nouvelles avancées du management

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NOUVELLES AVANCÉES
DU MANAGEMENT
(Q L'Harmattan,
2005
ISBN: 2-7475-8309-0
EAN : 9782747583091
Sous la direction de Luc MARCO
Professeur à l'Université Paris 13
Directeur du CREGEM
NOUVELLES AVANCÉES
DU MANAGEMENT
L'Harmattan
5-7,rue de l'ÉcolePolytechnique
75005 Paris
FRANCE
L 'Harmattan Hongrie
Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Degli Artisti, 15
10124 Torino
ITALIE
Du même coordonnateur
I.
Chez le même éditeur
La montée des faillites en France XIX-U
(collection « Logiques économiques)}).
siècles, 1989
Les revues d'économie en France: genèse et actualité, 1996
(ouvrage collectif).
Contributions à la Revue d'Economie Politique, 2002
(édition critique d'articles de Charles Gide, avec C. Quinet).
II.
Chez d'autres éditeurs
Ecrire et publier dans une revue scientifique, Paris, Editions
d'Organisation, 1993 (avec J. Devillard).
Le jugenlent des pairs ou I 'histoire d'un classique de la
pensée économique, Paris, Edi-Gestion, 2004.
Petit dictionnaire d'économie et de management de la santé,
Paris, Presses Universitaires de France, 2005 (à paraître, en
collaboration avec H. Bui Quang).
Entrepreneur et décision: de l'intention à l'acte, Paris,
Editions Eska, 2005 collection « Stratégie)} (à paraître, en
collaboration avec E.-M. Hernandez).
SOMMAIRE
Avant-propos.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
I. Luc Marco, « Progrès ou stagnation du
». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
ll. Andy Arléo et Emile-Michel Hernandez,
« Postmodernité et sciences de gestion». . . . . . . . . .
19
ill. Isabelle Barth, « Mise en perspectives
sociologiques du monde marchand» . . . . . . . . . . . . .
59
IV. Godefroy Amkampese Kizaba, « Supply chain:
valeurs du réseau et alliances stratégiques». .
95
V. Bruno Salgues, « La méthode du fou du roi ». . .
141
VI. Thérèse Ciesielczyk et Jan Stepniewski,
« Management opérationnel et comptabilité»
. . . . . .
169
vu. Hien Bui Quang, « Le management des
maisons de retraite: une question d'avenir» . . . . . . .
197
Vill. Bernard Guillon, « Stratégie d'un réseau de
tramway: le cas de l'agglomération bordelaise». . . .
229
IX. Elisabeth Noël-Huraux, « Autonomie de
décision du malade et pratiques de soins» . . . . . . . .
249
Table
267
Management?
des matières.
..........................
Collection « Recherches en Gestion »
Programme éditorial
I. Management & Stratégie
1. Nouvelles avancées du Management, ouvrage collectif,
2005.
2. Environnen1ent et managen1ent, en préparation, 2006.
II. Marketing
& Design
3. Les courants actuels de recherche en n1arketing, ouvrage
collectif à paraître en 2005.
4. Les fondations du Design (Design foundations), sous la
direction de Jean-Pierre Mathieu, à paraître en 2005
(bilingue français/anglais).
ill. Finances & Contrôle
5. Evolution et nature des coûts n1édico-sociaux, en
préparation, par Hien Bui Quang et Luc Marco, 2006.
IV. Histoire & sciences sociales
6. Histoire de la gestion en France: pistes et débats, par
Luc Marco, en préparation, 2006.
7. La banlieue française: une histoire inachevée et des
perspectives incertaines, par Youssef Chiheb, en
préparation, 2006.
AVANT-PROPOS
Les textes réunis dans ce volume, qui inaugure la nouvelle
collection «Recherches en gestion », ont été présentés lors du
troisième colloque MSTM (Méthodes, Sciences et Thématiques
pour le Marketing) qui s'est déroulé le jeudi 17 juin 2004 sur le
site de l'Illustration à Bobigny. Il a été organisé, à l'initiative du
CREGEM, dans les locaux de l'IUT de Bobigny, dont nous
remercions le directeur pour son soutien. Le financement a été
apporté par le département Techniques de Commercialisation de
l'IUT de Saint-Denis dont nous remercions aussi le responsable.
