Floriane Provenchère Célia Capdeville Louise Gentillet Rire et Démocratie Lycée Théophile Gautier – Tarbes Avril 2014 SOMMAIRE Introduction............................................................................................ 3 I. Le rire dans les démocraties antiques : Athènes et Rome.................... 4 I.1 L'humour durant l'Antiquité...................................................................... 4 I.2 Le théâtre antique..................................................................................... 5 II. Rire & démocratie en France des années 60 à nos jours..........................8 II.1 Rire du début de la Vème République à la fin du XXème siècle........8 II.2 Le rire dans la démocratie actuelle............................................11 Conclusion................................................................................................13 Introduction «On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde.» affirmait Desproges dans son réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen ( Les tribunal des flagrants délires - France Inter) ou « Le rire est le propre de l'Homme» sont deux expression connues de tous qualifiant le rire, dont nous ne mesurons pas toujours la portée. Le rire est un comportement réflexe exprimant généralement la gaieté, la joie, un soulagement qui se manifeste par un enchaînement de petites expirations saccadées accompagné d'une vocalisation inarticulée plus ou moins bruyante, soient «hihihihi ! Hahahahaha ! Hohohohoho !» . Le rire est causé par le comique et l'humour en général, dans un spectacle, un sketch, une situation vécue, fictive ou racontée. Le rire est dit communicatif et inclus une dimension de partage : une personne qui rit amène le rire à son entourage, le rire se partage en groupe, en société (un homme rit douze fois moins seul qu'un groupe, ce qui souligne son rôle social). En France, le rire est associé à la moquerie, ce qui explique la culture de la caricature et de la moquerie qui consistent à pousser un trait de caractère tellement loin qu'il devient irréaliste, et donc faux. Il s'agit de renverser une menace, le pouvoir, l'ordre établit, en retournant la situation à son avantage, libérant la pression. En effet, le rôle du rire serait pour le cerveau de relâcher des hormones destinées à contrer les effets du stress. Le rire a donc une vertu démystificatrice. Il ouvre à la lucidité et permet aux uns et aux autres de prendre conscience de l'ordre et des désordres du monde et d'en recréer un moins menaçant. Il est aussi une forme de refus et de résistance à une pensée dominante, à des croyances, à des angoisses, il permet la transgression, de porter un regard fantastique sur le monde l'ordre, la morale et d'envisager toutes sortes de possibles. Le rire représente l’expression d’une joie partagée, mais surtout un champ de liberté de pensée. Dans un système démocratique, il joue aussi son rôle. La démocratie est l'exercice direct ou indirect du pouvoir par le peuple où tous possèdent les mêmes droits, les citoyens peuvent exercer un vivacité intellectuelle et morale. Dans la démocratie, la voix du peuple est sacrée, pour reprendre la maxime romaine vox populi, vox dei - voix du peuple, voix des dieux. La voix du peuple est la seule source de pouvoir légitime. Dès lors, remettre en cause cette sacralité par le rire est le propre de l'homme. L'Homme ne peut s'empêcher malgré tout de moquer la démocratie la moquerie et l'humour visent à signifier qu'une personne veut se donner de grands airs sans en avoir l'envergure et garantir l'égalité de tous. Malgré tout, peut on rire de tout dans une démocratie ? Nous verrons comment la démocratie a pour corollaire le rire dans les démocraties antiques dans un premier temps, puis comment il devient un contre-pouvoir dans la Vème République en France des années 60 à nos jours. I. Le rire dans les démocraties antiques : Athènes et Rome I.1 L'humour durant l'Antiquité Dans la mythologie grecque, Momos était le Dieu de la moquerie, du sarcasme et du ridicule. Ces plaisanteries et mauvais tours auprès des autres Dieux le fit détester des hommes et des dieux et lui coûtèrent l'exclusion par Zeus de l'Olympe. Une des premières personnes de l'histoire à s'être intéressée au rire est Hippocrate, un grec, le «père de la médecine». On raconte qu'il aurait été appelé dans un village pour consulter un homme que les habitants croyaient fou parce qu'il passait son temps à rire. Après avoir fait son diagnostic, il en a déduit que « rire est sain » et que tout le monde devrait en faire autant. La traduction du fou rire en grec est équivalente de la secousse tant il était spontané et expressif. Les Grecs et les Romains étaient donc de grands joueurs et l'un des trésors que nous avons conservé de cette époque est le le Philogelos ("l'ami du rire", en grec ancien, rédigé en grec mais datant de la république romaine), recueil où sont compilées 265 blagues. Si vous imaginez que les blagues antiques sont d'un autre temps, vous serez étonnés de savoir que la certaines ont gardé un caractère très actuel : • Deux hommes se rencontrent dans la rue. Le premier dit : "Tiens, on m'avait annoncé que vous étiez mort." L'autre, piqué, rétorque : "Bin, vous voyez que je ne le suis pas : je suis bel et bien vivant." Mais le premier n'en démord pas : "Oui, mais l'homme qui me l'a annoncé est drôlement plus fiable que vous." Comme aujourd'hui, il y a des personnages types comme les intellectuels sont les cibles principales et sont toujours les autres personnages ne manquent pas : les professeurs, les médecins, les philosophes, les avares, les barbiers, les Thraces de la cité d'Abdera, de Kyme ou de Sidon (Pourquoi les habitants de ces villes sont-ils l'objet de moqueries ? Mystère... Mais ils sont l'équivalent de nos Belges) : tous font les frais de ces plaisanteries, dont l'humour réside dans les stéréotypes, le décalage, l'absurde... Mais d'anciennes blagues ont tendances à ne plus nous paraître drôles car nous sommes détachés du contexte historique comme par exemple les potins des consuls ou sur les événements d'ont nous n'avons plus connaissance, d'autres ne sont (et n'ont jamais été !) drôles, qu'elles contiennent des jeux de mots intraduisibles, les équivalents des «blagues de Toto» d'aujourd'hui, ou le sens a changé comme par exemple : • L'ami d'un professeur lui demande de ramener deux esclaves de 15 ans, de son prochain voyage. Le professeur est d'accord, mais répond : "Si je n'en trouve pas deux jeunes de 15 ans, je t'en ramènerai un de 30 ans." Aujourd'hui, on la rapproche immédiatement de la bonne vieille blague sexiste, de l'homme qui cherche à échanger sa femme de 50 ans contre deux jeunettes de 25... Selon Mary Beard, helléniste à l'Université de Cambridge, ce n'est pas ainsi que les Romains l'entendaient : il s'agirait plutôt d'une plaisanterie sur la réalité des nombres et leur nature, et la problématique de l'abstraction du système numéraire. Aristote au IVème siècle, oppose le rire «bouffon» à l'ironie plus subtile dont il fait l'éloge dans sa Rhétorique : « Nous avons dit [...], combien il y a d’espèces de plaisanteries, dont une partie s’accorde avec le caractère de l’homme libre, l’autre non: vous devez donc veiller à n’en prendre que ce qui est en harmonie avec votre personne. L’ironie est plus digne de l’homme libre que la bouffonnerie; par le rire, l’ironiste cherche son propre plaisir, le bouffon celui d’autrui.» A Rome, on rit surtou des despotes. Des défilés sont organisés, durant lesquels on ne se retient pas de faire des satires politiques. Pour ne prendre qu'un exemple, retenons ce bon mot de Cicéron : la scène se déroule lors du procès de Milon, accusé d'avoir assassiné le tristement célèbre Clodius. Cicéron, avocat de Milon, est lui-même interrogé par l'accusation. Question : quand Clodius est-il mort ? Et Cicéron de répondre : "Sero." Ce qui signifie en Latin "tard", mais aussi "trop tard". Le sel de cette réponse tenant au fait que Clodius est décédé en fin de journée, mais aussi que, de l'avis de Cicéron, on aurait dû être débarrassé de cet énergumène depuis longtemps ! Il passait pour être l'homme le plus drôle et le plus spirituel de l'Histoire de Rome : après sa mort, ses esclaves avaient même réuni ses meilleures réparties, dans un ouvrage en trois tomes ! Une autre anecdote, rapportée par Mary Beard dans le Times illustre bien le propos : elle concerne l'Empereur Auguste, dont la tolérance face aux railleries de toutes sortes était encore célébrée quatre siècles après sa mort. Le couple qu'il formait avec Livie était l'objet des quolibets : il l'avait épousée alors qu'elle était enceinte de son premier mari. Elle accoucha donc 3 mois après leur union - ce qui faisait dire aux Romains que "les gens heureux ont des enfants après 3 mois de mariage"... (Suétone, "Vie de Claude", I) I.2 Le théâtre antique LE THÉÂTRE GREC Le théâtre grec est un service public de divertissement et d'enseignement civique et religieux pour un public illettré dans sa majorité. Tous les rôles sont