véhiculées par les marques syntaxiques peuvent recéler une part d'ambiguïté (dont la psycholinguistique a
fait son profit expérimental). Toutefois, dans la majorité des cas, elles permettent de définir, sinon une
interprétation exhaustivement correcte de l'énoncé (ce qui, cognitivement parlant, n'a pas de sens si on se
réfère aux définitions que nous avons données plus haut), du moins une classe d'interprétations incorrectes.
Le deuxième descripteur, qui, par le progrès des études expérimentales, pourrait un jour permettre une
classification des stratégies, est la nature du traitement effectué par le locuteur. Les expériences menées sur
la compréhension de phrases comportant un enchâssement ont montré qu'il était pertinent de faire
l'hypothèse de deux ordres de traitement des unités qui constituent une phrase: l'ordre de traitement qui
correspond à l'ordre d'apparition en surface des unités à traiter et l'ordre de traitement qui exprime les
caractéristiques du fonctionnement cognitif du sujet. Le premier fait que, dans une tâche de restitution des
noyaux de phrases doublement enchâssées par relativisation, le locuteur traite préférentiellement les noyaux
continus en surface, quel que soit leur statut grammatical et que, à égalité du critère de continuité, il les traite
dans leur ordre d'apparition. Le second fait que 1e locuteur cherche à traiter d'abord le noyau qui est la
matrice, donc le pivot dc la phrase (Noizet, 1980a, chapitre X). Suivant les phrases, la distance des deux
ordres est plus ou moins grande (elle peut être nulle). Suivant la tâche, la contrainte qu'exerce l'ordre de
surface est plus ou moins forte.
Dans cette perspective, les stratégies se distinguent par le degré de leur dépendance vis-à-vis de certaines
règles de fonctionnement5. Parmi celles-ci, l'un d'entre nous (Noizet, 1980a, 223-224) a suggéré d'opposer
des règles opératoires et des règles séquentielles. Les règles opératoires expriment les propriétés des
opérations effectuées par le locuteur. Ainsi, dans une opération de modification (par ex. modification d'une
matrice par une constituante grâce à un opérateur de causalité ou par relativisation) le premier terme de
l'opération (l'élément modifié) est normalement traité avant le second (l'élément modificateur), mais
l'application de la règle dépend de la nature de l'élément modifié (structure ou élément d'une structure). Les
règles séquentielles, pour leur part, expriment les propriétés du système de traitement. Par exemple, le
système tolère mal l'interruption d'un traitement et, en cas d'itération, ne la tolère plus du tout. Une stratégie
fondée sur l'application d'une règle séquentielle consistera dc ce fait, quand la nature de la tâche permettra de
l'utiliser, à traiter d'abord les unités continues en surface.
3. Déterminants du choix des stratégies
Le problème du choix des stratégies est à distinguer de celui de leur émergence. Le second problème est
central dans une psycholinguistique de l'enfant: nous y consacrerons la fin de notre exposé.
Pour qu'il y ait choix (nous avons précisé antérieurement dans quel sens nous prenions le mot choix), il
est nécessaire que le locuteur dispose d'une pluralité de stratégies. A supposer que cette condition soit
remplie, encore faut-il que les caractéristiques de l'énoncé soient telles qu'il fournisse simultanément au
locuteur des informations de plusieurs types. S'il en est ainsi, nous faisons l'hypothèse que, parmi les
stratégies applicables pour aboutir à l'interprétation de l'énoncé, une sélection est opérée, si bien qu'une
stratégie se trouve utilisée préférentiellement aux autres. Il en résulte que les stratégies applicables se
hiérarchisent et que l'une d'entre elles se trouve dominante. Mais cette hiérarchisation n'a pas de portée
générale: elle dépend non seulement des caractéristiques de l'énoncé, mais du contexte situationnel, dc la
tâche, voire des conditions de la réception.
Le problème du choix se précise ainsi comme celui de la recherche des déterminants de la stratégie
dominante. On notera que cette question, si elle concerne, sans aucun doute, la psycholinguistique de
l'adulte, est égaleinept du ressort d'une psycholinguistique de l'enfant. Les déterminants de la stratégie
dominante n'ont sans doute pas le même poids aux diverses étapes du développement. Il s'ensuit que le degré
de dépendance du locuteur vis-à-vis de telle ou telle stratégie est susceptible de variation avec l'âge. Il est
donc important de préciser comment les déterminants des stratégies s'articulent avec des variables comme le
niveau opératoire ou le niveau de compétence linguistique.
Les stratégies sont d'abord dépendantes du type d'indices disponibles et de leur prégnance respective.
Comme nous le montrerons plus loin, la mani pulation des indices a constitué le paradigme par excellence
5 La question - essentielle - du degré de spécificité des règles de fonctionnement n'est pas abordée dans ce texte.