Du principe de la causalité

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Du principe de la causalité
Du principe de la causalité
chez les scolastiques musulmans
et puis chez Hum, Kant et Descartes des siècles plus tard
1. Chez les scolastiques musulmans
Pour les besoins d’expliquer et admettre le surnaturel, comme les miracles, avec
raison selon leur foi en le Coran, les scolastiques1 musulmanes Moutazilites2 et
Acharites3 n’ont pas nié le lien robuste entre les causes et leurs effets respectifs. Ils
n’ont donc pas ignoré les lois immuables reliant l’antécédent au conséquent. Ils ont tous
admis que l’eau irrigue, que la terre fait germer les plantes, que le feu brûle, que la
lumière donne lieu à l’ombre, etc… et qu’ainsi va le cours normal des choses
conformément aux observations effectuées.
La chose qu’ils ont néanmoins voulu soutenir et démontrer c’est que rien
n’échappe à tout moment à la Volonté divine. Ils ont ainsi dit que le feu, par exemple,
brûle, à priori et à tout moment, par la Volonté de Dieu, mais qu’à chaque moment le
même feu ne brûle pas quand Dieu en décide ainsi. Ils ont soutenu donc que la Volonté
divine tient une place capitale et omniprésente dans le lien entre la cause et l’effet.
A côté, il y a bien sûr les gens qui nient l’existence de Dieu, et qui attribuent les
choses de la vie et de la mort, du mouvement et de l’inertie à la seule nature des
éléments. Mais cette façon de voir demeurera à jamais incapable d’expliquer les
phénomènes avérés surnaturels, et auxquels les athées s’obstinent à ne pas croire.
La cause alors, est-elle la véritable créatrice de ce qu’elle implique ? Ou bien n’estelle que la manifestation d’une force qui l’accompagne immanquablement, mais qui
lui est exogène et s’exerce alors de l’extérieur ? Pour les scolastiques musulmans, la
cause n’est pas la véritable créatrice de ce qu’elle induit.
L’eau par exemple, n’implique pas nécessairement la germination. Elle ne
l’implique que parce que cette propriété intrinsèque lui a été assignée de la part du
Créateur. De même la conception de tout être vivant dans la matrice de sa mère. Telle
est la réponse divine à la question sur le principe de la causalité posée dans le Coran
respectivement par la sainte vierge et par Zakarie père de saint Jean :
 Coran chap 2/verset[47] «Seigneur, demanda Marie, comment pourrais-je avoir
un enfant alors que nul homme ne m’a jamais touchée?» – «Dieu crée ainsi ce
1
qui vise à concilier l'apport de la philosophie grecque d'Aristote surtout avec le dogme théologique
Le mutazilisme, ou motazilisme, est une école de pensée théologique musulmane apparue au VIIIe siècle en même temps
que le sunnisme et le chiisme, mais indépendant d'eux. Elle disparait définitivement au XIIIe siècle, essentiellement vaincu
par le sunnisme. La théologie mutazilite se développe sur base de la logique et du rationalisme, inspirés de la philosophie
grecque et de la raison, à l’aide desquels elle cherche à fonder une foi raisonnée et rationnelle.
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Elle s’oppose à l’école mutaziliste sur certains points.
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Mustapha HMIMOU
Du principe de la causalité
qu’Il veut, lui fut-il répondu, et lorsqu’Il décrète qu’une chose doit être, il Lui
suffit de dire : “Sois !”, et la chose est. »
 Chap 2/[40] – «Comment pourrais-je, Seigneur avoir un enfant, alors que je suis
vieux et que ma femme est stérile?», demanda Zacharie. «Il en sera ainsi, lui futil répondu, la volonté de Dieu doit toujours s’accomplir.»
C’est posée déjà chez les philosophes grecs, la même question : La divinité qui a
créé ce monde a-t-elle abandonné la gestion de l’existence, la laissant ainsi suivre son
cours d’elle-même ? Ou bien gère-t-elle encore et toujours tout atome de ce vaste et
grandiose Royaume ? Leurs réponses basées sur de pures spéculations intellectuelles ont
divergé. Cependant sur base du Coran, qu’ils croient Verbe divin authentique, preuve à
l’appui1, les musulmans, en réponse à la même question, ne doutent pas un seul instant
que l’eau par exemple, fera à jamais germer les plantes et qu’elle transportera toujours
les navires. Mais ils insistent pour dire que ces propriétés émanent en tout instant du
Créateur Omnipotent. C’est Lui qui a bien voulu faire que l’eau soit ainsi, mais qui peut
décider à tout moment qu’il en soit autrement.
