NOUVELLES AVANCÉES DU MANAGEMENT (Q L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-8309-0 EAN : 9782747583091 Sous la direction de Luc MARCO Professeur à l'Université Paris 13 Directeur du CREGEM NOUVELLES AVANCÉES DU MANAGEMENT L'Harmattan 5-7,rue de l'ÉcolePolytechnique 75005 Paris FRANCE L 'Harmattan Hongrie Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest HONGRIE L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALIE Du même coordonnateur I. Chez le même éditeur La montée des faillites en France XIX-U (collection « Logiques économiques)}). siècles, 1989 Les revues d'économie en France: genèse et actualité, 1996 (ouvrage collectif). Contributions à la Revue d'Economie Politique, 2002 (édition critique d'articles de Charles Gide, avec C. Quinet). II. Chez d'autres éditeurs Ecrire et publier dans une revue scientifique, Paris, Editions d'Organisation, 1993 (avec J. Devillard). Le jugenlent des pairs ou I 'histoire d'un classique de la pensée économique, Paris, Edi-Gestion, 2004. Petit dictionnaire d'économie et de management de la santé, Paris, Presses Universitaires de France, 2005 (à paraître, en collaboration avec H. Bui Quang). Entrepreneur et décision: de l'intention à l'acte, Paris, Editions Eska, 2005 collection « Stratégie)} (à paraître, en collaboration avec E.-M. Hernandez). SOMMAIRE Avant-propos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 I. Luc Marco, « Progrès ou stagnation du ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 ll. Andy Arléo et Emile-Michel Hernandez, « Postmodernité et sciences de gestion». . . . . . . . . . 19 ill. Isabelle Barth, « Mise en perspectives sociologiques du monde marchand» . . . . . . . . . . . . . 59 IV. Godefroy Amkampese Kizaba, « Supply chain: valeurs du réseau et alliances stratégiques». . 95 V. Bruno Salgues, « La méthode du fou du roi ». . . 141 VI. Thérèse Ciesielczyk et Jan Stepniewski, « Management opérationnel et comptabilité» . . . . . . 169 vu. Hien Bui Quang, « Le management des maisons de retraite: une question d'avenir» . . . . . . . 197 Vill. Bernard Guillon, « Stratégie d'un réseau de tramway: le cas de l'agglomération bordelaise». . . . 229 IX. Elisabeth Noël-Huraux, « Autonomie de décision du malade et pratiques de soins» . . . . . . . . 249 Table 267 Management? des matières. .......................... Collection « Recherches en Gestion » Programme éditorial I. Management & Stratégie 1. Nouvelles avancées du Management, ouvrage collectif, 2005. 2. Environnen1ent et managen1ent, en préparation, 2006. II. Marketing & Design 3. Les courants actuels de recherche en n1arketing, ouvrage collectif à paraître en 2005. 4. Les fondations du Design (Design foundations), sous la direction de Jean-Pierre Mathieu, à paraître en 2005 (bilingue français/anglais). ill. Finances & Contrôle 5. Evolution et nature des coûts n1édico-sociaux, en préparation, par Hien Bui Quang et Luc Marco, 2006. IV. Histoire & sciences sociales 6. Histoire de la gestion en France: pistes et débats, par Luc Marco, en préparation, 2006. 7. La banlieue française: une histoire inachevée et des perspectives incertaines, par Youssef Chiheb, en préparation, 2006. AVANT-PROPOS Les textes réunis dans ce volume, qui inaugure la nouvelle collection «Recherches en gestion », ont été présentés lors du troisième colloque MSTM (Méthodes, Sciences et Thématiques pour le Marketing) qui s'est déroulé le jeudi 17 juin 2004 sur le site de l'Illustration à Bobigny. Il a été organisé, à l'initiative du CREGEM, dans les locaux de l'IUT de Bobigny, dont nous remercions le directeur pour son soutien. Le financement a été apporté par le département Techniques de Commercialisation de l'IUT de Saint-Denis dont nous remercions aussi le responsable. Ce colloque comportait deux sessions parallèles: l'une était consacrée au marketing, l'autre au management. C'est celle-ci qui est ici éditée, l'autre le sera dans un prochain volume de la collection. Le thème général concerne