L’histoire du music-hall, depuis cinquante ans, est pleine
d’expériences tentées devant de très vastes publics, et donc
incontestablement populaires. Et les spectacles de Meyer-
bold dans les années vingt? Et le théâtre prolétarien de Pis-
cator? Et la mise en scène du Prince de Hombourg chez
Vilar? Expériences, défis au goût du jour, mais sans aucun
doute populaires. On pourrait citer en revanche plus d’une
tentative de théâtre expérimental, ou d’essai, dont l’ori-
ginalité fut dérisoire. Le maudit n’est pas toujours le
moins conformiste.
D’ailleurs, au cours de son raisonnement,Vinaver finit
par assimiler théâtre expérimental et théâtre maudit : un
théâtre d’avant-garde qui postule l’échec et l’incommuni-
cabilité, un théâtre déchargé de la responsabilité de signi-
fier ou, plutôt, dans lequel les significations les plus
diverses se superposeraient pour s’annuler au seul profit
d’un hypothétique ébranlement du spectateur, de cette
provocation et de cette « détonation » dont, pendant les
années trente, on fit si grand cas. Et à ce théâtre
d’avant-garde « expérimental », il oppose un théâtre popu-
laire de « l’Âge d’Or », des spectacles d’adhésion et de fête
où se recréerait l’unité de notre société, où, de la salle à la
scène, il n’y aurait plus qu’une seule communauté.
Il est vrai que l’exploration de formes et de thèmes
nouveaux peut provoquer un divorce entre l’artiste et son
public, et que certains essais ne sont réalisables qu’en petit
comité, pour un public restreint, ou pour pas de public du
tout : petites scènes, studios, etc. Devons-nous redire à ce
propos que nous ne souhaitons rien tant que voir se créer
en France de ces laboratoires de réflexion et de recherche
appliquée, par quoi pourraient être corrigés l’empirisme et
le manque de sérieux dont souffre notre vie théâtrale?