Ce colloque comportait deux sessions parallèles: l'une était
consacrée au marketing, l'autre au management. C'est celle-ci
qui est ici éditée, l'autre le sera dans un prochain volume de la
collection. Le thème général concerne les nouvelles avancées du
management, étant donné que cette discipline n'a cessé de
progresser depuis son invention du temps de Taylor et Fayol.
Les auteurs qui nous ont fait l'amitié de participer à ce
colloque sont ici chaleureusement remerciés. Il s'agit de Andy
Arléo, professeur d'Anglais, d'Isabelle Barth, maître de
conférences à l'Université Lyon 3, de Hien Bui Quang,
enseignant à l'Université Paris 13, de Thérèse Ciesielczyck,
enseignant-chercheur à l'Académie d'économie de Wroclaw
(Pologne), de Bernard Guillon, maître de conférences à l'IUT de
Bayonne, d'Emile-Michel Hernandez, professeur à l'Université
de Reims, de Godefroy Kizaba, enseignant à l'Université du
Littoral, de Bruno Salgues, directeur d'études à l'Institut
National des Télécommunications, et de Jan Stepniewski, maître
de conférences à l'IUT de Bobigny. Les contributeurs dont les
textes n'ont pas été retenus sont aussi remerciés pour leur
participation.
L. Marco
LISTE DES FIGURES
Figure 1. Similitude des théories du management. . . . . . . . . ... . . . . . . . .. ...
Figure 2. Similitudes et différences entre les deux disciplines. . . . . .
Figure 3. Les quatre étapes de la GRH. . . . . . .. . . . . . .. . . . . .. .. . .. . . . . . . . . ..
Figure 4. Les relations entre l'amont et l'avaL..
Figure
5. Cadre et éléments
de prise de décision.
...
... .......
.. ... ... ... ... ... ... ....
Figure 6. Les composants fondamentaux d'une Supply Chain... ... ...
Figure
7. Dualité
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
8. Quelques statistiques d'évolution de la distribution..........
9. Logistique étendue de la filière « Produits de la Mer». ....
10. Analyse de la pertinence... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ....
Il. Les niveaux d'identification de la personne atypique. .. ...
12. Le contenu d'identification de la personne atypique........
13. Les trois parties du guide d'entretien
....................
14. Grille d'analyse Contenu/Structure du discours. .. ... ... ....
15. Grille de différenciation
...................
16. Interaction de Bales... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
des risques.
Figure
17. Listing
des inférences.
.. ... ... ... ... .. . ... ... ... ... .. . ... ... ....
Figure
18. Grille
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
Figure
19. Condition de succès.. . .. . .. . .. . ... .. . .. . .. . ... .. . .. . ... .. . .. . .. .
20. Le diagnostic externe..........................................
21. Quelques données régionales comparatives. .. ... ... ... ...
22. Données récentes sur I'hébergement en France. .. ... ... ....
23. La chaîne de valeur d'après M. Porter... .. . .. . .. ... . ... ...
24. Les principaux axes du management des lvIDR... ... .. . .. ..
25. Les relations du tableau de bord prospectif avec les axes
stratégiques.
du marketing.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. ...
.. ... ... ... ... .. . .. . . .. . .. ... ... ... ... ... ....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .
Figure 26. Les élénlents de la vision stratégique... ... ... ... ... ... ... .. ..
Encadré 1. Financement de la deuxième phase d'installation: espoirs
et prévisions.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .
Il
12
52
104
109
111
115
124
135
144
146
147
148
153
154
156
157
157
158
205
207
208
212
217
222
225
244
I. Progrès ou stagnation
du management?