Ils croient donc que Dieu a une mainmise absolue et une hégémonie totale sur
toute particule de cet univers. Pour eux une cause n’implique sa conséquence que parce
qu’elle tire continuellement son existence originelle et les propriétés de cette existence,
de Dieu, Seigneur, Créateur et Guide de toute chose. Cela signifie très simplement que s’Il le veut - Dieu peut très bien faire qu’une cause n’implique plus la conséquence
escomptée. Ou qu’un acte, qui d’habitude n’a nul lien mécanique avec un effet
quelconque, soit en apparence au moins pour les humains la cause d’un tel effet. Et l’on
cite en exemple dans le Coran l’ouverture miraculeuse de la mer par un simple geste
avec le bâton de Moise ainsi que les effets maléfiques de la magie noire :
 Chap 26/ [60] "Au lever du jour, Pharaon et les siens se lancèrent à leur
poursuite. [61] Et lorsque les deux groupes furent en vue l’un de l’autre, les
compagnons de Moïse s’écrièrent : «Nous allons être rejoints !» [62] – «Il
n’en est rien, fit Moïse. Mon Seigneur est avec moi. Il me guidera.» [63]
Nous ordonnâmes alors à Moïse de frapper la mer avec son bâton. Et
aussitôt les flots se fendirent en deux, formant de chaque côté comme
une énorme montagne. [64] Puis, après y avoir attiré Pharaon et son
armée, [65] Nous sauvâmes Moïse et les siens, [66] et engloutîmes leurs
ennemis.67] Il y a là sûrement un enseignement, mais la plupart des
1
Pour preuve à ce sujet les musulmans se fient au résultat du défi lancé par le Coran même en ces termes :
« Si vous avez un doute sur ce que Nous avons révélé à Notre Sujet (Mouhammad), tâchez donc de produire
une sourate semblable, et appelez en renfort ceux que vous suivez en dehors d'Allah, si vous êtes véridiques. Si
vous n'y parvenez pas et, à coup sûr, vous n y parviendrez jamais, parez-vous donc contre le feu qui aura pour
combustible les hommes et les pierres, lequel est réservé aux infidèles. » (Versets 22 et 23 chap. 2)
« Dis: "Même si les hommes et les djinns s'unissaient pour produire quelque chose de semblable à ce Coran,
ils ne sauraient produire rien de semblable, même s'ils se soutenaient les uns les autres". (Verset 88 chap. 17)
Ce défi, voilà quatorze siècles qu’il n’a jamais été relevé, preuve pour tous les musulmans arabes déjà, qu’il ne le sera
jamais, et que le Coran est bel et bien le verbe d’Allah l'Omnipotent.
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Mustapha HMIMOU
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hommes ne sont pas croyants. [68] En vérité, ton Seigneur est le ToutPuissant et le Tout-Clément. »
 Chap.2/ [102] « Ils ont préféré suivre ce que les démons rapportaient sur le
règne de Salomon. Mais Salomon n’était pas négateur ; ce sont les démons
qui l’étaient et qui apprenaient aux gens la sorcellerie et ce qui avait été
inspiré aux deux anges de Babylone, Hârût et Mârût. Or, ces deux anges
n’apprenaient rien à personne sans lui dire auparavant : «Nous ne sommes
là que pour tenter les hommes ! Prends donc garde de perdre ta foi !» Les
gens apprenaient d’eux le moyen de séparer le mari de sa femme, mais ils
ne pouvaient nuire à qui que ce soit sans la permission du Seigneur.
D’ailleurs, de telles pratiques les initiaient beaucoup plus à ce qui était
nuisible qu’à ce qui était utile, sans compter que ceux qui s’y adonnaient
savaient bien qu’ils n’auraient aucune part de bonheur dans la vie future.
À quel vil prix ont-ils ainsi aliéné leurs âmes ! Mais le savaient-ils?"
