Les innovations en islam par SLIMANE REZKI 1 Les innovations en islam par SLIMANE REZKI © Février 2013, Tabernacle des Lumières 2 Les innovations en islam L’école de pensée Wahhabite1, du moins si on peut la qualifier de telle, nous apprend que tout ce qui ne fut pas établi par le Prophète est une innovation et qu’à ce titre, en conformité avec les termes d’un hadith, toute innovation est égarement et tout égarement mène au feu. Nous montrerons au sein de cette étude que la notion d’innovation est bien plus large que celle communément retenue de nos jours. Mais en outre, l’innovation a toujours été pratiquée pour de bonnes ou mauvaises raisons, mais on y a toujours recouru. Les bonnes raisons sont celles qui consistaient à mettre en place toutes les adaptations nécessaires que la société civile imposait. Nous verrons que dès le début de l’islam et de la part des plus hautes autorités, des adaptations novatrices furent mises en place à travers toutes les sphères, qu’elles soient religieuses, cultuelles, économiques, guerrières, administratives ou encore commerciales et législatives. Les mauvaises raisons sont celles qui étaient motivées par des objectifs individuels au détriment de l’intérêt général comme l’enrichissement, cautionner un titre ou une fonction, le pouvoir, l’assise d’une dynastie, la volonté de défigurer l’islam, l’ignorance… Pour confirmer notre propos nous citerons l’une des grandes autorités sunnites, l’imâm aSh-Shâfi'i qui a dit : « Les affaires innovées (al-muhdathâtu min al-umûri darbân) sont de deux types : L'une est une innovation (mâ uhditha yukhâlifu) qui contredit un élément du Coran (Qur'ân), de la Sunna, de la pratique des Compagnons (athar) ou du Consensus (ijmâ'). Cette innovation est un égarement (fahâdhihi al-bid`atu dalâla). L'autre type est l'innovation qui concerne tout ce qui est bon (mâ uhditha min alkhayr) et qui ne s'oppose en rien à ce qui a été mentionné précédemment, il n'y a aucune contre-indication concernant ce genre d’innovation »2. Les innovations sont en général et selon les divers avis des savants concernés par ce domaine juridique, réparties en trois catégories : 1 - les innovations néfastes, 2 - les innovations neutres, 3 - les innovations positives. Pour mieux comprendre cette répartition, il faut bien saisir qu’une tradition se répartit toujours et invariablement en deux domaines distincts : 1 Mouvement de pensée né dans le dernier quart du dix-huitième siècle et créé par son fondateur Mohammed ibn ‘Abd al-Wahhâb. Son projet, revenir à la pureté originelle de l’islam. Le wahhabisme devient réellement influent à partir de 1932 où il dirige le royaume d’Arabie. C’est avec le roi ‘Abd al-‘Azîz de la tribu des Sé’oud que le régime wahhabite s’installe en force. En effet, celui-ci en 1945 conclut le pacte « pétrole contre protection » avec les américains. Leur doctrine est fondatrice du salafisme et amplement répandue de nos jours. 2 Al-Bayhaqî, Manâqib ash-Shâfi’î (1/469). Voir à ce sujet de nombreux avis et une étude précise sur le même sujet sur http://islamsunnite.over-blog.com/article-10815712.html. L’imâm ash-Shâfi’î fut l’un des quatre grands fondateurs d’écoles de pensée de l’islam sunnite. Le citer nous dispense ainsi de nous étendre par trop en citations. 3 Une dimension immuable ou en fait aucune innovation ne peut être envisagée autrement que comme néfaste. Ce domaine est, bien entendu, celui de la spiritualité et de la doctrine. L’autre dimension se compose d’éléments variables qu’il est possible, voire nécessaire, d’adapter aux circonstances de temps, de lieux et de mentalité. Ces éléments variables se retrouvent, comme nous le disions plus haut, dans tous les domaines sociaux et même jusque dans les éléments secondaires du culte et de la spiritualité. En effet, si le but de la spiritualité est « un », les voies qui y mènent, nous dit un hadith du Prophète, sont aussi nombreuses que les fils d’Adam. C’est en ce sens que doivent être compris certains enseignements du Prophète servant de caution aux détracteurs de toute innovation, bonne ou mauvaise. ‘Abd Allah ibn ‘Omar qui était un proche du Prophète, disait : « Toute innovation est égarement, même si les gens la voient bonne». Ce qui est concevable si l’on envisage la dimension immuable du message prophétique. Dans le même sens, un autre hadith nous dit : « Il n’y a pas une chose qui vous rapproche du Paradis sans que je ne vous l’aie montrée, et il n’y a pas une chose qui vous rapproche de l’Enfer sans que je ne vous en aie mis en garde ». Il est clair que le but ici est le paradis et donc la spiritualité et les modalités principales qui concourent à y parvenir. Le Prophète est venu pour nous permettre de réaliser notre raison d’être profonde