1
Conclusion
Redécouvrir les ouvrages et les témoignages du passé. Partir à la rencontre de ces
trésors accumulés par les sociétés qui nous ont précédées. Voilà une constance de l'humanité.
Cependant, ce n'est qu'à compter du 18ième siècle, avec la période du «Grand Tour» (BOYER1,
1982), que cette quête s'est accompagnée d'un déplacement. Initiée dans la «préhistoire du
tourisme», la découverte du patrimoine est une démarche désormais indissociable de la
pratique des voyages touristiques. Pourtant, et encore jusqu'à très récemment, si le visiteur est
présent dans les haut-lieux du patrimoine, il reste en revanche un inconnu pour ceux qui
l'accueillent. En effet, jusqu'en 1995 avec les premières études commanditées par
«l'Observatoire des Publics» de la Direction du Patrimoine, les structures patrimoniales n'ont
aucune information sur les caractéristiques de leurs visiteurs touristiques.
Or, parallèlement à cette ignorance du public (un anachronisme au temps du marketing
direct et du marketing relationnel), les missions de la gestion du patrimoine se complexifient.
Ainsi, il n'est plus seulement question de préserver les œuvres anciennes de l'outrage du
temps. Il faut désormais les préserver de la présence "dangereuse" et croissante des visiteurs
dont la sur-fréquentation est source de gradations importantes, qu'elles soient physiques
(ADDYMAN2, 1989) ou expérientielles (STANKEY3 1973, HEBERLEIN et VASKE4 1977,
VASKE et al.5 1982). Pour assurer cette double mission d'accueil du public et de préservation,
les sites ont de plus en plus souvent l'obligation de procéder à un recherche
d'autofinancement. Or, parmi les ressources envisageables, les droits d'entrée et les recettes
des boutiques du monument semblent les deux pourvoyeurs de fonds les plus intéressants.
Mais, sachant qu'une fois les frais de fonctionnement déduits, la contribution nette des
boutiques et des espaces commerciaux peut parfois ne représenter que quelques pourcents du
budget total de l'institution culturelle (BENGHOZI6, 1995), il parait plus prometteur de miser
sur l'opportunité des recettes de droits d'entrée. Cependant, même si cette stratégie paraît plus
difficile pour les sites patrimoniaux qui ne bénéficient pas du phénomène de «vedettariat
1 BOYER M. (1982), Le tourisme, Ed. Seuil, Peuple et Culture, 1972, 2
nde
édition.
2 ADDYMAN P. (1989), York Archaeological Trust, Historic Towns and Tourism, 6
th
European Symposium of
Historic Towns, Council of Europe, York, Royaume Uni..
3 STANKEY G. (1973), Density as an Incomplete Cause of Crowding in Backcountry Settings, Leisure
Sciences, vol. 4, n°3, p. 231-248 cité par ABSHER J. et R. LEE (1981), Density as an Incomplete Cause of
Crowding in Backcountry Settings, Leisure Sciences , vol. 4, n°3, p. 231-248.
4 HEBERLEIN T.A. et J.J. VASKE (1977), Crowding and Visitor Conflict on the Bois Brule River, Technical
Report, University of Wisconsin, Madison, Water Resources Center.
5 VASKE J.J., A.R. GRAEFE et .A.B. DEMPSTER (1982), Social and Environmental Influences on Perceived
Crowding, Proceedings Wilderness Psychology Group, 3rd Annual Conference, Morgantown, p.211-227.
6 BENGHOZI P-J. (1995), La diversification des productions culturelles, Revue Française de Gestion, n°106,
p.71.
2
culturel» (COLLARDELLE et MONFERRAND7, 1993), elle est essentielle à la pérennité de
tous les sites victimes de sous-fréquentation.
Sachant que sur-fréquentation et sous-fréquentation correspondent aux deux situations
contraires mais caractéristiques du même phénomène d'inadéquation de l'offre du monument
par rapport à la demande de fréquentation, l'objet principal de cette recherche a été d'apporter
une première réponse à l'interrogation suivante : le marketing peut-il constituer la logique
d'analyse globale qui permet d'apporter des solutions à ces deux formes de déséquilibre ?
