Quelles sont les meilleures pratiques pour vous motiver?

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 Enquête sur la rémunération : Quelles sont les meilleures pratiques pour vous motiver? RAPPORT SOMMAIRE Présenté par : Jacques Forest, Ph. D., CRHA et psychologue organisationnel, professeur, ESG UQAM Marylène Gagné, Ph. D., professeure, JMSB, Université Concordia Sarah Girouard, M. Sc., CRHA, doctorante en psychologie industrielle‐organisationnelle, UQAM Nathalie Houlfort, Ph. D., psychologue organisationnelle, Professeure, UQAM Laurence Crevier‐Braud, doctorante en psychologie industrielle‐organisationnelle, UQAM Octobre 2011 Description du projet de recherche Le présent projet de recherche, réalisé auprès des membres de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, a pour but de vérifier certaines hypothèses en lien avec l’influence de la rémunération sur la motivation et la démotivation au travail. En effet, bien que plusieurs pratiques se soient établies dans le domaine de la rémunération au cours des dernières décennies, une revue attentive de la littérature permet de mettre en évidence qu’il existe encore aujourd’hui différents courants de pensée quant aux meilleures façons de rémunérer les individus afin de favoriser leur motivation au travail. Dans cette optique, le présent projet de recherche s’est donné comme objectif d’apporter divers éléments de réponse pour faire le point sur cette importante question et ainsi orienter les professionnels vers les pratiques les plus susceptibles d’engendrer des conséquences positives pour les employés et leur organisation. La figure 1 présente les variables utilisées dans l’étude et les liens qui les relient. Ce graphique est basé sur un modèle théorique publié en 2008 dans la revue Canadian Psychology par Marylène Gagné et Jacques Forest. FIGURE 1 : 1 Dans les lignes qui suivent, nous décrirons d’abord les bases de la théorie de l’autodétermination, une théorie utile pour comprendre la motivation en milieu de travail. Puis, dans la deuxième section du rapport, quelques statistiques simples présenteront les caractéristiques des répondants ayant accepté de participer à l’étude. Un portrait succinct de leur rémunération sera ensuite dressé dans la troisième section. Enfin, dans la dernière partie du rapport, quelques résultats préliminaires intéressants seront relatés et expliqués. Mais, voyons d’abord les principaux faits saillants de cette étude. Faits saillants : •
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Il est un fait généralement reconnu que certaines personnes travaillent par intérêt ou pour des valeurs qui les animent, alors que d’autres sont plus motivés par le souci d’améliorer leur réputation ou encore de consolider leur situation financière. Il est aussi généralement reconnu que ces deux grands groupes de travailleurs seront satisfaits s’ils obtiennent ce qu’ils désirent : la satisfaction inhérente à leur travail et l’utilité sociale pour le premier groupe; la réputation et l’argent pour le deuxième groupe. Or, ceci n’est pas le cas, car les personnes qui travaillent principalement pour des raisons extrinsèques, comme le salaire ou la réputation, sont plus enclines à rapporter de hauts niveaux d’épuisement émotionnel et de comportements de déviance organisationnelle. À l’inverse, les travailleurs qui affirment travailler principalement par intérêt ou parce que leur travail est utile socialement ont plus d’énergie et fonctionnent de façon optimale. Les raisons qui expliquent pourquoi les gens travaillent ont donc un impact important sur l’expérience vécue et ces raisons ne sont pas toutes aussi bénéfiques pour le travailleur et l’organisation. Les employés dont les besoins psychologiques universels d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale sont frustrés disent posséder moins de vitalité et avoir de plus fortes propensions à quitter leur entreprise. Ces résultats concordent avec ceux d’études précédentes ayant démontré que la satisfaction ou la frustration des besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale explique une part supplémentaire des raisons qui incitent les travailleurs à demeurer en emploi, à être performants, à adopter plus de comportements de citoyenneté individuelle et organisationnelle (faire plus que ses tâches, aller au‐
