Patrimoine et développement durable Le patrimoine est longtemps resté une préoccupation de pays riches. L’idée que la mise en valeur d’un site historique puisse créer de la richesse ne s’est pas encore imposée partout. De même que les considérations environnementales ont pu être comprises par les pays en développement comme des obstacles injustement dressés contre leur croissance, la protection du patrimoine a été parfois perçue comme une lubie de nantis disposant de l’électricité et du tout-à-l’égout. Les théories du développement ont privilégié les secteurs productifs, les infrastructures, l’énergie, plus récemment les secteurs sociaux… Le patrimoine et de façon générale le domaine culturel y figurent peu, ou en option, éventuellement à considérer une fois les mécanismes fondamentaux de croissance enclenchés. L’histoire fournit pourtant plusieurs exemples de cités nées d’une activité cultuelle et ayant par la suite prospéré sur une économie de services. Le plus saisissant est peut être le Délos de la Grèce antique, où le culte d’Apollon a suscité l’apparition d’une ville importante sur une île minuscule et sans eau. La ville compta jusqu’à 30 000 habitants et a figuré grâce à son statut de port franc parmi les plus importantes places commerciales de la Méditerranée. Ravitaillée de l’extérieur, Délos vivait exclusivement du commerce maritime et des activités liées au culte. Ce site, maintenant inscrit sur la liste du patrimoine mondial, est redevenu un des hauts lieux du tourisme culturel et assure une bonne partie de l’activité des îles voisines. Disposer d’un patrimoine historique représente pour une collectivité un atout inouï. Une chance qui peut se comparer à celle de bénéficier d’une ressource naturelle, pétrole, gaz, etc. Mais le patrimoine ne s’épuise pas, pas plus qu’il ne se délocalise, contrairement à la plupart des activités du secteur tertiaire. Son exploitation est toutefois soumise à une concurrence accrue entre sites. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, les flux touristiques - actuellement de l’ordre de 700 millions de déplacements internationaux annuels - devraient tripler d’ici 2020 : un enjeu économique considérable pour les Etats et les collectivités qui auront su s’organiser en vue de capter une partie de cette manne. Cependant les retombées positives du tourisme ne sont pas systématiquement transformées par l’économie locale tandis que les coûts induits peuvent devenir extrêmement élevés. Le cas d’Angkor est édifiant à cet égard. La fréquentation du site est en augmentation régulière, 20 % par an. Le chiffre de un million de visiteurs annuels est sur le point d’être atteint... Mais la durée moyenne de séjour est inférieure à un jour et demi. Les recettes directes pour l’économie nationale se limitent à la taxe d’aéroport et aux droits d’entrée dans le parc archéologique. Les dégradations dues à ce niveau de fréquentation impliquent la croissance des dépenses de protection d’un site déjà coûteux en fonctionnement du fait de sa superficie. La multiplication des hôtels et l’augmentation de population de la ville de Siem Reap a fait exploser les besoins en réseaux et en services. Du point de vue financier, tout permet de se féliciter du succès d’un site qui constitue la première source de devises pour l’Etat. Du point de vue économique et socio-économique le bilan serait probablement plus nuancé : les emplois créés sont majoritairement des emplois peu qualifiés, tout juste au seuil de pauvreté absolue. Et il est significatif que le taux de scolarisation dans les régions de certains sites touristiques semble stagner ou même régresser. Plusieurs exemples dans le monde ont montré que l’exploitation touristique peut contribuer à la déstructuration économique et sociale du milieu rural. Ces considérations renvoient aux notions de développement et de tourisme durable, dans lesquelles la priorité est donnée à la recherche d’effets multiplicateurs pérennes minimisant les impacts et les stress environnementaux et sociaux. Le patrimoine culturel urbain se prête particulièrement bien à ce type d’approche, à la différence par exemple du tourisme de stations, mer ou montagne. Mais l’optimisation de l’exploitation d’un patrimoine suppose aujourd’hui de proposer un ensemble cohérent : un site, un environnement, des animations, des activités liées. Le champ de l’ingénierie touristique culturelle s’est élargi à l’immatériel. Thierry PAULAIS responsable de la Division du développement urbain à l’Agence française de développement (AFD).