Ce sont ces significations que les scolastiques musulmans entérinent, et leurs
propos sur les causes et les effets entrent dans ce cadre. Ils n’ont jamais pensé à renier la
cohésion du système cause-effet. Mais ils ont ainsi voulu répondre aux négateurs de la
divinité, et à tout théiste qui imagine la divinité au pouvoir limités. Et tels sont à ce
sujet, les propos du Sheikh Jalâl Ad-Dîn Ar-Rûmî1: « Les sectes musulmanes qui ont
abordé la question des causes et des effets sont souvent tombées soit dans le piège de
l’outrance, soit dans celui du laxisme. Les rationalistes énoncent quant à eux que le
monde est tout entier soumis à une chaîne ininterrompue de causes et d’effets. L’effet ne
fait jamais défaut à la cause, et le conséquent ne saurait se détacher de l’antécédent.
Les Mu`tazilites penchent pour cette opinion. S’ils établissent la cause d’un événement,
ou s’ils découvrent une propriété intrinsèquement liée à leur objet d’étude ou ayant sur
lui une influence certaine, ils proclament aussitôt que cette relation de causalité est
nécessairement vérifiée, de sorte qu’observer autre chose serait d’une rareté
improbable. C’est pour cette raison qu’ils écartent systématiquement toute occurrence
contraire à ce qu’impliquent ses propriétés intrinsèques, ou tout événement n’ayant pas
de cause. Ils s’efforceront ainsi de démontrer les événements spectaculaires et les
miracles relatés dans le Coran ou le Hadith2 en leur attribuant des causes ordinaires et
des antécédents naturels. S’ils échouent - chose rarissime - ils reconnaissent bien
malgré eux qu’ils ont affaire à un miracle.
A l’inverse, les Ash`arites déclarent que rien n’est la cause de quelque chose. Rien
n’a de propriété intrinsèque ou d’influence. Cet extrémisme a également porté préjudice
à la question et a provoqué une confusion générale. Chacun disait ainsi ce qu’il voulait
et réfutait ce qu’il voulait.
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Un mystique musulman persan (1207 - 1273)
Enseignement du prophète
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Mustapha HMIMOU
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Un grand nombre de gens ont penché pour cette opinion, réfutant et refusant la
notion de cause, pour sombrer dans l’inactivité et l’oisiveté. »
Et Jalâl Ad-Dîn adopte alors une opinion médiane entre les deux extrémités. Il
entérine ainsi le fait que les causes sont une réalité, que les antécédents et les
conséquents, les causes et les effets sont liés les uns aux autres, et qu’il n’est ni objectif,
ni raisonnable, ni possible de nier cela. La règle que Dieu a établie est que les effets sont
soumis à leurs causes respectives et que les choses ont des propriétés intrinsèques qui
les influencent. Mais la rupture de ce cours normal des choses, l’événement
extraordinaire, demeure possible et réaliste. Car le Créateur des causes et le Façonneur
des antécédents ne s’est nullement retranché après Sa Création du monde. Ni n’a-tIl écarté les causes de Son Pouvoir et de Son Action.
Il demeure donc et toujours le Seigneur des causes et l’Omnipotent absolu. S’Il le
veut, Il peut garder les effets reliés aux causes et soumises à leurs implications. C’est ce
qui se passe le plus souvent et c’est ce que nous appelons lois naturelles.. Et s’Il le veut,
Il peut à tout moment ôter aux effets leurs causes respectives et les créer sans cause ou à
la suite d’une cause qui, dans les faits et selon l’expérience humaine, n’a absolument
rien à voir avec l’effet produit. Et là, c’est la rupture du cours normal où réside
l’explication de l’extraordinaire et le surnaturel.
C’est ce qu’affirme Jalâl Ad-Dîn Ar-Rûmî en disant : « La majeure partie des
situations et des événements sont régulés suivant la loi divine courante. Mais Dieu peut
parfois et exceptionnellement rompre ce cours normal et déroger à cette loi, par Sa
Volonté et Son Omnipotence, en faveur de Ses Prophètes pour les accréditer comme
authentiques de sa part ou de Ses pieux Sujets. En conséquence, si nous voyons les
causes exercer une influence effective dans la plupart des cas, il ne faudrait pas en
déduire pour autant que le Pouvoir divin est impuissant et impotent, que la Volonté
divine est sans effet et sans influence, ou que Dieu n’est pas Capable de séparer les
effets de leurs causes et de disjoindre les conséquents de leurs antécédents.
