Conclusion Redécouvrir les ouvrages et les témoignages du passé. Partir à la rencontre de ces trésors accumulés par les sociétés qui nous ont précédées. Voilà une constance de l'humanité. Cependant, ce n'est qu'à compter du 18ième siècle, avec la période du «Grand Tour» (BOYER1, 1982), que cette quête s'est accompagnée d'un déplacement. Initiée dans la «préhistoire du tourisme», la découverte du patrimoine est une démarche désormais indissociable de la pratique des voyages touristiques. Pourtant, et encore jusqu'à très récemment, si le visiteur est présent dans les haut-lieux du patrimoine, il reste en revanche un inconnu pour ceux qui l'accueillent. En effet, jusqu'en 1995 avec les premières études commanditées par «l'Observatoire des Publics» de la Direction du Patrimoine, les structures patrimoniales n'ont aucune information sur les caractéristiques de leurs visiteurs touristiques. Or, parallèlement à cette ignorance du public (un anachronisme au temps du marketing direct et du marketing relationnel), les missions de la gestion du patrimoine se complexifient. Ainsi, il n'est plus seulement question de préserver les œuvres anciennes de l'outrage du temps. Il faut désormais les préserver de la présence "dangereuse" et croissante des visiteurs dont la sur-fréquentation est source de dégradations importantes, qu'elles soient physiques (ADDYMAN2, 1989) ou expérientielles (STANKEY3 1973, HEBERLEIN et VASKE4 1977, VASKE et al.5 1982). Pour assurer cette double mission d'accueil du public et de préservation, les sites ont de plus en plus souvent l'obligation de procéder à un recherche d'autofinancement. Or, parmi les ressources envisageables, les droits d'entrée et les recettes des boutiques du monument semblent les deux pourvoyeurs de fonds les plus intéressants. Mais, sachant qu'une fois les frais de fonctionnement déduits, la contribution nette des boutiques et des espaces commerciaux peut parfois ne représenter que quelques pourcents du budget total de l'institution culturelle (BENGHOZI6, 1995), il parait plus prometteur de miser sur l'opportunité des recettes de droits d'entrée. Cependant, même si cette stratégie paraît plus difficile pour les sites patrimoniaux qui ne bénéficient pas du phénomène de «vedettariat BOYER M. (1982), Le tourisme, Ed. Seuil, Peuple et Culture, 1972, 2nde édition. ADDYMAN P. (1989), York Archaeological Trust, Historic Towns and Tourism, 6th European Symposium of Historic Towns, Council of Europe, York, Royaume Uni.. 3 STANKEY G. (1973), Density as an Incomplete Cause of Crowding in Backcountry Settings, Leisure Sciences, vol. 4, n°3, p. 231-248 cité par ABSHER J. et R. LEE (1981), Density as an Incomplete Cause of Crowding in Backcountry Settings, Leisure Sciences , vol. 4, n°3, p. 231-248. 4 HEBERLEIN T.A. et J.J. VASKE (1977), Crowding and Visitor Conflict on the Bois Brule River, Technical Report, University of Wisconsin, Madison, Water Resources Center. 5 VASKE J.J., A.R. GRAEFE et .A.B. DEMPSTER (1982), Social and Environmental Influences on Perceived Crowding, Proceedings Wilderness Psychology Group, 3rd Annual Conference, Morgantown, p.211-227. 6 BENGHOZI P-J. (1995), La diversification des productions culturelles, Revue Française de Gestion, n°106, p.71. 1 2 1 culturel» (COLLARDELLE et MONFERRAND7, 1993), elle est essentielle à la pérennité de tous les sites victimes de sous-fréquentation. Sachant que sur-fréquentation et sous-fréquentation correspondent aux deux situations contraires mais caractéristiques du même phénomène d'inadéquation de l'offre du monument par rapport à la demande de fréquentation, l'objet principal de cette recherche a été d'apporter une première réponse à l'interrogation suivante : le marketing peut-il constituer la logique d'analyse globale qui permet d'apporter des solutions à ces deux formes de déséquilibre ? Aussi, dans l'optique d'apporter des débuts de réponses à cette question dont la concrétisation opérationnelle par la mise en place d'actions stratégiques sera ultérieure à ce travail, cette recherche a permis d'atteindre les quatre objectifs suivants : - Comprendre la logique des comportements de fréquentation du patrimoine des visiteurs touristiques ; - Mettre en évidence les éléments de distinction des comportements afin de relever de possibles critères de segmentation opérationnels ; - Identifier les éléments de discrimination des divers groupes constitués sur la base de comportements de fréquentation homogènes ; - Proposer un début d'explication du comportement de fréquentation touristique du patrimoine selon une approche synthétique et globale. Précédé d'un chapitre préliminaire qui a servi de cadre de référence et qui a permis de proposer une réflexion adaptée au contexte du patrimoine français, ce travail s'est articulé autour de trois parties. La première partie a été l'occasion de définir les conditions de l'introduction du marketing au domaine patrimonial sachant le potentiel des démarches "public/stratégie". La deuxième partie s'est attachée à atteindre les deux premiers objectifs cités ci avant par le biais d'une exploration qualitative du phénomène de fréquentation selon la méthodologie sémiotique. Enfin, la troisième partie a été l'occasion d'atteindre les deux derniers objectifs au moyen de deux enquêtes quantitatives plus traditionnelles. L'ensemble des conclusions auxquelles nous sommes arrivés suite à ces trois phases seront présentées dans les deux premiers paragraphes ("Synthèse du cadre théorique" et " Synthèse de la démarche empirique"). Nous présenterons ensuite les limites de ces trois études successives réalisées sur le public touristique estival. Puis, nous rappellerons les apports conceptuels et méthodologiques de cette recherche. Enfin, nous soulignerons les implications managériales générales et immédiates de ces analyses, avant de conclure en proposant quelques pistes de recherches futures. 