qui autrement dit est d’effectuer une quête menant à une prise de conscience de la seule Réalité véritable, celle de Dieu. En aucun cas, le Prophète n’est venu nous apprendre à jouer au billard, à fabriquer des vélos ou pour tout autre but insignifiant. Il est venu nous enseigner ce que nous ne pouvons saisir par nos facultés discursives et humaines. Il est venu nous tracer la voie du bonheur qui réside dans la bonne compréhension des principes et de la finalité de l’existence. Comme nous le verrons, la question des innovations se rapporte aux aspects secondaires et souvent les plus insignifiants de la tradition, et s’en occuper exagérément, comme le font certains groupes ou pseudo-savants, concoure à caricaturer la tradition en mettant le secondaire à la place du primordial ou, si l’on veut, en inversant les priorités hiérarchiques du Législateur et donc les objectifs de l’Homme. Lorsque le Coran nous dit par exemple, « Nous n'avons rien omis dans le Livre»3, il est évident qu’il s’agit des principes et non des applications trop nombreuses et variées pour être circonscrites dans un livre quel qu’il soit. Quand encore le Coran nous dit : « Il n’y a pas de variation dans le Verbe de Dieu »4 et qu’un autre verset nous dit : « Il n’est pas un verset que Nous n’abrogions ou que Nous fassions tomber dans l’oubli sans que Nous ne le remplacions par un verset préférable ou équivalent »5. La permanence du Verbe ne peut s’accommoder d’une notion de variation, d’abrogation ou de remplacement, or, si le Coran semble ici, comme dans beaucoup d’autres cas de figure, se contredire, ce n’est qu’une apparence trompeuse. Le Verbe divin étant universel et synthétique, comprend en une expression unique tous les modes d’existence et de connaissance, tant immuable que variable. Si le Verbe, inexprimable par nature, est unique, ces expressions sont multiples et se doivent d’être sans cesse renouvelées pour permettre à tous de le saisir. Ce qui varie est le symbole évocateur et ce qui ne varie pas est le symbolisé évoqué. 3 Coran (6/38). 4 Coran (10/64). 5 Coran (2/106à. 4 La notion d’innovation ne pouvant, par définition, intervenir que dans le domaine du variable, il ne sera pas nécessaire de s’intéresser à l’autre dimension de la tradition, celle qui est invariable et immuable. Pour en comprendre la nature et même la nécessité, nous développerons deux approches distinctes, l’une basée sur les textes fondateurs et l’histoire des diverses dynasties islamiques et l’autre sur la logique qui doit s’imposer à toute intelligence saine. Ibn Taymiya disait dans son introduction de al 'Aql wa an-Naql 6 : « Il n'y a pas un innovateur qui se justifie par un argument quelconque sans que je ne m'engage à retourner son argument contre lui ». Nous serions très intéressés par les réponses que ces continuateurs pourraient apporter à cette étude et notamment sur le plan intellectuel comme leur maître prétend s’y situer. D’après Muslim, Ahmad et d'autres : Jarir ibn ‘Abd Allah a dit : « Nous étions au beau milieu de la journée chez le Messager de Dieu quand vinrent à lui des gens n'ayant pour vêtement qu'une couverture de laine, ayant un trou par où passait leur tête, ils portaient des sabres en bandoulière et la plupart d'entre eux ou plutôt tous étaient de la tribu de Mûdar. Le mécontentement parut alors sur le visage du Prophète, du fait de leur extrême pauvreté. Il entra chez lui, en ressortit et dit à Bilal de faire l’appel à la prière, il pria avec les gens puis leur adressa ce sermon : « Ô gens ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés à partir d'un seul être». Puis il récita cet autre verset : « Ô vous qui croyez ! Craignez pieusement Dieu et que chaque être regarde bien ce qu'il a préparé pour demain ». Puis il dit : « Que l'un de vous fasse aumône de son dinar, de son dirham, de ses vêtements, de sa poignée de blé, de sa poignée de dattes, jusqu'à, dit-il, un morceau de datte ». Quelqu'un parmi les Ansars apporta une bourse au point que sa main était incapable de la supporter, suite à quoi, les gens défilèrent avec leurs aumônes si bien que je vis deux tas d'aliments et de vêtements. Je vis alors le visage du Messager resplendir de joie et il dit : « Celui qui institue en islam une bonne pratique, en reçoit la récompense et celle de tous ceux qui agissent selon elle après lui, sans que cela ne diminue rien de leur propre récompense ; De même que celui qui institue en islam une mauvaise pratique en supporte le péché ainsi que celui de tous ceux qui agissent après lui selon cette coutume sans que cela ne diminue en rien leur propre péché ». Le texte nous semble assez clair par lui-même, mais il est toujours possible, comme nous l’avons déjà vu faire, de le traduire de manière tendancieuse pour lui faire dire l’inverse que ce qu’il exprime. Hujjat al-Islâm, al-Ghazâli (que Dieu lui fasse miséricorde) a dit : « Le fait que cet acte soit innové (muhdath) n'est en rien un obstacle. Combien de pratiques innovées sont excellentes ! Comme il a été dit concernant l'établissement de la prière de Tarawih en groupe, c'était une nouvelle pratique instaurée par 'Omar et c'était une excellente innovation (bid'a hassana). L'innovation blâmable est uniquement celle qui s'oppose à la Sunna ou qui mène à la changer »7. Les avis de ce genre et émanant des plus grands spirituels de l’islam ne se comptent plus tellement ils sont nombreux. Seule une volonté très suspecte produit des efforts sans cesse renouveler à coût de pétro-dollars pour engager les musulmans à penser le contraire de tout ce que les grands savants ont affirmé et que la logique d’un esprit sain peut constater au quotidien. Les avis sur la question sont innombrables, s’ils sont mal compris c’est tout simplement que certaines personnes, pas toujours bien intentionnées, opèrent une sélection 6 Titre pouvant se traduire par « L’intelligence et les textes fondateurs » ce qui est la démarche que nous utiliserons nous-mêmes mais qui, nous le verrons, nous mène à des conclusions opposées. 7 Al-Ghazâlî, Ihyâ ‘Ulûm ad-Dîn (1/276). 5 des textes de références et tronquent la doctrine pour n’en livrer que ce qui les arrange. L’avis du plus grand des maîtres nous semble résumer l’attitude correcte en l’occurrence : « Le « Sheikh al-Akbar » Ibn ‘Arabî dit au chapitre deux cent soixante deux de son livre les Futûhât al-Makkiyya : « Il est préférable d’obtempérer à la sunna mais cela n’est pas obligatoire comme l’indique ce verset : « Le monachisme qu’ils avaient instauré, Nous ne le leur avions pas prescrit » (Al-Hadîd, 27) 8 ou comme l’indique ce hadith : « Celui qui instaure une sunna profitable, car il nous a été permis d’instaurer tout ce qui est profitable, en recevra la récompense ainsi que celle de ceux qui la suivront sans que cela ne soit préjudiciable aux gens ». Nous avons également été informés que tout être qui adore Allah selon sa propre conception et sans se conformer à une prescription divine précise sera ressuscité comme constituant à lui seul une communauté c'est-à-dire sans guide qu’il aurait suivi. Il sera considéré comme faisant partie des gens de bien comme le dit Al-Hakîm ibn Hazâm : je me suis conformé à ce que j’ai trouvé de bien chez nos prédécesseurs. Il questionna le Prophète sur les choses légitimes qui existaient déjà au temps de l’ignorance pré-islamique comme l’affranchissement des esclaves, les liens du sang ou la générosité. Il est dit d’Abraham dans le Coran : « Certes, Abraham était à lui seul une communauté adorant pieusement Allah » (An-Nahl, 120), ce verset fait référence à une période précédant celle où il reçut la révélation9. Dans un hadith, le Prophète (qu’Allah lui accorde Sa grâce unitive et la force de la supporter) dit : « J’ai été missionné pour parfaire les nobles vertus », par conséquent, celui qui se conforme aux nobles vertus est conforme à la législation divine même s’il n’en est pas conscient »10. Voyons maintenant quelques innovations apparues à travers les siècles au sein même des pratiques de l’islam. Tout d’abord un texte bien connu concernant le Calife ‘Omar ibn alKhattâb dans un Hadith cité par Al-Boukhari d’après ibn Chihab selon ‘Ourouq ibnou Zoubeïr selon ‘Abdou Rahman ibn ‘Abd al-Qari qui dit: « Je suis sorti une nuit avec ‘Omar ibn al Khattâb pendant le Ramadhan à la mosquée, là où les gens étaient divisés en groupes, certains priaient seuls et d’autres par petits groupes, et ‘Omar dit : « Je pense à réunir ces gens-là derrière un seul guide », et il se décida à les réunir derrière Obey ibn Ka’b. Puis je sortis avec lui une autre nuit et les gens priaient derrière leur imam, ‘Omar dit : « Quelle bonne innovation (Bid’a) ! Mais la partie de la nuit où ils dorment est meilleure que celle où ils prient». C’est le même ‘Omar qui reculera la pierre appelée maqâm Ibrahim qui à l’origine était collée à la Ka’ba puisqu’elle servit à sa construction. Rapidement, le nombre de gens venus faire le petit ou grand pèlerinage devint tel qu’il fallut déplacer cette pierre afin que ceux qui effectuent la prière de la fin du tawâf (les sept circumambulations autour de la Ka’ba) ne gênent pas ceux qui sont en train de les effectuer. Dans ce cas précis, nous voyons bien qu’il s’agit d’un acte que le Prophète n’a pas pratiqué et qu’il n’a pas non plus prescrit. Toujours ‘Omar ibn al-Khattâb puisque nous parlons de lui, c’est lui qui commence à codifier le système d’impôt non coranique comme le 8 Dans ce verset Dieu dit que le monachisme fut une institution humaine mais que ceux qui avaient cru en reçurent la récompense. L’Envoyé d’Allâh les a exonérés de l’impôt et a interdit aux compagnons de leur porter atteinte. Il dit dans un hadith : « vous rencontrerez un peuple qui s’enfermera dans des ermitages, ne les importunez pas, laissez-les tranquille et ne les empêchez pas de vivre ainsi ». 