delà des attentes), à vivre moins d’épuisement et à avoir plus d’énergie disponible, en plus de mettre plus d’effort dans leur travail. C’est donc dire qu’au‐delà des simples besoins matériels et économiques, la satisfaction des besoins psychologiques serait un important prédicteur du fonctionnement optimal au travail, que les organisations devraient prendre en considération. Non seulement le fait de travailler principalement pour des motifs extrinsèques, comme l’argent, apporte‐t‐il plus d’épuisement émotionnel pour le travailleur, mais il semble que la rémunération contingente (de type pay‐for‐performance) amplifie le fait de travailler pour ces raisons. La rémunération contingente augmente effectivement l’effort au travail, mais a aussi un certain coût psychologique qui se traduit par une augmentation du niveau d’épuisement émotionnel lié au travail. Malgré le fait qu’ils perçoivent comme plus important et qu’ils reçoivent effectivement un plus grand pourcentage de leur rémunération sous forme de rémunération variable, les employés du secteur privé se disent moins satisfaits de leur rémunération. 2 1. La motivation au travail : son rôle explicatif dans la relation entre les pratiques et les conséquences de la rémunération La motivation se définit comme l’énergie qui pousse un individu à adopter certains comportements en vue de l’atteinte d’un ou de plusieurs objectifs. Étant un concept multidimensionnel, on l’évalue généralement selon trois caractéristiques : 1) la direction, 2) la durée et 3) l’intensité (Ryan & Deci, 2000). Ainsi, on peut non seulement dire d’une personne qu’elle est faiblement ou fortement motivée, mais aussi selon quels types de motivation. Selon la théorie de l’autodétermination (Gagné & Deci, 2005), une théorie de la motivation qu’il est possible d’appliquer en milieu de travail, il existerait quatre types de motivation (voir la figure 1) qui se situent sur un continuum d’autodétermination du comportement allant d’une forme de motivation complètement autonome, à une forme de motivation dite contrôlée, voire à l’absence complète de motivation. Plus précisément, la motivation intrinsèque, que l’on retrouve à l’extrémité « autonome » du continuum, est un type de motivation exempt de toute forme de pression externe ou interne. Un individu qui serait motivé intrinsèquement par rapport à son travail dirait qu’il effectue ses tâches et responsabilités pour le simple plaisir que cela lui procure et pour l’intérêt qu’il porte à son travail. La motivation identifiée, qui suit tout juste la motivation intrinsèque sur le continuum de l’autodétermination est, quant à elle, représentée par la réalisation d’une tâche ou d’une activité qu’un employé estime être importante pour lui. Toutefois, cela ne signifie pas que cette tâche ou activité soit perçue comme intéressante à ses yeux; il est possible que cette tâche soit au contraire difficile ou inintéressante. Si on demandait à un employé motivé de façon identifiée les raisons pour lesquelles il fait son travail, il pourrait répondre, par exemple, que c’est parce que celui‐ci est en concordance avec ses valeurs personnelles. La forme de motivation suivante sur le continuum, la motivation introjectée, est alimentée par des pressions internes qui poussent un individu à agir. La fierté, la culpabilité ou l’anxiété vécues par un employé sont des exemples de telles pressions l’amenant à se sentir obligé de participer à une tâche ou activité. Ainsi, quelqu’un qui s’engage dans un projet principalement pour préserver sa réputation serait dit motivé de façon introjectée. À l’autre bout du continuum, l’extrémité « contrôlée », se trouve la motivation extrinsèque qui correspond au fait de s’engager dans une activité afin d’obtenir une récompense (ex. : salaire) ou d’éviter une punition (ex. : perdre son emploi). Un employé motivé pour de telles raisons pourrait affirmer qu’il fait son travail principalement pour la sécurité d’emploi qu’il en retire (Gagné, Forest, Gilbert, Aubé, Morin & Malorni, 2010). Finalement, comme il est également possible qu’une personne soit tout à