PRISMES / REVUE PÉDAGOGIQUE HEP / N
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3 / NOVEMBRE 2005
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Un philosophe contemporain se moque de la
tendance, très tendance, qui privilégie les raci-
nes grecques aux latines : on ne parle plus guère
de l’âme mais du psychisme (la psychothérapie a
remplacé la cure d’âme), et l’éthique sonne déci-
dément moins ringard que la morale… Alors, va
pour l’éthique, mot suffisamment vague pour
susciter le consensus, suffisamment sérieux pour
faire savant, suffisamment grec pour faire cul-
turel ! Mais fallait-il sacrifier à la mode qui veut
ennoblir le trivial en lui adjoignant une pin-
cée d’éthique ? Ces dernières années surtout,
l’éthique prolifère en effet comme un cham-
pignon sur tous les terrains : éthique du sport,
du commerce, de la publicité… Décidément,
trop d’éthique tue l’éthique, qui n’aime guère
le pluriel, se méfie du tapage et préférerait
sans doute être plus présente dans les rapports
humains et moins dans les mots.
Mais nous avons accepté de relever, après
d’autres, le défi, pour quelques raisons dont on
jugera en nous lisant la pertinence.
Le retour de l’éthique, une chance à saisir
Certes, l’éthique omniprésente cherche sans
doute à cacher sa disparition progressive dans
la vie réelle. On lui appliquerait volontiers les
pages célèbres de Marx sur la religion : «La
religion est le soupir de la créature opprimée,
l’âme d’un monde sans cœur…», où l’éthique
proclamée servirait à masquer la dureté immo-
rale des rapports humains. Mais son retour est
aussi une chance à saisir, comme le montre la
profonde réflexion d’Eric Walther qui ouvre ce
numéro, comme «signal qu’un temps opportun
est arrivé pour permettre à nos sociétés, et à
chaque membre de cette société, de faire un pas
vers une plus grande humanité». Prenons donc
au mot ce beau mot pour nous guider dans
notre réflexion permanente sur notre métier
d’enseignant.
L’éthique, garde-fou dans une relation
inégalitaire
Ce numéro est aussi l’occasion de préciser
ce qu’éthique veut dire : l’article exigeant de
Pierre-André Stucki rappelle sa source dans la
philosophie de Kant, et montre combien l’éthi-
que doit nous protéger contre notre tendance
«naturelle» à vouloir maîtriser notre relation
aux élèves : je puis connaître leur comporte-
ment, leurs résultats, mais jamais ce qu’ils sont
en eux-mêmes, et je ne puis donc jamais juger
leur personne. Que c’est facile à dire, et diffi-
cile à respecter dans notre relation dominante
de maître ! L’éthique ainsi éclairée nous permet
donc de redonner du sens à un autre mot gal-
vaudé, celui de respect, et d’éclairer par exem-
ple la différence entre autorité et pouvoir. Enfin,
le résumé d’une étude superbement vivante sur
les débats qui animaient les débuts de l’école
obligatoire dans la région de Nyon nous per-
met non de relativiser, mais de découvrir au
contraire la permanence profonde de questions
éthiques fondamentales.
Quelques pistes
Ces bases solides permettent d’élargir la
réflexion de manière plus tranquille, moins
polémique, à quelques thèmes importants :
confrontation des valeurs dans une école où
se heurtent des cultures diverses, éducation à
la citoyenneté et ouverture au monde de nos
élèves (ce qu’on pourrait appeler une éthique
sociale), bref : tout ce qui peut inciter nos élèves
à «ne pas faire n’importe quoi», à faire peut-
être même un peu mieux que nous !
Et Philomène…
On trouvera encore dans ce numéro quelques
encarts sur une question de nombril d’adoles-
cente. Parce que l’enseignant se trouve parfois
confronté à ces situations qui, sans être dramati-
ques, l’interrogent et le confrontent à la société
et aux mœurs. C’est ainsi que, pour ouvrir plus
largement le débat, nous avons proposé à plu-
sieurs personnalités qui s’intéressent à l’école
(du monde politique, médical, enseignant,
etc.) une brève étude de cas. Nous tenons à les
remercier de leurs nombreuses réponses.
Le Comité de rédaction
PARLER D’ÉTHIQUE, QUAND MÊME
Edito