9 Au moment où Abraham reçoit la révélation, il fonde une communauté. Cependant, avant cette période, il se trouve en décalage avec son peuple et va se construire une discipline de vie et une orientation en conformité avec sa propre appréciation de la vie. Au moment où il agit ainsi, il constitue à lui seul une école de pensée, un mode de vie et une orientation. C’est à ce titre qu’il représente à lui seul une communauté. 10 Propos rapportés par l’imâm Sha’rânî dans son ouvrage intitulé al-Yawâqît wa al-Jawâhir. 6 Kharraj (impôt foncier) qu’il établira au regard du système perse établi par Kisrâ et qui n’a donc rien d’islamique. Il sera fixé en fonction du type de culture pratiqué ; blé 4 dirhams chaque Djarib ; 2 pour l’orge ; 10 pour la vigne et 8 pour les palmiers. Plus tard les Abbasides modifieront ce système d’impôt foncier en le basant non plus sur la base de la superficie de la terre mais sous forme de pourcentage du produit de la terre. Le Calife ‘Omar se verra contraint à créer des Diwans (registres ou conseil d’état) appelés à gérer les divers ministères. Pour gérer l’armée, les allocataires de l’état… il s’appuie sur les conseils de Walid ibn Hicham qui constata cette pratique par le roi de Cham (Syrie). ‘Omar retiendra, pour la gestion de ces diwans, les systèmes de Rome et de la Perse. Ainsi, le Diwan du Cham sera tenu en latin et celui d’Irak en perse. C’est encore ‘Omar ibnu al-Khattâb qui instaure le calendrier islamique et en fixe la date en rapport avec l’émigration du Prophète. Or, là encore, ce n’est pas le Prophète qui instaure cela, il s’agit donc bien d’une innovation. Abû Bakr as- Seddiq compilera une première version complète du Coran en amassant les divers parchemins détenus par les scribes et proches compagnons. Or, bien qu’il semble que l’ordre du Coran fut indiqué par le Prophète lui-même, aucune consigne n’avait été laissée en ce sens. Il s’agit donc bien d’une innovation. De plus, nous pouvons voir qu’en ce qui concerne la question de la compilation du Coran, de nombreuses questions restent sans réponse. C’est lors du califat de ‘Uthmân ibnu ‘Affân que la question se posa avec force, les frontières du nouvel empire s’étendaient dès lors de l’Espagne jusqu’en Asie. Les lectures et les variantes se multipliaient et une divergence grandissante se faisait jour. Il fallait y remédier et pour cela le Calife ‘Uthmân réunit un conseil appelé à étudier la compilation d’Abû Bakr. Cependant, de nombreux compagnons connus parmi les meilleurs connaisseurs du Coran parce que proches ou scribes du Prophète furent écartés de ce conseil. En outre, trente et un parchemins furent brûlés et ‘Abd Allah ibn Mas’ûd fut même bastonné car il refusait de rendre sa version. Le nombre de versets varie encore de nos jours d’un juriste à l’autre, ce qui nous permet de penser que cette compilation fut bien une innovation et donc une œuvre qui n’était pas basée sur des consignes strictes du Prophète. De surcroît, la lecture du Coran va encore subir des changements avec le temps, nous savons que les signes diacritiques ne sont insérés que par étapes successives. Sont également rajoutés des signes marquants la fin des versets, leur numérotation, et une voyelisation. Tous ces ajouts sont considérés comme des innovations âprement discutées jusqu’au quatrième siècle de l’hégire mais finalement acceptés de manière unanime au vu de leur utilité 11. Abû Bakr établit un mode de répartition des allocations calqué sur celui du Prophète, c'est-à-dire, en attribuant une part égale à tous les allocataires. Cette modalité sera modifiée par son successeur le Calife ‘Omar ibn al-Khattâb qui sera lui-même suivi en ce sens par ‘Uthmân ibnu ‘Affân son successeur au califat. En effet, ‘Omar et ‘Uthmân répartissaient les allocations en fonction de critères différents comme l’ancienneté dans l’islam, la participation aux premiers conflits armés… En revanche l’imâm ‘Ali12 reviendra à la modalité établie par le Prophète et appliquée par Abû Bakr. Nous voyons encore qu’en ce domaine les innovations ne manquèrent pas, et ce, dès les premiers temps historiques de la communauté islamique. Le calife ‘Uthmân ibnu ‘Affân instaure le premier appel à la prière (adhân) lors de la prière du vendredi (al-jumu’a). C’est encore l’organisation de l’administration selon le modèle persan en chancellerie, ministère ou cabinet. Le fait de dire « ceci est la vérité d’Allah l’Immense » (sadaq Allahu al-‘Adhîm) est une innovation, de dire « qu’Allah sanctifie son esprit » (qaddas 11 Ce fut notamment, le gouverneur tant contesté du califat omeyyade al-Hajjâj ibnu Yousouf qui institua et systématisa la transcription du Coran pour en faciliter la lecture. Il codifia les points diacritiques, la voyelisation et la séparation des versets. 