les nouvelles avancées du management, étant donné que cette discipline n'a cessé de progresser depuis son invention du temps de Taylor et Fayol. Les auteurs qui nous ont fait l'amitié de participer à ce colloque sont ici chaleureusement remerciés. Il s'agit de Andy Arléo, professeur d'Anglais, d'Isabelle Barth, maître de conférences à l'Université Lyon 3, de Hien Bui Quang, enseignant à l'Université Paris 13, de Thérèse Ciesielczyck, enseignant-chercheur à l'Académie d'économie de Wroclaw (Pologne), de Bernard Guillon, maître de conférences à l'IUT de Bayonne, d'Emile-Michel Hernandez, professeur à l'Université de Reims, de Godefroy Kizaba, enseignant à l'Université du Littoral, de Bruno Salgues, directeur d'études à l'Institut National des Télécommunications, et de Jan Stepniewski, maître de conférences à l'IUT de Bobigny. Les contributeurs dont les textes n'ont pas été retenus sont aussi remerciés pour leur participation. L. Marco LISTE DES FIGURES Figure 1. Similitude des théories du management. . . . . . . . . ... . . . . . . . .. ... Figure 2. Similitudes et différences entre les deux disciplines. . . . . . Figure 3. Les quatre étapes de la GRH. . . . . . .. . . . . . .. . . . . .. .. . .. . . . . . . . . .. Figure 4. Les relations entre l'amont et l'avaL.. Figure 5. Cadre et éléments de prise de décision. ... ... ....... .. ... ... ... ... ... ... .... Figure 6. Les composants fondamentaux d'une Supply Chain... ... ... Figure 7. Dualité Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure 8. Quelques statistiques d'évolution de la distribution.......... 9. Logistique étendue de la filière « Produits de la Mer». .... 10. Analyse de la pertinence... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... .... Il. Les niveaux d'identification de la personne atypique. .. ... 12. Le contenu d'identification de la personne atypique........ 13. Les trois parties du guide d'entretien .................... 14. Grille d'analyse Contenu/Structure du discours. .. ... ... .... 15. Grille de différenciation ................... 16. Interaction de Bales... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... des risques. Figure 17. Listing des inférences. .. ... ... ... ... .. . ... ... ... ... .. . ... ... .... Figure 18. Grille Figure Figure Figure Figure Figure Figure Figure 19. Condition de succès.. . .. . .. . .. . ... .. . .. . .. . ... .. . .. . ... .. . .. . .. . 20. Le diagnostic externe.......................................... 21. Quelques données régionales comparatives. .. ... ... ... ... 22. Données récentes sur I'hébergement en France. .. ... ... .... 23. La chaîne de valeur d'après M. Porter... .. . .. . .. ... . ... ... 24. Les principaux axes du management des lvIDR... ... .. . .. .. 25. Les relations du tableau de bord prospectif avec les axes stratégiques. du marketing. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. ... .. ... ... ... ... .. . .. . . .. . .. ... ... ... ... ... .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . Figure 26. Les élénlents de la vision stratégique... ... ... ... ... ... ... .. .. Encadré 1. Financement de la deuxième phase d'installation: espoirs et prévisions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . Il 12 52 104 109 111 115 124 135 144 146 147 148 153 154 156 157 157 158 205 207 208 212 217 222 225 244 I. Progrès ou stagnation du management? Luc Marco Professeur en sciences de gestion Université Paris 13- CREGEM Résumé: Pour que le management connaisse des avancées notoires, il faut qu'il soit susceptible de progrès. Si on l'assimile à une discipline appliquée comme l'est la médecine, ce peut être le cas. En revanche, si on le considère comme un domaine purement mécanique, une certaine stagnation se fait jour, liée au cadre très contraignant de la comptabilité de gestion. Heureusement, le management est aussi une science cybernétique qui croise ses concepts et crée en pennanence de nouvelles notions. L'apparente stagnation