Les innovations en islam
par
SLIMANE REZKI
1
Les innovations en islam
par
SLIMANE REZKI
© Février 2013, Tabernacle des Lumières
2
Les innovations en islam
L’école de pensée Wahhabite
1
, du moins si on peut la qualifier de telle, nous apprend
que tout ce qui ne fut pas établi par le Prophète est une innovation et qu’à ce titre, en
conformité avec les termes d’un hadith, toute innovation est égarement et tout égarement
mène au feu.
Nous montrerons au sein de cette étude que la notion d’innovation est bien plus large
que celle communément retenue de nos jours. Mais en outre, l’innovation a toujours été
pratiquée pour de bonnes ou mauvaises raisons, mais on y a toujours recouru. Les bonnes
raisons sont celles qui consistaient à mettre en place toutes les adaptations nécessaires que la
société civile imposait. Nous verrons que dès le début de l’islam et de la part des plus hautes
autorités, des adaptations novatrices furent mises en place à travers toutes les sphères, qu’elles
soient religieuses, cultuelles, économiques, guerrières, administratives ou encore
commerciales et législatives. Les mauvaises raisons sont celles qui étaient motivées par des
objectifs individuels au détriment de lintérêt général comme l’enrichissement, cautionner un
titre ou une fonction, le pouvoir, l’assise d’une dynastie, la volonté de figurer l’islam,
l’ignorance… Pour confirmer notre propos nous citerons l’une des grandes autorités
sunnites, limâm aSh-Shâfi'i qui a dit : « Les affaires innovées (al-muhdathâtu min al-umûri
darbân) sont de deux types :
L'une est une innovation (uhditha yukhâlifu) qui contredit un élément du Coran
(Qur'ân), de la Sunna, de la pratique des Compagnons (athar) ou du Consensus (ijmâ'). Cette
innovation est un égarement (fahâdhihi al-bid`atu dalâla).
L'autre type est l'innovation qui concerne tout ce qui est bon (mâ uhditha min al-
khayr) et qui ne s'oppose en rien à ce qui a été mentionné précédemment, il n'y a aucune
contre-indication concernant ce genre d’innovation »
2
.
Les innovations sont en général et selon les divers avis des savants concernés par ce
domaine juridique, réparties en trois catégories :
1 - les innovationsfastes,
2 - les innovations neutres,
3 - les innovations positives.
Pour mieux comprendre cette répartition, il faut bien saisir qu’une tradition se répartit
toujours et invariablement en deux domaines distincts :
1
Mouvement de pensée né dans le dernier quart du dix-huitième siècle et créé par son fondateur Mohammed ibn
‘Abd al-Wahhâb. Son projet, revenir à la pureté originelle de l’islam. Le wahhabisme devient réellement influent
à partir de 1932 il dirige le royaume d’Arabie. C’est avec le roi ‘Abd al-‘Azîz de la tribu des Sé’oud que le
régime wahhabite s’installe en force. En effet, celui-ci en 1945 conclut le pacte « pétrole contre protection » avec
les américains. Leur doctrine est fondatrice du salafisme et amplement répandue de nos jours.
2
Al-Bayhaqî, Manâqib ash-Shâfi’î (1/469). Voir à ce sujet de nombreux avis et une étude précise sur le même
sujet sur http://islamsunnite.over-blog.com/article-10815712.html. L’imâm ash-Shâfi’î fut l’un des quatre grands
fondateurs d’écoles de pensée de l’islam sunnite. Le citer nous dispense ainsi de nous étendre par trop en
citations.
3
Une dimension immuable ou en fait aucune innovation ne peut être envisagée
autrement que comme néfaste. Ce domaine est, bien entendu, celui de la spiritualité et de la
doctrine.
L’autre dimension se compose d’éléments variables qu’il est possible, voire
cessaire, d’adapter aux circonstances de temps, de lieux et de mentalité. Ces éléments
variables se retrouvent, comme nous le disions plus haut, dans tous les domaines sociaux et
même jusque dans les éléments secondaires du culte et de la spirituali. En effet, si le but de
la spiritualiest « un », les voies qui y mènent, nous dit un hadith du Prophète, sont aussi
nombreuses que les fils d’Adam.
C’est en ce sens que doivent être compris certains enseignements du Prophète servant
de caution aux détracteurs de toute innovation, bonne ou mauvaise. Abd Allah ibn ‘Omar qui
était un proche du Prophète, disait : « Toute innovation est égarement, même si les gens
la voient bonne». Ce qui est concevable si l’on envisage la dimension immuable du message
prophétique. Dans le même sens, un autre hadith nous dit : « Il n’y a pas une chose qui vous
rapproche du Paradis sans que je ne vous l’aie montrée, et il n’y a pas une chose qui vous
rapproche de l’Enfer sans que je ne vous en aie mis en garde ». Il est clair que le but ici est le
paradis et donc la spiritualiet les modalités principales qui concourent à y parvenir. Le
Prophète est venu pour nous permettre de réaliser notre raison d’être profonde qui autrement
dit est d’effectuer une quête menant à une prise de conscience de la seule Réalivéritable,
celle de Dieu. En aucun cas, le Prophète n’est venu nous apprendre à jouer au billard, à
fabriquer des vélos ou pour tout autre but insignifiant. Il est venu nous enseigner ce que nous
ne pouvons saisir par nos faculs discursives et humaines. Il est venu nous tracer la voie du
bonheur qui réside dans la bonne compréhension des principes et de la finalide l’existence.
