simple: pas le même), en contrariant (pas clair : confus ou sombre), en contredisant
(pas vrai : faux), etc. Mais la relation ne se réduit pas à la négation; ou plutôt, celle-ci
revêt des figures variées telles que division arborescente, hiérarchisation,
égalité/inégalité, ou même simple ressemblance, sans oublier la causalité. « En toutes
choses, rappelle l’Étranger du Politique, nous avons distingué deux grands arts : l’art
d’assembler et l’art de séparer. » Pour exprimer l’idée de relation, Platon dit :
symplokè, de symplékein, entrelacer. Comme le tissage entrelace trame et chaîne, ainsi
devra faire le Basileus avec les composantes du peuple pour que naisse l’État. Et nous
sommes de retour au Théétète, c’est-à-dire à la Mesure. Si le relatif protagorasien
s’enfermait dans l’absolu sensible du Je, c’est-à-dire se condamnait à l’impossibilité
absolue de toute relation, la réalité de la relation suppose que celle-ci se soumette à
une mesure non arbitraire.
La recherche d’un critère objectif n’est certes pas nouvelle, puisqu’elle consti-
tue déjà le soubassement de la démarche du Phédon. Socrate, après y avoir exposé à
nouveaux frais la doctrine des formes et de la participation (100 b-101 c), la
confronte à la thèse de l’engendrement mutuel des contraires. Prenant l’exemple de
ce que nous nommerions une relation d’ordre (non réflexive, antisymétrique et transi-
tive), il s’interroge sur: « Phédon > Simmias > Socrate », par rangs de taille. Et il
conclut que chaque être singulier pourrait donc participer simultanément à deux
formes contraires, s’excluant mutuellement. Or, semble-t-il, cela s’explique seulement
« parce que Socrate possède de la petitesse relativement à la grandeur de l’autre »
(pros tou ekeinou megethos). Il s’agit bien ici de la catégorie de relation, plus tard
notée « pros ti »par Aristote. Deux thèses paraissent donc s’affronter :ou celle du
mutuel engendrement des contraires c’est-à-dire la découverte de la spécificité des
relations d’ordre ; ou celle de l’immuable unité de la forme, « la grandeur en soi ne
consentant jamais à être à la fois grande et petite ». Dans le Phédon, Platon s’en tient
encore à l’incommunicabilité des Formes, soit directe, s’il s’agit de contraires, soit
même indirecte et dérivée, comme celle de la dyade et de la triade, par le biais des
genres pair et impair.
Or le « dynamisme du négatif » permettant de surmonter cet obstacle, Platon,
dans le Politique et le Philèbe, va accomplir un pas décisif pour la réfutation de Prota-
goras et l’approfondissement du concept de Mesure, réintroduisant en celui-ci une
certaine sorte de permanence et d’unité.
Si grand et petit peuvent, en effet, être tenus pour de stricts relatifs, sans critè-
re de mesure autre que comparatif, il n’en va pas toujours de même. « La longueur et
la brièveté, l’excès et le défaut en général ; c’est de tout cela que s’occupe l’art de
mesurer » (hè métrètikè)Il s’agit alors de rapporter à une norme, de relier à cette
norme ou règle, ce qui, sans devenir pour cela un absolu, n’est plus un simple relatif,
car l’ordre auquel l’être est soumis par rapport à d’autres êtres, est apprécié en fonc-
tion de cette règle, et non pas hic et nunc. La mesure est, dans ce cas Juste mesure.
«Nous voilà, dit l’Étranger, contraints d’admettre pour le grand et le petit, deux
modes d’être et de juger ; non pas uniquement comme nous disions à l’instant par
réciprocité, mais, plutôt, comme nous le disons à présent, d’une part par réciprocité,
et d’autre part relativement à la (juste) mesure » (to métrion, et non métron, c’est-à-
dire le modéré, le mesuré, et non la mesure).
Encore faut-il interpréter correctement la nature du critère. Le propre de la
mesure étant de rapporter les longueurs, masses, températures, etc. à une unité de
mesure choisie plus ou moins arbitrairement (Fahrenheit ou Celsius, par exemple), la
possibilité de l’erreur, la dualité vrai/faux sont préservées, mais relativement au choix
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