des prescriptions mises en œuvre sur le terrain est souvent contredite par le progrès souterrain des théories managériales. Mots-clés: Management, épistémologie, histoire, théories, évolution. Le management est défini par le dictionnaire Lexis comme «la science de la technique de direction et de gestion de l'entreprise» (Dubois, 1977 : 1044). Il fut importé de l'anglais vers 1921, alors que le mot n1anager remonte beaucoup plus loin, à 1865 dans le sens d'entraîneur et à 1969 dans le sens d'organisateur d'entreprise (ibid.). La grande encyclopédie Larousse précise qu'il s'agit d'un «ensemble de méthodes visant à assurer le succès d'une entreprise, à la faire progresser et se développer dans un environnement concurrentiel et mouvant grâce au bon emploi de l'ensemble de ses ressources, notamment de ses énergies humaines.» (Boucq, 1980 : 7550). Un encadré précise que « dérivant de n1anus, la main, management signifie "manœuvre ". Le manager est celui qui "met la main à la pâte ", qui s'organise pour que "ça marche", qui s'adapte aux changements.» (idem: 7551). Comme toute véritable science, le management est donc susceptible de progrès, mais étant plus qu'une science, cet ensemble hétérogène peut aussi stagner. 9 Le management ressemble à une montagne qui possède deux versants bien distincts. Le versant théorique est composé des neiges éternelles faites de concepts et de méthodes éprouvés. Il fond lentement, irriguant les pâturages où paissent les consultants. Le versant empirique est orienté plein sud et le soleil de la mode fait vite fondre le glacier des pratiques en vogue. Comme le conseil en management est un marché florissant, ses fleurs fanent aussi rapidement que le vent ne tourne. Mais le printemps revient toujours sur la montagne merveilleuse des managers enchantés. Le fait de payer un prix élevé pour des conseils bigarrés, irrigués de l'eau théorique provenant du versant opposé, donne aux consultants l'illusion de participer à la grande fonte des théories. Or l'eau est souvent sale quand elle parvient aux pieds des champs. Il faut donc la filtrer pour la rendre assimilable par les fleurs de la consultance. Cette interaction entre la théorie et la pratique rend la discipline "management" susceptible de progrès, mais ils sont lents comme vont le montrer la plupart des chapitres de ce livre. La perception de ces progrès dépend du point de vue que l'on adopte. Si l'analogie avec la médecine l'emporte, alors la quête du meilleur traitement sous un bon diagnostic dominera. Au contraire, si l'on reste partisan d'une simple mécanique des rouages administratifs, la stagnation sera patente. Enfin, si l'on se laisse gagner par une approche cybernétique du management, en ce cas le renouvellement des idées et des faits sera évident. 1. LA MÉCANIQUE DES ENTREPRISES, UNE STAGNATION APPARENTE Dans leur grand ouvrage consacré au nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont comparé la littérature managériale sur deux décennies: les années 60 et les années 90 (Boltanski-Chiapello, 1999 : 103-134). Ils qualifient cette littérature de "sans mémoire", ce qui leur paraît normal si celle-ci consiste en une mécanique bien huilée qui s'attaque aux pannes et livre un service dépannage "clés en mains". Dans la 10 grande continuité des écrits managériaux les similitudes quand même très nombreuses sur une trentaine d'années. Figure 1. Similitude des théories Thèmes 1960 Direction par objectifs aj Insatisfaction des cadres - du n1anagen1ent. Thèmes 1990 Direction par réseaux aj Rejet de la hiérarchie refus de l'autoritarisme ~- refus de l'autoritarisme; souplesse des carrières ~- demande d'autonomie. bj Difficultés du gigantisme - décentralisation de la prise de décision - méritocratie pour les plus ~motivés ~clarification des buts imposés par le haut. sont réduction du nombre de niveaux hiérarchiques; - demande de plus d'autonomie. bj Small is beautiful ~- flexibilité des petites structures ~- entrepreneuriat - négociation pennanente. Les mêmes auteurs assimilent en outre le management aux sciences de l'ingénieur, version moderne de la mécanique sociale du XIXe siècle (idem: 124). Nouvelle version améliorée d'une machine dont on remplace peu à peu les éléments usés, le néomanagement n'a pas d'histoire autre que son renouvellement à l'identique: conserver les organisations intactes en vue de défendre l'efficacité du couple marché/entreprise face à ses concurrents potentiels 1. D'où l'impression que la littérature managériale évolue peu et qu'il faut brûler tous les cinq ans les anciennes éditions des mêmes ouvrages. Mais cet autodafé semble bien dangereux en dehors des livres de pure technique. L'apparente stabilité des concepts comptables peut faire croire, à tort, à la stagnation du management lui-même. Michel Weill (1994) envisage le management comme un très vaste mécanisme temporel d'évolution des entreprises. Il va donc distinguer neuf étapes chronologiques distinctes: 1°. Le temps 1 Sur l'entreprise considérée connne une "pompe à richesses" chez Adam Smith, voir le livre stimulant de Pierre Guillet de Monthoux (1993 : 35-42). Il des fondateurs d'empires (1840-1914) ; 2°. Le temps des producteurs (1880-1914); 3°. Le temps des organisateurs (19101940) ; 4°. Le temps du marketing (1940-1967) ; 5°. Le temps des modèles (1967-1980) ; 6°. Le temps des stratèges (19731982) ; 7°. Le temps de la qualité (1983-2000) ; 8°. Le temps des ressources humaines (1983-2000) ; 9°. Le temps des processus (1983-2000)2. On a donc une interaction permanente entre les visions très spécialisées et la vision plus globale du management. A l'approche microscopique des rouages mécaniques il faut substituer une approche plus macroscopique du corps managérial. 2. LA MÉDECINE DES ORGANISATIONS, UNPROGRÈSRÉGULŒR Dans le grand cours d'initiation destiné aux étudiants débutants en première année de l'Université Paris-Dauphine, l'analogie entre gestion et médecine est longuement développée (Roux-Soulié, 1992 : 23-26). Analogie régulièrement reprise par les encyclopédies de management (Louart, 1999 : 554-555) bien que l'épistémologie des deux disciplines diffère (Cohen, 1997). Figure 2. Sin1ilitudes et différences entre les deux disciplines. Points communs Accumulation de c01ll1aissances empiriques relatives à des situations concrètes observées (autonomie initiale de la Pratique). Grande hétérogénéité des savoirs empiriques qui implique une très faible cohérence d'ensemble des deux disciplines. 2 Points divergents - Médecine stabilité des objets d'étude (les malades) ~ - Gestion: instabilité des obj ets d'études (les organisations) en raison de l'évolution de l'enviro1ll1ement. - Médecine: méthode expérimentale (Claude Bernard) ~ - Gestion: méthode non expérimentale (enquêtes, interviews, analyse de d01ll1ées). C'est nous qui rajoutons les périodes en fonction du texte et de notre connaissance de ces phénomènes (LM). 12 Degré de formalisation variable selon les sous-domaines: Fort: biologie, finance, marketing, TQG ; Faible: homéopathie, GRH, entre reneuriat. - Médecine: science reconnue avec une histoire ancienne (prix Nobel, Académies, Musées, Ordre professionnel) ; - Gestion: science méconnue et récente as de rix Nobel) ; La typologie des fondateurs du management peut revêtir une forme médicale si, comme le font deux auteurs américains (Wren et Greenwood, 1998), on retient douze catégories qui sont à comparer aux neuf catégories des profils psychologiques. Les six premières concernent les fondateurs du système managérial : 1°. Les inventeurs (Withney, Edison) ; 2°. Les fabricants (McCormick, Carnegie, Ford) ; 3°. Les vendeurs (Stewart, Sears) ; 4°. Les "déplaceurs" (Hill, Harriman) ; 5°. Les Communicateurs (Morse, Cornell, Bell) ; et 6°, les Financiers (Gould, Morgan). Symétriquement, les six autres sont: 7°. Les chantres du travail (Taylor, Gilbreth, Vena) . 