Comme nous le verrons, la question des innovations se rapporte aux aspects secondaires et
souvent les plus insignifiants de la tradition, et s’en occuper exagérément, comme le font
certains groupes ou pseudo-savants, concoure à caricaturer la tradition en mettant le
secondaire à la place du primordial ou, si l’on veut, en inversant les priorités hiérarchiques du
Législateur et donc les objectifs de l’Homme.
Lorsque le Coran nous dit par exemple, « Nous n'avons rien omis dans le Livre»
3
, il
est évident qu’il s’agit des principes et non des applications trop nombreuses et variées pour
être circonscrites dans un livre quel qu’il soit. Quand encore le Coran nous dit : « Il n’y a pas
de variation dans le Verbe de Dieu »
4
et qu’un autre verset nous dit : « Il n’est pas un verset
que Nous n’abrogions ou que Nous fassions tomber dans l’oubli sans que Nous ne le
remplacions par un verset préférable ou équivalent »
5
. La permanence du Verbe ne peut
s’accommoder d’une notion de variation, d’abrogation ou de remplacement, or, si le Coran
semble ici, comme dans beaucoup d’autres cas de figure, se contredire, ce n’est qu’une
apparence trompeuse. Le Verbe divin étant universel et synthétique, comprend en une
expression unique tous les modes d’existence et de connaissance, tant immuable que variable.
Si le Verbe, inexprimable par nature, est unique, ces expressions sont multiples et se doivent
d’être sans cesse renouvelées pour permettre à tous de le saisir. Ce qui varie est le symbole
évocateur et ce qui ne varie pas est le symbolisé évoqué.
3
Coran (6/38).
4
Coran (10/64).
5
Coran (2/106à.
4
La notion d’innovation ne pouvant, par définition, intervenir que dans le domaine du
variable, il ne sera pas nécessaire de s’intéresser à l’autre dimension de la tradition, celle qui
est invariable et immuable. Pour en comprendre la nature et même la nécessité, nous
développerons deux approches distinctes, l’une basée sur les textes fondateurs et l’histoire des
diverses dynasties islamiques et l’autre sur la logique qui doit s’imposer à toute intelligence
saine.
Ibn Taymiya disait dans son introduction de al 'Aql wa an-Naql
6
:
« Il n'y a pas un innovateur qui se justifie par un argument quelconque sans que je ne
m'engage à retourner son argument contre lui ». Nous serions très intéressés par les réponses
que ces continuateurs pourraient apporter à cette étude et notamment sur le plan intellectuel
comme leur maître prétend s’y situer.
D’après Muslim, Ahmad et d'autres : Jarir ibn ‘Abd Allah a dit : « Nous étions au beau
milieu de la journée chez le Messager de Dieu quand vinrent à lui des gens n'ayant pour
vêtement qu'une couverture de laine, ayant un trou par passait leur tête, ils portaient des
sabres en bandoulière et la plupart d'entre eux ou plutôt tous étaient de la tribu de Mûdar. Le
mécontentement parut alors sur le visage du Prophète, du fait de leur extrême pauvreté. Il
entra chez lui, en ressortit et dit à Bilal de faire l’appel à la prière, il pria avec les gens puis
leur adressa ce sermon : « Ô gens ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés à partir d'un
seul être». Puis il récita cet autre verset : « Ô vous qui croyez ! Craignez pieusement Dieu et
que chaque être regarde bien ce qu'il a préparé pour demain ». Puis il dit : « Que l'un de vous
fasse aumône de son dinar, de son dirham, de ses vêtements, de sa poignée de blé, de sa
poignée de dattes, jusqu'à, dit-il, un morceau de datte ». Quelqu'un parmi les Ansars apporta
une bourse au point que sa main était incapable de la supporter, suite à quoi, les gens
défilèrent avec leurs aumônes si bien que je vis deux tas d'aliments et de vêtements. Je vis
alors le visage du Messager resplendir de joie et il dit : « Celui qui institue en islam une
bonne pratique, en reçoit la récompense et celle de tous ceux qui agissent selon elle après lui,
sans que cela ne diminue rien de leur propre récompense ; De même que celui qui institue en
islam une mauvaise pratique en supporte le péché ainsi que celui de tous ceux qui agissent
après lui selon cette coutume sans que cela ne diminue en rien leur propre péché ».
Le texte nous semble assez clair par lui-même, mais il est toujours possible, comme
nous l’avons jà vu faire, de le traduire de manière tendancieuse pour lui faire dire l’inverse
que ce qu’il exprime. Hujjat al-Islâm, al-Ghazâli (que Dieu lui fasse miséricorde) a dit : « Le
fait que cet acte soit innové (muhdath) n'est en rien un obstacle. Combien de pratiques
innovées sont excellentes ! Comme il a été dit concernant l'établissement de la prière de
Tarawih en groupe, c'était une nouvelle pratique instaurée par 'Omar et c'était une excellente
innovation (bid'a hassana). L'innovation blâmable est uniquement celle qui s'oppose à la
Sunna ou qui mène à la changer »
7
. Les avis de ce genre et émanant des plus grands spirituels
de l’islam ne se comptent plus tellement ils sont nombreux. Seule une volonté très suspecte
produit des efforts sans cesse renouveler à coût de pétro-dollars pour engager les musulmans à
penser le contraire de tout ce que les grands savants ont affirmé et que la logique d’un esprit
sain peut constater au quotidien.
Les avis sur la question sont innombrables, s’ils sont mal compris c’est tout
simplement que certaines personnes, pas toujours bien intentionnées, opèrent une lection
6
Titre pouvant se traduire par « L’intelligence et les textes fondateurs » ce qui est la démarche que nous
utiliserons nous-mêmes mais qui, nous le verrons, nous mène à des conclusions opposées.
7
Al-Ghazâlî, Ihyâ ‘Ulûm ad-Dîn (1/276).
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !