement correcte de l'énoncé (ce qui, cognitivement parlant, n'a pas de sens si on se
réfère aux définitions que nous avons données plus haut), du moins une classe d'interprétations incorrectes.
Le deuxième descripteur, qui, par le progrès des études expérimentales, pourrait un jour permettre une
classification des stratégies, est la nature du traitement effectué par le locuteur. Les expériences menées sur
la compréhension de phrases comportant un enchâssement ont montré qu'il était pertinent de faire
l'hypothèse de deux ordres de traitement des unités qui constituent une phrase: l'ordre de traitement qui
correspond à l'ordre d'apparition en surface des unités à traiter et l'ordre de traitement qui exprime les
caractéristiques du fonctionnement cognitif du sujet. Le premier fait que, dans une tâche de restitution des
noyaux de phrases doublement enchâssées par relativisation, le locuteur traite préférentiellement les noyaux
continus en surface, quel que soit leur statut grammatical et que, à égalité du critère de continuité, il les traite
dans leur ordre d'apparition. Le second fait que 1e locuteur cherche à traiter d'abord le noyau qui est la
matrice, donc le pivot dc la phrase (Noizet, 1980a, chapitre X). Suivant les phrases, la distance des deux
ordres est plus ou moins grande (elle peut être nulle). Suivant la tâche, la contrainte qu'exerce l'ordre de
surface est plus ou moins forte.
Dans cette perspective, les stratégies se distinguent par le degré de leur dépendance vis-à-vis de certaines
règles de fonctionnement5. Parmi celles-ci, l'un d'entre nous (Noizet, 1980a, 223-224) a suggéré d'opposer
des règles opératoires et des règles séquentielles. Les règles opératoires expriment les propriétés des
opérations effectuées par le locuteur. Ainsi, dans une opération de modification (par ex. modification d'une
matrice par une constituante grâce à un opérateur de causalité ou par relativisation) le premier terme de
l'opération (l'élément modifié) est normalement traité avant le second (l'élément modificateur), mais
l'application de la règle dépend de la nature de l'élément modifié (structure ou élément d'une structure). Les
règles séquentielles, pour leur part, expriment les propriétés du système de traitement. Par exemple, le
système tolère mal l'interruption d'un traitement et, en cas d'itération, ne la tolère plus du tout. Une stratégie
fondée sur l'application d'une règle séquentielle consistera dc ce fait, quand la nature de la tâche permettra de
l'utiliser, à traiter d'abord les unités continues en surface.
3. Déterminants du choix des stratégies
Le problème du choix des stratégies est à distinguer de celui de leur émergence. Le second problème est
central dans une psycholinguistique de l'enfant: nous y consacrerons la fin de notre exposé.
Pour qu'il y ait choix (nous avons précisé antérieurement dans quel sens nous prenions le mot choix), il
est nécessaire que le locuteur dispose d'une pluralité de stratégies. A supposer que cette condition soit
remplie, encore faut-il que les caractéristiques de l'énoncé soient telles qu'il fournisse simultanément au
locuteur des informations de plusieurs types. S'il en est ainsi, nous faisons l'hypothèse que, parmi les
stratégies applicables pour aboutir à l'interprétation de l'énoncé, une sélection est opérée, si bien qu'une
stratégie se trouve utilisée préférentiellement aux autres. Il en résulte que les stratégies applicables se
hiérarchisent et que l'une d'entre elles se trouve dominante. Mais cette hiérarchisation n'a pas de portée
générale: elle dépend non seulement des caractéristiques de l'énoncé, mais du contexte situationnel, dc la
tâche, voire des conditions de la réception.
Le problème du choix se précise ainsi comme celui de la recherche des déterminants de la stratégie
dominante. On notera que cette question, si elle concerne, sans aucun doute, la psycholinguistique de
l'adulte, est égaleinept du ressort d'une psycholinguistique de l'enfant. Les déterminants de la stratégie
dominante n'ont sans doute pas le même poids aux diverses étapes du développement. Il s'ensuit que le degré
de dépendance du locuteur vis-à-vis de telle ou telle stratégie est susceptible de variation avec l'âge. Il est
donc important de préciser comment les déterminants des stratégies s'articulent avec des variables comme le
niveau opératoire ou le niveau de compétence linguistique.