8°. Les organisateurs (Durant, Sloan, Barnard) ; go. Les motivateurs (Maya, Maslow, Herzberg) ; 10°. Les "leaders" (Machiavel, Follett, McGregor) ; 11°. Les qualiticiens (Deming, Juran, Ohno) ; et 12°, le gourou (Drucker). Soit au total trente portraits pour douze "maladies" managériales ! Merci docteurs. .. Si l'on définit le Management comme étant la médecine des organisations, alors les managers sont des thérapeutes qui établissent un diagnostic, trouvent des médications et dressent une ordonnance. Si l'organisation survit au traitement imposé, le manager est récompensé, le consultant adulé; si le résultat est négatif: il est sanctionné, le consultant remercié. La stabilité du nombre de faillites à long terme devrait indiquer le progrès régulier du Management. La montée numérique des défaillances reflète soit la croissance économique d'ensemble, soit la progression constante des créations d'entreprises. La démographie des organisations est à la gestion ce que la démographie humaine est à la médecine, une propédeutique. Pour aller plus loin il faut faire appel à une autre discipline, plus récente: la cybernétique ou science des systèmes en interaction constante. 13 ID. LA CYBERNÉTIQUE DES SYSTÈMES, UN RENOUVELLEMENT CERTAIN Née en 1948 sous la plume de Norbert Wiener, la cybernétique peut se définir comme étant l'étude des systèmes complexes par l'intermédiaire du contrôle et de la communication rétroactive (Thévenot, 1997 : 239). En cinquante-six ans cette discipline a fait d'énormes progrès en matière de robotique et de systèmes à auto contrôle régulé (industrie spatiale, sécurité, maintenance). Appliquée au management elle doit beaucoup aux travaux de Jacques Mélèse dans les années 60-70 et à ceux de Jean-Louis Le Moigne dans les décennies suivantes. Mélèse «représente l'entreprise comme un emboîtement hiérarchisé de modules, chacun d'eux ayant sa part d'autonomie et d'interdépendance. Les modules ont des systèmes de pilotage pour accompagner leur transformation d'inputs (techniques, matériels et informationnels) en outputs, à partir de variables évaluant les performances réalisées.» (Louart, 1997b : 1176). La modélisation de Jean-Louis Le Moigne a montré: d'une part que les systèmes sont de plus en plus complexes dans les industries actuelles; et d'autre part que cette complexification nécessite des progrès du management dans au moins trois directions: la finalisation des systèmes, leur organisation, et l'animation des hommes. La cybernétique a permis d'introduire le concept de téléologie dans le discours scientifique: «comprendre (au lieu d'expliquer) le comportement d'un système, naturel ou artificiel, animé ou inanimé, en l'interprétant en référence à ses finalités, et plus généralement à sa capacité à se finaliser au fil du temps, "intentionnellement" (les guillemets ici importentl), l'exercice n'est-il pas cognitivement praticable, observable, reproductible? » (Le Moigne, 1995 : 58). C'est Herbert Simon qui a permis le passage de la cybernétique pure au management (Simon, 2004 : 299-306). Il dénonce l'abandon des sciences de l'artificiel dans le milieu universitaire classique: «Les dommages causés au développement des compétences professionnelles par cette disparition des sciences de la conception dans le curriculum des formations 14 professionnelles commencent à être reconnus en ingénierie et en médecine, et dans une moindre mesure en gestion. Bien des écoles ne pensaient pas que ce soit un problème (et certaines ne le pensent toujours pas), car elles considéraient les écoles de sciences appliquées comme une alternative préférable à celle des écoles de commerce du passé. » (Simon, 2004 : 203-204). Ce nouveau progrès d'une science de la conception au sein même des écoles de gestion a commencé selon lui vers 1970 (p. 205). Si le management n'était pas susceptible de progrès, cela voudrait dire que l'innovation ne pourrait pas être mise en œuvre. La production serait alors figée, le stock de pièces détachées n'évoluant pas, et on aurait les mêmes modèles de