7 COLLARDELLE M. et A. MONFERRAND (1993), Economie touristique et patrimoine culturel, Conseil National du Tourisme, Section de l'aménagement touristique. 2 Synthèse du cadre théorique Cette synthèse du cadre théorique peut être résumée à partir de ces quatre points principaux : - Détermination de la position relative du patrimoine par rapport à l'ensemble du champ culturel ; - Présentation des missions du marketing du patrimoine ; - Rappel des concepts récents de la théorie marketing et implications sur l'analyse du patrimoine ; - Synthèse des concepts potentiellement actifs sur le comportement de fréquentation du patrimoine. Le premier chapitre a été l'occasion de présenter les deux premiers points. Sachant que l'activité artistique est le « noyau dur » des entreprises artistiques et culturelles (COLBERT8 1993, EVRARD9 1993) alors qu'elle est seulement secondaire dans le domaine patrimonial, nous avions jugé essentiel de commencer par situer le patrimoine par rapport au champ culturel. La démarche adoptée a consisté à comparer les deux domaines sur la base des spécificités de leurs entreprises et sur la base des spécificités de leurs produits. A cette occasion, nous avons constaté que l'entreprise patrimoniale se situe dans une position complexe puisqu'elle doit non seulement tenir compte des aspirations du marché pour la constitution de ses services, mais aussi veiller à protéger et à conserver le produit. Devant concilier une optique marché et une optique produit, ces entreprises ne trouvent pas leur place dans la typologie des entreprises artistiques et culturelles de COLBERT (1993). Cette première preuve d'une originalité du patrimoine par rapport au champ culturel a été confirmée par la comparaison des services de découverte avec le produit artistique pur. Et en effet, nous avons constaté que la découverte patrimoniale correspond à un «art populaire». Le nombre d'unités consommées est élevé et le produit est moins complexe qu'une oeuvre d'art. Ce type d'offre s'éloigne donc de l'offre artistique. Compte tenu de ces résultats, nous avons conclu que le patrimoine se situe en périphérie du champ culturel. Même s'il existe de nombreux parallèles entre ces deux champs de recherche, tous les concepts et toutes les conclusions du domaine culturel ne peuvent donc être appliqués de façon systématique au domaine patrimonial. En ce qui concerne la présentation des rôles attribués au marketing du patrimoine, l'absence d'une prépondérance artistique autorise ce domaine à envisager des ajustements de son offre « en fonction des préférences des consommateurs » (COLBERT, 1993). Et, la position intermédiaire de l'entreprise entre une optique purement « produit » et une optique 8 COLBERT F. (1993), Le marketing des arts et de la culture, Ed. G. MORIN, HEC Montréal. EVRARD Y. (1993), Les consommations culturelles : concepts et méthodologies, Thèse de Doctorat Université Paris IX. EVRARD Y. (1993), Marketing, Le Management des Entreprises Artistiques et Culturelles, Coordonnateur Yves EVRARD, Ed. Gestion Economica, p.72-120 9 3 purement « marché » contraint le responsable marketing à élaborer un cadre de réflexions et d'analyses adapté à son domaine. Dès lors, nous avons défini les deux missions principales du marketing appliqué au patrimoine : 1- Le marketing du patrimoine doit favoriser la rencontre entre l'offre et la demande en utilisant les outils traditionnels du marketing ; 2- Le marketing du patrimoine doit donner au visiteur, à partir de la consommation d'un service adapté, l'occasion de vivre une expérience positive. Le second chapitre a été, pour sa part, consacré à la présentation des deux derniers points. Tout d'abord, une revue de la littérature consacrée aux concepts récents de la recherche en marketing et en comportement du consommateur a été réalisée. Celle-ci a permis de rappeler que les deux points forts de l'évolution du marketing sont l'essor du marketing situationnel et la fin du dogme cognitiviste. La première tendance, la prise en compte des données situationnelles, annoncée par la segmentation par avantages recherchés (HALEY10, 1968), a été favorisée par le constat de l'instabilité des segments et la recherche d'une explication par la situation (WIND11, 1978). Cependant, les deux travaux de références sont ceux de BELK12 (1975) qui adopte une vision objective de la situation selon une logique de formalisation taxonomique, alors que LUTZ et KAKKAR13 (1975) soulignent, pour certaines classes de situation de consommation, l'existence des médiateurs de l'influence de la situation sur le consommateur comme le plaisir, l'éveil et la domination14. Et compte tenu des transformations de la société, la situation devient une donnée de plus en plus essentielle à la compréhension des comportements du consommateur, le marketing devient «situationnel» (DUBOIS15, 1990, 1996, 1997). La seconde tendance de la recherche en comportement du consommateur est la fin du dogme cognitiviste. Après de nombreuses années de recherche gouvernées par les notions de rationalité et d'intellect, le dogme du cognitif a été détrôné suite à trois éléments. Le premier élément correspond à la remise en cause de la séquence traditionnelle du processus de décision de l'acheteur (CAB : « Cognition-Affect-Conation », 10 HALEY R. (1968), Benefit Segmentation at Decision-Oriented Research Tool, Journal of Marketing, July. WIND Y. (1978), Issues and Advances in Segmentation Research, Journal of Marketing Research, vol. 15, p. 317-337. 12 BELK R.W. (1975), Situational Variables and Consumer Behavior, Journal of Consumer Research, Vol. 2, p. 157-164. 13 LUTZ R.J. et P. KAKKAR (1975), The Psychological Situation as a Determinant of Consumer Behavior, Advances in Consumer Research, Chicago, p. 439-453. 