Luc Marco
Professeur en sciences de gestion
Université Paris 13- CREGEM
Résumé: Pour que le management connaisse des avancées notoires, il faut
qu'il soit susceptible de progrès. Si on l'assimile à une discipline appliquée
comme l'est la médecine, ce peut être le cas. En revanche, si on le considère
comme un domaine purement mécanique, une certaine stagnation se fait jour,
liée au cadre très contraignant de la comptabilité de gestion. Heureusement,
le management est aussi une science cybernétique qui croise ses concepts et
crée en pennanence de nouvelles notions. L'apparente stagnation des
prescriptions mises en œuvre sur le terrain est souvent contredite par le
progrès souterrain des théories managériales.
Mots-clés: Management, épistémologie, histoire, théories, évolution.
Le management est défini par le dictionnaire Lexis comme
«la science de la technique de direction et de gestion de
l'entreprise» (Dubois, 1977 : 1044). Il fut importé de l'anglais
vers 1921, alors que le mot n1anager remonte beaucoup plus
loin, à 1865 dans le sens d'entraîneur et à 1969 dans le sens
d'organisateur
d'entreprise (ibid.). La grande encyclopédie
Larousse précise qu'il s'agit d'un «ensemble de méthodes visant
à assurer le succès d'une entreprise, à la faire progresser et se
développer dans un environnement concurrentiel et mouvant
grâce au bon emploi de l'ensemble de ses ressources, notamment
de ses énergies humaines.» (Boucq, 1980 : 7550). Un encadré
précise que « dérivant de n1anus, la main, management signifie
"manœuvre ". Le manager est celui qui "met la main à la pâte ",
qui s'organise pour que "ça marche", qui s'adapte aux
changements.» (idem: 7551). Comme toute véritable science, le
management est donc susceptible de progrès, mais étant plus
qu'une science, cet ensemble hétérogène peut aussi stagner.
9
Le management ressemble à une montagne qui possède deux
versants bien distincts. Le versant théorique est composé des
neiges éternelles faites de concepts et de méthodes éprouvés. Il
fond lentement,
irriguant les pâturages
où paissent les
consultants. Le versant empirique est orienté plein sud et le
soleil de la mode fait vite fondre le glacier des pratiques en
vogue. Comme le conseil en management est un marché
florissant, ses fleurs fanent aussi rapidement que le vent ne
tourne. Mais le printemps revient toujours sur la montagne
merveilleuse des managers enchantés. Le fait de payer un prix
élevé pour des conseils bigarrés, irrigués de l'eau théorique
provenant du versant opposé, donne aux consultants l'illusion de
participer à la grande fonte des théories. Or l'eau est souvent sale
quand elle parvient aux pieds des champs. Il faut donc la filtrer
pour la rendre assimilable par les fleurs de la consultance.
Cette interaction entre la théorie et la pratique rend la
discipline "management" susceptible de progrès, mais ils sont
lents comme vont le montrer la plupart des chapitres de ce livre.
La perception de ces progrès dépend du point de vue que l'on
adopte. Si l'analogie avec la médecine l'emporte, alors la quête
du meilleur traitement sous un bon diagnostic dominera. Au
contraire, si l'on reste partisan d'une simple mécanique des
rouages administratifs, la stagnation sera patente. Enfin, si l'on
se laisse gagner par une approche cybernétique du management,
en ce cas le renouvellement des idées et des faits sera évident.
1. LA MÉCANIQUE DES ENTREPRISES,
UNE STAGNATION APPARENTE
Dans leur grand ouvrage consacré au nouvel esprit du
capitalisme, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont comparé la
littérature managériale sur deux décennies: les années 60 et les
années 90 (Boltanski-Chiapello,
1999 : 103-134). Ils qualifient
cette littérature de "sans mémoire", ce qui leur paraît normal si
celle-ci consiste en une mécanique bien huilée qui s'attaque aux
pannes et livre un service dépannage "clés en mains". Dans la
10
grande continuité des écrits managériaux les similitudes
quand même très nombreuses sur une trentaine d'années.
Figure
1. Similitude
des théories
Thèmes 1960
Direction par objectifs
aj Insatisfaction des cadres
-
du n1anagen1ent.