voitures qu'en 1950 ! L'obsolescence incorporée des méthodes gestionnaires est l'indice que le management progresse constamment. Il progresse de deux manières, par la théorie et par la pratique. Grâce à l'observation de situations de terrains, les chercheurs confrontent en permanence les théories académiques et l'évolution des faits; par la systématisation des connaissances des managers, la pratique apporte de nouvelles hypothèses de travail (voir Sauvan, 1980 ; Thévenot, 1999). Le progrès est autant dans les questions posées que dans les réponses données. CONCLUSION La preuve que la question du progrès du management a taraudé les penseurs de cette discipline depuis au moins une quinzaine d'années, est l'existence d'une revue portant justement cet intitulé: Progrès du Management. Editée par l'Association éponyme, cette revue a été créée en 1990. Elle devient la Revue Association Progrès du Management en 1998. L'APM fédère plus de 4.000 adhérents dans près de 200 clubs implantés en France et en Belgique. En 1994 la revue a été doublée par une collection d'ouvrages édités par la maison Dunod à Paris. Cette nouvelle collection comprend aujourd'hui dix titres, qui vont des alliances stratégiques à l'histoire succincte des grands auteurs du management (voir la liste complète in Jarrosson, 2004). 15 Les progrès managériaux s'appuient aussi sur l'appareil public de recherche, qui s'est beaucoup étoffé depuis une vingtaine d'années dans notre pays (Godelier, 2004). Mais l'absence d'une section spécifique au CNRS, où la gestion doit cohabiter avec l'économie dans la section 37 et avec la sociologie et la politique dans la section 40, indique qu'il reste encore des progrès à faire. La taille restreinte de la plupart des laboratoires universitaires en sciences de gestion reste aussi une préoccupation pour de futurs progrès. Une collaboration plus intelligente avec les écoles de commerce pourrait améliorer ce problème (cf. Garel et Godelier, 2004). Enfin, quand il ne sera plus jugé ridicule de s'avouer "chercheur en Management" aux yeux de la bonne société universitaire, le pari sera gagné. En attendant, il faudra encore glaner des avancées sur plusieurs frontières disciplinaires à la fois, et se faire aussi bien passeur de concepts étrangers qu'importateur de notions ad hoc. Ce n'est pas la société qui est malade de la gestion, mais la gestion qui n'est pas encore assez convalescente dans l'hôpital des sciences sociales en crise (cf de Gaulejac, 2005). Heureusement que d'habiles médecins viennent au chevet de la malade pour lui redonner une identité honorable (Burlaud, Helfer et Marchesnay, 1991). La stagnation de la maladie n'est qu'un autre aspect du progrès souterrain qui se fait jour peu à peu. Les ingénieurs mécaniciens américains l'ont bien compris, eux qui ont fait tous les dix ans depuis 1912 un bilan raisonné de l'état d'avancement de la discipline «management» dans leur pays (XXX, 1960). Il serait intéressant que les européens fassent la même chose à date régulière, autrement que par le biais d'associations infra disciplinaires qui présentent une vision partielle de l'avancement de la discipline d'ensemble. Les chapitres de ce livre donnent une première version de ces bilans globaux. 16 BIBLIOGRAPHIE BOLTANSKI, L. et CIDAPELLO, E. (1999) Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard. BOUCQ, F. (1980) "Management", La Grande Encyclopédie, Paris, Larousse,1. 12, p. 7550-7552. BOYER, L. et EQUILBEY, N. (1990) Histoire du management, Paris, Les Editions d'Organisation. BURLAUD, A., HELFER, J.-P. et MARCHESNAY, M. (1991) Identités de la gestion, nlélanges en l'honneur du profèsseur Pierre Lassègue, Paris, Vuibert Gestion. CHANDLER, A. D. Jr (1988) La main visible des managers, une analyse historique, Paris, Economica. COHEN, E. (1997) "Epistémologie de la gestion", in P. Joffre et Y. Simon dir., Encyclopédie de gestion, Paris, Economica, t. 1, p. 1158-1178. CUENDET, G. (1997) "Pouvoir et management", in J.