Les stratégies sont d'abord dépendantes du type d'indices disponibles et de leur prégnance respective.
Comme nous le montrerons plus loin, la mani pulation des indices a constitué le paradigme par excellence
5 La question - essentielle - du degré de spécificité des règles de fonctionnement n'est pas abordée dans ce texte.
de la psycholinguistique expérimentale. C'est ainsi que des phrases dites renversables ne fournissent pas au
locuteur les informations lexicales susceptibles de provoquer des interprétations pragmatiques et que des
phrases où un verbe transitif actif est suivi d'un objet direct ne mettent pas à sa disposition, dans des langues
non flexionnelles, des indices morphosyntaxiques (voir, sur ce point, le chapitre 1).
Ces stratégies sont, en âccond lieu, dépendantes de la tâche. Sur ce point les comparaisons n'ont pas
encore été poussées assez loin et demeurent en tout état de cause limitées parce que toutes les tâches
expérimentales ne sont pas applicables à tous les âges (mime de l'action, répétition avec ou sans délai,
vérification sur une image, restitution des noyaux, paraphrase, etc.). Les discussions ouvertes dans ce même
ouvrage à propos de la fréquence d'apparition de la stratégie de non-changement de rôle montrent toutefois
de manière déjà claire la dépendance des stratégies vis-à-vis de la tâche.
Les stratégies dépendent ensuite de la complexité syntaxique des phrases. Cette dernière peut faire l'objet
d'une définition opérationnelle se concrétisant dans un certain nombre d'indices (Piolat, 1977).
Elles dépendent enfin de la complexité (proprement) cognitive des opérations exigées du sujet. C'est ainsi
que l'un de nous (Vion, 1978a) a montré que, toutes choses égales par ailleurs, la compréhension de phrases
comportant un marqueur de relation spatiale présente une évolution génétique différente selon que le
marqueur introduit entre les objets une relation symétrique ou antisymétrique.
4. La mise en évidence de la diversité des stratégies
Il est hors de doute qu'une des tâches d'une psycholinguistique de l'enfant est de repérer le moment et les
conditions d'émergence des stratégies. Paradoxalement, les premiers travaux expérimentaux, qui avaient
pour objet l'étude de l'acquisition, par l'enfant, de la compétence syntaxique, ont d'abord apporté la preuve
de l'existence de stratégies autres que morphosyntaxiques (Slobin, 1966). Etudiant la compréhension de
phrases passives à l'aide d'une tâche de mime, Sinclair et Ferreiro (1970) constatent des différences de
performance selon que, dans la situation évoquée par la phrase6, les personnages ou objets désignés par les
lexèmes nominaux sont, entre autres différences, substituables (La fille est suivie par le garçon) ou non
substituables (Le bâton est cassé par le garçon) (tab. 9).
Tableau 9: Pourcentages d'énoncés passifs correctement interprétés
(d'après Sinclair et Ferreiro, 1970)
Age
4;0
5;0
6;0
7;0
Phrases non renversables (casser, par ex.)
94
95,3
98,7
100,
Phrases renversables (suivre, par ex.)
45
52,7
72,5
77
Beaudemoulin et Bruschi (1975) sur des enfants normaux d'une part, Paour (1975) sur des enfants
déficients mentaux d'autre part, utilisant la même épreuve, trouvent des résultats en totale compatibilité avec
les précédents (tab. 10).
6 Nous avons utilisé, dans la partie précédente, l'expression « phrase renversable » . Elle constitue un raccourci. Une « phrase
renversable » évoque une situation où les personnages sont substituables les uns aux autres, si bien que, dans la phrase, les
syntagmes nominaux peuvent &re permutés sans que la situation évoquée devienne improbable ou impossible. Dans le cas de «
phrases non renversables s, la permutation des syntagmes nominaux aboutit I un énoncé que nous qualifierons plus loin
d'«antipragmatique».
Tableau 10: Pourcentages d'énoncés passifs correctement compris: enfants normaux
(d'après Beaudemoulin et Bruschi, 1975)
et enfants déficients (d'après Paour, 1975)
enfants normaux
enfants déficients
Age
4;6
6;6
âge chronologique :
9 ;6
âge mental: 6 ;6
Phrases non renversables (casser.)