Les causes ne se limitent pas à ce que nous avons connu et expérimenté, ni à ce
que nous observons et connaissons. Il existe en réalité des causes invisibles,
inaccessibles à notre perception. Ces causes cachées sont les causes motrices des
causes apparentes. Elles peuvent les activer et les pourvoir tout comme elles peuvent les
désactiver. L’être humain perçoit facilement les causes apparentes, mais le plus
souvent, il ignore les causes cachées. Il remarque par exemple que si l’on frotte deux
allumettes pour créer une étincelle, on allume un feu. Il saisira ainsi que l’étincelle est
la cause provoquant l’apparition de la flamme, mais il ignorera la cause cachée, de
même d’ailleurs que la cause des causes vers laquelle converge la chaîne des
antécédents. La cause véritable et fondamentale est en fait l’Ordre divin et la Volonté
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suprême, qui transcendent toute cause et fondent tout événement : « Quand Il veut une
chose, Son commandement consiste à dire : ‹Sois›, et c’est. »1
Les Prophètes connaissent et voient les causes cachées tout comme nous, nous
connaissons et voyons les causes apparentes. Par ailleurs, ils croient que la cause
véritable, vers laquelle convergent toutes les causes et tous les antécédents, et qui est en
outre la source de tout événement et de tout acte, est la Volonté divine.
Ils contemplent cette Volonté divine disposant des créatures, gérant cet univers et
dominant toute volonté et tout principe. C’est à elle qu’est soumis le schéma de cette
existence. C’est elle qui assigne aux choses leurs propriétés intrinsèques et qui les leur
retire si elle le désire. C’est elle qui peut changer le caractère et la nature des choses,
de sorte que le feu puisse devenir une fraîcheur salutaire2
Ils considèrent que les causes apparentes sont faibles, insignifiantes et absurdes
devant les causes cachées. Puis ils considèrent que ces causes cachées sont tout aussi
faibles, insignifiantes et absurdes devant la cause véritable : la Volonté divine. « Ainsi
avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux
qui croient avec conviction. »3
Les personnes qui ont une vision étriquée - sous l’influence de l’obscurantisme et
du matérialisme - exagèrent la sacralisation des causes et la croyance à leur puissance
et à leur influence. Ils s’y accrochent et s’y attachent alors avec démesure, prenant les
causes pour des divinités en-dehors de Dieu et faisant mine d’ignorer la Cause des
causes et le Seigneur des seigneurs. Ils rendent ainsi un culte aux phénomènes et aux
apparences.
C’est à ce niveau que se lèvent les Prophètes pour combattre cette idolâtrie l’idolâtrie des causes - et pour appeler les hommes à quitter ces considérations
causales pour la Cause ultime. Dieu occasionne ainsi par leur intermédiaire - en guise
d’avertissement et d’enseignement - des événements défiant les lois de la nature. Se
révèlent ainsi la faiblesse et l’impuissance des causes, et se manifestent la Toutepuissance et la libre Volonté de Dieu. Lui-Seul détient les rênes de l’univers, et à LuiSeul revient la souveraineté sur toute chose existante. Il est Tout-Puissant, n’ayant nul
besoin des causes et n’ayant guère à s’y conformer. Voici alors que les mers se sont
ouvertes pour les Prophètes, que les fleuves ont jailli sans cause habituelle et
ordinaire. La partie peu nombreuse vainc la partie nombreuse ; l’homme pauvre et
faible s’enrichit tandis que périt l’homme fort et opulent.
1
Sourate 36 intitulée Yâ-Sîn, verset 82.
Par allusion à l’histoire d’Abraham, rapportée dans la sourate 21, les Prophètes, Al-Ambiyâ’ : « Ils dirent : ‹Brûlez-le et
secourez vos divinités si vous voulez faire quelque chose pour elles›. Nous dîmes : ‹Toi feu, sois pour Abraham une
fraîcheur salutaire›. » NdT
3
Sourate 6 intitulée les Bestiaux, Al-An`âm, verset 75.
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« Et les gens qui étaient opprimés, Nous les avons fait héritiers des contrées
orientales et occidentales de la terre, que Nous avons bénies. Et la très belle promesse
de ton Seigneur s’accomplit sur les enfants d’Israël pour prix de leur endurance. Et
Nous avons détruit ce que faisaient Pharaon et son peuple, ainsi que ce qu’ils
construisaient. »1
2. La remise en question du même principe de causalité des siècles plus
tard: chez Hum, Kant et Descartes2
Si les scolastiques musulmans avaient de forte raisons pour expliquer la causalité
comme simple volonté divine qui n’a rien à voir avec un quelconque principe inhérent à
la nature intrinsèque des choses, l’on s’étonne que David Hume3 adopte en partie et par
pur scepticisme dogmatique la même vision sur la causalité, et n’avance nulle
explication pour justifier une telle attitude.