-L. Gazzaniga et P. Spiteri, Pouvoir et gestion, Toulouse, ESUG, p. 151-176. DUBOIS, J. dir. (1977) Lexis, Larousse de la langue française, Paris, Librairie Larousse. DUNCAN, W.J. (1990) Les grandes idées du management, des classiques aux modernes, trad. française, Paris, AFNOR. DURAND, R. (1994) "Histoire du concept de management par les chiffres", in J.-L. Gazzaniga et P. Spiteri, Les sources d'information et leur transmission en gestion et managenlent, Toulouse, ESUG, p. 95-108. FRANQUET, A. (1975) L'après-management ou le retour au bon sens, Paris, Entreprise Moderne d'Edition. GAREL, G. et GODELIER, E. (2004) Enseigner le management, méthodes, institutions, nl0ndialisation, Paris, Hermès-ScienceILavoisier. GAULEJAC, V. de (2005) La société malade de la gestion: idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Le Seuil. GODELIER, E. (2004) "Le changement de l'entreprise vu par les sciences de gestion ou l'introuvable conciliation de la science et de la pratique", Entreprises et Histoire, n° 35, juin, p. 31-44. GUILLET DE MONTHOUX:, P. (1993) The Moral Philosophy of Managenlent, fronl Quesnay to Keynes, Londres, Sharpe. JARROSSON, B. (2004) 100 ans de nlanagement. Un siècle de management à travers les écrits, Paris, Dunod, 2e édition. L.Mv1BERT, P. (1968) Manègement, ou les 5 secrets du développenlent, Paris, Cercle du Livre économique. LARRASQUET, J.-M. (1999) Le management à l'épreuve du conzplexe, Paris, L'Harn13ttan, 2 volumes. LE MOIGNE, J.-L. (1995) Les épistémologies constructivistes, Paris, PUF collection "Que sais-je?". 17 LOUART, P. (1997a) "Gestion et management", in R. Le Duff dir., Encyclopédie de la gestion et du management, Paris, Dunod, p. 551-564. LOUART, P. (1997b) "Système", in R. Le Duff, op. cit., p. 1173-1177. MARCO, L. (1993) "Histoire du management en France: les origines effectives", in J.-L. Gazzaniga et P. Spiteri, Histoire, gestion, management, Toulouse, ESUG, collection "Histoire, gestion, organisations", p. 135-148. MARCO, L. (1993) La pensée managériale française 1675-1975, Toulouse et Paris, Sciences de la Société/ ANDESE. MIGANI, Ph. (1993) Les systèmes de management, Paris, Les Editions d'Organisation. MINTZBERG, H. (1989) Le management, voyage au centre des organisations, Paris, Les Editions d'Organisation. PÉRON, M. dir. (2002) Transdisciplinarité : fondement de la pensée nIanagériale anglo-saxonne ?, Paris, Economica. PEYRARD, M. (1974) Organisation et management de l'entreprise, Paris, Les Cours de Droit, fascicule 1. PIERRE, 1. (1998) "Quelques controverses séculaires sur la décision stratégique: les bienfaits de l'histoire du management", in J.-L. Gazzaniga et P. Spiteri, Décisions et gestion, Toulouse, ESUG, p. 381-404. POLLARD, S. (1965) The Genesis ofmodern management, Londres, Edward Arnold. er ROUX:, D. et SOULIÉ, D. (1992) Gestion, Paris, PUF, colI. « 1 cycle ». SAINT-AMANT, G. (1996) "Le management est-ilIa pratique qui précède la théorie? Ou quelle est la place de la recherche-action au sein de la formation en gestion", in J.-L. Gazzaniga et P. Spiteri, EnseignenIents et recherches en gestion, évolution et perspectives, Toujouse, ESUG, p. 399-407. SAUVAN, 1. (1980) "Cybernétique", in La Grande Encyclopédie, Paris, Larousse, t. 6, p.3567-3569. SIMON, H.A. (2004) Les sciences de l'artificiel, Paris, Gallimard, coll. e "Folio Essais", 3 éd. SUCHET, A. (2004) Napoléon et le nIan agenIen t, Paris, Tallandier. THÉVENOT,1. (1999) "Cybernétique", in R. Le Duff dir., Encyclopédie de la gestion et du InanagenIent, Paris, Dunod, p. 238-240. THIÉTART, R.