Aussi, dans l'optique d'apporter des débuts de réponses à cette question dont la
concrétisation opérationnelle par la mise en place d'actions stratégiques sera ultérieure à ce
travail, cette recherche a permis d'atteindre les quatre objectifs suivants :
- Comprendre la logique des comportements de fréquentation du patrimoine des
visiteurs touristiques ;
- Mettre en évidence les éléments de distinction des comportements afin de relever de
possibles critères de segmentation opérationnels ;
- Identifier les éléments de discrimination des divers groupes constitués sur la base de
comportements de fréquentation homogènes ;
- Proposer un début d'explication du comportement de fréquentation touristique du
patrimoine selon une approche synthétique et globale.
Précédé d'un chapitre préliminaire qui a servi de cadre de référence et qui a permis de
proposer une réflexion adaptée au contexte du patrimoine français, ce travail s'est articulé
autour de trois parties. La première partie a été l'occasion de définir les conditions de
l'introduction du marketing au domaine patrimonial sachant le potentiel des démarches
"public/stratégie". La deuxième partie s'est attachée à atteindre les deux premiers objectifs
cités ci avant par le biais d'une exploration qualitative du phénomène de fréquentation selon la
méthodologie sémiotique. Enfin, la troisième partie a été l'occasion d'atteindre les deux
derniers objectifs au moyen de deux enquêtes quantitatives plus traditionnelles.
L'ensemble des conclusions auxquelles nous sommes arrivés suite à ces trois phases
seront présentées dans les deux premiers paragraphes ("Synthèse du cadre théorique" et "
Synthèse de la démarche empirique"). Nous présenterons ensuite les limites de ces trois
études successives réalisées sur le public touristique estival. Puis, nous rappellerons les
apports conceptuels et méthodologiques de cette recherche. Enfin, nous soulignerons les
implications managériales générales et immédiates de ces analyses, avant de conclure en
proposant quelques pistes de recherches futures.
7 COLLARDELLE M. et A. MONFERRAND (1993), Economie touristique et patrimoine culturel, Conseil
National du Tourisme, Section de l'aménagement touristique.
3
Synthèse du cadre théorique
Cette synthèse du cadre théorique peut être résumée à partir de ces quatre points
principaux :
- Détermination de la position relative du patrimoine par rapport à l'ensemble du
champ culturel ;
- Présentation des missions du marketing du patrimoine ;
- Rappel des concepts récents de la théorie marketing et implications sur l'analyse du
patrimoine ;
- Synthèse des concepts potentiellement actifs sur le comportement de fréquentation
du patrimoine.
Le premier chapitre a été l'occasion de présenter les deux premiers points.
Sachant que l'activité artistique est le « noyau dur » des entreprises artistiques et culturelles
(COLBERT8 1993, EVRARD9 1993) alors qu'elle est seulement secondaire dans le domaine
patrimonial, nous avions juessentiel de commencer par situer le patrimoine par rapport au
champ culturel. La démarche adoptée a consisté à comparer les deux domaines sur la base des
spécificités de leurs entreprises et sur la base des spécificités de leurs produits. A cette
occasion, nous avons constaté que l'entreprise patrimoniale se situe dans une position
complexe puisqu'elle doit non seulement tenir compte des aspirations du marché pour la
constitution de ses services, mais aussi veiller à protéger et à conserver le produit. Devant
concilier une optique marché et une optique produit, ces entreprises ne trouvent pas leur place
dans la typologie des entreprises artistiques et culturelles de COLBERT (1993). Cette
première preuve d'une originalité du patrimoine par rapport au champ culturel a été confirmée
par la comparaison des services de découverte avec le produit artistique pur. Et en effet, nous
avons constaté que la découverte patrimoniale correspond à un «art populaire». Le nombre
d'unités consommées est élevé et le produit est moins complexe qu'une oeuvre d'art. Ce type
d'offre s'éloigne donc de l'offre artistique. Compte tenu de ces résultats, nous avons conclu
que le patrimoine se situe en périphérie du champ culturel. Même s'il existe de nombreux
parallèles entre ces deux champs de recherche, tous les concepts et toutes les conclusions du
domaine culturel ne peuvent donc être appliqués de façon systématique au domaine
patrimonial.