fait désintéressée par rapport à une activité en particulier, les auteurs de la théorie de l’autodétermination ont également suggéré l’« amotivation », soit l’absence totale de motivation, comme dernier concept qui s’ajoute à ces quatre types de motivation pour dresser un portrait complet des motifs qui déterminent les comportements humains. En outre, la théorie de l’autodétermination postule qu’il existe trois besoins psychologiques innés : l’autonomie ou le besoin de pouvoir choisir ses activités et comportements; le besoin de compétence ou le besoin de se sentir bon dans ce que l’on entreprend; et enfin le besoin d’affiliation sociale ou encore le besoin de se sentir liés aux personnes qui nous entourent (Forest & Mageau, 2008). Lorsque satisfaits, ces besoins mènent généralement aux motivations intrinsèque et identifiée, alors que frustrés, ils mènent habituellement aux motivations introjectée et extrinsèque. 3 Un aspect intéressant de cette théorie réside dans le lien qui peut être établi entre différents types de motivation et les conséquences sur les attitudes et comportements qu’ils engendrent chez les employés. Notamment, selon les résultats de recherches précédentes, il semblerait que la présence de motivation extrinsèque en trop grande proportion par rapport aux autres types de motivation, ou la frustration de besoins psychologiques d’autonomie, compétence et affiliation sociale, entraîne des conséquences défavorables, par exemple, au niveau de la santé et de la performance des employés. À l’inverse, la présence de motivation autodéterminée en plus grande proportion par rapport aux autres types de motivation, ou la satisfaction des besoins psychologiques, entraîne des conséquences positives chez les individus quant à leur performance et leur santé (Baard, Deci & Ryan, 2004; Gagné & Deci, 2005). 2. Description de l’échantillon des répondants L’échantillon est composé de 836 personnes invitées à répondre à un questionnaire en ligne au cours du printemps 2011. Voici le détail des caractéristiques des participants de cet échantillon et des organisations pour lesquelles ils travaillent : •
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Sexe : o
o
o
Âge : o
603 femmes (72,1 %); 231 hommes (27,6 %); 2 personnes n’ont pas répondu à cette question (0,2 %). L’âge moyen des répondants est de 38,39 ans (écart‐type = 10,01 ans). ƒ 200 personnes appartiennent à la génération Y, nées après 1981 (23,9 %); ƒ 491 personnes de la génération X, nées entre 1962 et 1981 (58,7 %); ƒ 145 personnes de la génération des baby‐boomers, nées avant 1962 (17,3 %). Statut d’emploi : o 782 employés à temps plein (93,5 %); o 14 employés à temps partiel (1,7 %); o 28 employés contractuels (3,3 %); o 10 personnes sans emploi actuellement (1,2 %); o 2 personnes n’ont pas répondu à cette question (0,2 %). Ancienneté dans le poste : o L’ancienneté moyenne dans le poste est de 4,27 ans (écart‐type = 4,68 ans). ƒ 403 employés ont moins de 3 ans d’expérience dans leur emploi (48,2 %); ƒ 241 employés ont 3 à 5 ans d’expérience (28,8 %); ƒ 96 employés ont 6 à 9 ans d’expérience (11,5 %); ƒ 56 employés ont 10 à 14 ans d’expérience (6,7 %); ƒ 21 employés ont 15 à 19 ans d’expérience (2,5 %); ƒ 19 employés comptent 20 ans ou plus d’expérience (2,3 %). Ancienneté dans l’organisation : o L’ancienneté moyenne dans l’organisation est de 6,14 ans (écart‐type = 6,71 ans). ƒ 301 employés ont moins de 3 ans d’ancienneté dans la même organisation (36 %); ƒ 246 employés ont 3 à 5 ans d’ancienneté (29,4 %); ƒ 120 employés ont 6 à 9 ans d’ancienneté (14,4 %); 4 •