14 MEHRABIAN A. et J.A. RUSSEL (1974), A Verbal Measure of Information Rate for Studies in Environmental Psychology, Environment an Behavior, vol. 6, n°2, p. 233-252. 15 DUBOIS B. (1990), Un autre aspect dans l'étude du consommateur : l'approche situationnelle, Revue Française de Marketing, n°129, vol. 4, p. 73-81. DUBOIS B. (1996), Marketing situationnel pour consommateurs caméléons, Revue Française de Gestion. DUBOIS B. (1997), Le marketing situationnel va devenir stratégique, Marketing Magazine, n°26, décembre, p.42-44. 11 4 HOWARD16, 1963) que nous devons en particulier à DERBAIX17 (1975), DERBAIX18, (1982), ZAJONC19 (1980) et ZAJONC et MARKUS20 (1982). Le deuxième élément est constitué par le développement des mesures affectives dont DERBAIX21 (1987) et DERBAIX et PHAM22 (1989) ont clarifié le concept. Enfin, le troisième élément est la prise en compte de l'expérience de consommation. Démarche initiée par HOLBROOK et HISCHMANN23 (1982), par réaction à l'omission systématique des sentiments associés à la consommation, ces auteurs proposent le «modèle expérientiel» ou le «modèle de recherche d'expériences». Ainsi, l'introduction des données situationnelles et l'ouverture à des aspects plus émotionnels liés à la consommation sont les deux concepts récents du marketing que nous avons souhaité rappeler. Ceci, car leur prise en compte nous a largement influencé dans le choix et dans l'idée d'une analyse de la fréquentation qui soit cadrée à l'échelle du site patrimonial et qui privilégie l'étude des comportements. Mais, sachant que le parcours sur le site patrimonial est autant la résultante de choix comportementaux que l'expression d'un processus de décision, nous avons souhaité faire une synthèse de l'ensemble des concepts qui peuvent intervenir de façon significative sur le comportement de fréquentation des visiteurs touristiques. A partir d'une revue de la littérature sur le comportement du consommateur, mais aussi de la littérature issue de domaines d'applications plus spécifiques (loisir, tourisme, recréation, muséologie, culture...), nous avons regroupé ces concepts au sein d'un modèle général du comportement appliqué à la pratique de découverte. Ce modèle, construit à partir du modèle de base proposé par FILSER (1994), a été le cadre d'analyse à partir duquel nous avons pu sélectionner (Chapitre 5) les variables qui nous ont semblé les plus pertinentes pour une compréhension du phénomène. 16 HOWARD J. (1963), Marketing Management : Analysis and Planning, Homewood, Illinois, Irwin. DERBAIX C. (1975), Les récréations des consommateurs à la communication publicitaire et la hiérarchie des effets, Revue Française du Marketing, vol. 58, p. 7-26. 18 DERBAIX C. (1982), L'enfant, la communication et la hiérarchie des effets, Revue Française du Marketing, vol. 89, n°2, p. 31-45. 19 ZAJONC R. (1980), Feeling and Thinking : Preferences Need no Inferences, American Psychologist, 35, p. 151-175. 20 ZAJONC R. et H. MARKUS (1982), Affective and Cognitive Factors in Preferences, Journal of Consumer Research, vol. 9p. 123-131. 21 DERBAIX C. (1987), Le comportement de l'acheteur : voies d'études pour les années à venir, Recherche et Applications en Marketing, vol. 2, n°2, p. 81-91. 22 DERBAIX C. et M. PHAM (1989), Pour un développement des mesures de l'affectif en marketing : synthèse des prérequis, Recherche et Applications en Marketing, vol. 4, n°4, p. 71-87. 23 HOLBROOK M.B. et E.C. HIRSCHMANN (1982), The Experiential Aspect of Consumption : Consumer Fantasies, Feelings and Fun, Journal of Consumer Research, vol. 9, p. 132-140. 17 5 Synthèse de la démarche empirique La démarche empirique que nous avons suivie a été scindée en deux grandes phases. La première phase correspondant à une démarche descriptive nous a permis d'explorer le phénomène afin de le comprendre. La seconde phase a eu une vocation plus explicative, mais elle a été distinguée en une approche segmentée du phénomène, visant à relever les différences entre les segments de fréquentation et en une approche généralisatrice, dont le but était d'identifier et de tester quelques facteurs explicatifs du phénomène pris dans sa globalité. Afin de résumer la démarche empirique adoptée, nous décrirons la logique de la succession des études empiriques ainsi que les méthodologies d'enquêtes et d'analyses. A la fin du deuxième chapitre, dans la présentation du plan de recherche, nous avons souligné la nécessité de sélectionner une démarche d'analyse particulière qui nous permette de mettre en évidence le critère de segmentation "naturel" du phénomène de fréquentation. L'identification de ce critère permettant la distinction opérationnelle des visiteurs en groupes homogènes de comportements in situ, les "flux de fréquentation", était donc l'étape préliminaire et incontournable de la recherche sur le phénomène. Aussi, dans le troisième chapitre, nous nous sommes attachés à définir quelle approche méthodologique et analytique pouvait nous permettre d'atteindre cet objectif intermédiaire. L'une des caractéristiques des résultats que nous souhaitions obtenir, le fait qu'il nous soit possible de dépasser la réalité du phénomène pour en comprendre le sens sous-jacent, nous a donné l'intuition d'utiliser la méthodologie sémiotique. Avant de choisir définitivement cette démarche d'analyse, nous avons préalablement opéré une confrontation entre les potentialités de la sémiotique structurale et le "cahier des charges" de notre analyse. Aussi, lorsque nous l'avons finalement adoptée, c'était en toute connaissance de cause des obligations d'études empiriques complémentaires qu'elle induisait. Le choix étant effectué, nous avons ensuite présenté les fondements théoriques principaux de la sémiotique structurale, ainsi que l'outil «carré sémiotique». Enfin, nous avons déterminé la manière avec laquelle le comportement de fréquentation doit être abordé afin de pouvoir faire l'objet d'une étude empirique. Le chapitre suivant (Chapitre 4) a donc été consacré à la réalisation de cette étude sémiotique. Elle a non seulement favorisé l'identification du critère de segmentation "naturel" du phénomène, mais elle nous a aussi donné les éléments d'une compréhension des logiques de consommation qui structurent les comportements de fréquentation sur les sites. Après une présentation de la démarche de recueil de 43 observations selon les règles d'homogénéité et de 6 représentativité (BARTHES24, 1985), nous avons exposé les résultats des analyses descriptive et sémiotique avant d'en proposer une interprétation marketing. Dans le cinquième chapitre, ces premiers résultats, et en particulier l'identification du critère de segmentation "naturel" du phénomène, nous ont conduit à proposer un premier modèle d'analyse du comportement de fréquentation. Ce modèle présente deux phases. La première est, relative à la construction de l'attitude a priori : l'attitude des visiteurs lorsqu'ils arrivent sur le site. La deuxième phase, caractérisée par l'introduction des donnés situationnelles, conduit à l'élaboration d'une attitude a posteriori (après prise de connaissance des caractéristiques de l'offre). Cette attitude a posteriori correspond en définitive au comportement réellement observé sur le site. Dans le cadre de cette première étude quantitative, nous avons proposé un certain nombre de variables potentiellement explicatives de l'attitude a priori. Ces variables étaient issues du modèle général du comportement appliqué à la pratique de découverte proposé dans le 2ième chapitre. En l'absence d'échelle de mesures existantes et compte tenu du nombre conséquent de variables, le nombre d'items proposés par variable a été faible. Cependant, cela correspondait à un choix pragmatique lié au souhait d'englober le plus possible de variables pour, ultérieurement, les restructurer en des construits plus utiles d'un point de vue explicatif. Après une présentation détaillée de la méthodologie de recueil des données (1084 observations), nous avons donné les résultats des analyses discriminantes opérées sur les individus en fonction des rôles qu'ils attribuent au patrimoine et en fonction des choix comportementaux qu'il adoptent (appartenance à un flux de fréquentation). Enfin, le sixième chapitre à réutilisé les informations recueillies durant l'été 1996. Comme nous l'avons expliqué précédemment, les variables ont été résumées, au moyen d'analyses factorielles en composantes principales, en un nombre plus restreint de construits potentiellement actifs sur le phénomène. L'identification de ces facteurs "utiles" nous a permis d'une part, de reformuler le modèle d'analyse proposé dans le chapitre précédent et d'autre part, d'envisager les variables qu'il convenait d'introduire dans l'étude suivante (été 1997). Après une présentation succincte de la méthodologie utilisée (452 questionnaires) qui a été en grande partie une reconduction de celle de 1996, nous avons présenté les diverses phases d'élaboration d'un modèle explicatif du comportement. En particulier, avant d'utiliser les systèmes d'équations structurelles pour tester et valider ce modèle, une phase préalable a consisté en une régression multiple sur variables latentes afin de sélectionner, parmi l'ensemble des facteurs utiles, ceux dont le pouvoir explicatif étaient le plus fort. Suite à cette sélection, un premier modèle a été proposé et la comparaison des matrices de covariances théoriques et observées nous a conduit à le re-spécifier légèrement. Enfin, nous avons pu 24 BARTHES R. (1985), L'aventure sémiologique, Paris, Ed. Seuil, p. 80-81. 7 tester le modèle final dont le pouvoir explicatif au niveau structurel et au niveau des mesures est tout à fait acceptable dans ces conditions d'exploration du phénomène. Les résultats de la recherche Les résultats obtenus suite à l'ensemble des études empiriques de cette recherche peuvent être regroupés selon leur vocation. Ainsi, nous commencerons par présenter les résultats à vocation descriptive et compréhensive du phénomène, puis ceux à vocation explicative. Description et compréhension du phénomène Les résultats qui nous ont permis de rendre le phénomène intelligible et de décrire ses caractéristiques fondamentales sont essentiellement consécutifs à l'exploration sémiotique du phénomène de fréquentation (Chapitre 4). Dans un premier temps, nous avons abouti à la mise en évidence d'une « axiologie » du patrimoine. Structurée sur la base des différents rôles attribués au patrimoine et à sa découverte, cette représentation en « carré sémiotique » du sens sous-jacent au comportement de fréquentation a permis d'expliquer les quatre logiques de consommation dans lesquelles le visiteur peut s'inscrire lors de sa pratique de découverte. Ainsi, il s'agit de : - la consommation culturelle "pragmatique" (valeurs utilitaires) ; "L'objet de patrimoine est un objet d'éducation par lequel on acquiert une culture générale". - la consommation culturelle "existentielle" (valeurs existentielles) ; "L'objet de patrimoine est un objet de transcendance, un catalyseur de la réalisation personnelle". - la consommation culturelle "hédoniste" (négation des valeurs utilitaires) ; "Grâce au divertissement, aux discussions et aux jeux que sa découverte permet ou favorise, le patrimoine est un objet de convivialité, de partage et de retrouvailles". - et la consommation culturelle "consumériste" (négation des valeurs existentielles). "Le patrimoine est considéré comme un produit au même titre que tout ce qui est mis en marché. Aussi, il est possible et souhaitable de vérifier le contenu de l'offre, de l'évaluer et de la comparer selon des attributs mesurables (prix, durée de visite, nombre d'éléments visités, thèmes abordés dans la présentation...)". 