Thèmes 1990
Direction par réseaux
aj Rejet de la hiérarchie
refus de l'autoritarisme
~- refus de l'autoritarisme;
souplesse des carrières
~-
demande d'autonomie.
bj Difficultés du gigantisme
- décentralisation de la prise de
décision
- méritocratie pour les plus
~motivés
~clarification des buts imposés
par le haut.
sont
réduction du nombre de
niveaux hiérarchiques;
- demande de plus d'autonomie.
bj Small is beautiful
~- flexibilité des petites
structures
~- entrepreneuriat
- négociation pennanente.
Les mêmes auteurs assimilent en outre le management aux
sciences de l'ingénieur, version moderne de la mécanique sociale
du XIXe siècle (idem: 124). Nouvelle version améliorée d'une
machine dont on remplace peu à peu les éléments usés, le néomanagement n'a pas d'histoire autre que son renouvellement à
l'identique:
conserver les organisations intactes en vue de
défendre l'efficacité du couple marché/entreprise
face à ses
concurrents potentiels 1. D'où l'impression que la littérature
managériale évolue peu et qu'il faut brûler tous les cinq ans les
anciennes éditions des mêmes ouvrages. Mais cet autodafé
semble bien dangereux en dehors des livres de pure technique.
L'apparente stabilité des concepts comptables peut faire croire, à
tort, à la stagnation du management lui-même.
Michel Weill (1994) envisage le management comme un très
vaste mécanisme temporel d'évolution des entreprises. Il va donc
distinguer neuf étapes chronologiques distinctes: 1°. Le temps
1
Sur l'entreprise considérée connne une "pompe à richesses" chez Adam
Smith, voir le livre stimulant de Pierre Guillet de Monthoux (1993 : 35-42).
Il
des fondateurs d'empires (1840-1914) ; 2°. Le temps des
producteurs (1880-1914); 3°. Le temps des organisateurs (19101940) ; 4°. Le temps du marketing (1940-1967) ; 5°. Le temps
des modèles (1967-1980) ; 6°. Le temps des stratèges (19731982) ; 7°. Le temps de la qualité (1983-2000) ; 8°. Le temps
des ressources humaines (1983-2000) ; 9°. Le temps des
processus (1983-2000)2. On a donc une interaction permanente
entre les visions très spécialisées et la vision plus globale du
management.
A l'approche
microscopique
des rouages
mécaniques il faut substituer une approche plus macroscopique
du corps managérial.
2. LA MÉDECINE DES ORGANISATIONS,
UNPROGRÈSRÉGULŒR
Dans le grand cours d'initiation destiné aux étudiants
débutants en première année de l'Université Paris-Dauphine,
l'analogie entre gestion et médecine est longuement développée
(Roux-Soulié, 1992 : 23-26). Analogie régulièrement reprise par
les encyclopédies de management (Louart, 1999 : 554-555) bien
que l'épistémologie des deux disciplines diffère (Cohen, 1997).
Figure 2. Sin1ilitudes et différences entre les deux disciplines.
Points communs
Accumulation de c01ll1aissances
empiriques relatives à des situations
concrètes observées (autonomie
initiale de la Pratique).
Grande hétérogénéité des savoirs
empiriques qui implique une très
faible cohérence d'ensemble des deux
disciplines.
2
Points divergents
- Médecine
stabilité des objets
d'étude (les malades) ~
- Gestion:
instabilité des obj ets
d'études (les organisations) en raison
de l'évolution de l'enviro1ll1ement.
- Médecine:
méthode expérimentale
(Claude Bernard) ~
- Gestion:
méthode non
expérimentale (enquêtes, interviews,
analyse de d01ll1ées).
C'est nous qui rajoutons les périodes en fonction du texte et de notre
connaissance de ces phénomènes (LM).
12
Degré de formalisation variable selon
les sous-domaines:
Fort: biologie, finance,
marketing, TQG ;
Faible: homéopathie, GRH,
entre reneuriat.