12 La différence de répartition des biens de l’empire naissant fut une des causes du déclenchement de la bataille de Siffîn entre l’imâm ‘Ali et Mu’awiya. Ce dernier favorisait les gens de sa famille, les arabes sur les nonarabes… 7 Allah ruhihi) n’apparait dans aucun recueil de hadith et est donc une innovation qu’utilisent pourtant abondamment les détracteurs de l’islam (les wahhabites). Le mihrab (la niche indiquant le sens de la qibla donc de la Mecque lors de la prière rituelle) de la mosquée prophétique ne fut construit que quatre-vingt-dix ans après sa mort, il n’y avait pas de minaret non plus… Sans nous étendre plus que de raison et afin de ne pas rendre cette étude trop fastidieuse, nous ajouterons quelques innovations pratiquées jusqu’à nos jours. Dans le domaine économique, ce furent, le chèque (sak) utilisé dès l’époque de ‘Omar ibn al-Khattâb qui prit exemple sur les chinois en l’occurrence, les lettres de change, le fermage, le changement de monnaie sous le Calife Omeyyade ‘Abd al-Malik. Dans le domaine fiscal, c’est l’établissement de nouveaux impôts, de nouvelles modalités de taxation pour un même impôt (Jizya, kharaj…), c’est également une considération différente des Dhimmis de calife en calife. Nous voyons par exemple, Mu’awiya modifier en profondeur les décrets en vigueur sous le califat de l’imâm ‘Ali. Modifications qui seront amplifiées par ses successeurs omeyyades pour être finalement remises en cause et annulées par ‘Omar ibn ‘Abd al-‘Azîz souvent appelé le « cinquième calife bien guidé ». Tout ce qu’annule ‘Omar ibn ‘Abd al-‘Azîz est restitué par son successeur Yazîd ibn ‘Abd al-Malik. C’est également la création de nouvelles métropoles et l’établissement de nouvelles capitales de l’empire musulman. Dans le domaine financier, une question comme l’usure ne sera jamais vraiment réglée 13 . Les versets abordant cette question sont au nombre de huit et révélés parmi les derniers. C’est à ce titre que ‘Omar ibn al-Khattâb dira : « Il y a trois choses dont j’aurais aimé entendre l’explication par le Prophète ; al-Had (le châtiment des péchés capitaux) ; alQalala ; et ar-Ribâ (l’usure) ». Le Prophète n’a pas eu la disposition d’expliquer la nature du Ribâ14 et en ce domaine comme dans tant d’autres, les questions de jurisprudence ne furent jamais détaillées car elles ne constituaient pas la préoccupation majeure du législateur. En conséquence, il n’est pas exagéré de dire que la grande majorité des avis contenus dans les corpus de jurisprudence ne sont que le fruit d’interprétations humaines. Ce qui nous pousse à dire que le Fiqh (la jurisprudence) comme les autres disciplines scientifiques de l’islam ne sont, pour leur majeure partie, que des innovations. C’est d’ailleurs sur ce principe que réside la différence entre la notion de Loi sacrée (Shari’â) et jurisprudence (fiqh). Jusqu’aux sciences purement religieuses comme l’exégèse (tafsir), la grammaire, la syntaxe, la recension et la classification du hadith, elles sont toutes postérieures à l’époque du Prophète voire à celle des compagnons. Des sciences comme les mathématiques, l’agriculture, la médecine, l’alchimie, l’astronomie… toutes ces sciences ont été héritées de civilisations plus anciennes et approfondies par les savants de l’islam jusqu’à l’époque de sa décadence se situant vers le milieu de l’ère ottomane. Toutes les avancées scientifiques ne peuvent être considérées autrement que comme des innovations qui pourtant furent nécessaires et profitables aux diverses contrées de l’empire islamique. Il est nécessaire d’établir une ou plusieurs références qui constitueront les critères au regard desquels une chose est considérée comme une innovation ou non. L’innovation désigne « Ce qui n'a pas existé durant les trois premiers siècles et qui n’a pas de base parmi les quatre sources de l'islam ; le Coran, la Tradition Prophétique (Sunna), le consensus (ijmâ’), et le raisonnement pas analogie (qiyâs) »15. Nous avons vu différents avis qui tous se résument à une référence aux textes fondateurs qui tous nous laissent l’opportunité d’établir toutes les 13 Jusqu’aujourd’hui des questions comme le taqsit, paiement à échéance ne sont pas claires. Les divergences entre savants sont extrêmes, ce que certains interdisent, les autres l’autorisent. 