8 Dans un deuxième temps, en nous basant sur ces premières conclusions, nous avons pu expliquer et nommer les six flux comportementaux qui se retrouvent sur les sites étudiés et qui, selon leurs caractéristiques respectives, doivent faire l'objet, de façon ciblée, d'actions stratégiques spécifiques. Cette typologie compréhensive et explicative des flux de la fréquentation en fonction des philosophies de découverte que les découvreurs privilégient est une « typologie virtuelle » (DANO25, 1994) dans la mesure où nous estimons que la valorisation d'un type de valeurs (et donc l'appartenance à un flux de fréquentation) n'est pas constante chez un individu et peut être différente selon les circonstances du déplacement. Cette typologie, dont l'ensemble des groupes a pu être observé au cours des enquêtes quantitatives suivantes, est composée des flux de fréquentation suivants : - "Les désireux" sont des "visiteurs qui recherchent et consomment le produit culturel payant. Ces individus, investissant des valeurs utilitaires, recherchent par la consommation du produit pédagogique payant, une rentabilité culturelle à leur présence sur le site". - "Les réfractaires", pour leur part, se "caractérisent par un rejet et un évitement de l'offre. Ce comportement de fréquentation, gouverné par la valorisation de la philosophie existentielle, se refuse à toute formalisation et à toute marchandisation de cette expérience personnelle qu'ils recherchent". - "Les a priori non" sont "des individus qui, en fin de parcours de fréquentation, font un détour vers le lieu de l'offre pour vérifier le non-intérêt, évalué ou perçu, de ce qui est proposé. A priori, les produits proposés actuellement ne les satisfont pas. Privilégiant des valeurs non utilitaires, ils recherchent le plaisir, le divertissement, choses que la formule traditionnelle de visite ne favorise pas. Ayant l'habitude de ne pas trouver ce qui pourrait les tenter, ils ne vérifient plus que par acquis de conscience le non intérêt de ce qui est proposé". - "Les a priori non, tentés et convaincus" sont des "consommateurs qui investissent, comme le flux précédent, des valeurs non utilitaires mais qui, à la différence de ce dernier, reconsidèrent leur position au vu des caractéristiques de l'offre culturelle marchande". Cette dernière ou sa présentation les séduit et les attire ce qui les conduit à revenir sur leur attitude initiale et à envisager une consommation. - "Les a priori oui convaincus" sont des "visiteurs qui recherchent et consomment le produit pédagogique, avec cependant moins d'empressement que les "désireux". Ils se différencient de ces derniers par une capacité de comparaison et d'évaluation du produit proposé, même s'il est culturel. Ils se renseignent, réfléchissent, discutent, pèsent le pour et le contre pour finalement consommer. Le processus de décision qu'ils adoptent est caractéristique d'une résolution extensive de problème. - Et "les a priori oui" se caractérisent par un comportement de fréquentation identique à ceux des "a priori oui convaincus", si ce n'est qu'ils ne consomment pas le produit alors 25 DANO F. (1994), Contribution de la sémiotique à l'étude des attentes et représentations des consommateurs à l'égard du packaging, Thèse de Doctorat, Université Paris-Dauphine. 9 qu'ils paraissent disposés à le faire. Il semble qu'au moment de l'information sur le contenu et les caractéristiques financières et horaires du produit, quelque chose leur fasse reconsidérer leur position et revenir sur leur intention première de comportement. Sans doute estiment-ils finalement que les attributs du produit ne justifient pas sa consommation qui est un investissement en termes de prix mais aussi en termes de temps. Enfin, consécutivement à ces résultats, nous avons mis en avant le fait que la prise de décision comportementale est progressive et se déroule, de façon dynamique, en fonction des caractéristiques du site et de son offre. Ainsi, interprétées comme des positions différentielles sur le continuum de l'attitude vis-à-vis d'une consommation marchande de produits culturels sur le site, les quatre positions de départ sont plus ou moins remises en cause par les circonstances et les particularités situationnelles pour aboutir aux six modes comportementaux. Ceci met en évidence la possibilité dont disposent les responsables culturels pour influencer et orienter in situ les comportements des visiteurs. Premières explications sur le phénomène Les résultats qui nous ont permis d'apporter des débuts d'explication sur le phénomène sont tout particulièrement issus des phases d'enquêtes quantitatives. Pour commencer, les tests d'hypothèses nous ont conduit à conclure d'une part, qu'il n'existe pas sur les trois sites mégalithiques étudiés, une répartition constante de la fréquentation selon les quatre logiques de consommation du patrimoine. D'autre part, les informations cognitives présentant le produit ont tendance à avoir un impact négatif sur les intentions d'achat du produit, sauf lorsque l'offre est particulièrement avantageuse (situation des Alignements de Kermario). Enfin, nous avons constaté que, quel que soit le site, le halo affectif influence positivement les évaluations cognitives de l'offre. Ensuite, par le biais des analyses discriminantes réalisées sur les données de 1996, nous avons pu identifier quelques éléments majeurs de différenciation entre les divers flux et groupes de rôle. Et cela, même si la prédictivité de ces analyses est quelque peu décevante et pourra être améliorée par l'utilisation d'autres techniques (régression logistique multinomiale, analyse neuronale...). Si nous reprenons les principales conclusions des analyses discriminant les visiteurs sur la base de leur conception du patrimoine, nous constatons en premier lieu que ces analyses nous ont permis de retrouver les concepts identifiés par l'analyse sémiotique. En second lieu, nous observons qu'elles nous ont permis d'apporter quelques informations complémentaires sur les différents groupes. Ces informations sont résumées ci-après. 