Ainsi, au début des années 1920, l’Inde est deve-
nue un débouché essentiel pour les horlogers
suisses. L’importance relative de ce marché est
même en hausse continue: sa part des exporta-
tions de montres (en volume) passe en effet de 1%
en 1885 à 1,8% en 1900 et à 8,8 % en 1920, année
exceptionnelle. Elle est devenue un marché
presque aussi important que les Etats-Unis.
L’extension des débouchés. Ensuite, les statis-
tiques d’exportation montrent une grande stabilité
du marché indien durant l’entre-deux-guerres :
entre 1925 et 1940, les exportations horlogères
suisses vers ce pays s’élèvent en moyenne à
4,6 millions de francs et consistent pour l’essentiel
en montres complètes (95,4% des exportations).
Le demi-million de montres exporté chaque année
vers le sous-continent représente plus de 3% de
l’ensemble des exportations suisses.
Toutefois, la structure du marché évolue fortement
au cours des années 1930. Pour faire face à la
crise mondiale, les horlogers suisses lancent sur le
marché de nouveaux types de montres simples
et standardisés. En 1933, la société West End
Watch, l’une des principales maisons suisses pré-
sente en Inde depuis la fin du XIXesiècle, met ainsi
en vente la Secundus, proposée aussi bien sous
forme de montre de poche que de montre-bracelet.
L’année suivante, la même entreprise relance
sa marque Sowar avec un nouveau modèle de
montre-bracelet, également à bas prix. Elles sont
notamment destinées aux travailleurs et à une
clientèle plus populaire et participent à la démocra-
tisation de l’usage de montres auprès de la popu-
lation urbaine indienne.
Délocaliser en Inde? Devenue indépendante en
1947, l’Inde adopte une politique économique qui
rompt fondamentalement avec l’époque coloniale.
L’Etat s’impose dans les années 1950 et 1960
comme un acteur majeur du développement indus-
triel du pays. Le contrôle du commerce extérieur
adopté après la Seconde Guerre mondiale, puis
l’adoption du second plan quinquennal (1956-
1961), montrent la volonté de l’Etat de favoriser
l’émergence d’une industrie nationale, tout en limi-
tant les influences étrangères dans l’économie
nationale. Dans le domaine de l’horlogerie, les
autorités contingentent l’importation de montres et
introduisent un système de licences aux entre-
prises désirant faire le commerce d’horlogerie vers
l’Inde, des contraintes qui restent en vigueur
jusqu’à la fin des années 1990 et qui ont pour
objectif de soutenir le développement d’une indus-
trie domestique de la montre.
Les milieux horlogers suisses sont conscients de
l’enjeu mais divisés face aux stratégies à adopter:
faut-il participer à la délocalisation industrielle afin
de conserver des parts de marché face aux
concurrents étrangers ? Ou au contraire faut-il
interdire cette pratique et favoriser l’exportation de
produits finis? Une mission horlogère suisse est
envoyée en Inde en 1958 pour étudier les possibi-
lités de produire sur place. Cependant, à court
terme, la législation sur le Statut horloger (voir
WA010) ne permet pas aux entreprises suisses de
réaliser des investissements directs à l’étranger.
L’allègement de ces contraintes cartellaires en
1961 permet toutefois à ces dernières d’envisager
le transfert d’une partie de leur production en Inde.
Ainsi, six sociétés helvétiques, dont plusieurs for-
tement implantées sur le marché indien de longue
date, songent à ouvrir des unités de production sur
place: les maisons SSIH (Tissot et Omega), Favre-
Leuba, Enicar, Degoumois, Benrus (société amé-
ricaine avec filiale en Suisse) et Langendorf. Elles
envoient en 1964 une requête commune aux auto-
rités fédérales, leur demandant l’autorisation d’in-
vestir en Inde. Mais ni la Fédération horlogère, ni
la Chambre suisse d’horlogerie, malgré la création
de groupes de travail ad hoc, ne parviennent à
dégager une position consensuelle parmi les
milieux horlogers suisses, certains fabricants s’op-
posant fermement au transfert industriel. Aussi,
jusqu’à la fin des années 1960, aucun projet indus-
triel d’envergure impliquant des entreprises horlo-
gères suisses ne parvient à se concrétiser.
Marché laissé aux concurrents de la Suisse.
Pendant ce temps, les principaux concurrents de
l’horlogerie suisse sont sur pied de guerre. Ils
investissent en Inde et contribuent à l’émergence
d’une industrie ho rlogère dans cette région du
monde au début des années 1960. C’est par
exemple le cas d’industriels horlogers de
Besançon, qui créent avec des partenaires indiens
la société Indo-French Time Industries Private Ltd,
à Bombay, ainsi que de la maison allemande
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