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ƒ 81 employés ont 10 à 14 ans d’ancienneté (9,7 %); ƒ 31 employés ont 15 à 19 ans d’ancienneté (3,7 %); ƒ 57 employés ont 20 ans ou plus d’ancienneté (6,8 %). Syndicalisation : o 54 personnes occupent un emploi syndiqué (6,5 %); o 779 occupent un emploi non syndiqué (93,2 %); o 3 personnes n’ont pas répondu à cette question (0,4 %). Catégorie professionnelle : o 15 employés travaillent comme agent/commis de bureau (1,8 %); o 18 employés travaillent comme technicien (2,2 %); o 467 employés travaillent comme professionnel/conseiller (55,9 %); o 113 employés ont un titre de gestionnaire (13,5 %); o 221 employés portent le titre de directeur (26,4 %); o 2 personnes n’ont pas répondu à cette question (0,2 %). Titre professionnel : o 667 personnes portent le titre de CRHA ou CRIA (79,8 %); o 167 personnes ne portent pas officiellement le titre de CRHA ni CRIA (20 %); o 2 personnes n’ont pas répondu à cette question (0,2 %). Taille de l’organisation : o 149 des personnes travaillent pour des entreprises qui emploient moins de 100 personnes (17,8 %); o 274 personnes travaillent pour des entreprises de 101 à 500 employés (32,8 %); o 101 personnes travaillent pour des entreprises de 501 à 1000 employés (12,1 %); o 166 personnes travaillent pour des entreprises de 1001 à 5000 employés (19,9 %); o 146 personnes travaillent pour des entreprises qui comptent plus de 5000 employés (17,5 %). Type d’organisation : o 283 personnes travaillent pour des organisations du système public (33,9 %); o 550 personnes travaillent pour des entreprises privées (65,8 %); o 3 personnes n’ont pas répondu à cette question (0,4 %). 5 3. Portrait de la rémunération chez les répondants Cette section présente le portrait de la rémunération chez les répondants de l’enquête, notamment en termes de salaire annuel avant impôt, mode de rémunération (fixe ou variable), pourcentage de rémunération variable (lorsqu’applicable) et nature des avantages sociaux reçus. 3.1. Salaire de base : En moyenne, le salaire de base annuel avant impôt des répondants est de 71 310,40 $ (écart‐type = 26 436,39 $). Voici la répartition des répondants selon leur salaire de base annuel avant impôt : 1,20 %
0,60 %
2,87 %
0,72 %
3,83 %
9,57 %
Moins de 20 000 $
20 000‐29 999 $
30 000‐39 999 $
13,52 %
8,37 %
40 000‐49 999 $
50 000‐59 999 $
60 000‐69 999 $
9,21 %
15,55 %
70 000‐79 999 $
80 000‐89 999 $
90 000‐99 999 $
17,22 %
100 000‐149 999 $
17,34 %
150 000‐199 999 $
200 000 $ ou plus
3.2. Avantages sociaux : •
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797 répondants possèdent des assurances collectives offertes par leur employeur (95,3 %), tandis que 39 des répondants n’en ont pas (4,7 %); 641 personnes bénéficient d’un régime de retraite avec leur employeur (76,7 %), alors que 195 personnes n’en ont pas (23,3 %); Enfin, 375 personnes ont une allocation de dépenses (44,9 %), alors que 461 personnes n’en ont pas (55,1 %). 6 3.3. Rémunération variable : Les résultats montrent que la majorité des répondants (52,39 %) reçoivent une rémunération constituée d’un salaire de base, comme l’illustre le graphique suivant : Salaire de base, sans prime à la performance 0,24 %
Bonification ou commission, sans salaire de base
17,34 %
Salaire de base plus une bonification selon leur performance individuelle 5,50 %
52,39 %
Salaire de base plus une bonification selon leur performance de groupe
24,04 %
Salaire de base plus une bonification selon leur performance organisationnelle Pas de réponse
0,48 %
3.4. Pourcentage de rémunération variable : En moyenne, la portion de la rémunération des répondants accordée en fonction de leur performance est de 6,18 % (écart‐type = 9,86 %). Voici la répartition des répondants selon le pourcentage de la rémunération variable qu’ils reçoivent : 0,72 %
1,20 %
2,51 %
0,36 %
0,12 %
2 % ou moins du salaire 3 à 5 % du salaire 12,20 %
6 à 10 % du salaire 11 à 20 % du salaire 21 à 30 % du salaire 19,38 %
53,83 %
31 à 40 % du salaire 41 à 50 % du salaire 51 à 75 % du salaire 9,69 %
76 % ou plus du salaire 7 4. Quelques résultats préliminaires Dans les sections qui suivent, divers résultats concernant la rémunération des répondants seront présentés. Il est important de rappeler que dans le cadre du présent projet de recherche, la motivation au travail est considérée sous l’angle d’un mécanisme explicatif, liant certaines pratiques de rémunération à leurs conséquences (voir figure 1). En ce sens, voici quelques résultats succincts démontrant comment agissent ces divers types de motivation. 4.1. Les récompenses contingentes à la performance, la motivation et leurs diverses conséquences : •