tenus par les hommes, il n'y avait pas de comédiens professionnels car il n'y avait que 10 jours de théâtre. Les représentations se faisaient tout au long de la journée en plein air. Il n'y avait pas de séparation entre le public et les acteurs qui étaient sur le même plan, et toutes les classes de la société assistaient au même spectacle. Le theatron est un espace de représentation artistique en forme d'arc de cercle où le public siègeait. Le Proskénion était la place du cœur et la skéné celle des comédiens. L'ancienne comédie grecque est née lors de la fête dionysiaque des «presssoirs» afin d'organiser et réguler les orgies auxquelles les participants s'adonnaient, les saynètes étaient improvisées et l'humour très gras. Elle s'institutionna au début du Vème siècle avant J-C et le premier concours eut lieu en -486. Les acteurs n'étaient pas très nombreux, portaient des costumes matelassés au niveau de leur ventre et de leur derrière, portaient des «talons hauts», étaient habillés de blouse blanche courtes de laquelle dépassaient d'énormes sexes en cuir pour les personnages masculins (quand on disait humour très gras !). Ils portaient des masques avec une bouche démesurée, un nez soit proéminent soit applatit, ce qui leur donnaient des allures d'animaux (chiens, fouines, hiboux crapaud principalement, en accord avec le carractère du personnage) ou, en cas de satires, des personnalités bien réelles que les masques carricaturent. Il y a également vingt-quatre choristes et le coryphée. Le découpage d'une pièce se fait ainsi 1) le prologue : c'est la présentation par les acteurs 2) Parados : entrée du chœur surprenante avec des costumes époustouflants et des chants hilarants. 3) l'agôn : série de gags entre les acteurs et les chœur qui se termine par le pnigos, une longue tyrade. 4) la parabase : le choeur dévoile la pensée de l'auteur 5) l'exodos : les ridicules sont battus avec un bâton et le chœur sort. Aristophane (-446 à -385) est un grand auteur satirique qui défend Athènes des abus en ridiculisant des notables sur scènes où il nommait et reproduisait ces personnalités à l'aide de masque très ressemblants. Il fait des pièces comiques avec un fond très sérieux : la paix (Aristophane est traumatisé par la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Ahènes). Il crée des situations atypiques comme dans Lysistrata où les femmes font une grève de l'amour pour arrêter la guerre, ou encore dans Les Oiseaux où deux Athèniens vont chez les Oiseaux (créature imaginaire) pour fuir les huissiers. La comédie nouvelle apparaît vers -350 et n'a plus aucun caractère obscène, politique, il n'y a plus d'attaques personnelles ni de chœur. Ménandre (-343 à -292) inspira grandement les auteurs de comédies romains avec des scénarios que l'on retrouvera à l'identique dans la Palliata. Les personnages sont fixes soient une jeune fille, un jeune homme, les parents du jeune homme, une courtisane, un esclave malicieux,... Et les histoire sont toujours une fille violée durant une fête religieuse, accouche, épouse son fiancé qui ignore tout et l'enfant réapparait, causant un scandale jusqu'à ce que les personnages apprennent que le violeur n'est nul autre que le fiancé ; ou un jeune homme épris d'une courtisane qui se découvrira héritière d'une fortune au cours de la pièce. Les esclaves sont toujours farceurs et aide les jeunes contre les vieux. Ces scénarios sont repris par Molière dans de nombreuses pièces comme les Fourberies de Scapin par exemple. LE THÉÂTRE ROMAIN Le théâtre romain est un service public de divertissement car il faisait partie des jeux demandés avec le pain par le peuple. Il était lié à la religion. Tous les rôles sont tenus par les hommes et les femmes apparaissent parfois en tant que danseuses. Les comédiens étaient des esclaves spécialisés, c'étaient des professionnels, bien qu'il n'y ait que 60 jours de théâtre à Rome. Les représentations se faisaient toujours le matin en plein air. Il n'y avait pas de séparation entre le public et les acteurs qui se trouvaient dans le même lieu, et toutes les classes de la société assistaient au même spectacle. La palliata est un genre théâtral composé de personnage type (un vieillard, sa matronne, son fils, une fille respectable victime d'un proxénète, …) classé dans deux catégories soient les «vieux» (autour de 45 ans, le terme était senex, senis soit l'ancien en latin) et les «jeunes» (de moins de 20 ans), les thèmes sont récurents, les mêmes que ceux de Ménandre (vu précédemment). Plaute et Térence sont