- Médecine: science reconnue avec
une histoire ancienne (prix Nobel,
Académies, Musées, Ordre
professionnel) ;
-
Gestion: science méconnue et
récente
as de rix Nobel) ;
La typologie des fondateurs du management peut revêtir une
forme médicale si, comme le font deux auteurs américains
(Wren et Greenwood, 1998), on retient douze catégories qui sont
à comparer aux neuf catégories des profils psychologiques. Les
six premières concernent les fondateurs du système managérial :
1°. Les inventeurs (Withney, Edison) ; 2°. Les fabricants
(McCormick, Carnegie, Ford) ; 3°. Les vendeurs (Stewart,
Sears) ; 4°. Les "déplaceurs" (Hill, Harriman) ; 5°. Les
Communicateurs (Morse, Cornell, Bell) ; et 6°, les Financiers
(Gould, Morgan). Symétriquement, les six autres sont: 7°. Les
chantres du travail (Taylor, Gilbreth, Vena) . 8°. Les
organisateurs (Durant, Sloan, Barnard) ; go. Les motivateurs
(Maya, Maslow, Herzberg) ; 10°. Les "leaders" (Machiavel,
Follett, McGregor) ; 11°. Les qualiticiens (Deming, Juran,
Ohno) ; et 12°, le gourou (Drucker). Soit au total trente portraits
pour douze "maladies" managériales ! Merci docteurs. ..
Si l'on définit le Management comme étant la médecine des
organisations, alors les managers sont des thérapeutes qui
établissent un diagnostic, trouvent des médications et dressent
une ordonnance. Si l'organisation survit au traitement imposé, le
manager est récompensé, le consultant adulé; si le résultat est
négatif: il est sanctionné, le consultant remercié. La stabilité du
nombre de faillites à long terme devrait indiquer le progrès
régulier du Management. La montée numérique des défaillances
reflète soit la croissance économique d'ensemble, soit la progression constante des créations d'entreprises. La démographie des
organisations est à la gestion ce que la démographie humaine est
à la médecine, une propédeutique. Pour aller plus loin il faut
faire appel à une autre discipline, plus récente: la cybernétique
ou science des systèmes en interaction constante.
13
ID. LA CYBERNÉTIQUE
DES SYSTÈMES,
UN RENOUVELLEMENT
CERTAIN
Née en 1948 sous la plume de Norbert Wiener, la cybernétique peut se définir comme étant l'étude des systèmes
complexes par l'intermédiaire du contrôle et de la communication rétroactive (Thévenot, 1997 : 239). En cinquante-six ans
cette discipline a fait d'énormes progrès en matière de robotique
et de systèmes à auto contrôle régulé (industrie spatiale, sécurité,
maintenance). Appliquée au management elle doit beaucoup aux
travaux de Jacques Mélèse dans les années 60-70 et à ceux de
Jean-Louis Le Moigne dans les décennies suivantes. Mélèse
«représente l'entreprise comme un emboîtement hiérarchisé de
modules, chacun d'eux ayant sa part d'autonomie et d'interdépendance. Les modules ont des systèmes de pilotage pour
accompagner leur transformation d'inputs (techniques, matériels
et informationnels) en outputs, à partir de variables évaluant les
performances réalisées.» (Louart, 1997b : 1176).
La modélisation de Jean-Louis Le Moigne a montré: d'une
part que les systèmes sont de plus en plus complexes dans les
industries actuelles; et d'autre part que cette complexification
nécessite des progrès du management dans au moins trois
directions:
la finalisation des systèmes, leur organisation, et
l'animation des hommes. La cybernétique a permis d'introduire
le concept de téléologie dans le discours scientifique:
«comprendre (au lieu d'expliquer) le comportement d'un système,
naturel ou artificiel, animé ou inanimé, en l'interprétant en
référence à ses finalités, et plus généralement à sa capacité à se
finaliser au fil du temps, "intentionnellement" (les guillemets ici
importentl), l'exercice n'est-il pas cognitivement
praticable,
observable, reproductible? » (Le Moigne, 1995 : 58).
C'est Herbert Simon qui a permis le passage de la cybernétique pure au management (Simon, 2004 : 299-306). Il
dénonce l'abandon des sciences de l'artificiel dans le milieu
universitaire classique:
«Les dommages causés au développement des compétences professionnelles par cette disparition
des sciences de la conception dans le curriculum des formations
14
professionnelles commencent à être reconnus en ingénierie et en
médecine, et dans une moindre mesure en gestion. Bien des
écoles ne pensaient pas que ce soit un problème (et certaines ne
le pensent toujours pas), car elles considéraient les écoles de
sciences appliquées comme une alternative préférable à celle des
écoles de commerce du passé. » (Simon, 2004 : 203-204). Ce
nouveau progrès d'une science de la conception au sein même
des écoles de gestion a commencé selon lui vers 1970 (p. 205).