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Le fait de percevoir les récompenses contingentes à la performance comme étant présentes dans son travail serait lié à plus de satisfaction par rapport à sa rémunération, à plus d’efforts fournis dans la réalisation de son travail, mais aussi à plus d’épuisement émotionnel lié au travail. Le fait de percevoir les récompenses contingentes à la performance comme quelque chose d’important dans son travail prédirait également le fait d’être motivé de façon contrôlée, plutôt que d’être motivé de façon autonome. Ainsi, il est possible d’affirmer que la rémunération est une condition nécessaire, mais non suffisante pour une motivation de qualité. Le fait d’avoir une motivation dite contrôlée prédirait diverses conséquences pour les employés, notamment une plus grande satisfaction par rapport à la rémunération reçue, la production d’un plus grand effort dans son travail et aussi un plus grand épuisement émotionnel lié à son travail. Bien qu’informatives, ces relations directes en disent peu quant à l’application pratique de tels résultats. Cependant, si l’on tient compte de l’ensemble de ces variables, il est possible de tirer les conclusions suivantes : •
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Les personnes qui perçoivent la rémunération contingente comme importante dans leur emploi fournissent plus d’efforts au travail, mais ces efforts seraient, en partie, le résultat du développement d’une motivation contrôlée envers ce travail, c’est‐à‐dire que l’intensification des efforts est motivée par l’attente d’une récompense ou le désir d’éviter une punition. Les personnes qui perçoivent la rémunération contingente comme importante dans leur emploi ont tendance à vivre plus d’épuisement professionnel. La motivation contrôlée qu’ils ont envers leur travail est un des mécanismes explicatifs de cette relation. Autrement dit, les travailleurs avec une motivation contrôlée ressentiraient une pression externe qui les pousserait au bout de leurs forces, jusqu’à l’épuisement. 8 4.2. Quelques autres mécanismes explicatifs intéressants : Il a été démontré que la motivation au travail constitue un facteur déterminant pour expliquer la satisfaction par rapport à sa rémunération, les efforts au travail et l’épuisement émotionnel. Toutefois, les explications suivantes nous apparaissent également possibles et intéressantes : •
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Un résultat particulièrement parlant et qu’aucun responsable de la rémunération ne devrait ignorer concerne l’équilibre fragile existant entre la relation liant la rémunération contingente à l’effort supplémentaire qu’est prêt à fournir un employé pour obtenir un bonus, et la relation liant ce bonus potentiel au risque d’épuisement émotionnel pesant sur l’employé désireux de l’obtenir. En effet, lorsque considérées simultanément, il est possible de déduire de ces trois variables que plus un employé accorde de l’importance à la rémunération contingente, plus il risque de vivre de l’épuisement, en grande partie parce qu’il déploie un effort trop grand pour réaliser ses tâches. Ainsi, il est légitime de voir au‐delà des seuls effets positifs de la rémunération contingente. De plus, il est important de noter ici que les résultats des analyses menées jusqu’à présent montrent que cette relation est particulièrement forte. Deux autres éléments peuvent intervenir pour expliquer la relation qui lie les récompenses contingentes à une plus grande satisfaction par rapport à la rémunération. Il s’agit notamment de la perception de justice et d’équité qu’a l’employé de la rémunération qu’il reçoit. Ainsi, il s’avérerait particulièrement important pour les praticiens de la rémunération de s’assurer de l’équité et de la justice de leur système s’ils veulent que leurs pratiques de rémunération contingente soient satisfaisantes pour les employés. Par ailleurs, il semblerait qu’une raison pouvant expliquer pourquoi les personnes qui reçoivent une rémunération contingente sont plus prédisposées à fournir des efforts au travail soit la satisfaction par rapport à leur rémunération. Ceci vient donc souligner davantage l’importance pour les entreprises de fournir une rémunération qui saura satisfaire leurs employés, c’est‐à‐dire une rémunération juste et équitable. 4.3. La satisfaction par rapport à la rémunération en tant qu’antécédent : Comme la satisfaction de la rémunération peut à la fois être vue comme un antécédent et une conséquence dans le modèle proposé, d’autres analyses ont été conduites afin de voir comment cette variable pouvait prédire les autres attitudes et comportements des employés. Voici donc quelques résultats intéressants : •