14 Nous avons également consacré une étude sur la question du Ribâ appelée à clarifier cette notion obscure au demeurant. 15 Cf. al-Lacknawî, Iqâmat al-Hujja (p. 12). 8 adaptations nécessaires. La notion d’innovation n’a jamais été reniée ou rejetée, nous l’avons vu, toutes les générations y ont eu recours. La vraie question consiste à pouvoir définir si l’innovation en question est nécessaire, positive ou négative. Or, depuis quelques temps, d’autres définitions nous disent qu’est innovation (bid’a) tout ce qui ne provient pas de l’époque des trois premières générations ; le Prophète, les compagnons et leurs successeurs (tabi’în). D'autres, plus extrémistes, vont jusqu’à fixer le point d’arrêt des références au Prophète lui-même. Réfléchir ainsi constitue déjà une rupture avec la méthodologie de nos prédécesseurs qui, eux, n’ont jamais nié l’existence voire la nécessité des innovations. L’approche de considération diffère au point d’en fausser la compréhension dès le début. Cette manière d’envisager les choses est sans précédant et mène donc, comme toute fausse question ou toute question mal formulée, à une réponse fausse. Si nous suivons cette logique, tout est innovation. Qu’existe-t-il de nos jours qui n’existait pas à l’époque du Prophète voire des premières générations (salaf salah). La réponse est simple, tout ! Prenons un jeune parmi ces nouveaux prêcheurs d’un islam épuré de toutes ses innovations, ses chaussures Nike ou Adidas, innovation, son jean, innovation, son tee-shirt, innovation, ses lunettes, innovation, ses déplacements en bus ou en voiture, innovation, son téléphone portable, innovation, l’électricité et l’eau courante, innovation, l’avion, internet, les médias… tout cela est innovation et pourtant ils sont les premiers à y avoir recours. En matière religieuse, le rosaire, le Mawlîd an-Nabawî, la lecture du Coran dans les mosquées, la visite des saints vivants comme morts, lever les mains pour invoquer… la liste serait trop longue, tout cela est innovation. Hormis le caractère risible des premières innovations qu’eux-mêmes utilisent, c’est sur les innovations religieuses, qui du moins sont considérées comme telles par eux que nous nous pencherons pour conclure cette étude. Nous verrons dans cette conclusion plus précisément ce que nous entendions par « caractère suspect » de ce genre de prétention et de fausse doctrine. En effet, toutes ses pratiques sont reconnues et cautionnées par des hadiths ou des avis de grands savants selon l’acte concerné. La visite du Baqî’16 est particulièrement profitable, le Prophète le visitait de nuit comme de jour et faisait des dou’as (demandes d’intercession) et demandait pardon pour les défunts s’y trouvant. Il est à noter que lors de ses demandes et prières, le hadith précise qu’il levait les mains. ‘Aïcha rapporte à cet effet : « Lorsque c’était ma nuit et que le Prophète résidait chez moi, il se retourna et passa sa chemise, il chaussa ses sandales et tira son drap sur son lit pensant que je dormais déjà. Il prit son vêtement et se déplaça à tâtons puis ouvrit la porte et sortit. Je passais alors un couvre-chef, je me levais et me revêtais d’un manteau puis je suivis ses traces jusqu’au Baqî’. Il resta longtemps debout et leva haut les mains à trois reprises (pour prier sur les morts) et s’en alla, alors je m’en allais aussi. Il pressa le pas, je fis de même, j’arrivais avant lui et entrais juste avant lui, il dit alors : Que t’arrive-t-il ô ‘Aïcha, tu m’as suivi ? Je répondis, il n’y a rien. Il dit : réponds-moi ou le Subtil et l’Informé (Dieu) m’informera. Elle répondit : Ô Envoyé d’Allah toi qui m’est plus cher que mon père et ma mère, et je l’informais. Il dit, c’était donc toi l’ombre que je vis devant moi. Elle répondit : Oui ! Il me serra contre lui à me faire mal et dit : Penses-tu qu’Allah et Son Envoyé pourraient te vouloir du mal ? Même si les gens garde le silence, Allah est bien informé, puis il dit : Sidna Jibrîl est venu me voir et m’appela, je lui répondis en le cachant de ta vue, il ne voulait pas entrer en ta présence, je te recouvris donc d’un vêtement. Je pensais que tu dormais et je n’ai pas voulu te déranger de crainte que tu t’effarouches. Jibrîl me dit alors : Ton Seigneur t’ordonne que tu visites les gens du Baqî’ et que tu implores le pardon en leur faveur. Elle lui demanda : que dire en une telle occasion ? Il répondit : Dis : Salam 16 Voir sur ce même site l’étude historique consacrée au Baqî’, le cimetière de Médine. 9 aux gens de cette demeure, aux croyants et musulmans et qu’Allah fasse miséricorde aux premiers et aux derniers parmi nous. Nous finirons, si Dieu le veut, par vous rejoindre »17. Tout visiteur doit à l’image du noble Prophète se rendre au Baqî’ al-Gharqad et agir tel qu’il nous l’enseigna en disant : « Il me fut ordonné de prier (dou’as) sur eux »18. Nous voyons bien ici que le Prophète visitait ses compagnons qui étaient des saints, bien que morts, de jour comme de nuit. De plus, lorsqu’il effectuait des prières pour eux, c’était auprès de leurs tombes et en levant les mains. Aujourd’hui, que ce soit au Baqî’ ou dans tout autre cimetière, ce comportement est considéré comme hérétique par les gens de ce mouvement (le wahhabisme). Nous nous attarderons un peu plus sur la question du Mawlîd an-Nabawî (la fête marquant la naissance du Prophète) qui est tant décriée de nos jours encore. Fêter la naissance du Prophète, le bien-aimé de toute la communauté et de Dieu Lui-même, devrait sembler si normal à toute personne sensée. Pourtant, de nombreux maîtres ont dû justifier cette pratique qui ne fut institutionnalisée que tardivement. Pour cela nous citerons quelques avis de grands savants unanimement reconnus. L'imam as-Suyûtî a écrit tout un chapitre sur la validité du Mawlid où il dit ceci : « Il y a une question qui était posée concernant la commémoration du Mawlid du Prophète au mois de Rabi ' Al-Awal : Quelle est la décision légale religieuse à cet égard, c'est bon ou mauvais ? Celui qui le célèbre est-il récompensé ou non ? » La réponse selon moi est comme suit : Pour commémorer le Mawlid qui réunit essentiellement les gens ensemble, récitant les parties du Coran, relatant des histoires de la naissance du Prophète et les miracles qui l'ont accompagné, est une des bonnes innovations (bid'a hassana); et celui qui le pratique est récompensé, parce qu'il implique la vénération du statut du Prophète et l'expression de la joie pour sa naissance honorable » 19 . L’imâm al-‘Iraqî a écrit tout un ouvrage sur le sujet. L'imam as-Sakhawî dit dans ses fatawîs : « La commémoration du Mawlid a été innovée après les trois premiers siècles. Par la suite, les gens de l'Islam dans les grandes villes des différents pays n'ont pas cessé de commémorer le Mawlid, de donner les différentes sortes d'aumônes durant ses nuits, et de s'appliquer à la lecture de l'histoire de sa noble naissance, et tous les mérites largement répandus rejaillissaient sur eux grâce à ses bénédictions »20. Sheikh Ahmad ibn Zayni Dahlan, le Mufti de la Mecque a écrit : " Célébrer le Mawlid et se rappeler le Prophète est accepté par tous les savants musulmans »21. L'imam as-Subki a dit : « Quand nous célébrions l'anniversaire du Prophète, un grand état de (uns) d’intimité et de rapprochement venait à notre cœur et nous sentions quelque chose de spécial ». L'imam Abu Shama, le sheikh de l'imam an-Nawawi, a dit dans son livre sur les innovations acceptables et profitables : « La meilleure innovation (bida'a hassana) en notre jour est le souvenir de l'anniversaire du Prophète. Ce jour, les gens donnent beaucoup, font beaucoup d'adoration, montrent beaucoup d'amour au Prophète et adressent beaucoup de remerciements à Allah Tout-puissant pour l'envoi parmi eux de Son Messager, et pour préserver la Sunna et la Shari'a »22. Ibn Hajar 'al-Asqalani a dit qu'il y a une preuve (dalil) pour cela, il a fait référence à un hadith sahih où un compagnon demanda au prophète : « Pourquoi ô Envoyé d’Allah jeûnes-tu le lundi ? » Sayyidna Muhammad répondit : « Car c'est le jour où je suis né ». L'imam Ibn Hajar al-'Asqalani a dit : « Le Prophète lui-même commémorait sa naissance ». Ibn Al-Jawzî a composé un livre de poésie et de Sirâ 17 Rapporté par Muslim 3/46, Nisâï 4/293 et Tirmidhî 3/952. 18 Rapporté par l’imâm Ahmed 57/11. 19 Ouvrage intitulé Husn al-Maqsâd fî ‘amal al-Mawlid. 20 Voir les Fatâwîs de As-Sakhawî 21 Dans son livre Al-Sira Al-Nabawiyya wa al-Athar Al-Muhammadiyya, page 51. 22 Dans Al-ba 'ith' ala inkar Al-bida ' wa Al-hawadith. 10 (biographie du Prophète) destiné à être lu lors des célébrations du Mawlid »23. Le Sheikh alQardawî 24 approuve également la célébration du Mawlid en ces termes : « Actuellement, célébrer l'anniversaire du Prophète signifie célébrer la naissance de l'islam. On est censé en une telle occasion rappeler aux gens comment le Prophète a vécu. Je pense que ces célébrations, si elles sont faites de la façon appropriée, serviront un grand but, rapprochant les Musulmans des enseignements de l'Islam et de la vie et de la Sounna du Prophète »25. Sheikh ibnu Taymiyya a écrit : « Même si nos prédécesseurs ne le faisaient pas (ne célébraient pas le Mawlid) et qu'ils avaient de bonnes raisons, il n'y a rien qui soit contre (cette célébration) »26. Il dit également dans son encyclopédie de Fatawa : « Célébrer et honorer la naissance du Prophète et en faire un moment exceptionnel, comme le font certains, est une bonne chose en laquelle réside une grande récompense, à cause de la bonne