Du principe de la causalité
Mustapha HMIMOU 1
Du principe de la causalité
chez les scolastiques musulmans
et puis chez Hum, Kant et Descartes des siècles plus tard
1. Chez les scolastiques musulmans
Pour les besoins d’expliquer et admettre le surnaturel, comme les miracles, avec
raison selon leur foi en le Coran, les scolastiques1 musulmanes Moutazilites2 et
Acharites3 n’ont pas nié le lien robuste entre les causes et leurs effets respectifs. Ils
n’ont donc pas ignoré les lois immuables reliant l’antécédent au conséquent. Ils ont tous
admis que l’eau irrigue, que la terre fait germer les plantes, que le feu brûle, que la
lumière donne lieu à l’ombre, etc… et qu’ainsi va le cours normal des choses
conformément aux observations effectuées.
La chose qu’ils ont néanmoins voulu soutenir et démontrer c’est que rien
n’échappe à tout moment à la Volonté divine. Ils ont ainsi dit que le feu, par exemple,
brûle, à priori et à tout moment, par la Volonté de Dieu, mais qu’à chaque moment le
même feu ne brûle pas quand Dieu en décide ainsi. Ils ont soutenu donc que la Volonté
divine tient une place capitale et omniprésente dans le lien entre la cause et l’effet.
A côté, il y a bien sûr les gens qui nient l’existence de Dieu, et qui attribuent les
choses de la vie et de la mort, du mouvement et de l’inertie à la seule nature des
éléments. Mais cette façon de voir demeurera à jamais incapable d’expliquer les
phénomènes avérés surnaturels, et auxquels les athées s’obstinent à ne pas croire.
La cause alors, est-elle la véritable créatrice de ce qu’elle implique ? Ou bien n’est-
elle que la manifestation d’une force qui l’accompagne immanquablement, mais qui
lui est exogène et s’exerce alors de l’extérieur ? Pour les scolastiques musulmans, la
cause n’est pas la véritable créatrice de ce qu’elle induit.
L’eau par exemple, n’implique pas nécessairement la germination. Elle ne
l’implique que parce que cette propriété intrinsèque lui a été assignée de la part du
Créateur. De même la conception de tout être vivant dans la matrice de sa mère. Telle
est la réponse divine à la question sur le principe de la causalité posée dans le Coran
respectivement par la sainte vierge et par Zakarie père de saint Jean :
Coran chap 2/verset[47] «Seigneur, demanda Marie, comment pourrais-je avoir
un enfant alors que nul homme ne m’a jamais touchée «Dieu crée ainsi ce
1 qui vise à concilier l'apport de la philosophie grecque d'Aristote surtout avec le dogme théologique
2 Le mutazilisme, ou motazilisme, est une école de pensée théologique musulmane apparue au VIIIe siècle en même temps
que le sunnisme et le chiisme, mais indépendant d'eux. Elle disparait définitivement au XIIIe siècle, essentiellement vaincu
par le sunnisme. La théologie mutazilite se développe sur base de la logique et du rationalisme, inspirés de la philosophie
grecque et de la raison, à l’aide desquels elle cherche à fonder une foi raisonnée et rationnelle.
3 Elle s’oppose à l’école mutaziliste sur certains points.
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qu’Il veut, lui fut-il répondu, et lorsqu’Il décrète qu’une chose doit être, il Lui
suffit de dire : “Sois !”, et la chose est. »
Chap 2/[40] «Comment pourrais-je, Seigneur avoir un enfant, alors que je suis
vieux et que ma femme est stérile?», demanda Zacharie. «Il en sera ainsi, lui fut-
il répondu, la volonté de Dieu doit toujours s’accomplir.»
C’est posée déjà chez les philosophes grecs, la même question : La divinité qui a
créé ce monde a-t-elle abandonné la gestion de lexistence, la laissant ainsi suivre son
cours d’elle-même ? Ou bien gère-t-elle encore et toujours tout atome de ce vaste et
grandiose Royaume ? Leurs réponses basées sur de pures spéculations intellectuelles ont
divergé. Cependant sur base du Coran, qu’ils croient Verbe divin authentique, preuve à
l’appui1, les musulmans, en réponse à la même question, ne doutent pas un seul instant
que l’eau par exemple, fera à jamais germer les plantes et qu’elle transportera toujours
les navires. Mais ils insistent pour dire que ces propriétés émanent en tout instant du
Créateur Omnipotent. C’est Lui qui a bien voulu faire que l’eau soit ainsi, mais qui peut
décider à tout moment qu’il en soit autrement.