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La satisfaction par rapport à la rémunération prédit le déploiement d’un plus grand effort au travail, une plus faible intention de quitter son organisation, mais également un plus grand épuisement émotionnel chez les répondants de cette étude. La satisfaction par rapport à la rémunération prédit une plus grande motivation contrôlée chez les participants. De ces relations directes peuvent également être déduites des relations plus complexes, notamment pour expliquer les résultats surprenants liant la satisfaction par rapport à sa rémunération et l’épuisement émotionnel des employés ainsi que la satisfaction par rapport à sa rémunération et une motivation contrôlée : •
Par exemple, selon les résultats des analyses, la satisfaction par rapport à sa rémunération apporterait une contribution significative pour prédire l’épuisement émotionnel, de telle sorte que plus une personne serait satisfaite de sa rémunération, plus elle présenterait de risques d’épuisement. Bien que ce résultat puisse sembler complètement contre‐intuitif, une explication basée sur la théorie de l’autodétermination peut être avancée, à savoir que pour se dire satisfait de sa rémunération, il est nécessaire d’y avoir préalablement 9 •
réfléchi. Or, le simple fait de porter à l’attention de quelqu’un sa rémunération peut être ressenti par celui‐ci comme une forme de contrôle externe et ainsi le mener à développer une motivation dite « contrôlée », c’est‐à‐dire à accorder moins d’importance au travail lui‐même pour se concentrer sur la pression ressentie et y répondre (Murayama, Matsumoto, Izuma & Matsumoto, 2010). Ce serait alors le fait d’avoir ce type de motivation qui viendrait expliquer la relation entre la satisfaction de la rémunération et l’épuisement chez un employé. Une autre explication à la relation surprenante découverte entre la satisfaction par rapport à la rémunération et l’épuisement émotionnel déduite des résultats obtenus jusqu’à maintenant toucherait l’effort fourni par les employés. En effet, selon la norme de réciprocité (Gouldner, 1960), quelqu’un qui est satisfait de sa rémunération voudra probablement aider son organisation, en retour de la rémunération satisfaisante qu’il en reçoit. Ainsi, cet employé pourrait vouloir fournir des efforts intenses et soutenus dans son travail, mais finir par s’épuiser à la tâche. Selon ces résultats, tout porte à croire que la réciprocité économique ait un coût psychologique important. Enfin, dans un cas comme dans l’autre, il est important de mentionner que ces relations apparaissent comme fortes et significatives dans les résultats préliminaires. Des études supplémentaires devront être réalisées pour mieux comprendre cette dynamique. 4.4. Qu’arrive‐t‐il si les besoins psychologiques d’un employé sont frustrés? En milieu organisationnel, une variable d’intérêt pour les gestionnaires et responsables des ressources humaines est bien sûr la motivation. Dans la figure dépeinte plus haut, on peut voir qu’à la source du développement des diverses formes de motivation se trouvent les besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale. Voici donc quelques résultats des analyses effectuées jusqu’à maintenant concernant ces besoins : •