les dramaturge de comédie les plus connus de cette période, Plaute ayant un humour très grossier se basant principalement sur le sexe, ce qui ne changeait en rien à la qualité de son style (à lire à voix haute scrattae, scrupipedae, strittabilae, sordidae est une suite de belles allittérations dont le sens est «des putains écloppées, épilées, sales»... un peu moins poétique d'un coup !) Il a cependant une morale très conseratrice des bonnes mœurs. Térence, lui, est le contraire de Plaute en tout points : il écrit des comédies poétiques, romanisées, et est soutenu par des notables. C'est un avant-gardiste, il crée la scène d'exposition qui remplacera le prologue. Du côté des comédiens, Roscius, un fils d'affranchis, était une vedette du théâtre romain idolâtré, richisime, impétueux, «beau comme un Dieu» comme disait son protecteur et amant le consul Cathalus. Il fréquentait de nombreuses personnalités ayant pouvoir, argent et notoriété, ainsi, il remit au goût du jour dans cette catégorie sociale élevée, les plaisirs grecs soient l'homosexualité et le rire avec le mime (qui est un terme équivalent à «pièce» de nos jour), un spectacle où l'on parle et où des femmes apparaissent en tant que danseuses, ce sont des séries de sketchs ressemblant à des vaudevilles de part le côté grivois et érotique et ayant tout de même une dimension scabreuse et satyrique ou le pantomime qui est un «one man show» muet entouré de musiciens, danseurs et figurants. La visée du théâtre romain n'était pas réellement les questions politiques de la République ou l'éducation des citoyens en histoire car les romains jugeaient malpropre que des esclaves instruisent des citoyens de l'histoire d'un noble pays, mais il donnait une éducation morale par la comédie ou la tragédie. Le théâtre montrait au peuple, par une farandole d’émotions, qu'il faut obéir aux Dieux et aux règles qu'ils ont établies pour connaître une existence heureuse. Les satires sont jouées dans les campagnes par des amateurs et abordent des thèmes guerriers ou en ville si le climat politique est détendu car tous les consuls n'avaient pas le sens de l'humour... II. Rire & démocratie en France des années 60 à nos jours De 1958, date de la Constitution de la Vème République, à aujourd'hui le rire n'est pas le même. Les époques étaient en effet vraiment différentes et ainsi les gens ne riaient pas pour les mêmes raisons. Il nous semble donc intéressant d'observer le rire de la dernière moitié du siècle dernier afin de pouvoir mieux voir les différences avec l'humour de nos jours. I.1 Rire du début de la Vème République à la fin du XXème siècle Cinéma & théâtre Le XXème siècle a été le siècle du cinéma. Celui-ci apporte le détachement nécessaire à l’égard du monde, et ainsi permet de jouir pleinement de ses propres émotions. Avec cette prise de distance par rapport à la vie, le cinéma réalise donc les conditions idéales du rire, qui résulte toujours du constat d’un écart, à l’égard de soi comme à l’égard des autres. Le rire y est donc plus pur, l’illusion y est plus complète qu’à la lecture ou au théâtre. Et après la Seconde Guerre mondiale les Français aspirent massivement à se divertir. Les artistes investissent alors la comédie domestique et bon enfant. Le gag visuel ou de situation, le quiproquo et la comédie bourgeoise dominent le travail des artistes sur la scène comme au cinéma. Le cinéma burlesque se développe, fondé sur l’absurde, l’irrationnel, la provocation. Il est composé d’une suite rapide et rythmée de gags indépendants les uns des autres. Le comique y est essentiellement physique (chutes, poursuites, bagarres), il s’agit souvent d’un comique de geste. Le film burlesque repose en grande partie sur la personnalité de l’acteur qui impose un style et un profil de personnage. En France, la comédie connaît une multitude de tons et de styles. La comédie française s’appuie ainsi souvent sur le succès commercial d’acteurs réputés, comme Louis de Funès, Fernandel, Bourvil, Bobby Lapointe, Maurice Chevalier, etc. Ainsi La Grande Vadrouille, film de Gérard Oury, a connu un immense succès. Certains réalisateurs se sont spécialisés dans le genre (Gérard Oury, Georges Lautner, Claude Zidi), d’autres y ont contribué de façon plus exceptionnelle (Renoir, Boudu sauvé des eaux ; Claude Autant-Lara, La Traversée de Paris). À la fin des années 1970, de jeunes comédiens issus des cafés-théâtres ont apporté une nouvelle dimension à la comédie, s’appuyant sur la satire des moeurs de leurs contemporains. Il s’agit de la troupe