10 Le groupe correspondant à la logique "pragmatique" se caractérise par "une recherche systématique de la découverte du patrimoine selon une procédure de recensement". A l'inverse, les "réfractaires" choisissent les étapes de visites en fonction des opportunités de leur "errance vacancière" dans la région touristique. Ils se distinguent par un refus de la marchandisation de la culture, même s'ils vont très souvent sur les lieux du patrimoine et même s'ils sont très intéressés par l'histoire. Pour les "hédonistes", la découverte du site n'a pas de vocation culturelle car leurs centres d'intérêt se définissent surtout par un désintérêt pour l'histoire et la culture. Enfin, les "consuméristes" se caractérisent par la motivation "palliative" du choix de la pratique patrimoniale. S'ils vont sur les sites culturels, c'est à défaut d'autres activités de vacances. Si nous nous penchons cette fois sur les résultats des discriminations entre les flux de fréquentation, les conclusions sont les suivantes. Les "utilitaires" (ou les "désireux") sont particulièrement sensibles au contenu du produit qu'ils jugent essentiellement en fonction de l'intérêt potentiel qu'il représente sans tenir compte de ces caractéristiques "matérielles" ou contraignantes (prix, durée...). A l'inverse, les "réfractaires" surestiment l'impact du prix et des contraintes du produit pour justifier leur non-achat même si, en définitive, ils n'ont pas d'intention de consommation culturelle marchande. Pour leur part, les "a priori non" sont sensibles au caractère contraignant de l'organisation des produits, puisqu'ils désirent vivre la découverte du patrimoine comme un loisir. Il convient de noter que ce qui différencie le flux des "a priori non" du flux des "a priori non contrariés" est essentiellement la sensibilité aux facteurs prix et durée du produit. Ces deux groupes se caractérisent par l'absence d'une intention culturelle, mais les premiers accordent une importance plus forte aux données situationnelles du prix et de la durée. Enfin, pour les "a priori oui" et les "a priori oui convaincus", c'est la durée du produit qui influe leur comportement de consommation. Ainsi, selon leur sensibilité à ce facteur, ces visiteurs touristiques plutôt favorables à l'idée d'une consommation marchande, ont ou n'ont pas une telle consommation. Enfin, le modèle du phénomène auquel nous avons abouti et dont le pouvoir explicatif est intéressant, a permis de proposer une première théorie du comportement de fréquentation touristique du patrimoine. Plus en détails, les conclusions de l'analyse de ce système d'équations structurelles sont les suivantes. La prescription du site et de l'intérêt général pour la pratique de découverte pendant les vacances participent positivement à la construction de l'attitude a priori. En revanche, l'opportunité du déplacement agit négativement sur cette attitude vis-à-vis de la consommation marchande de culture. De plus, si le site est perçu comme un « must » touristique (prescription informelle forte), le visiteur présente une attitude vis-à-vis de la consommation marchande qui est plutôt positive. Ensuite, si le visiteur est intéressé par la pratique de la découverte culturelle en vacances, il y a plus de chance qu'il envisage la 11 consommation marchande du site en particulier. Mais, s'il n'a pas prévu le déplacement et que la visite sur le site se présente comme une opportunité, il n'envisage pas a priori de réaliser une visite payante du site. Enfin, nous avons constaté que les visiteurs qui ont une pratique importante de découverte pendant les vacances sont ceux qui tiennent le plus compte du statut de « lieu obligé » du site. En conclusion, nous avons observé qu'en fonction des circonstances du déplacement, lié à une opportunité d'activité ou au contraire lié à un intérêt pour la découverte culturelle, les scores de l'attitude à l'égard de la consommation marchande de culture sont particulièrement différents. Les données situationnelles participent donc à la compréhension du phénomène. Les limites des études empiriques Les limites des études empiriques peuvent être regroupées selon deux thèmes : celui lié aux items utilisés pour mesurer les diverses variables et celui lié au choix des sites d'enquêtes. Nous l'avons déjà signalé à plusieurs reprises, l'obligation de réaliser les analyses selon un échantillonnage « sur place », sur le lieu de l'activité de découverte, et sur une clientèle particulière, la clientèle touristique estivale, a limité le nombre de périodes d'enquêtes possibles. Idéalement, il aurait été intéressant de construire, selon le paradigme de CHURCHILL26 (1979), des échelles de mesures cohérentes testées et validées pour chacun des concepts utilisés. Cependant, compte tenu de la limite temporelle assignée à la recherche, une telle démarche n'a pas été possible. Dès lors, la cohérence des items mesurés n'est pas toujours satisfaisante. Il conviendrait, dans le cadre d'études complémentaires, d'envisager la construction de ces échelles. Cela en privilégiant bien évidement les derniers concepts mis en évidence : ceux que nous avons qualifiés de facteurs " utiles". En ce qui concerne le choix des sites d'application, dans un soucis de représentativité de la réalité patrimoniale, nous nous étions fixés comme contrainte de travailler sur un ensemble de sites homogènes en termes de contenu historique et de style architectural, mais qui présentaient des variations en termes de notoriété et de contenu de l'offre. Influencés par le concept de «relation esthétique», nous avions imaginé qu'il y aurait une unité de comportement sur des sites d'un même style historique et architectural (importance de la relation à l'œuvre). Or, il semble en définitive que s'il y a unité comportementale, elle n'est pas liée au monument lui même. Les variations des résultats en fonction du site montrent effectivement que tel n'est pas le cas. Et, nous pourrions en conclure que l'unité 26 CHURCHILL G.A. (1979), A Paradigm for Developing Better Measures of Marketing Constructs, Jounal of Marketing Research, vol. 16, p. 64-73. 