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Un des facteurs importants pour expliquer la démotivation chez les employés, démotivation qui selon les résultats d’études précédentes mènerait à des conséquences négatives autant pour l’employé que pour l’entreprise, serait la frustration des besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale. Ainsi, s’il n’est pas possible pour une entreprise de satisfaire tous les besoins psychologiques de ses employés, il demeurerait d’une importance capitale de s’assurer au moins de ne pas les frustrer. Quant aux conséquences négatives que cette frustration peut entraîner chez un employé, il semblerait, par exemple, que plus ses besoins innés et universels d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale sont frustrés, moins celui‐ci se sentira rempli de vitalité, c’est‐à‐dire vivant, plein d’énergie et alerte au travail. Et quant aux conséquences négatives que cette frustration peut avoir pour un employé, il semblerait que plus ses besoins psychologiques sont frustrés dans le cadre de son travail, plus cette personne aura de fortes intentions de quitter son organisation. 10 4.5. Travailler dans une organisation publique ou privée : quelles différences? Des analyses ont été conduites afin de vérifier s’il existait des différences statistiques entre les employés d’organisations de type public et ceux d’entreprises privées, par rapport à diverses variables reliées à leur rémunération. En effet, il est légitime de se demander si les employés du secteur privé sont différents des employés du secteur public. Plus précisément, sont‐ils motivés par des pratiques différentes en termes de rémunération ou, au contraire, y a‐t‐il des pratiques universellement bonnes ou mauvaises en la matière? En fait, les résultats des analyses ont permis de découvrir que, comparativement aux personnes travaillant dans une organisation publique (moyenne = 3,08 sur une échelle de 1‐pas du tout en accord à 7‐tout à fait en accord), les personnes travaillant dans les entreprises privées croient que les récompenses contingentes à leur performance occupent une place plus importante dans leur emploi (moyenne = 3,40). En cohérence avec cette différence, il semble que les personnes travaillant dans les entreprises privées reçoivent une plus grande part de leur rémunération sous forme de rémunération variable (moyenne = 7,74 %), par rapport à leurs collègues des organisations publiques (moyenne = 3,83 %). Enfin, résultat intéressant, malgré le fait qu’elles reçoivent des bonis à la performance, augmentant ainsi potentiellement leur revenu d’emploi, les personnes travaillant dans les entreprises privées seraient moins satisfaites de leur rémunération, plus précisément de leur niveau de salaire, de leurs avantages sociaux et de la façon dont est administrée leur rémunération, que les personnes travaillant pour les organisations publiques. Ces dernières seraient en effet satisfaites de leur rémunération et plus précisément de leur niveau de salaire, de leurs avantages sociaux et de la façon dont est administrée leur rémunération. Ce résultat contre‐intuitif étant plutôt intrigant, d’autres analyses quant aux conséquences de la rémunération et de la motivation sur différentes attitudes et comportements au travail ont été effectuées afin de voir s’il existait également des différences à ce niveau entre les employés des entreprises privées et ceux du secteur public. Voici à ce sujet quelques faits marquants quant aux conséquences divergentes des pratiques de rémunération dans les secteurs public et privé : •
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En segmentant l’échantillon en fonction du type d’organisation, on observe que, malgré les efforts au travail qu’elle engendre, plus la rémunération variable représente un pourcentage important du salaire d’un employé, plus elle a de risque d’aboutir à une réduction de la performance en termes de résultats chez les employés du secteur privé. Chez les employés du secteur public, il n’existe toutefois pas de différence significative. Des analyses supplémentaires seront effectuées avec de nouveaux échantillons afin d’éclaircir cette relation. Néanmoins, il faut noter que dans ce secteur, les employés reçoivent un pourcentage significativement moins important de rémunération variable, ce qui pourrait expliquer pourquoi l’effet sur la performance diffère entre les deux milieux. Plus encore, il semblerait que pour les employés du secteur public, le fait de percevoir leur rémunération comme contingente à leur performance puisse les amener à adopter des comportements contre‐productifs au travail, soit des comportements déviants dirigés vers l’organisation ou vers leurs collègues. Chez les employés du secteur privé, un tel effet n’a toutefois pas été relevé. Par ailleurs, les secteurs public et privé partageraient plusieurs similitudes quant aux conséquences des pratiques de rémunération suivantes : 11 •