Si le management n'était pas susceptible de progrès, cela
voudrait dire que l'innovation ne pourrait pas être mise en
œuvre. La production serait alors figée, le stock de pièces
détachées n'évoluant pas, et on aurait les mêmes modèles de
voitures qu'en 1950 ! L'obsolescence incorporée des méthodes
gestionnaires est l'indice que le management progresse constamment. Il progresse de deux manières, par la théorie et par la
pratique. Grâce à l'observation de situations de terrains, les
chercheurs confrontent en permanence les théories académiques
et l'évolution des faits; par la systématisation des connaissances
des managers, la pratique apporte de nouvelles hypothèses de
travail (voir Sauvan, 1980 ; Thévenot, 1999). Le progrès est
autant dans les questions posées que dans les réponses données.
CONCLUSION
La preuve que la question du progrès du management a
taraudé les penseurs de cette discipline depuis au moins une
quinzaine d'années, est l'existence d'une revue portant justement
cet intitulé: Progrès du Management. Editée par l'Association
éponyme, cette revue a été créée en 1990. Elle devient la Revue
Association Progrès du Management en 1998. L'APM fédère
plus de 4.000 adhérents dans près de 200 clubs implantés en
France et en Belgique. En 1994 la revue a été doublée par une
collection d'ouvrages édités par la maison Dunod à Paris. Cette
nouvelle collection comprend aujourd'hui dix titres, qui vont des
alliances stratégiques à l'histoire succincte des grands auteurs du
management (voir la liste complète in Jarrosson, 2004).
15
Les progrès managériaux s'appuient aussi sur l'appareil public
de recherche, qui s'est beaucoup étoffé depuis une vingtaine
d'années dans notre pays (Godelier, 2004). Mais l'absence d'une
section spécifique au CNRS, où la gestion doit cohabiter avec
l'économie dans la section 37 et avec la sociologie et la politique
dans la section 40, indique qu'il reste encore des progrès à faire.
La taille restreinte de la plupart des laboratoires universitaires en
sciences de gestion reste aussi une préoccupation pour de futurs
progrès. Une collaboration plus intelligente avec les écoles de
commerce pourrait améliorer ce problème (cf. Garel et Godelier,
2004).
Enfin, quand il ne sera plus jugé ridicule de s'avouer
"chercheur en Management" aux yeux de la bonne société
universitaire, le pari sera gagné. En attendant, il faudra encore
glaner des avancées sur plusieurs frontières disciplinaires à la
fois, et se faire aussi bien passeur de concepts étrangers qu'importateur de notions ad hoc. Ce n'est pas la société qui est
malade de la gestion, mais la gestion qui n'est pas encore assez
convalescente dans l'hôpital des sciences sociales en crise (cf de
Gaulejac, 2005). Heureusement que d'habiles médecins viennent
au chevet de la malade pour lui redonner une identité honorable
(Burlaud, Helfer et Marchesnay, 1991). La stagnation de la
maladie n'est qu'un autre aspect du progrès souterrain qui se fait
jour peu à peu.
Les ingénieurs mécaniciens américains l'ont bien compris,
eux qui ont fait tous les dix ans depuis 1912 un bilan raisonné de
l'état d'avancement de la discipline «management»
dans leur
pays (XXX, 1960). Il serait intéressant que les européens fassent
la même chose à date régulière, autrement que par le biais
d'associations
infra disciplinaires qui présentent une vision
partielle de l'avancement
de la discipline d'ensemble. Les
chapitres de ce livre donnent une première version de ces bilans
globaux.
16
BIBLIOGRAPHIE
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Paris, Gallimard.
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Editions d'Organisation.