Ils croient donc que Dieu a une mainmise absolue et une hégémonie totale sur
toute particule de cet univers. Pour eux une cause n’implique sa conséquence que parce
qu’elle tire continuellement son existence originelle et les propriétés de cette existence,
de Dieu, Seigneur, Créateur et Guide de toute chose. Cela signifie très simplement que -
s’Il le veut - Dieu peut très bien faire qu’une cause n’implique plus la conséquence
escomptée. Ou qu’un acte, qui d’habitude n’a nul lien mécanique avec un effet
quelconque, soit en apparence au moins pour les humains la cause d’un tel effet. Et l’on
cite en exemple dans le Coran l’ouverture miraculeuse de la mer par un simple geste
avec le bâton de Moise ainsi que les effets maléfiques de la magie noire :
Chap 26/ [60] "Au lever du jour, Pharaon et les siens se lancèrent à leur
poursuite. [61] Et lorsque les deux groupes furent en vue l’un de l’autre, les
compagnons de Moïse s’écrièrent : «Nous allons être rejoints !» [62] «Il
n’en est rien, fit Moïse. Mon Seigneur est avec moi. Il me guidera.» [63]
Nous ordonnâmes alors à Moïse de frapper la mer avec son bâton. Et
aussitôt les flots se fendirent en deux, formant de chaque côté comme
une énorme montagne. [64] Puis, après y avoir attiré Pharaon et son
armée, [65] Nous sauvâmes Moïse et les siens, [66] et engloutîmes leurs
ennemis.67] Il y a là sûrement un enseignement, mais la plupart des
1 Pour preuve à ce sujet les musulmans se fient au résultat dufi lancé par le Coran même en ces termes :
- « Si vous avez un doute sur ce que Nous avons révélé à Notre Sujet (Mouhammad), tâchez donc de produire
une sourate semblable, et appelez en renfort ceux que vous suivez en dehors d'Allah, si vous êtes véridiques. Si
vous n'y parvenez pas et, à coup sûr, vous n y parviendrez jamais, parez-vous donc contre le feu qui aura pour
combustible les hommes et les pierres, lequel est réservé aux infidèles. » (Versets 22 et 23 chap. 2)
- « Dis: "Même si les hommes et les djinns s'unissaient pour produire quelque chose de semblable à ce Coran,
ils ne sauraient produire rien de semblable, même s'ils se soutenaient les uns les autres". (Verset 88 chap. 17)
Ce défi, voilà quatorze siècles qu’il n’a jamais été relevé, preuve pour tous les musulmans arabes déjà, qu’il ne le sera
jamais, et que le Coran est bel et bien le verbe d’Allah l'Omnipotent.
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hommes ne sont pas croyants. [68] En vérité, ton Seigneur est le Tout-
Puissant et le Tout-Clément. »
Chap.2/ [102] « Ils ont préféré suivre ce que les démons rapportaient sur le
règne de Salomon. Mais Salomon n’était pas négateur ; ce sont les démons
qui l’étaient et qui apprenaient aux gens la sorcellerie et ce qui avait été
inspiré aux deux anges de Babylone, Hârût et Mârût. Or, ces deux anges
n’apprenaient rien à personne sans lui dire auparavant : «Nous ne sommes
que pour tenter les hommes ! Prends donc garde de perdre ta foi Les
gens apprenaient d’eux le moyen de séparer le mari de sa femme, mais ils
ne pouvaient nuire à qui que ce soit sans la permission du Seigneur.
D’ailleurs, de telles pratiques les initiaient beaucoup plus à ce qui était
nuisible qu’à ce qui était utile, sans compter que ceux qui s’y adonnaient
savaient bien qu’ils n’auraient aucune part de bonheur dans la vie future.
À quel vil prix ont-ils ainsi aliéné leurs âmes ! Mais le savaient-ils?"