Il dit en l’occurrence, dans son Traité sur la nature humaine et ses Essais sur
l’entendement humain, que nous ne percevons rien d'autre dans une série d'événements
que les événements qui la constituent. Autrement dit, notre connaissance d'une
connexion nécessaire n'est pas empirique. D'où se demande-t-il, hormis notre
perception, pourrions nous tenir cette connaissance ? Hume nie que nous puissions avoir
une idée de la causalité autrement que par le fait que deux événements se sont toujours
succédés. C’est tout juste une sorte d'anticipation due à l’habitude, qui nous représente
que le second terme doit se produire, quand le premier se produit. Cette conjonction
constante de deux événements et l'attente ou anticipation qui en résulte pour nous est
tout ce que nous pouvons connaître de la causalité.
Pour Hume, il s’agit donc d’une simple croyance en la connexion causale et ce qui
la justifie est une sorte d'instinct, fondé sur le développement de nos habitudes et de
notre système nerveux. Cette croyance est donc impossible à éliminer, mais ne peut être
ultimement prouvée par aucune sorte d'arguments déductifs ou inductifs.
A l’inverse donc des scolastiques musulmans, convaincus que le principe de la
causalité existe bel et bien mais voulue par dieu et non inhérent à la nature intrinsèque
des choses, Hume lui, doute de l'existence objective même de ladite causalité, telle
qu’elle est admise par le commun des mortels. Et il va jusqu’à nier l’objectivité du
principe causal universel, à savoir que tout effet ou tout événement doit avoir une cause.
Mais à défaut d’une explication convaincante de sa thèse, il n’exprime pour ainsi dire
que son strict scepticisme dogmatique bien sûr infondé à ce sujet. Or ce qui est grave
pour les théistes occidentaux c’est que la théologie naturelle faisait partie de la
1
Sourate 7 intitulée les Limbes, Al-A`râf, verset 137
Voir Michel Malherbe « Qu'est-ce que la causalité?: Hume et Kant » chez J .Vrin
2
3
David Hume (1711-1776), philosophe anglais
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tradition philosophique occidentale jusqu’à ce que Hume et Kant affirment qu’il y a
des limites fondamentales à l’intelligibilité, ou au moins au savoir possible, de ce qui
dépasse l’expérience ; et donc qu’il ne peut exister d’arguments solides partant du
monde naturel et concluant à l’existence de Dieu qui demeure le premier principe
selon les adeptes d’Aristote1. Sauf que les arguments de Hume et de Kant sont de pures
spéculations intellectuelles, qui n’ont nulle force pour infirmer la solide théologie
naturelle.
Cependant d’un point de vue historique, la présentation de la causalité par Kant
était à première vue une réponse au scepticisme dogmatique de Hume sur la relation de
cause à effet. Alors que Kant se veut lui-même l’héritier de Hume. C’est pourquoi il dit
que ce dernier l'a en effet réveillé de son sommeil dogmatique.
Reprenons ce que Hume dit de cette question. Il indique que, dans la nature, nous
n’observons que des événements corrélés, et qu’il existe des corrélations régulières et
d’autres irrégulières. Par exemple, nous observons que l’éclair précède toujours le
tonnerre. Sur la base de telles corrélations régulières, nous inférons que les événements
en question sont aussi liés du point de vue de la causalité, c’est-à-dire que l’éclair est la
cause du tonnerre. Et pourtant, d’après Hume, nous n’observons jamais la vraie
corrélation entre des événements. Ce que nous observons, c’est seulement que deux
événements sont liés, de façon régulière. La relation de cause à effet est ce que notre
esprit a tendance à inférer quand il est face à de telles régularités. Les liens de
causalité ne sont que de simples opérations mentales subjectives, produites par
l’esprit humain. Il n’y a donc aucune causalité objective entre événements. Ce n’est
donc que notre interprétation subjective de la régularité qui existe entre eux.