12 comportementale est plutôt envisageable en fonction des spécificités du site en tant qu'offre (notoriété, facilité d'accès, contenu du service...) et non en tant qu'ouvrage ou témoignage. Ainsi, une étude sur des monuments de styles différents, mais dont les attributs d'offre seraient identiques à ceux des trois sites d'enquêtes de cette recherche, permettrait de retrouver les mêmes résultats. Ceci soulignerait, une fois encore, combien le patrimoine se distingue d'un champ culturel général. Quoi qu'il en soit, il est une fois de plus confirmé qu'il n'est pas pertinent d'envisager la relation entre le consommateur et le monument comme l'élément essentiel de la compréhension des comportements du découvreur patrimonial. Au contraire, les données montrent que le visiteur ne considère pas le monument en particulier, mais prend en compte la pratique en général et évalue cette alternative sur la base d'attributs cognitifs et affectifs. Enfin, toujours lié au choix des sites d'enquête, il faut souligner que l'étude de 1997 a été réalisée sur un seul site. Nous avons choisi cette démarche compte tenu des coûts de réalisation d'enquêtes. Ceci pose évidement un problème de validité externe, mais nous comptons sur les travaux complémentaires à cette recherche pour confirmer et affiner ces premières conclusions. Les apports conceptuels Les apports conceptuels se situent à trois niveaux. En premier lieu, nous avons pu suggérer des pistes pour une compréhension des champs théoriques sous-jacents à la pratique de découverte du patrimoine. En particulier, nous avons pu mettre en évidence l'importance des donnés situationnelles. En effet, dans la mesure où le comportement de fréquentation est déconnecté de la seule relation à l'oeuvre monumentale et dans la mesure où il existe des logiques de consommation différentes, il semble qu'il y a une suprématie du contexte de consommation sur le choix a priori d'un modèle théorique de comportement. Ceci remet en cause la mise en avant d'une démarche, soit expérientielle, soit analytique, qui serait attribuée en fonction des caractéristiques du produit étudié. Si un tel résultat se trouvait confirmé dans d'autre domaines d'application du champ culturel ou périphériques à celui ci, cela permettrait de conclure que l'approche visant à appliquer un modèle théorique particulier du comportement du consommateur en fonction des caractéristiques du produit qui est l'objet de la consommation, n'est pas une démarche opportune. En second lieu, l'apport conceptuel réside dans l'identification de la variable de fréquentation "naturelle" du phénomène de fréquentation touristique du patrimoine. En effet, l'attitude vis-àvis de la consommation marchande d'un produit culturel sur le site est l'élément de distinction des différents flux de fréquentation. Nous avons ainsi pu mettre en évidence l'élément à partir duquel il convient d'étudier le comportement de fréquentation du patrimoine. Le concept 13 attitudinal est un concept usuel en marketing. Considérant qu'il s'agit d'une «disposition à agir», l'intérêt de notre approche a dès lors consisté à appréhender un tel concept de façon opérationnelle en le mesurant au moyen d'items d'intentions de comportement. Cette technique n'a bien sur été pertinente que dans la mesure où, dans le contexte de la découverte patrimoniale, l'intention de comportement et le comportement réel sont quasiment confondus. Enfin, en troisième lieu, par une structuration des variables initiales, nous avons identifié une liste de facteurs potentiellement actifs sur le comportement de fréquentation du patrimoine et une liste plus restreinte de variables dont le pouvoir explicatif sur l'attitude a priori a été démontré. Les apports méthodologiques Les apports méthodologique sont de deux ordres. Le premier est plus spécifiquement lié au domaine culturel, le second peut être généralisé à l'ensemble des comportements. Ces deux apports sont, l'un comme l'autre, liés à l'introduction de l'analyse sémiotique. Ainsi, cette recherche a permis de confirmer le potentiel de l'analyse sémiotique en tant que démarche exploratoire et compréhensive des phénomènes culturels. Cependant, si elle a déjà été utilisée afin de comprendre le sens de la relation entretenue entre l'individu et l'offre culturelle (VERON et LEVASSEUR27, 1983 et UMIKER-SEBEOK28, 1992), nous avons montré qu'elle est tout aussi pertinente quand il s'agit d'étudier les comportements en amont (c'est à dire le processus de décision). Dans une optique plus générale, cette étude a permis de rappeler le potentiel de la sémiotique en tant qu'analyse exploratoire permettant d'identifier les critères de segmentation les plus pertinents. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'étudier un phénomène nouveau, l'introduction d'une telle démarche permet de s'affranchir des choix de segmentation a priori qui pourraient s'avérer erronés. Dans un tel contexte, la sémiotique est un outil méthodologique particulièrement intéressant puisqu'il permet de répondre à « Cette nécessité de faire émerger l’intelligible [pour permettre] la décision d’entreprise qui procède toujours d’une réduction de la complexité » (KRIEF29, 1996). 