Ce sont ces significations que les scolastiques musulmans entérinent, et leurs
propos sur les causes et les effets entrent dans ce cadre. Ils n’ont jamais pensé à renier la
cohésion du système cause-effet. Mais ils ont ainsi voulu répondre aux négateurs de la
divinité, et à tout théiste qui imagine la divinité au pouvoir limités. Et tels sont à ce
sujet, les propos du Sheikh Jalâl Ad-Dîn Ar-Rûmî1: « Les sectes musulmanes qui ont
abordé la question des causes et des effets sont souvent tombées soit dans le piège de
l’outrance, soit dans celui du laxisme. Les rationalistes énoncent quant à eux que le
monde est tout entier soumis à une chaîne ininterrompue de causes et d’effets. L’effet ne
fait jamais défaut à la cause, et le conséquent ne saurait se détacher de l’antécédent.
Les Mu`tazilites penchent pour cette opinion. S’ils établissent la cause d’un événement,
ou s’ils découvrent une propriété intrinsèquement liée à leur objet d’étude ou ayant sur
lui une influence certaine, ils proclament aussitôt que cette relation de causalité est
nécessairement vérifiée, de sorte qu’observer autre chose serait d’une rareté
improbable. C’est pour cette raison qu’ils écartent systématiquement toute occurrence
contraire à ce qu’impliquent ses propriétés intrinsèques, ou tout événement n’ayant pas
de cause. Ils s’efforceront ainsi de démontrer les événements spectaculaires et les
miracles relatés dans le Coran ou le Hadith2 en leur attribuant des causes ordinaires et
des antécédents naturels. S’ils échouent - chose rarissime - ils reconnaissent bien
malgré eux qu’ils ont affaire à un miracle.
A l’inverse, les Ash`arites déclarent que rien n’est la cause de quelque chose. Rien
n’a de propriété intrinsèque ou d’influence. Cet extrémisme a également porté préjudice
à la question et a provoqué une confusion générale. Chacun disait ainsi ce qu’il voulait
et réfutait ce qu’il voulait.
1 Un mystique musulman persan (1207 - 1273)
2 Enseignement du prophète
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Un grand nombre de gens ont penché pour cette opinion, réfutant et refusant la
notion de cause, pour sombrer dans l’inactivité et l’oisiveté. »
Et Jalâl Ad-Dîn adopte alors une opinion médiane entre les deux extrémités. Il
entérine ainsi le fait que les causes sont une réalité, que les antécédents et les
conséquents, les causes et les effets sont liés les uns aux autres, et qu’il n’est ni objectif,
ni raisonnable, ni possible de nier cela. La règle que Dieu a établie est que les effets sont
soumis à leurs causes respectives et que les choses ont des propriétés intrinsèques qui
les influencent. Mais la rupture de ce cours normal des choses, l’événement
extraordinaire, demeure possible et réaliste. Car le Créateur des causes et le Façonneur
des antécédents ne s’est nullement retranché après Sa Création du monde. Ni n’a-t-
Il écarté les causes de Son Pouvoir et de Son Action.
Il demeure donc et toujours le Seigneur des causes et l’Omnipotent absolu. S’Il le
veut, Il peut garder les effets reliés aux causes et soumises à leurs implications. C’est ce
qui se passe le plus souvent et c’est ce que nous appelons lois naturelles.. Et s’Il le veut,
Il peut à tout moment ôter aux effets leurs causes respectives et les créer sans cause ou à
la suite d’une cause qui, dans les faits et selon l’expérience humaine, n’a absolument
rien à voir avec l’effet produit. Et là, c’est la rupture du cours normal où réside
l’explication de l’extraordinaire et le surnaturel.
C’est ce qu’affirme Jalâl Ad-Dîn Ar-Rûmî en disant : « La majeure partie des
situations et des événements sont régulés suivant la loi divine courante. Mais Dieu peut
parfois et exceptionnellement rompre ce cours normal et déroger à cette loi, par Sa
Volonté et Son Omnipotence, en faveur de Ses Prophètes pour les accréditer comme
authentiques de sa part ou de Ses pieux Sujets. En conséquence, si nous voyons les
causes exercer une influence effective dans la plupart des cas, il ne faudrait pas en
déduire pour autant que le Pouvoir divin est impuissant et impotent, que la Volonté
divine est sans effet et sans influence, ou que Dieu n’est pas Capable de séparer les
effets de leurs causes et de disjoindre les conséquents de leurs antécédents.