-A. (1989) Le nIanagement, 4e édition, Paris, PUF. WEILL, M. (1994) Le managenIent: la pensée, les concepts, les faits, Paris, Armand Colin, collection" Cursus" . WREN, D.A. (1979) The Evolution of management thought, 2e éd., New York, John Wiley. WREN, D.A. et GREENWOOD, R.G. (1998) Managenlent innovators: the people and ideas that have shaped nI0dern business, New York, Oxford University Press. XXX (1960) Fifty years progress in Management 1910-1960, New York, The American Society of Mechanical Engineers, 330 p. 18 II. Postmodernité et sciences de gestion Andy Arléo Professeur des Universités en Anglais Émile-Michel Hernandez Professeur des Universités en Sciences de Gestion Résumé: Le discours postmodeme envahit aujourd'hui les sciences sociales. Souvent hermétique, se définissant plutôt de façon négative que de façon positive, s'opposant à la modernité, prônant le rejet des métarécits que sont le marxisme, le freudisme et le positivisme et se refusant à en proposer d'autres, il constitue un corpus assez difficile à maîtriser pour le profane qu'est, en ce domaine, le chercheur en sciences de gestion. Le présent travail a d'abord pour objet de présenter le concept de postmodeme et la théorie postmodeme des organisations, puis d'étudier son influence sur le management et la gestion des ressources humaines. Mots-clés: Postmodemité, théories, sciences de gestion, France. Les ouvrages classiques, écrits il y a quelques années, et présentant la théorie, ou plutôt les théories des organisations (cf par exemple Jacques Rojot et Alexander Bergmann 1989) ne traitaient pas de théorie postmoderne des organisations. Aujourd'hui la place accordée dans les articles, dans les ouvrages, à ce nouveau regard sur les organisations est grandissante. Quelques exemples illustrent cette évolution. Jacques Rojot lorsqu'il écrit l'article "Théorie des organisations" pour la première édition (1989) de l'Encyclopédie de Gestion chez Economica ne traite pas de postmodernité. Dans la seconde édition (1997) il Y consacre un paragraphe ("7.6 Les théories post-modernes de l'organisation"). De même Yves-Frédéric Livian se limite aux approches classiques dans son Introduction à l'analyse des organisations (1995) mais consacre un chapitre à la déconstruction de l'organisation et au passage "de l'organisation 19 moderne à l'organisation post-moderne" dans son ouvrage plus récent Organisation: Théories et Pratiques (1998). Enfin Mary Jo Hatch (2000) accorde une place plus importante encore à la conception postmoderne des organisations puisque son ouvrage Théorie des organisations. De l'intérêt de perspectives multiples est entièrement basé sur l'opposition entre les trois paradigmes contemporains majeurs que sont le modernisme, l'interprétativisme symbolique et le postmodernisme. Il faut dire aussi que Mary Jo Hatch universitaire d'origine américaine a enseigné successivement aux États-Unis, au Danemark et en Angleterre, c'est-à-dire dans le monde anglo-saxon où ces théories sont essentiellement présentes même si les concepts philosophiques, sociologiques, linguistiques ou psychanalytiques dont elles s'inspirent sont dus pour l'essentiel à des auteurs français comme Barthes, Baudrillard, Deleuze, Derrida, Foucault, Lacan, Lyotard, etc. Ces théories présentent deux caractéristiques essentielles. La première est d'être souvent assez hermétiques et difficiles à maîtriser pour le profane qu'est, en ce domaine, le chercheur en sciences de gestion. La seconde est de se définir plutôt de façon négative que de façon positive: la postmodernité s'oppose à la modernité; prône le rejet des métarécits que sont le marxisme, le freudisme et le positivisme et se refuse à en proposer d'autres; se caractérise plus par une posture faite principalement de résistance et de soupçon que par un projet au sens de volonté orientée vers un but. On peut donc légitimement se demander quel est l'intérêt d'auteurs comme Jacques Derrida chantre de la "déconstruction" ou Jean Baudrillard affirmant le plus sérieusement du monde que La guerre du Golfe n'a pas eu lieu (1991) pour l'étude des sciences de gestion? Ce chapitre comprend trois paragraphes. Le premier essaie de présenter de façon accessible pour un gestionnaire le concept de postmoderne. Le deuxième paragraphe est consacré à la théorie postmoderne des organisations telle qu'elle ressort d'articles 20