628 Canadian Journal of Communication, Vol 39 (4)
s’impliquer dans sa discussion est progressivement devenue un questionnement
central des études sur la participation citoyenne à la régulation des sciences. Des
travaux en sciences politiques, en sociologie des sciences et techniques (STS) ou en
sociologie de l’action collective ont cherché à comprendre ce qui faisait venir les
citoyens dans les espaces de dialogue entre sciences et société : la défense d’intérêts
personnels (Mansbridge et al., 2010), « la soif de savoir » (Callon et al., 2001) ou encore
« l’émergence de motifs d’action »pour se mobiliser sur un problème public (Céfaï et
Trom, 2001). L’un des principaux résultats de ces recherches a été de montrer que les
logiques qui sous-tendent l’engagement reposent sur la formation d’un lien entre l’objet
technoscientifique mis en discussion et son public. Pour venir participer, il serait ainsi
nécessaire de créer une relation de sens (découverte et sensibilisation à un évènement)
qui engendre une « proximité » suffisante avec l’objet technoscientifique pour motiver
une contribution au débat. Afin de qualifier cette modification de l’environnement des
acteurs à travers la prise en charge d’une controverse ou d’un « problème » pour
reprendre les termes de John Dewey (1927), le concept de « concernement » peut être
mobilisé. Cependant, les logiques de la constitution de ce lien n’ont, pour le moment,
pas été finement caractérisées. Il semble en effet qu’une réflexion sur les conditions
sociales du concernement soit nécessaire tant il apparaît difficile de le comprendre
comme un mouvement spontané, comme si aucun travail de mobilisation et de
construction du concernement n’était nécessaire à l’émergence des groupes sociaux
prêts à s’impliquer dans le débat.
Dans ce cadre, il nous semble qu’un élément n’a pour le moment pas été
suffisamment pris en compte dans le processus : la multiplicité des médiations qui
permettent aux publics d’avoir accès aux objets débattus et de s’en construire une
définition (cadrages médiatiques, éléments techniques, nature du dispositif de
participation …). Nous postulons ici que ce type de processus sociotechnique participe
au travail de concernement et favorise l’engagement de certains acteurs dans la
résolution d’un problème donné. Ainsi, notre objectif est de prouver que le
concernement des publics ne se construit pas uniquement dans des dimensions sociales
ou psychologiques mais que la manière dont la thématique est mise en débat, via des
dispositifs de médiation, configure en partie l’expérience des publics. Nous proposons ici
d’examiner plus particulièrement l’introduction d’outils numériques dans les
procédures. L’hypothèse que nous souhaitons défendre ici est que la participation en
ligne, via des technologies de l’information et de la communication (TIC), fait évoluer les
formes du concernement et favorise l’inclusion de nouveaux publics.
Pour mener notre étude, nous proposons une approche à la croisée des STS et des
sciences de l’information et de la communication (SIC) qui analyse la matérialité des
dispositifs de médiation en considérant leur dimension sociotechnique et la manière
dont ils structurent les pratiques sociales des acteurs. Comment le concernement
exprimé par les publics est-il mis au travail par la matérialité des dispositifs?
Cette approche sera mise à l’épreuve du terrain à travers une étude de cas, celle des
« débats publics » organisés par une institution française, la Commission nationale du
débat public (CNDP). Inspirée du modèle québécois du Bureau d’audiences publiques
sur l’environnement (BAPE)1créé en 1995, la CNDP est une autorité indépendante