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Les employés qui perçoivent que la rémunération contingente à leur performance est très importante au sein de leur entreprise ont tendance, dans les deux cas, à fournir des efforts pour accomplir au mieux les tâches qui leur sont assignées, à être satisfaits de leur rémunération et à être épuisés émotionnellement. Un facteur déterminant pour expliquer la satisfaction ressentie vis‐à‐vis la rémunération résiderait dans la nature équitable ou non de la rémunération offerte aux employés d’organisations publiques comme privées de même que dans les principes de justice appliqués par le système de rémunération dans leur entreprise. En somme, il semblerait qu’au public comme au privé, une bonne pratique pour motiver les gens soit de leur offrir une rémunération qui semble juste et équitable à leurs yeux lorsqu’ils se comparent à des personnes occupant des postes similaires dans leur organisation et à l’extérieur, et lorsqu’ils prennent en considération leur rendement personnel. En résumé, cela contredit, en partie, les croyances selon lesquelles il serait justifié d’adopter des pratiques de rémunération différentes dans les organisations publiques et les entreprises privées en raison de leur contexte singulier, puisque pour plusieurs résultats obtenus, la rémunération contingente à la performance semble engendrer les mêmes conséquences positives et négatives chez les employés des deux secteurs, bien qu’à des niveaux parfois différents. 12 Conclusion En terminant, il importe de mentionner que les analyses reliées à ce projet de recherche se poursuivront, les résultats rapportés ici ne représentant que les analyses préliminaires réalisées à ce jour. De plus, un article dans la revue officielle de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Effectif, est prévu à l’hiver 2012 afin de rapporter les résultats plus complets de cette étude. Nous allons également publier des articles scientifiques plus pointus sur différentes parties du modèle. Par ailleurs, d’autres organisations ont déjà démontré leur intérêt à participer à des projets sur le même thème, ce qui permettra d’étudier plus à fond les effets de la rémunération sur la motivation au travail des employés et de découvrir si les mêmes résultats se répètent dans différents contextes. Si la motivation au travail vous intéresse et que votre organisation est d’accord pour participer à une étude sur les effets motivationnels de la rémunération, nous vous invitons à communiquer avec le chercheur responsable du projet M. Jacques Forest ([email protected] ou 514 987‐3000, poste 3310) pour de plus amples renseignements. 13 Bibliographie : Baard, P., Deci, E. L. & Ryan, R. M. (2004). Intrinsic need satisfaction: A motivational basis of performance and well‐
being in two work‐settings. Journal of Applied Social Psychology, 34, 2045‐2068. Forest, J. & Mageau, G. (2008). La motivation au travail selon la théorie de l’autodétermination. Psychologie Québec, 25, 33‐36. Gagné, M. & Deci, E. L. (2005). Self‐determination theory and work motivation. Journal of Organizational Behavior, 26, 331‐362. Gagné, M. & Forest, J. (2008). The study of compensation systems through the lens of Self‐determination theory: Reconciling 35 years of debate. Canadian Psychology, 49, 225‐232. Gagné, M., Forest, J., Gilbert, M‐H., Aubé, C., Morin, E. & Malorni, A. (2010). The motivation at work scale: validation evidence in two languages. Educational and Psychological Measurement, 70, 628‐646. Gouldner, A. W. (1960). The norm of reciprocity: A preliminary statement. American Sociological Review, 25, 161‐178. Murayama, K., Matsumoto, M., Izuma, K. & Matsumoto, K. (2010). Neural basis of the undermining effect of monetary reward on intrinsic motivation. Proceedings of the National Academy of Science of the United States of America, 9 p. Ryan, R. M. & Deci, E. L. (2000). Self‐determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well‐being. American Psychologist, 55, 68‐78. 14 
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