100
100
97
Phrases renversables (pousser)
35
60
45
Les pourcentages des tableaux 9 et 10 indiquent que, lorsqu'ils doivent mimer des énoncés non
renversables, les enfants produisent tous des actions compatibles avec les énoncés passifs proposés, alors
que les énoncés renversables sont mimés (surtout par les plus jeunes) en inversant l'action indiquée. Ces
résultats montrent donc que l'information apportée par les) lexèmes nominaux et verbaux peut suffire pour
interpréter correctement certains énoncés. Le décalage des pourcentages selon que l'énoncé est ou non
renversable est une indication (mais non une mesure) de la place prise, dans l'activité de compréhension, par
des stratégies lexico-pragmatiques.
Mais les résultats précédents apportent une autre indication, non moins importante. Lorsque l'information
apportée par les lexèmes ne suffit pas pour parvenir à une interprétation correcte de la phrase, les enfants
décodent alors les énoncés sans tenir compte de l'inversion actant/agi signalée par les marques
morphosyntaxiques de la transformation passive, donc en suivant l'ordre syntagmatique de l'énoncé. Ils
appliquent par conséquent une stratégie positionnelle, dont l'existence est ainsi prouvée de manière indirecte.
L'ordre croissant avec l'âge des pourcentages de réussite sur les phrases renversables montre que la prise en
compte des indices morphosyntaxiques succède progressivement à la prise en compte d'autres indices (et
non à une réponse donnée au hasard). Selon d'autres travaux portant également sur la transformation passive
(Bronckart, 1979), la stratégie positionnelle, appliquée de manière absolue entre 3 ;6 et 4 ;6, entre ensuite en
conflit avec les stratégies morphosyntaxiques pour n'être définitivement supplantée qu'à partir de 6 ans.
5. Etude génétique du traitement des séquences
Sinclair et Bronckart (1972) ont entrepris un étude systématique du rôle joué par les caractéristiques
lexico-pragmatiques et les indices de position en demandant à des enfants de construire, par l'intermédiaire
d'une action mimée, une interprétation de triplets de mots. De telles séquences, par définition, ne comportent
aucun indice morphosyntaxique: ce ne sont pas des phrases.
En utilisant des triplets comportant un lexème verbal (V) et deux lexèmes nominaux (N) permutables (par
ex. garçon, fille, pousser), qui ne font donc intervenir que des indices relatifs à la position respective des
lexèmes dans la séquence (NVN, NNV, VNN), ils ont observé plusieurs étapes dans la prise en compte de
cette information, étapes correspondant à trois « hypothèses positionnelles ». Avant 5 ans, l'interprétation
dominante consiste à attribuer le rôle d'actant au nom le plus proche du verbe (le deuxième par conséquent
dans les séquences NNV). De 5 à 6 ans, c'est au contraire le rôle de patient qui est attribué au nom le plus
proche du verbe (le premier par conséquent dans les séquences VNN). A partir de 6 ans, le premier nom
reçoit systématiquement le rôle d'actant et le second de patient, quelle que soit la position du verbe (cette
interprétation apparaît d'ailleurs dès 3 ;6 sur les séquences NVN)7. Ces observations montrent que la
définition des strategies positionnelles doit être nuancée: dans certains cas elles consistent à tenir compte de
la position des éléments considérés par rapport à un élément de reference et se présentent comme des
stratégies de proximité, dans d'autres cas elles consistent à prendre en compte la position relative des
éléments considérés et apparaissent comme des stratégies d'ordre.
7 Des observations très proches ont pu être faites sur des tâches de production, par exemple par Kail et Ségui (1978) qui
demandent à des enfants de construire un énoncé à partir d'un triplet de lexèmes. Il convient toutefois de ne pas majorer la
différence entre tâches quand il s'agit de traitement de séquences. La tâche proposée par Sinclair et Bronckart et qui pourrait à
certains égards être considérée comme une tâche de compréhension suppose, à notre sens, que l'enfant ait construit une structure
de la séquence par attribution de rôles aux lexèmes nominaux, ce qui constitue une des phases d'un processus de production.
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