Ainsi, si nous considérons le fait que les scientifiques contemporains considèrent
les charges électriques comme le facteur causal normal de l’éclair et du tonnerre, nous
pouvons apprécier ce que dit Hume. Nous n’observons aucun lien de causalité. Peutêtre, dans l’avenir, les scientifiques proposeront-ils un autre facteur physique comme
cause du tonnerre, des éclairs et peut-être même des charges électriques. Puisque nous
n’observons pas de liens de causalité, nous ne pouvons jamais être sûrs de ce que sont
les vraies causes. Hume étend ce scepticisme dogmatique tellement loin que plus rien
n’est réellement cause de quelque chose. Il n’existe pour lui nulle relation objective de
1
Dans sa recherche de la cause première Aristote dit: "Il est évident qu'il y a un premier principe, et qu'il n'existe ni une
série infinie de causes, ni une infinité d'espèces de causes. Ainsi, sous le point de vue de la matière, il est impossible qu'il y
ait production à l'infini ; que la chair, par exemple, vienne de la terre, la terre de l'air, l'air du feu, sans que cela s'arrête".
C’est que la cause première existe belle et bien mais elle est donc imperceptible par nos sens et tous leurs
prolongements techniques et technologiques. C'est ce qu'il insinue en disant: "Mais l'impossibilité d'une possession
complète de la vérité dans son ensemble et dans ses parties, montre tout ce qu'il y a de difficile dans la recherche dont il
s'agit... Toutefois, cette difficulté a peut-être sa cause non pas dans les choses, mais dans nous-mêmes". Et il ajoute: "De
même pour le principe du mouvement : on ne dira pas que l'homme a été mis en mouvement par l'air, l'air par le soleil, le
soleil par la discorde, et ainsi à l'infini. Selon lui, arriver à cette conclusion pour tout philosophe est si aisé et inéluctable
que de mettre une flèche dans une porte » [LA MÉTAPHYSIQUE D’ARISTOTE. Livre 2 ]
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Mustapha HMIMOU
Du principe de la causalité
cause à effet. Il n’y a que des corrélations révélées par nos expériences. Autrement dit, il
nie également l’objectivité de principe causal universel, à savoir que tout effet ou tout
événement doit avoir une cause y compris l’existence de l’univers même. Ce qui
conduit à dire que l’univers n’avait nul besoin de Dieu ou autre, comme premier
principe, pour exister.
En réponse, Kant distingue deux niveaux différents dans l’analyse de la relation de
cause à effet. D’un côté, il essaie de prouver l’objectivité du principe universel de
causalité. Il remet ainsi à sa place la théologie naturelle dans la philosophie
occidentale. Mais qui, comme Aristote, il sait bien qu’il est difficile de le prouver sur la
base de l’expérience. Un tel principe universel ne peut se fonder sur l’expérience. A
l’inverse d’Aristote, qui le considère comme une déduction logique de la raison (logos),
Kant le considère comme une simple vérité synthétique a priori, valide pour tout ce
que nous expérimentons, car toute notre expérience est façonnée par la catégorie de
causalité. Il formule ainsi ce principe : tout ce qui arrive présuppose ce qu’il suit
conformément à une règle. Kant affirme ainsi que dans des cas irréversibles,
l’appréhension d’une perception qui se produit nécessairement succède à celle d’une
autre qui l’a précédée selon une règle appelée « la loi de relation de cause à effet ». Il
exprime ce point en disant que « tout dans la nature, aussi bien dans le monde inanimé
que dans le monde animé, se produit ou est fait selon des règles, même si nous ne les
connaissons pas toujours … ».
Comme nous l’avons vu, Kant considère le principe universel de causalité comme
une vérité synthétique a priori. Ce faisant, il limite les attributions causales au monde
phénoménal1, car c’est le monde phénoménal, et non le monde nouménal2, qui est
façonné par notre esprit.
Cependant, la question à laquelle il faut répondre à ce sujet est de savoir si
l’esprit humain dialogue avec ledit noumène ? Et si oui, comment dialogue-t-il ?
Questions logiques et très pertinentes, auxquelles, selon les scolastiques des trois
religions monothéistes, seuls les textes dits révélés par Dieu à des messagers sont à
même d’apporter les réponses satisfaisantes et convaincantes, pour autant que ces
messagers soit accrédités par des phénomènes indiscutablement surnaturels, soit de
miracles. Ce dont quoi les scolastiques musulmans sont sûrs pour le Coran, preuve à
l’appui.