BURLAUD, A., HELFER, J.-P. et MARCHESNAY, M. (1991) Identités de
la gestion, nlélanges en l'honneur du profèsseur Pierre Lassègue, Paris,
Vuibert Gestion.
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18
II. Postmodernité et sciences de gestion
Andy Arléo
Professeur des Universités en Anglais
Émile-Michel Hernandez
Professeur des Universités
en Sciences de Gestion
Résumé: Le discours postmodeme envahit aujourd'hui les sciences sociales.
Souvent hermétique, se définissant plutôt de façon négative que de façon
positive, s'opposant à la modernité, prônant le rejet des métarécits que sont le
marxisme, le freudisme et le positivisme et se refusant à en proposer d'autres,
il constitue un corpus assez difficile à maîtriser pour le profane qu'est, en ce
domaine, le chercheur en sciences de gestion. Le présent travail a d'abord
pour objet de présenter le concept de postmodeme et la théorie postmodeme
des organisations, puis d'étudier son influence sur le management et la
gestion des ressources humaines.
Mots-clés: Postmodemité, théories, sciences de gestion, France.
Les ouvrages classiques, écrits il y a quelques années, et
présentant la théorie, ou plutôt les théories des organisations (cf
par exemple Jacques Rojot et Alexander Bergmann 1989) ne
traitaient pas de théorie postmoderne des organisations. Aujourd'hui la place accordée dans les articles, dans les ouvrages, à ce
nouveau regard sur les organisations est grandissante. Quelques
exemples illustrent cette évolution. Jacques Rojot lorsqu'il écrit
l'article "Théorie des organisations" pour la première édition
(1989) de l'Encyclopédie de Gestion chez Economica ne traite
pas de postmodernité. Dans la seconde édition (1997) il Y
consacre un paragraphe ("7.6 Les théories post-modernes de
l'organisation"). De même Yves-Frédéric Livian se limite aux
approches classiques dans son Introduction à l'analyse des
organisations (1995) mais consacre un chapitre à la déconstruction de l'organisation et au passage "de l'organisation
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moderne à l'organisation post-moderne" dans son ouvrage plus
récent Organisation: Théories et Pratiques (1998). Enfin Mary
Jo Hatch (2000) accorde une place plus importante encore à la
conception postmoderne des organisations puisque son ouvrage
Théorie des organisations. De l'intérêt de perspectives multiples
est entièrement basé sur l'opposition entre les trois paradigmes
contemporains majeurs que sont le modernisme, l'interprétativisme symbolique et le postmodernisme. Il faut dire aussi que
Mary Jo Hatch universitaire d'origine américaine a enseigné
successivement aux États-Unis, au Danemark et en Angleterre,
c'est-à-dire dans le monde anglo-saxon où ces théories sont
essentiellement présentes même si les concepts philosophiques,
sociologiques, linguistiques ou psychanalytiques dont elles
s'inspirent sont dus pour l'essentiel à des auteurs français
comme Barthes, Baudrillard, Deleuze, Derrida, Foucault, Lacan,
Lyotard, etc.
Ces théories présentent deux caractéristiques essentielles. La
première est d'être souvent assez hermétiques et difficiles à
maîtriser pour le profane qu'est, en ce domaine, le chercheur en
sciences de gestion. La seconde est de se définir plutôt de façon
négative que de façon positive: la postmodernité s'oppose à la
modernité; prône le rejet des métarécits que sont le marxisme,
le freudisme et le positivisme et se refuse à en proposer d'autres;
se caractérise plus par une posture faite principalement de
résistance et de soupçon que par un projet au sens de volonté
orientée vers un but.
On peut donc légitimement se demander quel est l'intérêt
d'auteurs comme Jacques Derrida chantre de la "déconstruction"
ou Jean Baudrillard affirmant le plus sérieusement du monde
que La guerre du Golfe n'a pas eu lieu (1991) pour l'étude des
sciences de gestion?
Ce chapitre comprend trois paragraphes. Le premier essaie de
présenter de façon accessible pour un gestionnaire le concept de
postmoderne. Le deuxième paragraphe est consacré à la théorie
postmoderne des organisations telle qu'elle ressort d'articles
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