du Splendid dont les films Les Bronzés (1979) et Le Père Noël est une ordure (1982) comptent parmi les préférés des Français. Mais certains artistes semblent résister à cette "facilité". En 1953, dans "Les vacances de Mr Hulot", Jacques Tati tisse avec son personnage, ovni lunaire et maladroit, les plus belles pages de l'humour cinématographique français. Il dénonce avec poésie l'absurdité d'une société pressée de consommer, de faire du bruit et de s'uniformiser. On retrouve les mêmes tendances au théâtre. Certains auteurs après la Seconde Guerre mondiale auront recourt au vaudeville, comme Marc Camoletti avec Boeing boeing, et Jean Poiret avec La Cage aux folles. Le vaudeville est un genre léger qui ne dépasse pas le phénomène physiologique du rire. Il ne cherche qu’à divertir et à plaire en exploitant un rire euphorique, qui n’implique aucun jugement de la part du spectateur. « Il est pur divertissement. Dépourvu d’ambitions morales ou psychologiques et de message politique ou social, le vaudeville est en définitive un genre théâtral plus scénique que littéraire, plus visuel qu’écrit. Réputé inférieur par la critique et les milieux intellectuels, il a de fait été boudé par les grands auteurs de la littérature française » (Marie-Claude Canova, La Comédie). Dans les années 1950, le théâtre d’avant-garde propose le modèle de l’"anti-pièce", contestation systématique des préceptes de la dramaturgie classique. Elle révèle à la fois la reconnaissance du tragique dans la condition humaine et la dérision de ce tragique. Elle fait encore place au comique, parce qu’elle maintient, par le rire de libération qui en résulte, une distance de non-participation entre le spectateur et la représentation de sa situation dans le monde. Ainsi donc l’anti-pièce se situe dans le prolongement de la comédie. Le théâtre d’avant-garde donne en définitive une vision mi-tragique mi-burlesque de l’humanité. Devant l’absurdité de la condition humaine, seul le recours à l’humour peut empêcher l’homme de sombrer dans le désespoir. Dans le théâtre désormais, le spectateur est invité à rire, non pas du personnage, mais de lui-même et de sa misérable condition humaine. Rire pour se libérer du tragique … Ainsi Samuel Beckett utilise le comique de la farce, un comique outrancier (En attendant Godot), tandis qu’Eugène Ionesco fait davantage appel à l’incongru (Les Chaises, La Cantatrice chauve). Mais le rire qui en résulte est souvent un rire amer, un rire sans joie (forme suprême du rire pour Beckett). Humoristes Par ailleurs, le XXème siècle, malgré ses heures tragiques, a vu naître de nombreux chansonniers et humoristes issus pour la plupart du café-théâtre ou du music-hall. Au début des années soixante Pierre Dac s’associe à Francis Blanche qui, de son côté, a déjà une grande expérience d’humoriste, d’animateur de radio et de télévision, de parolier et d’acteur de cinéma. Fernand Raynaud, quant à lui, fait ses débuts après la Seconde Guerre mondiale, dans l’émission « 36 chandelles » présentée par Jean Nohain. Il est le célèbre auteur, entre autres, du sketch « Le 22 à Asnières ». La guerre d'Algérie signe la fin d'une trêve tacite entre humoristes et politiciens. Les acteurs du rire s'emparent ouvertement des thèmes politiques : pouvoir d'achat, éducation, immigration, chômage, pauvreté, consumérisme et politique politicienne. On voit alors émerger des humoristes contestataires ou engagés, souvent soutenus par les radios libres nées après la fin du monopole d'état en 1981, qui signeront l'âge d'or de l'impertinence à la française. La fin des années 1960 est marquée par l’émergence de Guy Bedos, qui se distingue par sa libre parole et ses engagements politiques sur scène. Résolument de gauche mais indépendant des pouvoirs, il porte un regard critique sur la classe politique et l’évolution de la société. On ne peut parler des grands comiques français sans mentionner Coluche. Issu du café-théâtre parisien, il joue son premier one man show en 1974 et arbore pour la première fois ce qui deviendra son costume emblématique : nez rouge, salopette et brodequins jaunes. Il s’est ensuite imposé comme le provocateur des années 1980, critiquant la politique et la société de son temps avec un humour ravageur. Il s'implique aussi socialement et bouscule les politiciens par sa "vraie-fausse" candidature à la présidence. Thierry Leluron épingle la gauche comme la droite par ses imitations corrosives et bouscule les préjugés par son faux mariage avec Coluche. Raymond Devos et Pierre Desproges manient l'absurde pour critiquer l'endormissement des consciences politiques. Raymond Devos est l’auteur d’une oeuvre singulière, poétique, révélant une parfaite maîtrise de la langue française et un inimitable talent pour les jeux de mots. Desproges s’est avéré redoutable auteur, à la plume particulièrement acide. Il est très connu par sa participation au Tribunal des flagrants délires, émission à succès de France Inter. En septembre 1982, Pierre Desproges avait déclaré : « Premièrement, peuton rire de tout ? Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ? À la première question, je répondrai oui sans hésiter. [À la deuxième question] peut-on rire avec tout le monde ? C’est dur… ». Cette extrait est resté célèbre. Dans les années 80, les parodies, tant de films que de chansons, se firent sentir de façon plus marquées. Les Inconnus, qui regroupe le trio Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus, fut créé en 1984. Ils ont fait des parodies d'émissions et de personnalités, des films et des chansons. À cette époque on tolérait un certain type d'humour qui ne "passerait" plus aujourd'hui. Ainsi Pierre Desproges n’a pas hésité à faire un sketch « On me dit que des juifs se sont glissés dans la salle ? » puis dans son sketch « Que choisir ? » à affirmer « Eh bien, pour être tout à fait franc, en 1940, j’ai longtemps hésité entre la Résistance et la collaboration ». Aucun scandale. Aucun procès. Pas d’intervention censurée. Pourtant, les propos étaient clairs et sans ambiguïté. Desproges tourne en dérision l’un des sujets les plus graves de notre Histoire mais il se moquait aussi de son père malade du cancer comme de sa propre maladie. Les tenants de ce type d’humour doivent avoir la liberté de s’exprimer de la sorte à condition de pouvoir se prendre euxmêmes comme cible. Même Gainsbourg n’était pas en reste avec ces deux citations : « Qui a coulé le Titanic ? Iceberg, encore un juif » et « Juif : ce n’est pas une religion. Aucune religion ne fait pousser un nez comme ça ». Il était issu d’une famille russe juive et était un provocateur reconnu. D'autres humoristes ne sont pas en reste. Dans les années 70 on trouve des textes au second degré sur le racisme par Bedos ou Coluche par exemple ; le thème prend de l’expansion dans les années 80. Ce thème est de nos jours particulièrement difficile à être évoqué. Dessin Le dessin d’humour donne à voir les grands moments de la sensibilité esthétique d'une période : que le rire serve à une dénonciation virulente ou à une taquinerie de moeurs, les dessins qui le suscitent parlent toujours plus ou moins clairement de leur époque. Le dessin d’humour déforme les visions conventionnelles du monde : il désorganise non seulement les apparences, les certitudes d’un monde ordonné, mais il oblige aussi à poser sur les autres et sur soi-même un regard différent. La France cultive en bande dessinée un humour du quotidien ou de l’absurde. La revue Pilote (parue de 1959 à 1986) laissait une large place à l’humour. C’est dans cette revue que sont parues les aventures du célèbre Gaulois Astérix ou encore Le Génie des alpages de F’Murr, qui met en scène des moutons parlant de philosophie avec leur chien de berger. Les caricaturistes trouveront à partir de 1960 un nouveau journal (fondé par Chauron et Cavanna) au nom aussi provocateur et noir que son humour : Hara Kiri. En 1970 naît La Rubrique-à-brac de Marcel Gotlib qui détourne allègrement les us et coutumes nationaux. Le même Gotlib créera ensuite deux revues de bande dessinée : L’Écho des savanes (avec Claire Bretécher) et Fluide glacial (qui repose sur le non-sens et le totalement burlesque). Les années 1980 marquent l’arrivée de la série Les Frustrés de Claire Bretécher ou de Bernard Lermite de Martin Veyron. Le cinéma, le théâtre, les humoristes, les dessinateurs ont cherché à faire rire les Français. Certains n'avaient que ce but et cherchaient par tous les moyens imaginables à réaliser cet objectif. Pour d'autres le rire n'était pas une finalité : ils voulaient aussi faire passer un message. Outre ces porteurs de rire déjà évoqué, d'autres domaines ont, d'une façon moins visible, transmis du rire, burlesque ou plus profond. Pour la littérature, Raymond Queneau avec Zazie dans le métro offre en 1959 une première vision de l'humour moderne dans la littérature française. La chanson elle aussi compte ses franc tireurs comme Georges Brassens dont certains textes s'inscrivent dans un registre burlesque ("Gare au Gorille", "Hécatombe"...). À la télévision, l'émission "Le petit rapporteur" (1976/1977) de Jacques Martin, propose une critique impertinente du conservatisme ambiant. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive tant de nombreux artistes ont cherché a égayé leur concitoyens. Mais ce qui faisait rire et ceux qui faisaient rire hier ne feraient peut-être plus rire aujourd’hui. Le comique de mots à la façon de Devos, les imitations politiques de Le Luron ou l’humour cynique de Desproges ont laissé la place à un comique plus accessible, moins acerbe, plus populaire. 2. Le rire dans la démocratie actuelle Chroniques humoristiques, émissions télévisées, caricatures dans la presse et à la télévision, vidéos sur Youtube, les moyens pour tourner les évènements en dérision ne manquent pas en France mais depuis les années quatre-vingts de nombreuses questions se posent au sujet de l’humour car il y a un raidissement, à la fois communautaire, religieux et politique. La remontée des extrêmes n’incite pas à plaisanter. Ainsi aujourd’hui, de nouvelles mesures sont prises telles que la censure. Ce qui ne correspond pas toujours à ce que l’on pourrait attendre d’une démocratie où l’on prône la liberté d’expression. En effet, près de 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, on peut rire d'Adolf Hitler, mais quand Gaspard Proust commence sa chronique quotidienne du 14 décembre 2013 dans l'émission Salut les terriens par une blague sur la mort de Nelson Mandela : "C'est vrai que nous les Blancs, on n'a pas de figure comme ça," affirmait-il, avant de préciser sa pensée: "Quelqu'un qui aurait fait de la prison, qui aurait été libéré, aurait décidé de fonder un parti, qui aurait choisi une iconographie un peu hindou pour montrer son ouverture d'esprit, et qui à un moment se serait battu pour le droit des blancs à avoir un espace vital... En Europe on a jamais connu ça". Cela ne fait que susciter la gêne et les critiques de nombreux téléspectateurs. Se pose alors la question : à partir de quand peut-on faire de l'humour sur un événement tragique tel qu’un décès, une guerre, une catastrophe naturelle, un génocide, … ? Par ailleurs, de nombreuses personnes ont tentées de faire de l’humour mais ont vite été évincées du devant de la scène pour diverses raisons. Dans le cas de l’interview du 14 juin 2008 donné par Patrick Poivre d’Arvor à Nicolas Sarkozy alors chef de l’État français, le journaliste s’est malheureusement retrouvé face à une personne peu réceptrices à son humour notamment quand il a utilisé les termes de « petit garçon » ou de « fébrile » pour nommer le Président de la République ce qui ne lui a pas du tout plus. (http://www.wat.tv/video/9765285qn0z_2g7ap_.html). Étrange coïncidence, quand peu de temps après, nous avons appris le renvoi de Patrick Poivre d’Arvor. Cependant TF1 rejette la thèse de "l'attentat politique". PPDA se verrait reprocher sa longévité monotone et sa forte personnalité qui empêcheraient la nouvelle réforme de l'information engagée par Nonce Paolini, le directeur général de TF1. Des humoristes ont connu des cas similaires à celui de Patrick Poivre d’Arvor. Ainsi, Didier Porte (http://www.youtube.com/watch?v=6y-AWfURjvY) et Stéphane Guillon (http://www.youtube.com/watch?v=ME7nsbfYWqc) ont été évincés de l'émission « Le Fou du roi » présentée par Stéphane Bern sur la radio France Inter. L'ancien directeur de Charlie Hebdo s’en prend notamment à l'attitude qu'il dit « inacceptable » des deux chroniqueurs, leurs "insultes récurrentes" contre la direction avec une "montée en puissance" d'un "chantage démagogique". "Nous leur avons laissé leur chance jusqu'au bout […]. Depuis quand les règlements de compte personnels ont-ils leur place dans le cahier des charges d'une antenne de service public ?" Ainsi, des blagues qui a la base étaient destinées à un public en quête de rire ont été très mal prises et interprétées par certaines personnes. Nous en arrivons ici à une autre question : existe-il dans la loi une excuse d’humour ? Effectivement comme le dit la Cour de de Cassation, un texte au second degré peut être accordé seulement il faut qu’il y est soit un avertissement explicite donné par l’auteur au spectateur (par exemple : " Attention, ceci est une blague" ), soit une action indirecte résultant de la mise en scène. Ainsi lors d’un spectacle, si un humoriste fait une blague raciste, antisémite, homophobe,... il ne sera probablement pas condamné puisque le fait même de se trouver dans un spectacle d’humour inclus une mise en scène. Tant que le rire n’appelle pas au racisme