Mais Kant semble considérer le noumène comme un concept vide et limitatif. Il
prétend à juste titre que nous ne pouvons rien savoir de nous même de ce domaine,
même pas si des objets nouménaux comme le libre arbitre, l’âme ou Dieu existent. Et
c’est selon lui, pourquoi il n’est qu’un procédé heuristique, soit l'art d'inventer, de faire
1
Du réel perceptible par nos sens et leurs prolongements technologiques
Le monde imperceptible. L’univers du vrai intrinsèque ou les choses en elles-mêmes, au sens platonicien du terme,
imperceptible par nos sens et leurs prolongements technologiques.
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des découvertes indiquant ce qui est au-delà de notre connaissance théorique. Il doit
faire allusion ici au premier principe d’Aristote précité. Ainsi selon Kant, nous ne
pouvons rien dire de sensé, à partir de notre simple raison, sur la relation entre l’esprit et
le noumène, car le noumène est au-delà de notre entendement. Sinon, tout ce que nous
disons ne peut être que spéculation illégitime. Mais il feint ainsi ignorer les textes
révélés comme moyens de communiquer avec ce qu’il appelle noumène, sans quoi
comme il le dit si bien, tout ce que nous disons ne peut être que pures spéculation
illégitime.
Or pour les musulmans, ce que Kant appelle noumène, n’a rien ni de vide ni de
limité ni de mystérieux ou de pures spéculations entres philosophes, car il est la matière
intrinsèque du Coran en tant que vérité absolue de la part de Dieu même. Ledit noumène
y est dit en arabe ghaïb, soit le réel imperceptible. Et il y est l’un des piliers de la foi
en l’Islam décrété en ces termes :
 Coran chap. 2/ « [2] Voici le Livre sans nul doute. C’est un guide pour les
pieux; [3] qui ont foi en le réel imperceptible »
Cela n’empêche qu’il résulte de la perspective philosophique d’ensemble de Kant
qu’un aspect fondamental de sa philosophie critique est que notre expérience est
façonnée par nous, mais pas totalement créée par nous. Il existe un élément extérieur
à l’expérience qui ne dépend pas de nous. Il admet qu’il existe des objets nouménaux,
alors même que nous ne pouvons savoir par nous-mêmes ce qu’ils sont. En conclusion
Kant attribue explicitement une efficacité causale au monde nouménal.
Or pour les musulmans, comme pour les autres théistes, tout l’univers dans ses
moindres recoins est un immense laboratoire. Et tout leur y raffermit la très juste et
ferme conviction que tout y est parfait, que rien n’y est de trop ni superflu ni absurde.
Tout leur y confirme par conséquent, l’existence de ce qu’Aristote appelle principe
premier et que Kant appelle noumène et que d’aucuns appellent l’architecte suprême
pour ne pas dire Dieu. Mais il doit s’agir toutefois du Dieu omnipotent, omniscient
omniprésent et parfait par essence.
Cependant ce que feignent ignorer Hum et Kant, c’est que comme Aristote, le
commun des mortels, musulman ou pas, n’est que plus sûr qu’il n’y a que Dieu qui l’a
créé pour bien répondre aux multiples questions métaphysiques qui ne cessent de le
tourmenter. Il sait pertinemment aussi que Dieu qui est Parfait par essence, n’est pas de
nature à laisser l’être qu’il a créé pensant, sans communication avec lui soit sans
message de sa part avec toutes les réponses à toutes ces questions. Reste à savoir lequel
de tous les messages prétendus divins, est authentique. Pour être le vrai message divin,
il doit comporter en lui-même et entre autres, la bonne et très convaincante réponse à
cette même question. Pour les musulmans, le Coran est bel et bien ce message, preuve
rationnelle à l’appui. Et en matière de causalité, ils y lisent entre autres :
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 Coran chap 2/verset[47] «Seigneur, demanda Marie, comment pourrais-je avoir
un enfant alors que nul homme ne m’a jamais touchée?» – «Dieu crée ainsi ce
qu’Il veut, lui fut-il répondu, et lorsqu’Il décrète qu’une chose doit être, il Lui
suffit de dire : “Sois !”, et la chose est. »
 Chap 2/[40] – «Comment pourrais-je, Seigneur avoir un enfant, alors que je suis
vieux et que ma femme est stérile?», demanda Zacharie. «Il en sera ainsi, lui futil répondu, la volonté de Dieu doit toujours s’accomplir.»