Les causes ne se limitent pas à ce que nous avons connu et expérimenté, ni à ce
que nous observons et connaissons. Il existe en réalité des causes invisibles,
inaccessibles à notre perception. Ces causes cachées sont les causes motrices des
causes apparentes. Elles peuvent les activer et les pourvoir tout comme elles peuvent les
désactiver. L’être humain perçoit facilement les causes apparentes, mais le plus
souvent, il ignore les causes cachées. Il remarque par exemple que si l’on frotte deux
allumettes pour créer une étincelle, on allume un feu. Il saisira ainsi que l’étincelle est
la cause provoquant l’apparition de la flamme, mais il ignorera la cause cachée, de
même d’ailleurs que la cause des causes vers laquelle converge la chaîne des
antécédents. La cause véritable et fondamentale est en fait l’Ordre divin et la Volonté
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suprême, qui transcendent toute cause et fondent tout événement : « Quand Il veut une
chose, Son commandement consiste à dire : ‹Sois›, et c’est. »1
Les Prophètes connaissent et voient les causes cachées tout comme nous, nous
connaissons et voyons les causes apparentes. Par ailleurs, ils croient que la cause
véritable, vers laquelle convergent toutes les causes et tous les antécédents, et qui est en
outre la source de tout événement et de tout acte, est la Volonté divine.
Ils contemplent cette Volonté divine disposant des créatures, gérant cet univers et
dominant toute volonté et tout principe. C’est à elle qu’est soumis le schéma de cette
existence. C’est elle qui assigne aux choses leurs propriétés intrinsèques et qui les leur
retire si elle le désire. C’est elle qui peut changer le caractère et la nature des choses,
de sorte que le feu puisse devenir une fraîcheur salutaire2
Ils considèrent que les causes apparentes sont faibles, insignifiantes et absurdes
devant les causes cachées. Puis ils considèrent que ces causes cachées sont tout aussi
faibles, insignifiantes et absurdes devant la cause véritable : la Volonté divine. « Ainsi
avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux
qui croient avec conviction. »3
Les personnes qui ont une vision étriquée - sous l’influence de l’obscurantisme et
du matérialisme - exagèrent la sacralisation des causes et la croyance à leur puissance
et à leur influence. Ils s’y accrochent et s’y attachent alors avec démesure, prenant les
causes pour des divinités en-dehors de Dieu et faisant mine d’ignorer la Cause des
causes et le Seigneur des seigneurs. Ils rendent ainsi un culte aux phénomènes et aux
apparences.
C’est à ce niveau que se lèvent les Prophètes pour combattre cette idolâtrie -
l’idolâtrie des causes - et pour appeler les hommes à quitter ces considérations
causales pour la Cause ultime. Dieu occasionne ainsi par leur intermédiaire - en guise
d’avertissement et d’enseignement - des événements défiant les lois de la nature. Se
révèlent ainsi la faiblesse et l’impuissance des causes, et se manifestent la Toute-
puissance et la libre Volonté de Dieu. Lui-Seul détient les rênes de l’univers, et à Lui-
Seul revient la souveraineté sur toute chose existante. Il est Tout-Puissant, n’ayant nul
besoin des causes et n’ayant guère à s’y conformer. Voici alors que les mers se sont
ouvertes pour les Prophètes, que les fleuves ont jailli sans cause habituelle et
ordinaire. La partie peu nombreuse vainc la partie nombreuse ; l’homme pauvre et
faible s’enrichit tandis que périt l’homme fort et opulent.
1 Sourate 36 intitulée -Sîn, verset 82.
2 Par allusion à l’histoire d’Abraham, rapportée dans la sourate 21, les Prophètes, Al-Ambiyâ’ : « Ils dirent : ‹Brûlez-le et
secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose pour elles›. Nous dîmes : ‹Toi feu, sois pour Abraham une
fraîcheur salutaire›. » NdT
3 Sourate 6 intitulée les Bestiaux, Al-An`âm, verset 75.
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