et à la haine. Il faut accepter que l’humour brusque, voire choque. Le grand danger aujourd’hui est de faire passer des idées racistes, discriminantes ou appelantes à la haine sous le couvert de la liberté d’expression. Aujourd’hui, la politique se fait juge de la liberté d’expression en accordant aux uns ce qu’elle refuse à d’autres. Ainsi, l’humoriste Dieudonné s’est vu censurer nombreux de ses spectacles à la suite de propos dit « antisémites, racistes, xénophobes». Cependant a-t-on le droit de censurer des spectacles avant qu’ils aient été réalisés ? Saisi par Manuel Valls, le Conseil d'État a donné raison au gouvernement en validant l'interdiction des spectacles de Dieudonné. (Par ailleurs Dieudonné est également l'objet d'une enquête sur des soupçons d'organisation frauduleuse de son insolvabilité et de blanchiment d'argent.) De nouveaux moyens sont créés pour contrôler l’humour et surtout à la télévision. Ainsi, tous les soirs sur France 2, Jérémy Michalak (remplaçant de Laurent Ruquier) entouré d’un jury de personnalités dans l'émission On ne demande qu'à en rire, doivent juger des humoristes débutants qui réalisent des Stand up (forme particulière de one-man-show) afin repérer les nouvelles stars de l'humour. Il y a d’autres émissions plus satiriques telles que Les Guignols de l’info présenté par des marionnettes caricaturant les célébritées ou Le petit journal présenté par Yann Barthès. Il existe aussi des shortcom (programmes court qui se situent entre le sketch et la comédie) tels que Caméra Café, Kaamelott, un gars et une fille, Scènes de ménages. Conclusion Non, en France, on ne peut pas tout à fait rire de tout. Certes, même une blague clairement raciste est permise, mais cela à condition de prouver de façon explicite qu’on se situe dans le registre de l’humour, que ce soit clair pour l’auditoire, et à condition de prouver qu’on n’a aucune intention d’inciter à commettre un délit ou d’inciter les spectateurs à en commettre un ; et un engagement antiraciste ou des positions connues comme antiracistes ne sont pas vraisemblablement, une preuve suffisante ; ceci exclut beaucoup de situations, à l’exception sans doute des spectacles d’humour officiels. Il en est de même avec d'autre thème tels que les handicapés. Cependant, il reste qu’aucune blague ne vous évitera une condamnation si elle contient une diffamation caractérisée, une injure, une dénonciation calomnieuse, l’apologie d’un crime ou qu’elle contrevient aux lois protégeant l’anonymat des citoyens. Il convient de plus de ne pas s'attaquer trop durement à des personnalités importantes sous peine de représailles. On voit qu'aujourd'hui l'humour en France est restreint, on peut donc presque rire de tout. Par contraste la période de Desproges et Coluche était de grande liberté, conquise après une période de fortes contraintes. La liberté de pensée et d'expression, parfois par l'humour, étant un des fondements de notre démocratie, le fait qu'elle est tendance à se restreindre incite plusieurs humoristes à tirer la sonette d'alarme. L'idéal serait peut-être que « chacun [puisse] rire de tout, à la seule condition de commencer par lui-même, car l'autodérision est un signe d'intelligence et d'ouverture d'esprit » comme l'affirme l'humoriste Olivier Sauton, mais sans manquer de respect à la cible du rire, la frontière est ténue. Le rire et l'humour ont aussi eu leur importance dans les régimes non-démocratiques en permettant d'ouvrir un étau politique, un espace démocratique. Ainsi, les caricatures ou les chansons populaires ont permis de critiquer la monarchie absolue aux XVIIème et XVIIIème siècles, et le rire était considéré comme un véritable ennemi par l'Allemagne nazie. Sources http://peut-on-rire-de-tout.over-blog.com/ http://suite101.fr/article/lhumour-en-france-histoire-et-origines-a7482 http://www.la-bibliotheque.com/pdf/rire.pdf/ http://www.huffingtonpost.fr/2013/12/19/theorie-de-lhumour-rire-de-tout_n_4471473.html/ http://www.contrepoints.org/2014/01/11/152864-affaire-dieudonne-peut-on-rire-de-tout/ http://deshautsetdebats.wordpress.com/2013/11/27/peut-on-rire-de-tout/ http://www.lalibre.be/debats/opinions/peut-on-rire-de-tout-des-dieux-des-noirs-des-handicapes524280923570bed7db9dcffc/ http://latogeetleglaive.blogspot.fr/2012/11/quest-ce-qui-fait-rire-les-romains.html http://julien.charnay.over-blog.com/article-34047283.html http://tpe-le-rire-dans-tous-ses-eclats.e-monsite.com/ Histoire du Théâtre Dessinée de la préhistoire à nos jours de André Degaine, édition Nizet, 1992