Et puis loin du scepticisme dogmatique de Hum et Kant, Descartes lui, admet
comme Aristote, Dieu comme principe premier parfait éternel et immuable. Mais il
assigne quand-même à son existence une cause comme tout autre chose. En d’autres
termes, il s’est demandé si en vertu du même principe de causalité, ne faut il pas que
Dieu ait également une cause ?
Pour résoudre cette difficulté, il faisait une distinction entre ce qui a une cause hors
de soi (substance au sens large) et ce qui a sa cause en soi la substance per se (locution
latine signifiant « en soi »). Et de ce fait, il pensait que Dieu soit sa propre cause. Le
rapport de Dieu à Dieu, pour ainsi dire, est, selon lui, un rapport de cause à effet. Et il
nomme causa sui ce rapport de causalité exclusivement propre à l'être suprême. Causa
sui veut dire en latin : cause de soi-même.
Ce rapport s'explique, selon Descartes, par l'idée de la toute-puissance infinie de
Dieu qui lui permet d'exister par lui-même. Or l'objection toute logique lui vient
d’Antoine Arnauld1. Il lui objecte que, comme il se doit, toute cause précède son effet,
et il faut donc que Dieu existât déjà avant d'être son propre effet. Ce qui doit impliquer
pour l’idée de Descartes que l'on distingue en Dieu passé, présent et futur, et qu’on
associe le temps à son existence, ce qui est qui est contraire à la perfection de son être
admise a priori par Descartes même.
Mais par pure spéculation illégitime, selon les termes de Kant ci-dessus; la réponse
de Descartes à cette objection est que cette causalité, dans le cas de Dieu, ne peut être
conçue par nous que par analogie, car nos facultés sont trop imparfaites pour le
comprendre. Il admet au moins à ce sujet la limitation de notre entendement pour
comprendre l’essence de Dieu. En ce point il rejoint Aristote, qui dit en matière de
compréhension des détails sur Dieu : « l'impossibilité d'une possession complète de la
vérité dans son ensemble et dans ses parties, montre tout ce qu'il y a de difficile dans
la recherche dont il s'agit. Cette difficulté est double. Toutefois, elle a peut-être sa
cause non pas dans les choses, mais dans nous-mêmes En effet, de même que les yeux
des chauves-souris sont offusqués par la lumière du jour, de même l'intelligence de
1
Antoine Arnauld (1612 - 1694), , est un prêtre, théologien, philosophe et mathématicien français, surnommé le Grand
Arnauld par ses contemporains pour le distinguer de son père
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Mustapha HMIMOU
Du principe de la causalité
notre âme est offusquée par les choses qui portent en elles la plus éclatante
évidence. » 1
Or admettre que Dieu est parfait ; admettre l’impossibilité de le comprendre en
détail par nous-mêmes, et puis le concevoir en même temps une cause de soi, Dieu
serait alors l'effet d'un autre être et ne serait pas parfait. Quoi de plus contradictoire ?
De même pour ce qui est de l’assignation du temps à son existence qu'implique la
causalité, elle ne peut être admise pour Dieu déjà admis par Descartes éternel, et
immuable.
Par conséquent et en toute logique, pour les scolastiques musulmans, le philosophe
comme tout commun des mortels, pour éviter de vaines tergiversations au sujet de
bien savoir qui est au juste Dieu, il doit se limiter à poser des questions, quant aux
bonnes réponses satisfaisantes il n’y a que Dieu Lui même qui soit en droit de nous en
informer, dans la mesure et de la manière qu’Il le veut bien, avec les preuves
objectives pour les authentifier.
Pour les musulmans, le scepticisme dogmatique comme une fin en soi ne peut
conduire en toute logique qu’à l’impasse, et laisse le quêteur de la vérité sur les
questions métaphysiques dans l’angoisse due au vide qu’implique la soif de savoir
inhérente à la nature humaine. Mais comme voie vers la vérité, le scepticisme n’est
pas a priori à exclure quand il n’exclut pas à son tour l’étude des textes dits révélés.
C’est d’ailleurs ce chemin qui fut suivi, parmi bien d’autres, le très célèbre érudit
Abou Hamed Al-Ghazali, et qu’il a transcrit dans son édifiant ouvrage intitulé AlMu-kid mina addalal soit littéralement le sauveur de l’égarement ; traduit en français
par FARID JABER sous le titre ERREUR ET DELIVRANCE2.
1
2
[LA MÉTAPHYSIQUE D’ARISTOTE. Livre 2 ]
Disponible sur le net.
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Mustapha HMIMOU
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