intention d'honorer le Prophète » 27 . Al-Hafiz Ismaïl Ibnou Kathir le célèbre exégète autorise également la célébration du Mawlid et encourage cette fête dans un de ses ouvrages où il dit « La nuit de la naissance du Prophète est une magnifique, noble, bénie et sainte nuit, une nuit de bonheur pour les croyants, pure, radieuse avec des lumières, et des prix inestimables »28. Certains hadiths comme celui où le Prophète dit que son oncle et adversaire Abû Lahab verra son châtiment allégé car il libéra une esclave pour fêter le jour de sa naissance. Ou encore ce verset qui nous demande de nous réjouir du surcroît de grâce et de la miséricorde qu’Allah nous a accordés29. Dans les commentaires, le cousin du Prophète ‘Abd Allah Ibnu ‘Abbâs lui demande en quoi consistent le surcroît de grâce et la miséricorde en question. Le Prophète lui répond : « Le surcroît de grâce est la science et la miséricorde est ton Prophète Ô ‘Abd Allah ». Nous voyons qu’Allah Lui-même nous intime de nous réjouir de la miséricorde que représente le Prophète. Ainsi, fêter le Prophète ne devrait même pas être réservé aux seuls jours de son mois de naissance, mais à tous les jours dont Dieu nous fait grâce. Tout le monde connait le long hadith sur le jour de ‘Achourâ ; voyant les juifs jeûner ce jour-là, le Prophète leur en demande la raison. Ces derniers lui répondent qu’ils commémorent ce jour qui fut celui où Allah sauva Moïse et noya Pharaon et ses troupes. Le Prophète enjoint alors de jeûner deux jours disant : « Nous sommes plus digne de Moïse que vous ». Al-Boukhârî et Muslim entre autres, rapportent nombre de hadiths sur ce jour sacré qui marque un évènement particulier au cours de la vie de tous les prophètes 30. Nous voyons ici que le Prophète demanda et conseilla de marquer un jour particulier en lequel des évènements précis s’étaient déroulés, or, quel évènement plus grand que celui de sa naissance ? Allah Lui-même marqua cette journée en y produisant des évènements extraordinaires. Pourquoi nous, musulmans serions blâmables de fêter et de nous réjouir de cet évènement qui est pure miséricorde ? Nous arrêterons ici la liste qui pourrait se prolonger sans fin tant sont nombreux les savants et les comités d’avis juridiques à s’être prononcés sur le sujet. Le plus étonnant est que dans la liste des propos de savants que nous avons donnée, se trouvent deux maîtres notamment, Ibn Al-Jawzî et Ibnu Taymiyya qui constituent parmi les principales sources de 23 Le livre a pour titre Mawlid Al-'arus. 24 Savant contemporain reconnu internationalement. 25 Source: Mufti Islam Online Fatwa Committee (19/04/2001). 26 Dans son ouvrage intitulé Iqtidâ As-Sirât al-Mustaqîm : Mukhâlafatu Ashâb al-Jahîm. 27 Dans Majma' al-Fatawi Ibn Taymiyya Vol. 23, page 163. 28 Dans son ouvrage al-Bidaya wa an-Nihaya, Tome 3. 29 Cf. Coran (120/58). 30 C’est également le jour du meurtre de l’imâm Hussein par le pouvoir Omeyyade à Kerbala. 11 ces prêcheurs à rebours. Questions, quelles sont donc leurs vraies sources puisqu’ils sont en contradiction avec leurs propres références et enfin, quelles sont leurs intentions réelles sachant qu’ils innovent, ce qui est un comble les concernant, en constituant une doctrine ne reposant ni sur les textes, ni sur l’intelligence ? Pour terminer cette étude, nous citerons l’imâm al-Ghazâlî en nous joignant à l’avis qu’il formule : « Il faut donc « se comporter avec les autres en adoptant leurs mœurs et façons de faire », comme cela est indiqué dans la tradition 31 , surtout si la convivialité, la courtoisie et l’altruisme en font partie. Si l’on objecte qu’il s’agit là d’une innovation [blâmable] (bid’a), et que les Compagnons n’ont jamais agi de la sorte, nous répondrons que tout ce qui est tenu licite ne provient pas nécessairement [et exclusivement] des Compagnons. Ce dont il faut se garder, c’est l’innovation commise au détriment d’une pratique héritée du Prophète et de ses Compagnons (sunna ma’thûra). Or, il n’y a aucun texte traditionnel qui réprouve une des choses que nous avons évoquées. Par exemple, se lever à l’entrée d’une personne ne faisait pas partie des coutumes des Arabes, et même les Compagnons, à certaines occasions, ne se levaient pas pour l’Envoyé de Dieu, comme l’a rapporté Anas (que Dieu soit satisfait de lui). Ainsi, dans la mesure où cette attitude n’est pas frappée d’interdiction générale, nous ne voyons aucun mal, dans les pays où cette pratique est répandue, d’honorer la personne qui entre en se levant. L’intention étant, en l’occurrence, de manifester son respect, d’honorer la personne, et de se montrer agréable »32. 31 Tradition rapportée par Al-Hâkim. 32 M. Hassan Boutaleb Auditions spirituelles et extase, p. 129 aux éditions Al-Bouraq, Paris 2012.