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La notion d’innovation ne pouvant, par définition, intervenir que dans le domaine du
variable, il ne sera pas nécessaire de s’intéresser à l’autre dimension de la tradition, celle qui
est invariable et immuable. Pour en comprendre la nature et même la nécessité, nous
développerons deux approches distinctes, l’une basée sur les textes fondateurs et l’histoire des
diverses dynasties islamiques et l’autre sur la logique qui doit s’imposer à toute intelligence
saine.
Ibn Taymiya disait dans son introduction de al 'Aql wa an-Naql
:
« Il n'y a pas un innovateur qui se justifie par un argument quelconque sans que je ne
m'engage à retourner son argument contre lui ». Nous serions très intéressés par les réponses
que ces continuateurs pourraient apporter à cette étude et notamment sur le plan intellectuel
comme leur maître prétend s’y situer.
D’après Muslim, Ahmad et d'autres : Jarir ibn ‘Abd Allah a dit : « Nous étions au beau
milieu de la journée chez le Messager de Dieu quand vinrent à lui des gens n'ayant pour
vêtement qu'une couverture de laine, ayant un trou par où passait leur tête, ils portaient des
sabres en bandoulière et la plupart d'entre eux ou plutôt tous étaient de la tribu de Mûdar. Le
mécontentement parut alors sur le visage du Prophète, du fait de leur extrême pauvreté. Il
entra chez lui, en ressortit et dit à Bilal de faire l’appel à la prière, il pria avec les gens puis
leur adressa ce sermon : « Ô gens ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés à partir d'un
seul être». Puis il récita cet autre verset : « Ô vous qui croyez ! Craignez pieusement Dieu et
que chaque être regarde bien ce qu'il a préparé pour demain ». Puis il dit : « Que l'un de vous
fasse aumône de son dinar, de son dirham, de ses vêtements, de sa poignée de blé, de sa
poignée de dattes, jusqu'à, dit-il, un morceau de datte ». Quelqu'un parmi les Ansars apporta
une bourse au point que sa main était incapable de la supporter, suite à quoi, les gens
défilèrent avec leurs aumônes si bien que je vis deux tas d'aliments et de vêtements. Je vis
alors le visage du Messager resplendir de joie et il dit : « Celui qui institue en islam une
bonne pratique, en reçoit la récompense et celle de tous ceux qui agissent selon elle après lui,
sans que cela ne diminue rien de leur propre récompense ; De même que celui qui institue en
islam une mauvaise pratique en supporte le péché ainsi que celui de tous ceux qui agissent
après lui selon cette coutume sans que cela ne diminue en rien leur propre péché ».
Le texte nous semble assez clair par lui-même, mais il est toujours possible, comme
nous l’avons déjà vu faire, de le traduire de manière tendancieuse pour lui faire dire l’inverse
que ce qu’il exprime. Hujjat al-Islâm, al-Ghazâli (que Dieu lui fasse miséricorde) a dit : « Le
fait que cet acte soit innové (muhdath) n'est en rien un obstacle. Combien de pratiques
innovées sont excellentes ! Comme il a été dit concernant l'établissement de la prière de
Tarawih en groupe, c'était une nouvelle pratique instaurée par 'Omar et c'était une excellente
innovation (bid'a hassana). L'innovation blâmable est uniquement celle qui s'oppose à la
Sunna ou qui mène à la changer »
. Les avis de ce genre et émanant des plus grands spirituels
de l’islam ne se comptent plus tellement ils sont nombreux. Seule une volonté très suspecte
produit des efforts sans cesse renouveler à coût de pétro-dollars pour engager les musulmans à
penser le contraire de tout ce que les grands savants ont affirmé et que la logique d’un esprit
sain peut constater au quotidien.
Les avis sur la question sont innombrables, s’ils sont mal compris c’est tout
simplement que certaines personnes, pas toujours bien intentionnées, opèrent une sélection
Titre pouvant se traduire par « L’intelligence et les textes fondateurs » ce qui est la démarche que nous
utiliserons nous-mêmes mais qui, nous le verrons, nous mène à des conclusions opposées.
Al-Ghazâlî, Ihyâ ‘Ulûm ad-Dîn (1/276).