27 VERON E. et M. LEVASSEUR (1983), Ethnographie de l'exposition : l'espace, le corps et le sens, Etudes et Recherches, Bibliothèque Publique d'Information Centre Georges Pompidou, Paris. 28 UMIKER-SEBEOK J. (1992), Meaning Construction in a Cultural Gallery : a Socio-semiotic Study of Consumption Experiences in a Museum, Advances in Consumer Research, Vol. 19, p. 46-55. 29 KRIEF Y. (1996), Vingt ans après : une réflexion sur l’utilisation de la sémiotique dans les études de marché, Revue Française de Marketing, n°159, 4, p.5-9. 14 Les implications managériales Les implications managériales sont au nombre de trois. La première correspond à une validation de la pertinence de l'introduction du marketing dans le domaine patrimonial. En effet, cette recherche a permis de démontrer que le marketing est non seulement une ensemble de moyens et d'outils, mais aussi une logique d'action permettant de mieux comprendre les modes de découverte du public. Dès lors, le marketing est la démarche qui peut permettre aux infrastructures patrimoniales d'envisager des actions stratégiques qui permettront de moins subir l'environnement et de prévenir des situations de sur-fréquentation et de sous-fréquentation. Sans avoir démystifié la notion de «marketing» auprès des acteurs du patrimoine, nous espérons que cette recherche aura mis en évidence le fait que le marketing est une démarche qui est au service du patrimoine. La seconde implication managériale de ce travail est qu'il s'inscrit dans un contexte général de besoins d'informations sur les publics de la part des responsables des sites patrimoniaux. En effet, compte tenu des caractéristiques de l'environnement économique et de l'accroissement de la concurrence sur le marché du temps libre, les monuments ont de plus en plus besoin de mieux connaître leur public. Enfin, la troisième implication managériale est plus immédiate. Les conclusions de cette recherche et les analyses complémentaires à venir seront intégrées dans la réflexion globale relative aux spécificités de l'accueil du public dans le cadre du projet d'aménagement du monument historique des Alignements de Carnac. En particulier, nous pourrons donner des pistes pour un aménagement des cheminements adaptés aux attentes et aux logiques de consommation des visiteurs touristiques. Les résultats de ce travail permettent en effet d'anticiper et de supposer les modes comportementaux que les visiteurs sont susceptibles d'adopter. En définitive, dans les limites de son champ d'action, ce travail participera au choix stratégiques liés à l'aménagement d'une telle infrastructure. Propositions de recherches futures Les propositions de recherches futures que nous pouvons faire sont nombreuses. Pour commencer, il conviendrait d'affiner la théorie actuelle. La démarche envisagée peut être de découvrir comment l'ensemble des concepts identifiés s'organisent et s'influencent réciproquement avant de construire ces trois variables explicatives essentielles. Pour ce faire, il est possible de réaliser d'autres analyses utilisant les données de 1997 et de 15 nouveau selon la technique des équations structurelles. Mais, il est aussi possible d'envisager une étude empirique basée sur la démarche des « tables d'information » (DUBOIS30, 1984). En permettant de mieux comprendre comment les individus organisent les informations, nous pourrions envisager une connaissance plus précise du processus de décision des visiteurs touristiques. Ensuite, il est clair que des analyses multi-groupes permettraient d'identifier des structures explicatives plus pertinentes. Afin de pouvoir identifier pour chaque segment cible, la liste des variables sur lesquelles des actions stratégiques peuvent être envisagées, il faudrait reproduire des enquêtes avec l'objectif d'atteindre non plus une représentativité de la répartition des groupes sur les sites, mais un nombre minimum de visiteurs dans chaque groupe. De plus, en reproduisant l'analyse sur des sites présentant les mêmes caractéristiques mais transversaux en termes de style, nous pourrions valider la pertinence de ces conclusions et envisager leur généralisation. Mais il conviendra d'avoir défini au préalable les bases d'une typologie compréhensive des similarités et des divergences entre sites. En outre, il serait pertinent de travailler sur des sites qui ne présentent pas, comme cela a été le cas ici, une offre unique. Pour les sites où plusieurs prestations sont possibles comme au Mont-Saint-Michel où, en plus de la visite de l'abbaye, il est possible de découvrir trois musées privés et le «Logis Typhaine», il serait important de connaître l'impact de cette concurrence intra-type sur les comportements de fréquentation sur site. De même, une analyse étendue au processus de décision amont fournirait aux responsables culturels des pistes intéressantes en termes de stratégies d'actions. Tout particulièrement dans le cas des sous-fréquentations, en plus des démarches incitatives qu'il est possible d'envisager sur site, il serait extrêmement utile de pouvoir identifier les éléments qui interviennent dans le choix de la venue sur tel ou tel lieu de découverte. Enfin, même s'il est possible que ce type d'analyse soit difficile à réaliser pour un chercheur en marketing et en comportement du consommateur, il serait très profitable d'identifier de quelle manière favoriser et déclencher les opérations mentales d'assertion et de négation. En effet, est-il possible de favoriser le passage d'une conception du rôle du patrimoine à une autre ? Et si tel est le cas, comment déclencher de telles transformations ? 30 DUBOIS B. (1984), Les tables d'information : potentiel et limites, Revue Française du Marketing, vol.97, n°1. 16 17