En ce qui concerne la présentation des rôles attribués au marketing du patrimoine,
l'absence d'une prépondérance artistique autorise ce domaine à envisager des ajustements de
son offre « en fonction des préférences des consommateurs » (COLBERT, 1993). Et, la
position intermédiaire de l'entreprise entre une optique purement « produit » et une optique
8 COLBERT F. (1993), Le marketing des arts et de la culture, Ed. G. MORIN, HEC Montréal.
9 EVRARD Y. (1993), Les consommations culturelles : concepts et méthodologies, Thèse de Doctorat
Université Paris IX.
EVRARD Y. (1993), Marketing, Le Management des Entreprises Artistiques et Culturelles, Coordonnateur
Yves EVRARD, Ed. Gestion Economica, p.72-120
4
purement « marché » contraint le responsable marketing à élaborer un cadre de réflexions et
d'analyses adapté à son domaine. Dès lors, nous avons défini les deux missions principales du
marketing appliqué au patrimoine : 1- Le marketing du patrimoine doit favoriser la rencontre
entre l'offre et la demande en utilisant les outils traditionnels du marketing ; 2- Le marketing
du patrimoine doit donner au visiteur, à partir de la consommation d'un service adapté,
l'occasion de vivre une expérience positive.
Le second chapitre a été, pour sa part, consacré à la présentation des deux derniers
points.
Tout d'abord, une revue de la littérature consacrée aux concepts récents de la
recherche en marketing et en comportement du consommateur a été réalisée. Celle-ci a permis
de rappeler que les deux points forts de l'évolution du marketing sont l'essor du marketing
situationnel et la fin du dogme cognitiviste. La première tendance, la prise en compte des
données situationnelles, annoncée par la segmentation par avantages recherchés (HALEY10,
1968), a été favorisée par le constat de l'instabilité des segments et la recherche d'une
explication par la situation (WIND11, 1978). Cependant, les deux travaux de références sont
ceux de BELK12 (1975) qui adopte une vision objective de la situation selon une logique de
formalisation taxonomique, alors que LUTZ et KAKKAR13 (1975) soulignent, pour certaines
classes de situation de consommation, l'existence des médiateurs de l'influence de la situation
sur le consommateur comme le plaisir, l'éveil et la domination14. Et compte tenu des
transformations de la société, la situation devient une donnée de plus en plus essentielle à la
compréhension des comportements du consommateur, le marketing devient «situationnel»
(DUBOIS15, 1990, 1996, 1997). La seconde tendance de la recherche en comportement du
consommateur est la fin du dogme cognitiviste. Après de nombreuses années de recherche
gouvernées par les notions de rationalité et d'intellect, le dogme du cognitif a été détrôné suite
à trois éléments. Le premier élément correspond à la remise en cause de la séquence
traditionnelle du processus de décision de l'acheteur (CAB : « Cognition-Affect-Conation »,
10 HALEY R. (1968), Benefit Segmentation at Decision-Oriented Research Tool, Journal of Marketing, July.
11 WIND Y. (1978), Issues and Advances in Segmentation Research, Journal of Marketing Research, vol. 15, p.
317-337.
12 BELK R.W. (1975), Situational Variables and Consumer Behavior, Journal of Consumer Research, Vol. 2, p.
157-164.
13 LUTZ R.J. et P. KAKKAR (1975), The Psychological Situation as a Determinant of Consumer Behavior,
Advances in Consumer Research, Chicago, p. 439-453.
14 MEHRABIAN A. et J.A. RUSSEL (1974), A Verbal Measure of Information Rate for Studies in
Environmental Psychology, Environment an Behavior, vol. 6, n°2, p. 233-252.
15 DUBOIS B. (1990), Un autre aspect dans l'étude du consommateur : l'approche situationnelle, Revue
Française de Marketing, n°129, vol. 4, p. 73-81.
DUBOIS B. (1996), Marketing situationnel pour consommateurs caméléons, Revue Française de Gestion.
DUBOIS B. (1997), Le marketing situationnel va devenir stratégique, Marketing Magazine, n°26, décembre,
p.42-44.
5
HOWARD16, 1963) que nous devons en particulier à DERBAIX17 (1975), DERBAIX18,
(1982), ZAJONC19 (1980) et ZAJONC et MARKUS20 (1982). Le deuxième élément est
constitué par le développement des mesures affectives dont DERBAIX21 (1987) et DERBAIX
et PHAM22 (1989) ont clarifié le concept. Enfin, le troisième élément est la prise en compte
de l'expérience de consommation. Démarche initiée par HOLBROOK et HISCHMANN23
(1982), par réaction à l'omission systématique des sentiments associés à la consommation, ces
auteurs proposent le «modèle expérientiel» ou le «modèle de recherche d'expériences». Ainsi,
l'introduction des données situationnelles et l'ouverture à des aspects plus émotionnels liés à
la consommation sont les deux concepts récents du marketing que nous avons souhaité
rappeler. Ceci, car leur prise en compte nous a largement influencé dans le choix et dans l'idée
d'une analyse de la fréquentation qui soit cadrée à l'échelle du site patrimonial et qui
privilégie l'étude des comportements.
Mais, sachant que le parcours sur le site patrimonial est autant la résultante de choix
comportementaux que l'expression d'un processus de décision, nous avons souhaité faire une
synthèse de l'ensemble des concepts qui peuvent intervenir de façon significative sur le
comportement de fréquentation des visiteurs touristiques. A partir d'une revue de la littérature
sur le comportement du consommateur, mais aussi de la littérature issue de domaines
d'applications plus spécifiques (loisir, tourisme, recréation, muséologie, culture...), nous
avons regroupé ces concepts au sein d'un modèle général du comportement appliqué à la
pratique de découverte. Ce modèle, construit à partir du modèle de base proposé par FILSER
(1994), a été le cadre d'analyse à partir duquel nous avons pu sélectionner (Chapitre 5) les
variables qui nous ont semblé les plus pertinentes pour une compréhension du phénomène.
16 HOWARD J. (1963), Marketing Management : Analysis and Planning, Homewood, Illinois, Irwin.
17 DERBAIX C. (1975), Les récréations des consommateurs à la communication publicitaire et la hiérarchie des
effets, Revue Française du Marketing, vol. 58, p. 7-26.
18DERBAIX C. (1982), L'enfant, la communication et la hiérarchie des effets, Revue Française du Marketing,
vol. 89, n°2, p. 31-45.
19 ZAJONC R. (1980), Feeling and Thinking : Preferences Need no Inferences, American Psychologist, 35, p.
151-175.
20 ZAJONC R. et H. MARKUS (1982), Affective and Cognitive Factors in Preferences, Journal of Consumer
Research, vol. 9p. 123-131.
21 DERBAIX C. (1987), Le comportement de l'acheteur : voies d'études pour les années à venir, Recherche et
Applications en Marketing, vol. 2, n°2, p. 81-91.
22 DERBAIX C. et M. PHAM (1989), Pour un développement des mesures de l'affectif en marketing : synthèse
des prérequis, Recherche et Applications en Marketing, vol. 4, n°4, p. 71-87.
23HOLBROOK M.B. et E.C. HIRSCHMANN (1982), The Experiential Aspect of Consumption : Consumer
Fantasies, Feelings and Fun, Journal of Consumer Research, vol. 9, p. 132-140.
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